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Apprendre le français en Suisse romande: entre idéalisation et reproduction sociale
Maison d'édition
Neuchâtel et Grenoble
Date de parution
2020
Mots-clés
Résumé
Cette recherche qualitative porte sur l’histoire sociale d’une migration interne suisse, le Welschlandaufenthalt, littéralement, le séjour en Suisse romande. Dans une approche sociolinguistique critique, l’analyse des discours sur les langues permet de montrer les conditions dans lesquelles certaines logiques politique, économique et sociale sont renforcées ou contestées et avec quels bénéfices pour qui. Le séjour en Suisse romande, pour des personnes habitant la partie germanophone de la Suisse et désirant notamment apprendre le français, se situe ainsi au carrefour de motivations personnelles et de logiques collectives. Au travers d’entretiens et de focus groups menés avec 19 femmes suisses alémaniques de 50 à 86 ans ayant grandi en Suisse alémanique et migré en Suisse romande entre 1951 et 1989, je m’intéresse à une mobilité locale impliquant néanmoins un changement de langue. L’analyse de contenu traverse trois temps qui correspondent à la temporalité de la migration, à savoir le projet de migration, les premiers temps en Suisse romande et l’installation en Suisse romande. Puis, pour chaque période, les trois thèmes suivants sont étudiés : apprendre et/ou transmettre une langue, travailler et/ou se former, participer à la société.
Au travers de cet exemple suisse et en me basant sur les apports de la sociolinguistique critique, j’analyse les idéologies langagières en utilisant les données contextuelles comme levier d’interprétation. Ainsi, le sens donné aux discours sur les langues et aux pratiques langagières
racontées par nos interlocutrices intègre la prise en compte de la situation politique et linguistique suisse, de la conjoncture économique et du statut des femmes en Suisse dans les années 1950 à 1989. Il s’agit de mettre en évidence, dans l’analyse des pratiques langagières,
les rapports de pouvoir, politique, économique et social.
L’analyse a permis de montrer que ce séjour renforce et maintient la logique nationale de célébration du multilinguisme sans mettre en danger le principe de territorialité des langues. L’économie quant à elle profite d’une main d’oeuvre qualifiée en allemand, parfois très peu
rémunérée, malgré la plus-value que constituent les ressources langagières dans certains emplois. Enfin, socialement, bien que ce séjour réponde en partie à un désir de formation et d’émancipation, la formation acquise, l’apprentissage d’une langue supplémentaire, n’offre pas à ces jeunes femmes un accès à d’autres opportunités professionnelles. Installées en Suisse romande, ces femmes semblent reproduire le modèle social majoritaire à leur époque. La logique patriarcale ne se voit ainsi nullement bousculée par ce séjour.
Cette étude permet d’interroger le champ d’action des individus entre des aspirations individuelles et des hiérarchies sociales. La langue, en tant que pratique sociale, constitue une porte d’entrée originale sur l’histoire sociale de cette migration de jeunes femmes de la Suisse
alémanique vers la Suisse romande. Les discours sur les langues reflètent et participent en effet à la distribution du pouvoir politique, économique et social en Suisse, ainsi qu’à l’évolution de ces rapports de pouvoir.
Abstract:
This study focuses on the social history of the internal migration in Switzerland, and more precisely on the stay of young German-speaking women in the French-speaking part of Switzerland. I analyze language ideologies from a critical sociolinguistic perspective and in relation to the (Swiss) political, economic and social context. I identified three time periods (the migration project, the arriving and the installation) and for each period I centered the analysis on learning and/or transmitting a language, studying and/or working and participating in social life. The analysis shows the way power relations are reinforced or contested through language discourses and practices. The social practice of staying in the French-speaking part of the country for German-speaking persons illustrates how individuals conciliate their personal
aspirations and the collective reproduction of social hierarchies.
Au travers de cet exemple suisse et en me basant sur les apports de la sociolinguistique critique, j’analyse les idéologies langagières en utilisant les données contextuelles comme levier d’interprétation. Ainsi, le sens donné aux discours sur les langues et aux pratiques langagières
racontées par nos interlocutrices intègre la prise en compte de la situation politique et linguistique suisse, de la conjoncture économique et du statut des femmes en Suisse dans les années 1950 à 1989. Il s’agit de mettre en évidence, dans l’analyse des pratiques langagières,
les rapports de pouvoir, politique, économique et social.
L’analyse a permis de montrer que ce séjour renforce et maintient la logique nationale de célébration du multilinguisme sans mettre en danger le principe de territorialité des langues. L’économie quant à elle profite d’une main d’oeuvre qualifiée en allemand, parfois très peu
rémunérée, malgré la plus-value que constituent les ressources langagières dans certains emplois. Enfin, socialement, bien que ce séjour réponde en partie à un désir de formation et d’émancipation, la formation acquise, l’apprentissage d’une langue supplémentaire, n’offre pas à ces jeunes femmes un accès à d’autres opportunités professionnelles. Installées en Suisse romande, ces femmes semblent reproduire le modèle social majoritaire à leur époque. La logique patriarcale ne se voit ainsi nullement bousculée par ce séjour.
Cette étude permet d’interroger le champ d’action des individus entre des aspirations individuelles et des hiérarchies sociales. La langue, en tant que pratique sociale, constitue une porte d’entrée originale sur l’histoire sociale de cette migration de jeunes femmes de la Suisse
alémanique vers la Suisse romande. Les discours sur les langues reflètent et participent en effet à la distribution du pouvoir politique, économique et social en Suisse, ainsi qu’à l’évolution de ces rapports de pouvoir.
Abstract:
This study focuses on the social history of the internal migration in Switzerland, and more precisely on the stay of young German-speaking women in the French-speaking part of Switzerland. I analyze language ideologies from a critical sociolinguistic perspective and in relation to the (Swiss) political, economic and social context. I identified three time periods (the migration project, the arriving and the installation) and for each period I centered the analysis on learning and/or transmitting a language, studying and/or working and participating in social life. The analysis shows the way power relations are reinforced or contested through language discourses and practices. The social practice of staying in the French-speaking part of the country for German-speaking persons illustrates how individuals conciliate their personal
aspirations and the collective reproduction of social hierarchies.
Notes
Doctorat, Universités de Neuchâtel et de Grenoble Alpes, Faculté des lettres et sciences humaines, Institut de logopédie, et Université Grenoble Alpes, LIDILEM
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Type de publication
doctoral thesis
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