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Gouvernementalité et système de contrôle crimmigratoire: une analyse des politiques suisses d'exclusion et de contrôle des "étrangers indésirables"
Neuchâtel
Date Issued
2018
Abstract
En se fondant sur le cas de la Suisse, cette thèse de doctorat cherche à amener des éléments de réponses quant aux types de réponses que formulent des gouvernements démocratiques aux questions soulevées par la présence d’« étrangers indésirables » sur leur territoire national. Cette recherche porte principalement sur l’analyse de la problématisation et des réponses formulées par différents acteurs étatiques sous la forme de lois et de ces politiques. Elle vise
également à rendre des conséquences de ces politiques sur les régimes démocratiques au sein desquelles elles émergent.
Un premier volet de la recherche a porté sur l’analyse de la problématisation de la présence d’« étrangers indésirables », ainsi que sur la formulation et les formes de légitimation des politiques mises en place. Ces analyses nous ont amené à remettre en question les discours et catégories sur lesquels se fondent ces politiques au profit de catégories offrant une perspective analytique et critique de ces politiques. Le qualificatif d’« étrangers indésirables » a ainsi été
employé, en référence à une terminologie employée par les gouvernements européens durant la première moitié du 20e siècle, afin de qualifier les catégories mouvantes parmi la population
étrangère étant la cible privilégiée de ces politiques. Le terme de « politique d’expulsion et de contrôle » a été préféré à celui « politique de retour » employé par le gouvernement suisse afin de regrouper les différents instruments visant à rendre possible l’exécution des décisions de renvoi. Cette terminologie permet de rendre plus explicite les formes de contraintes sur lesquelles se fondent le gouvernement en vue de l’exécution les décisions de renvoi, mais
aussi de mettre en évidence l’objectif implicite de contrôle de ces populations étrangères tant que durera leur présence sur le territoire. Ces analyses ont également permis de souligner les diverses stratégies de problématisation et légitimation mises en oeuvre par différents acteurs politiques en fonction de l’audience et de l’arène où le discours sera tenu. A ce titre, ce travail montre que les discours s’appuyant sur une rhétorique criminalisant la présence de
ressortissants étrangers prêtent le flanc à trop de critiques pour être employés par le gouvernement ou au sein de l’arène parlementaire en vue de légitimer des mesures relevant du droit des étrangers. Le discours employé dans ce cadre, s’appuyant sur l’argument de
nécessité du maintien de la crédibilité du système de contrôle migratoire, est donc nettement plus consensuel. Il vise à minimiser l’usage qui est fait de la contrainte plutôt qu’à la justifier à l’aide d’arguments sécuritaires. Le recours à un discours sécuritaire relatif à la criminalité des étrangers apparaît néanmoins comme un outil efficace de légitimation de l’usage de la contrainte au sein du droit administratif des étrangers, lorsqu’il est inséré au sein de l’objectif
d’exécution des renvois, ou lorsqu’il est porté par des partis nationalistes directement auprès de la population par l’intermédiaire d’initiatives populaires.
Le second volet de la recherche a porté sur l’analyse des politiques en tant que « techniques et rationalités de gouvernement » (Foucault 1994b, 1994c, 2004) des populations étrangères. Ces analyses ont permis de confirmer, dans le cas de la Suisse, les résultats d’autres études menées jusqu’ici presqu’uniquement sur le cas USA, attestant de la convergence entre les systèmes de droit pénal et de droit administratif des étrangers. Ce « système de contrôle crimmigratoire » (Stumpf 2006) a été considéré comme une stratégie particulière de
gouvernement des populations étrangères « indésirables ». L’émergence de ce mode de gouvernement des étrangers indésirables a pu être démontrée au travers de l’introduction de
techniques particulièrement coercitives associées à des sanctions pénales au sein du droit des étrangers (chapitre 2), et à de moyens typiquement associés au contrôle migratoire en tant que sanctions pénales (chapitre 3). Au-delà des techniques employées, ce travail de doctorat a permis de souligner les logiques qui fondent l’usage de ces pratiques. La contrainte apparaît comme l’une des principales
logiques des instruments relevant du droit des étrangers. Elle a été analysée en tant que rationalité disciplinaire de gouvernement visant à forcer les individus à se soumettre aux décisions administratives des autorités au travers du recours effectif ou potentiel à des
mesures extrêmement coercitives. Cet usage de mesures extrêmement coercitives comme technique de contrôle migratoire ne semble jusqu’ici pas être réellement remis en question au travers du régime international des droits humains. L’inscription de mesures aussi coercitives au sein d’un régime administratif de régulation de la migration n’est pas sans rappeler - toute proportion gardée - certaines formes d’enfermement arbitraire ayant eu cours avant la
« naissance de la prison », voire de supplices, dont le caractère public et spectaculaire visait, dans la France de l’Ancien Régime, à réaffirmer la souveraineté du pouvoir de l’Etat sur l’ensemble du corps social (Foucault 1975). Le caractère disproportionné de ces instruments, ainsi que les arguments qui les sous-tendent, amènent à considérer ces derniers comme des moyens au travers desquels l’Etat vise à réaffirmer son pouvoir auprès de la population par la
mise en place de mesures exceptionnelles à l’encontre des populations questionnant sa souveraineté territoriale.
La deuxième forme de rationalité ayant été mis en exergue lors de ces analyses a trait à celle de la dissuasion. Cette rationalité de gouvernement instaure, au sein de mesures du droit des
étrangers et du droit pénal ne touchant que les populations étrangères, une différence de traitement dans les formes de répression appliquées aux ressortissants nationaux et étrangers.
La mise en place de cette stratégie particulière de gouvernement a rencontré de nombreuses résistances, que ce soit au sein du droit des étrangers en raison de son caractère criminalisant, ou au sein du droit pénal du fait des tentatives de remises en question des formes de protections qui l’accompagnait. Les analyses effectuées permettent néanmoins d’attester de l’émergence d’une telle stratégie de gouvernement sous une forme implicite ou quelque peu atténuée par rapport à celle initialement envisagée par ces instigateurs.
En conclusion, cette thèse de doctorat argue qu’au-delà de la seule question du traitement réservée aux populations étrangères, les réponses formulées par l’Etat à leur encontre font courir le risque d’une remise en question fondamentale des principes fondamentaux de l’Etat de droit. La gestion des « populations indésirables » sur le territoire des Etat-Nations apparaît ainsi comme l’un des grands défis actuellement posé à nos démocraties libérales. Loin de ne concerner qu’un frange de la population étrangère, dont le comportement abusif, voir criminel, devrait nous amener à nous désintéresser du sort qui leur est réservé, les politiques actuellement mises en oeuvre ont en réalité des conséquences cruciales sur le type de régime
politique qui nous gouvernera.
également à rendre des conséquences de ces politiques sur les régimes démocratiques au sein desquelles elles émergent.
Un premier volet de la recherche a porté sur l’analyse de la problématisation de la présence d’« étrangers indésirables », ainsi que sur la formulation et les formes de légitimation des politiques mises en place. Ces analyses nous ont amené à remettre en question les discours et catégories sur lesquels se fondent ces politiques au profit de catégories offrant une perspective analytique et critique de ces politiques. Le qualificatif d’« étrangers indésirables » a ainsi été
employé, en référence à une terminologie employée par les gouvernements européens durant la première moitié du 20e siècle, afin de qualifier les catégories mouvantes parmi la population
étrangère étant la cible privilégiée de ces politiques. Le terme de « politique d’expulsion et de contrôle » a été préféré à celui « politique de retour » employé par le gouvernement suisse afin de regrouper les différents instruments visant à rendre possible l’exécution des décisions de renvoi. Cette terminologie permet de rendre plus explicite les formes de contraintes sur lesquelles se fondent le gouvernement en vue de l’exécution les décisions de renvoi, mais
aussi de mettre en évidence l’objectif implicite de contrôle de ces populations étrangères tant que durera leur présence sur le territoire. Ces analyses ont également permis de souligner les diverses stratégies de problématisation et légitimation mises en oeuvre par différents acteurs politiques en fonction de l’audience et de l’arène où le discours sera tenu. A ce titre, ce travail montre que les discours s’appuyant sur une rhétorique criminalisant la présence de
ressortissants étrangers prêtent le flanc à trop de critiques pour être employés par le gouvernement ou au sein de l’arène parlementaire en vue de légitimer des mesures relevant du droit des étrangers. Le discours employé dans ce cadre, s’appuyant sur l’argument de
nécessité du maintien de la crédibilité du système de contrôle migratoire, est donc nettement plus consensuel. Il vise à minimiser l’usage qui est fait de la contrainte plutôt qu’à la justifier à l’aide d’arguments sécuritaires. Le recours à un discours sécuritaire relatif à la criminalité des étrangers apparaît néanmoins comme un outil efficace de légitimation de l’usage de la contrainte au sein du droit administratif des étrangers, lorsqu’il est inséré au sein de l’objectif
d’exécution des renvois, ou lorsqu’il est porté par des partis nationalistes directement auprès de la population par l’intermédiaire d’initiatives populaires.
Le second volet de la recherche a porté sur l’analyse des politiques en tant que « techniques et rationalités de gouvernement » (Foucault 1994b, 1994c, 2004) des populations étrangères. Ces analyses ont permis de confirmer, dans le cas de la Suisse, les résultats d’autres études menées jusqu’ici presqu’uniquement sur le cas USA, attestant de la convergence entre les systèmes de droit pénal et de droit administratif des étrangers. Ce « système de contrôle crimmigratoire » (Stumpf 2006) a été considéré comme une stratégie particulière de
gouvernement des populations étrangères « indésirables ». L’émergence de ce mode de gouvernement des étrangers indésirables a pu être démontrée au travers de l’introduction de
techniques particulièrement coercitives associées à des sanctions pénales au sein du droit des étrangers (chapitre 2), et à de moyens typiquement associés au contrôle migratoire en tant que sanctions pénales (chapitre 3). Au-delà des techniques employées, ce travail de doctorat a permis de souligner les logiques qui fondent l’usage de ces pratiques. La contrainte apparaît comme l’une des principales
logiques des instruments relevant du droit des étrangers. Elle a été analysée en tant que rationalité disciplinaire de gouvernement visant à forcer les individus à se soumettre aux décisions administratives des autorités au travers du recours effectif ou potentiel à des
mesures extrêmement coercitives. Cet usage de mesures extrêmement coercitives comme technique de contrôle migratoire ne semble jusqu’ici pas être réellement remis en question au travers du régime international des droits humains. L’inscription de mesures aussi coercitives au sein d’un régime administratif de régulation de la migration n’est pas sans rappeler - toute proportion gardée - certaines formes d’enfermement arbitraire ayant eu cours avant la
« naissance de la prison », voire de supplices, dont le caractère public et spectaculaire visait, dans la France de l’Ancien Régime, à réaffirmer la souveraineté du pouvoir de l’Etat sur l’ensemble du corps social (Foucault 1975). Le caractère disproportionné de ces instruments, ainsi que les arguments qui les sous-tendent, amènent à considérer ces derniers comme des moyens au travers desquels l’Etat vise à réaffirmer son pouvoir auprès de la population par la
mise en place de mesures exceptionnelles à l’encontre des populations questionnant sa souveraineté territoriale.
La deuxième forme de rationalité ayant été mis en exergue lors de ces analyses a trait à celle de la dissuasion. Cette rationalité de gouvernement instaure, au sein de mesures du droit des
étrangers et du droit pénal ne touchant que les populations étrangères, une différence de traitement dans les formes de répression appliquées aux ressortissants nationaux et étrangers.
La mise en place de cette stratégie particulière de gouvernement a rencontré de nombreuses résistances, que ce soit au sein du droit des étrangers en raison de son caractère criminalisant, ou au sein du droit pénal du fait des tentatives de remises en question des formes de protections qui l’accompagnait. Les analyses effectuées permettent néanmoins d’attester de l’émergence d’une telle stratégie de gouvernement sous une forme implicite ou quelque peu atténuée par rapport à celle initialement envisagée par ces instigateurs.
En conclusion, cette thèse de doctorat argue qu’au-delà de la seule question du traitement réservée aux populations étrangères, les réponses formulées par l’Etat à leur encontre font courir le risque d’une remise en question fondamentale des principes fondamentaux de l’Etat de droit. La gestion des « populations indésirables » sur le territoire des Etat-Nations apparaît ainsi comme l’un des grands défis actuellement posé à nos démocraties libérales. Loin de ne concerner qu’un frange de la population étrangère, dont le comportement abusif, voir criminel, devrait nous amener à nous désintéresser du sort qui leur est réservé, les politiques actuellement mises en oeuvre ont en réalité des conséquences cruciales sur le type de régime
politique qui nous gouvernera.
Notes
, Doctorat, Université de Neuchâtel, Faculté des lettres et sciences humaines, Laboratoire d'études des processus sociaux et Faculté de droit, Centre de droit des migrations (CDM)
Publication type
doctoral thesis