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Relever le « défi du siècle ». Etat des lieux des controverses idéologiques et axiologiques dans la lutte contre le changement climatique
Date Issued
2024-10-29
Number of pages
392
Subjects
Abstract
Le monde entier semble impuissant face au changement climatique. Bien que ce problème soit connu et documenté avec précision depuis plusieurs décennies, et que ses conséquences soient déjà visibles, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, laissant craindre des scénarios sombres pour un avenir désormais proche. Toutefois, si l’inertie actuelle semble avoir scellé notre sort jusqu’en 2040, voire 2050, le potentiel d'action reste en revanche considérable pour la seconde moitié du XXIe siècle. Il s'agit d'un défi qui touche de près les pratiques quotidiennes de chaque individu, mais qui ne peut être relevé qu'à travers un effort collectif.
En sciences sociales, de nombreuses recherches tentent de comprendre pourquoi, malgré les alertes répétées des experts climatiques, l’inaction persiste. Les explications sont multiples : désinformation, dysfonctionnements systémiques, égoïsme ou aliénation des individus, absence de gouvernance mondiale, ou encore la myopie des systèmes politiques face aux enjeux de long terme. Ces critiques, bien que pertinentes, conduisent souvent à des conclusions fatalistes, tant il paraît difficile d’imaginer un changement rapide du « système », la fin de la désinformation, ou l’apparition d’une volonté soudaine et décisive des individus.
Cette thèse adopte une perspective différente, en renonçant au qualificatif d’inaction. En effet, la lutte contre le changement climatique est déjà engagée et, loin d'avoir épuisé son potentiel, elle est destinée à se renforcer. Cette lutte se manifeste à travers l’activation d’outils politiques, économiques, technologiques, diplomatiques et juridiques, sans oublier l'importance des mouvements sociaux. Parmi ces actions, les décisions collectives, issues d’un débat public où de nombreux arguments sont échangés, aboutissent à de nouvelles obligations que la collectivité s’impose volontairement. Ainsi, malgré les forces qui favorisent l'inaction, les collectivités ont la capacité de prendre des décisions collectives. Cela suggère qu'il existe des mécanismes qui compensent les défauts individuels et systémiques, et qu’il convient de les mettre en avant.
Cette thèse explore l’idée selon laquelle une partie de l’explication réside dans la force de nos convictions morales. Ce sont elles qui nous poussent à considérer le changement climatique comme intrinsèquement mauvais et à juger nécessaire de l’endiguer. Au fur et à mesure de l’augmentation des températures terrestres et maritimes, cette obligation morale devient de plus en plus impérative, jusqu'à entrer en conflit avec d’autres valeurs cardinales telles que la liberté, l’équité, ou la démocratie. Cependant, l'injonction de réduire les émissions de gaz à effet de serre est des plus diffuses, ce qui fait émerger des controverses morales. En particulier, nos convictions divergent sur nos devoirs envers les générations futures ou les autres espèces, sur le rôle de la technologie, ou encore sur la répartition des responsabilités.
L’objectif de cette thèse est de clarifier et d’expliciter ces divergences et leur impact sur la prise de décisions collectives. L’hypothèse centrale est qu’elles se manifestent sous la forme de valeurs véhiculées par les discours. En utilisant les outils de la sociologie pragmatique, nous étudierons précisément comment, en cas de conflit autour d’un élément décisionnel, les justifications morales s’hiérarchisent, certaines valeurs prenant le pas sur d’autres. Notre démarche réussira si, en observant les marqueurs de ces justifications – c’est-à-dire l’expression des valeurs –, nous parvenons à mieux comprendre les décisions collectives qui façonneront l’avenir.
En sciences sociales, de nombreuses recherches tentent de comprendre pourquoi, malgré les alertes répétées des experts climatiques, l’inaction persiste. Les explications sont multiples : désinformation, dysfonctionnements systémiques, égoïsme ou aliénation des individus, absence de gouvernance mondiale, ou encore la myopie des systèmes politiques face aux enjeux de long terme. Ces critiques, bien que pertinentes, conduisent souvent à des conclusions fatalistes, tant il paraît difficile d’imaginer un changement rapide du « système », la fin de la désinformation, ou l’apparition d’une volonté soudaine et décisive des individus.
Cette thèse adopte une perspective différente, en renonçant au qualificatif d’inaction. En effet, la lutte contre le changement climatique est déjà engagée et, loin d'avoir épuisé son potentiel, elle est destinée à se renforcer. Cette lutte se manifeste à travers l’activation d’outils politiques, économiques, technologiques, diplomatiques et juridiques, sans oublier l'importance des mouvements sociaux. Parmi ces actions, les décisions collectives, issues d’un débat public où de nombreux arguments sont échangés, aboutissent à de nouvelles obligations que la collectivité s’impose volontairement. Ainsi, malgré les forces qui favorisent l'inaction, les collectivités ont la capacité de prendre des décisions collectives. Cela suggère qu'il existe des mécanismes qui compensent les défauts individuels et systémiques, et qu’il convient de les mettre en avant.
Cette thèse explore l’idée selon laquelle une partie de l’explication réside dans la force de nos convictions morales. Ce sont elles qui nous poussent à considérer le changement climatique comme intrinsèquement mauvais et à juger nécessaire de l’endiguer. Au fur et à mesure de l’augmentation des températures terrestres et maritimes, cette obligation morale devient de plus en plus impérative, jusqu'à entrer en conflit avec d’autres valeurs cardinales telles que la liberté, l’équité, ou la démocratie. Cependant, l'injonction de réduire les émissions de gaz à effet de serre est des plus diffuses, ce qui fait émerger des controverses morales. En particulier, nos convictions divergent sur nos devoirs envers les générations futures ou les autres espèces, sur le rôle de la technologie, ou encore sur la répartition des responsabilités.
L’objectif de cette thèse est de clarifier et d’expliciter ces divergences et leur impact sur la prise de décisions collectives. L’hypothèse centrale est qu’elles se manifestent sous la forme de valeurs véhiculées par les discours. En utilisant les outils de la sociologie pragmatique, nous étudierons précisément comment, en cas de conflit autour d’un élément décisionnel, les justifications morales s’hiérarchisent, certaines valeurs prenant le pas sur d’autres. Notre démarche réussira si, en observant les marqueurs de ces justifications – c’est-à-dire l’expression des valeurs –, nous parvenons à mieux comprendre les décisions collectives qui façonneront l’avenir.
The whole world seems powerless in the fight against climate change. Although this problem is well known and has been accurately documented for decades, and although its consequences are already visible, global greenhouse gas emissions continue to rise, giving the world bleak prospects of the near future. However, while current inertia seems to have sealed our fate until 2040, or even 2050, potential for action remains significant for the second half of the 21st century. This challenge affects the daily practices of every single person but can only be met through collective efforts.
In social sciences, many studies try to understand why inaction lingers, despite climate experts’ repeated warnings. There are several explanations: misinformation, systemic dysfunctions, selfishness or alienation of individuals, lack of global governance, or even political short-sightedness regarding long-term challenges. These pertinent criticisms often lead to fatalistic conclusions such as the difficulty to imagine the “system” rapidly changing, misinformation ending, or individuals’ willpower rising suddenly and decisively.
This thesis takes a different perspective by rejecting to speak about inaction. Indeed, the fight against climate change is already underway and its potential, far from being exhausted, is expected to become stronger. This fight is being waged by activating political, economic, technological, diplomatic and legal tools, as well as by social movements. Among these actions are also collective decisions, resulting from public debates where many arguments are exchanged, that lead to new obligations that communities voluntarily impose on themselves. Thus, despite the forces that favour inaction, communities have the capacity to make collective decisions. This suggests that there are indeed mechanisms that balance individual and systemic defects, and these should be highlighted.
This thesis explores the idea that part of the explanation lies in the strength of our moral convictions. They are the reasons why climate change in considered as intrinsically bad and its mitigation as necessary. As land and sea temperatures rise, this moral obligation becomes increasingly imperative, to the point of conflict with other cardinal values such as freedom, fairness or democracy. However, reducing greenhouse gas emissions is an extremely vague requirement, leading to moral controversies, particularly about our duties towards future generations or other species, the role of technology, and the sharing of responsibilities.
The aim of this thesis is to clarify and explain these discrepancies and their impact on collective decision-making. The central hypothesis is that the discrepancies become visible through values that are relayed by discourses. Using the tools of pragmatic sociology, I will study precisely how, within a conflict over a decision-making issue, moral justifications are ranked, with some values being prioritized over others. My approach will succeed if, by observing the markers of these justifications—that is, the expression of values—one can better understand the collective decisions that will shape the future.
In social sciences, many studies try to understand why inaction lingers, despite climate experts’ repeated warnings. There are several explanations: misinformation, systemic dysfunctions, selfishness or alienation of individuals, lack of global governance, or even political short-sightedness regarding long-term challenges. These pertinent criticisms often lead to fatalistic conclusions such as the difficulty to imagine the “system” rapidly changing, misinformation ending, or individuals’ willpower rising suddenly and decisively.
This thesis takes a different perspective by rejecting to speak about inaction. Indeed, the fight against climate change is already underway and its potential, far from being exhausted, is expected to become stronger. This fight is being waged by activating political, economic, technological, diplomatic and legal tools, as well as by social movements. Among these actions are also collective decisions, resulting from public debates where many arguments are exchanged, that lead to new obligations that communities voluntarily impose on themselves. Thus, despite the forces that favour inaction, communities have the capacity to make collective decisions. This suggests that there are indeed mechanisms that balance individual and systemic defects, and these should be highlighted.
This thesis explores the idea that part of the explanation lies in the strength of our moral convictions. They are the reasons why climate change in considered as intrinsically bad and its mitigation as necessary. As land and sea temperatures rise, this moral obligation becomes increasingly imperative, to the point of conflict with other cardinal values such as freedom, fairness or democracy. However, reducing greenhouse gas emissions is an extremely vague requirement, leading to moral controversies, particularly about our duties towards future generations or other species, the role of technology, and the sharing of responsibilities.
The aim of this thesis is to clarify and explain these discrepancies and their impact on collective decision-making. The central hypothesis is that the discrepancies become visible through values that are relayed by discourses. Using the tools of pragmatic sociology, I will study precisely how, within a conflict over a decision-making issue, moral justifications are ranked, with some values being prioritized over others. My approach will succeed if, by observing the markers of these justifications—that is, the expression of values—one can better understand the collective decisions that will shape the future.
Notes
UniNE, FLSH, Centre de sciences cognitives, soutenue le 29 octobre 2024
Alternative title
Taking up the “challenge of the century”. An inventory of ideological and axiological controversies in the fight against climate change
Publication type
doctoral thesis