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Bonoli L., Berger J.-L., Lamamra N. (dir.), 2018, Enjeux de la formation professionnelle en Suisse, Le « modèle » suisse sous la loupe, Zürich (Suisse), Seismo, 375 p
Date de parution
2020-2-12
In
Agora débats/jeunesse
Vol.
1
No
84
De la page
125
A la page
137
Revu par les pairs
1
Résumé
Le système de formation professionnelle suisse est cité en exemple dans les médias, en tant qu’outil de facilitation de l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi. Il est vrai qu’en comparaison internationale, le taux de chômage des 15-24 ans y est parmi les plus bas de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’élevant à 8,1 % en 2018, alors qu’il avoisinait les 22,3 % en France. De plus, près de 60 % des jeunes en Suisse intègrent un cursus professionnel à la fin de leur scolarité obligatoire. L’apprentissage – en formation duale – est un cursus répandu, bien moins stigmatisé que dans d’autres pays. Ce système éducatif professionnel est alors fréquemment présenté comme une référence, au point qu’en 2015, la Suisse a signé une « déclaration d’intention » avec les États-Unis, afin de favoriser les échanges en matière de formation professionnelle entre les deux pays. Le « modèle » helvétique apparaît pourtant aux auteur·trice·s de cet ouvrage collectif comme « une fiction nationale » (p. 352) – vendue comme consensuelle et rationnelle –, dont le portrait doit être complexifié et problématisé. Ce livre vise donc à déconstruire ce système éducatif à partir de multiples contributions disciplinaires (sciences politiques, sociologie, économie et pédagogie).
2L’ouvrage comprend trois parties. La première sur les « enjeux systémiques » met en lumière la diversité des acteurs publics et privés intervenant dans la formation professionnelle et les défis engendrés par leur collaboration. La législation fédérale définit des « lois-cadres » – édictant des objectifs et des principes généraux – qui offrent de grandes marges de manœuvre aux cantons et aux organisations du monde du travail dans la cogestion de la formation professionnelle (chapitre 1). Il en résulte une disparité des offres de formation, relatives aux traditions scolaires ou politiques et aux secteurs industriels spécifiques aux différents cantons (chapitre 2). La Suisse apparaît – en comparaison internationale – comme un système « collectiviste » où les employeurs sont fortement impliqués dans le financement et l’administration de la formation professionnelle (chapitre 3). Cette participation s’explique en grande partie par le fait que la formation d’apprenti·e·s représente un investissement rentable pour les entreprises (chapitre 4). Pourtant, le partenariat public/privé s’avère complexe et des tensions existent quant à la répartition des rôles et des responsabilités – notamment financières – entre les différents acteurs.
3La deuxième partie sur les « enjeux sociaux » adopte une perspective sociologique sur la composition du public des formations professionnelles. Les jeunes disposant de moins de ressources sociales, scolaires et économiques – et particulièrement les garçons – sont bien plus fréquemment dans des formations professionnalisantes qu’en filières générales. Puis, les jeunes issu·e·s de l’immigration et/ou défavorisé·e·s sont plus nombreux·ses dans les apprentissages aux exigences scolaires les plus basses, menant aux métiers moins rémunérés et offrant de faibles possibilités de progression (chapitre 5). Les carrières de formation professionnelle peuvent être également plus longues (redoublement, changements d’entreprise ou échec) et les transitions vers l’entrée sur le marché des places d’apprentissage ainsi que du premier emploi plus chaotiques, pour celles et ceux issu·e·s des couches défavorisées (chapitres 6 et 7). Les filières les moins exigeantes peuvent toutefois représenter des voies de requalification pour les plus vulnérables, auparavant exclu·e·s de la formation secondaire II (chapitre 8). Ces inégalités d’accès se prolongent dans l’enseignement tertiaire professionnel, les étudiant·e·s les moins privilégié·e·s s’orientant davantage vers des cursus moins coûteux et moins prestigieux (École supérieure), plutôt qu’en formation professionnelle de type universitaire (Haute école spécialisée) [chapitre 9]. Le système suisse apparaît dès lors hétérogène, hiérarchisé et segmenté, contribuant grandement à la reproduction de la stratification sociale helvétique.
4La troisième partie sur les « enjeux pédagogiques » déconstruit l’idée que les compétences enseignées au sein d’une formation duale – d’un côté par les entreprises et de l’autre par les écoles – circulent et s’articulent parfaitement pour les apprenti·e·s. Les chercheurs et chercheuses étudient les difficultés d’apprentissage éprouvées dans l’application de savoirs théoriques dans un cadre pratique et inversement. Ils/elles mettent en lumière l’intérêt d’innovations pédagogiques portées par les nouvelles technologies (chapitre 10), puis les différentes conceptions des rôles de chacune de ces sphères (chapitre 11), la diversité des registres interactionnels et des identités mobilisées par les apprenti·e·s, à la fois étudiant·e·s et employé·e·s (chapitre 12) et, finalement, les différents parcours menant à l’enseignement dans le secteur éducatif professionnel ainsi que les identités professionnelles afférentes (chapitre 13).
5Cet ouvrage propose un regard complexe mais synthétique sur la formation professionnelle en Suisse. Il donne des pistes de comparaison intéressantes et offre un accès à une bibliographie germanophone peu connue. Néanmoins, en raison de son ambition interdisciplinaire, il présente des contributions de qualité inégale ; certains aspects mériteraient d’être plus développés et d’autres d’être étudiés. Par exemple, qu’en est-il des formations professionnelles privées qui accueillent des jeunes « en marge » et représentent des enjeux financiers très importants ? Ces constats sont à lier à la relative « jeunesse » de ce domaine de recherche encore peu autonome, situé au croisement d’enquêtes sur l’éducation et l’insertion professionnelle. Finalement dans un contexte où l’on désire renforcer la sélectivité à l’université et ségréger davantage l’enseignement supérieur, il est nécessaire de proposer des alternatives éducatives professionnelles plus solides aux fractions dominées, qui pourraient s’inspirer – ou non – du « modèle » suisse.
2L’ouvrage comprend trois parties. La première sur les « enjeux systémiques » met en lumière la diversité des acteurs publics et privés intervenant dans la formation professionnelle et les défis engendrés par leur collaboration. La législation fédérale définit des « lois-cadres » – édictant des objectifs et des principes généraux – qui offrent de grandes marges de manœuvre aux cantons et aux organisations du monde du travail dans la cogestion de la formation professionnelle (chapitre 1). Il en résulte une disparité des offres de formation, relatives aux traditions scolaires ou politiques et aux secteurs industriels spécifiques aux différents cantons (chapitre 2). La Suisse apparaît – en comparaison internationale – comme un système « collectiviste » où les employeurs sont fortement impliqués dans le financement et l’administration de la formation professionnelle (chapitre 3). Cette participation s’explique en grande partie par le fait que la formation d’apprenti·e·s représente un investissement rentable pour les entreprises (chapitre 4). Pourtant, le partenariat public/privé s’avère complexe et des tensions existent quant à la répartition des rôles et des responsabilités – notamment financières – entre les différents acteurs.
3La deuxième partie sur les « enjeux sociaux » adopte une perspective sociologique sur la composition du public des formations professionnelles. Les jeunes disposant de moins de ressources sociales, scolaires et économiques – et particulièrement les garçons – sont bien plus fréquemment dans des formations professionnalisantes qu’en filières générales. Puis, les jeunes issu·e·s de l’immigration et/ou défavorisé·e·s sont plus nombreux·ses dans les apprentissages aux exigences scolaires les plus basses, menant aux métiers moins rémunérés et offrant de faibles possibilités de progression (chapitre 5). Les carrières de formation professionnelle peuvent être également plus longues (redoublement, changements d’entreprise ou échec) et les transitions vers l’entrée sur le marché des places d’apprentissage ainsi que du premier emploi plus chaotiques, pour celles et ceux issu·e·s des couches défavorisées (chapitres 6 et 7). Les filières les moins exigeantes peuvent toutefois représenter des voies de requalification pour les plus vulnérables, auparavant exclu·e·s de la formation secondaire II (chapitre 8). Ces inégalités d’accès se prolongent dans l’enseignement tertiaire professionnel, les étudiant·e·s les moins privilégié·e·s s’orientant davantage vers des cursus moins coûteux et moins prestigieux (École supérieure), plutôt qu’en formation professionnelle de type universitaire (Haute école spécialisée) [chapitre 9]. Le système suisse apparaît dès lors hétérogène, hiérarchisé et segmenté, contribuant grandement à la reproduction de la stratification sociale helvétique.
4La troisième partie sur les « enjeux pédagogiques » déconstruit l’idée que les compétences enseignées au sein d’une formation duale – d’un côté par les entreprises et de l’autre par les écoles – circulent et s’articulent parfaitement pour les apprenti·e·s. Les chercheurs et chercheuses étudient les difficultés d’apprentissage éprouvées dans l’application de savoirs théoriques dans un cadre pratique et inversement. Ils/elles mettent en lumière l’intérêt d’innovations pédagogiques portées par les nouvelles technologies (chapitre 10), puis les différentes conceptions des rôles de chacune de ces sphères (chapitre 11), la diversité des registres interactionnels et des identités mobilisées par les apprenti·e·s, à la fois étudiant·e·s et employé·e·s (chapitre 12) et, finalement, les différents parcours menant à l’enseignement dans le secteur éducatif professionnel ainsi que les identités professionnelles afférentes (chapitre 13).
5Cet ouvrage propose un regard complexe mais synthétique sur la formation professionnelle en Suisse. Il donne des pistes de comparaison intéressantes et offre un accès à une bibliographie germanophone peu connue. Néanmoins, en raison de son ambition interdisciplinaire, il présente des contributions de qualité inégale ; certains aspects mériteraient d’être plus développés et d’autres d’être étudiés. Par exemple, qu’en est-il des formations professionnelles privées qui accueillent des jeunes « en marge » et représentent des enjeux financiers très importants ? Ces constats sont à lier à la relative « jeunesse » de ce domaine de recherche encore peu autonome, situé au croisement d’enquêtes sur l’éducation et l’insertion professionnelle. Finalement dans un contexte où l’on désire renforcer la sélectivité à l’université et ségréger davantage l’enseignement supérieur, il est nécessaire de proposer des alternatives éducatives professionnelles plus solides aux fractions dominées, qui pourraient s’inspirer – ou non – du « modèle » suisse.
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