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Les (en)jeux d'internationalisation des écoles hôtelières suisses
La première empirique investigue l’objectif commun marchand des écoles hôtelières suisses, à savoir construire et diffuser leur réputation à travers le monde afin de susciter l’inscription d’étudiant·e·s relativement fortuné·e·s. Ces dernières s’avèrent plus ou moins dotées en capital international, culturel et social afin se saisir de cet enjeu et occupent par conséquent des positions relativement dominantes/dominées au sein du champ (espace de positions). L’interprétation s’intéresse dès lors aux principes de distinction et de hiérarchisation entre les écoles (volume de capital spécifique / internationalité VS autochtonie). La deuxième partie s’intéresse aux discours (prises de position) des étudiant·e·s et employé·e·s à propos des écoles et à la manière dont ils réifient la toute-puissance de l’École hôtelière de Lausanne et la vision d’une complémentarité de l’offre entre les établissements. Toutefois, leurs critiques témoignent également des tensions existantes et questionnent l’autonomie de ce champ sur la scène nationale et internationale, notamment vis-à-vis des business schools. La troisième partie resserre la focale sur leurs étudiant·e·s en analysant leurs origines socioéconomiques, parcours éducatifs ainsi que migratoires et les volumes de capitaux dont ils/elles ont hérité (espace des dispositions). Une analyse de correspondances multiples démontre que cette population étudiante vient, certes, des fractions économiques des classes supérieures mais que s’y opposent les héritiers/héritières de la global middle class – fortement mobiles et ayant déjà fréquenté·e·s le système scolaire international – et les individus issu·e·s des classes libérales ou dirigeantes plus sédentaires. Faire une école hôtelières suisse représente différentes stratégies éducatives de reproduction sociale, d’une capitalisation à une nouvelle acquisition d’un capital culturel international. Les entretiens permettent ensuite de saisir les raisons de leur orientation éducative et attestent que, fréquemment, ces écoles représentent des choix éducatifs refuges mais prestigieux. En dernier lieu, les mécanismes de répartition des étudiant·e·s au sein du champ en fonction de leur origine géographique et de leur dotation en capital économique, culturel et social.
Cette enquête dévoile la complexification géographique de l’enseignement supérieur où les pratiques d’internationalisation institutionnelles et individuelles s’articulent désormais et peuvent être mobiles ou immobiles. Les institutions et les étudiant·e·s se saisissent de manières différenciées – voire inégales - des opportunités représentées par ce processus d’internationalisation en fonction des ressources locales et nationales qu’ils/elles peuvent mobiliser pour tisser des réseaux transnationaux fructueux. Par conséquent, l’acquisition d’un capital cosmopolite ou international doit être appréhender comme un phénomène non seulement multi-territorial mais impliquant différents niveaux d’analyse sociologique.
Bonoli L., Berger J.-L., Lamamra N. (dir.), 2018, Enjeux de la formation professionnelle en Suisse, Le « modèle » suisse sous la loupe, Zürich (Suisse), Seismo, 375 p
2020-2-12, Delval, Anne-Sophie
Le système de formation professionnelle suisse est cité en exemple dans les médias, en tant qu’outil de facilitation de l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi. Il est vrai qu’en comparaison internationale, le taux de chômage des 15-24 ans y est parmi les plus bas de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’élevant à 8,1 % en 2018, alors qu’il avoisinait les 22,3 % en France. De plus, près de 60 % des jeunes en Suisse intègrent un cursus professionnel à la fin de leur scolarité obligatoire. L’apprentissage – en formation duale – est un cursus répandu, bien moins stigmatisé que dans d’autres pays. Ce système éducatif professionnel est alors fréquemment présenté comme une référence, au point qu’en 2015, la Suisse a signé une « déclaration d’intention » avec les États-Unis, afin de favoriser les échanges en matière de formation professionnelle entre les deux pays. Le « modèle » helvétique apparaît pourtant aux auteur·trice·s de cet ouvrage collectif comme « une fiction nationale » (p. 352) – vendue comme consensuelle et rationnelle –, dont le portrait doit être complexifié et problématisé. Ce livre vise donc à déconstruire ce système éducatif à partir de multiples contributions disciplinaires (sciences politiques, sociologie, économie et pédagogie). 2L’ouvrage comprend trois parties. La première sur les « enjeux systémiques » met en lumière la diversité des acteurs publics et privés intervenant dans la formation professionnelle et les défis engendrés par leur collaboration. La législation fédérale définit des « lois-cadres » – édictant des objectifs et des principes généraux – qui offrent de grandes marges de manœuvre aux cantons et aux organisations du monde du travail dans la cogestion de la formation professionnelle (chapitre 1). Il en résulte une disparité des offres de formation, relatives aux traditions scolaires ou politiques et aux secteurs industriels spécifiques aux différents cantons (chapitre 2). La Suisse apparaît – en comparaison internationale – comme un système « collectiviste » où les employeurs sont fortement impliqués dans le financement et l’administration de la formation professionnelle (chapitre 3). Cette participation s’explique en grande partie par le fait que la formation d’apprenti·e·s représente un investissement rentable pour les entreprises (chapitre 4). Pourtant, le partenariat public/privé s’avère complexe et des tensions existent quant à la répartition des rôles et des responsabilités – notamment financières – entre les différents acteurs. 3La deuxième partie sur les « enjeux sociaux » adopte une perspective sociologique sur la composition du public des formations professionnelles. Les jeunes disposant de moins de ressources sociales, scolaires et économiques – et particulièrement les garçons – sont bien plus fréquemment dans des formations professionnalisantes qu’en filières générales. Puis, les jeunes issu·e·s de l’immigration et/ou défavorisé·e·s sont plus nombreux·ses dans les apprentissages aux exigences scolaires les plus basses, menant aux métiers moins rémunérés et offrant de faibles possibilités de progression (chapitre 5). Les carrières de formation professionnelle peuvent être également plus longues (redoublement, changements d’entreprise ou échec) et les transitions vers l’entrée sur le marché des places d’apprentissage ainsi que du premier emploi plus chaotiques, pour celles et ceux issu·e·s des couches défavorisées (chapitres 6 et 7). Les filières les moins exigeantes peuvent toutefois représenter des voies de requalification pour les plus vulnérables, auparavant exclu·e·s de la formation secondaire II (chapitre 8). Ces inégalités d’accès se prolongent dans l’enseignement tertiaire professionnel, les étudiant·e·s les moins privilégié·e·s s’orientant davantage vers des cursus moins coûteux et moins prestigieux (École supérieure), plutôt qu’en formation professionnelle de type universitaire (Haute école spécialisée) [chapitre 9]. Le système suisse apparaît dès lors hétérogène, hiérarchisé et segmenté, contribuant grandement à la reproduction de la stratification sociale helvétique. 4La troisième partie sur les « enjeux pédagogiques » déconstruit l’idée que les compétences enseignées au sein d’une formation duale – d’un côté par les entreprises et de l’autre par les écoles – circulent et s’articulent parfaitement pour les apprenti·e·s. Les chercheurs et chercheuses étudient les difficultés d’apprentissage éprouvées dans l’application de savoirs théoriques dans un cadre pratique et inversement. Ils/elles mettent en lumière l’intérêt d’innovations pédagogiques portées par les nouvelles technologies (chapitre 10), puis les différentes conceptions des rôles de chacune de ces sphères (chapitre 11), la diversité des registres interactionnels et des identités mobilisées par les apprenti·e·s, à la fois étudiant·e·s et employé·e·s (chapitre 12) et, finalement, les différents parcours menant à l’enseignement dans le secteur éducatif professionnel ainsi que les identités professionnelles afférentes (chapitre 13). 5Cet ouvrage propose un regard complexe mais synthétique sur la formation professionnelle en Suisse. Il donne des pistes de comparaison intéressantes et offre un accès à une bibliographie germanophone peu connue. Néanmoins, en raison de son ambition interdisciplinaire, il présente des contributions de qualité inégale ; certains aspects mériteraient d’être plus développés et d’autres d’être étudiés. Par exemple, qu’en est-il des formations professionnelles privées qui accueillent des jeunes « en marge » et représentent des enjeux financiers très importants ? Ces constats sont à lier à la relative « jeunesse » de ce domaine de recherche encore peu autonome, situé au croisement d’enquêtes sur l’éducation et l’insertion professionnelle. Finalement dans un contexte où l’on désire renforcer la sélectivité à l’université et ségréger davantage l’enseignement supérieur, il est nécessaire de proposer des alternatives éducatives professionnelles plus solides aux fractions dominées, qui pourraient s’inspirer – ou non – du « modèle » suisse.
Strategies of social (re)production within international higher education: the case of Swiss hospitality management schools
2019-7-22, Delval, Anne-Sophie
Globalisation has led to the transformation of the field of higher education, including an increase in international students’ mobility and new offers of internationalised educational curricula “at home”. This evolution provides new opportunities for both intentional and non-intentional strategies of educational internationalisation, which are a potentially important part of the social mobility and reproduction of the middle and upper classes. This article investigates the students of Swiss hospitality management schools (SHMSs)—institutions of higher education that are often privately run and characterised by a high degree of internationalisation. We explore the configurations of these students’ “cosmopolitan capital” (a combination of cultural, linguistic, social, and institutionalised assets acquired through transnational mobility or exposure to an international environment), and we ask how these configurations vary with regards to their social backgrounds, specifically concerning their proximity to the cultural versus the economic pole of the class structure. We carried out a multiple correspondence analysis of three dimensions of cosmopolitan capital of 381 students, used cluster analysis to identify five configurations of cosmopolitanism and then tested for the social characteristics of these students’ parents by using a multinomial regression model. Our results showed various strategies of the accumulation, conversion and legitimation of cosmopolitan capital, and they emphasised the role that this form of capital plays in the mobility and reproduction strategies of these students’ families.