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Mener l’enquête : arts de faire : une approche socio-ethnographique des récits de légitimation et des pratiques d’investigation de journalistes en Suisse romande
Maison d'édition
Neuchâtel
Date de parution
2019
Résumé
Cette recherche a pour objectif global de proposer de nouveaux éléments de compréhension concernant les contextes et les contraintes influant sur les productions de journalistes d’investigation en Suisse romande. Elle se focalise plus précisément sur les méthodes ou « arts de faire » de l'enquête que les journalistes mobilisent en tant qu'acteurs sociaux, notamment comme moyens de faire face à des problèmes d'accès aux informations gouvernementales. Dans cette perspective, elle apporte une contribution aux cursus de formation universitaire au journalisme, sur un objet de recherche qui à notre connaissance n’a encore jamais été étudié en Suisse de façon systématique et approfondie.
Le chercheur part du principe que toute activité journalistique est aussi le reflet de relations triangulaires entre la presse, les pouvoirs (politiques, institutionnels, économiques…) et le public. Afin d’étudier de manière empirique les versants implicites et sous-jacents de ces relations, il recourt aux méthodes qualitatives et aux approches socio-ethnographiques (observation participante, entretiens semi-directifs, récits de pratiques et de de parcours professionnels), à visée compréhensive et descriptive. Il concentre son attention sur les logiques d’action et méthodes d'enquête envisagées, négociées et/ou effectivement déployées par les journalistes, comme révélateurs d’enjeux de pouvoir, suivant des modes de collaboration, de négociation ou de conflit avec des sources officielles.
Une première phase d’observation exploratoire met en évidence la complexité et la forte contextualité des logiques d’action en présence, ainsi que la tension a priori contradictoire entre affirmation par les journalistes de la rigueur de leur travail d'enquête et du respect des « fondamentaux » du métier, d’une part ; et d’autre part, une « nécessaire » dissimulation des conditions de production, la négociation voire, la transgression des règles de base. L'analyse s'appuie sur les notions de « flou productif » et d' « indétermination productive », pour interpréter ces résultats.
L’hypothèse de travail qui en découle s’articule autour de la singularité présumée de cette tension entre affirmation et dissimulation des méthodes d’enquête déployées, dépassant les « fondamentaux » du métier, le suivi des règles déontologiques communes à l’ensemble de la profession et les définitions courantes du journalisme d’investigation. A des fins de démonstration, le codage des résultats issus des observations et des entretiens permet de dégager plusieurs typologies détaillées, identifiant des méthodes d’investigation spécifiques, distinctes des autres activités et « routines » journalistiques.
Parmi ces « arts de faire » de l’enquête, figure un premier ensemble de « pratiques déloyales » et de méthodes intrusives que les journalistes tendent à mettre en oeuvre, à négocier et à légitimer, avant de faire référence plus explicitement à des risques de « perte d’autonomie » dans leurs relations avec les médias, les pouvoirs et les publics (difficulté à obtenir des informations / attentes et impératifs des médias employeurs / de l’audience).
Dans un seconde typologie, les méthodes d’enquête orientées sur l’accès aux sources prédominent également. Un autre singularité se profile : l’importation, l’influence ou l’adaptation au cours de ces 50 dernières années de méthodologies d’enquête provenant en fait d’autres mondes sociaux, périphériques ou extérieurs : milieux des sciences sociales ; de justice et police, du renseignement ; « solutions créatives » inspirées par d’autres professions. Ces méthodologies vont elles aussi au-delà des « fondamentaux » du métier. Elles sont néanmoins privilégiées par les journalistes, dans une perspective pragmatiste.
L’analyse distingue ensuite les méthodes qui relèveraient des « tactiques », individuelles, mobilisées au coup par coup suivant les opportunités, et donc peu capitalisables sur le long terme, et des « stratégies » (prenant appui sur les moyens financiers, technologiques, symboliques... et/ou l’influence du média employeur, d’une équipe de rédaction ; sur des réseaux professionnels, des organisations et institutions ; sur des lois autorisant l’accès aux informations, par exemple).
Or, étudier ces stratégies et ces tactiques d’enquête, c’est faire face à un objet « qui résiste », plus encore que pour d’autres genres journalistiques. Certes, le journalisme en général peut se caractériser comme une profession du « flou » (flou de « l’entrée » ou de la « sortie » du métier, de ses frontières, de l’identité professionnelle pour soi ou pour autrui, etc.). Toutefois, dans le cas des pratiques du journalisme d’investigation, la recherche conclut que ce « flou » ou cette « indétermination productive » sont poussés à un degré bien plus élevé, pour un cumul de raisons et de motivations.
En effet, les praticiens de ce genre journalistique sont d’autant plus tenus d’affirmer (face aux employeurs, au lectorat, aux menaces de sanctions et de poursuites, au pouvoir judiciaire...) une rigueur dans le travail accompli. Simultanément, ils tendent à masquer plusieurs composantes clés de l’investigation, à différents niveaux : nécessité d’accomplir un « sale boulot », suivant des logiques d'action souvent contraires aux fondamentaux du métier, mais perçues comme plus efficaces ou même indispensables pour lever des obstacles d'accès aux sources et révéler des informations cachées, d’intérêt public ; recours aux « pratiques déloyales » et à des méthodes intrusives ; gestion, proximité et protection des sources ; échanges de services, formes de
partenariats et modèles économiques sur lesquels reposent les enquêtes, à l’interne mais aussi, à l’externe ; sensibilité des sujets d’enquête traités, des « révélations » et risques (financiers, juridiques, personnels, physiques…) encourus, etc.
Enfin, cette recherche avance deux nouvelles notions : les « méthodologies de l'input » caractérisent ainsi des méthodes d’enquête orientées principalement sur l’accès aux sources. Elles renvoient de fait, à l’origine, à des méthodes inspirées en grande partie d'autres domaines d'activités professionnelles que le journalisme.
La notion de « mouvance productive » (« mouvance » dans le sens littéral de « ce qui est fluctuant, changeant ») évoque quant à elle de façon plus explicite la priorité accordée par les journalistes à des principes de mobilité, en particulier aux jeux fluctuants et changeants qu'ils peuvent développer dans les rapports aux sources en activant une large palette de tactiques, au cas par cas. Davantage que les ressources et moyens stratégiques, la variété et la nécessaire indéfinition de ces tactiques leur permettent de conserver certains avantages relatifs, malgré des rapports de force défavorables (manque de budget et de temps alloués par les employeurs à la réalisation des enquêtes, par exemple), mais aussi d'éviter des tentatives extérieures de prise de contrôle sur leurs activités.
Le chercheur part du principe que toute activité journalistique est aussi le reflet de relations triangulaires entre la presse, les pouvoirs (politiques, institutionnels, économiques…) et le public. Afin d’étudier de manière empirique les versants implicites et sous-jacents de ces relations, il recourt aux méthodes qualitatives et aux approches socio-ethnographiques (observation participante, entretiens semi-directifs, récits de pratiques et de de parcours professionnels), à visée compréhensive et descriptive. Il concentre son attention sur les logiques d’action et méthodes d'enquête envisagées, négociées et/ou effectivement déployées par les journalistes, comme révélateurs d’enjeux de pouvoir, suivant des modes de collaboration, de négociation ou de conflit avec des sources officielles.
Une première phase d’observation exploratoire met en évidence la complexité et la forte contextualité des logiques d’action en présence, ainsi que la tension a priori contradictoire entre affirmation par les journalistes de la rigueur de leur travail d'enquête et du respect des « fondamentaux » du métier, d’une part ; et d’autre part, une « nécessaire » dissimulation des conditions de production, la négociation voire, la transgression des règles de base. L'analyse s'appuie sur les notions de « flou productif » et d' « indétermination productive », pour interpréter ces résultats.
L’hypothèse de travail qui en découle s’articule autour de la singularité présumée de cette tension entre affirmation et dissimulation des méthodes d’enquête déployées, dépassant les « fondamentaux » du métier, le suivi des règles déontologiques communes à l’ensemble de la profession et les définitions courantes du journalisme d’investigation. A des fins de démonstration, le codage des résultats issus des observations et des entretiens permet de dégager plusieurs typologies détaillées, identifiant des méthodes d’investigation spécifiques, distinctes des autres activités et « routines » journalistiques.
Parmi ces « arts de faire » de l’enquête, figure un premier ensemble de « pratiques déloyales » et de méthodes intrusives que les journalistes tendent à mettre en oeuvre, à négocier et à légitimer, avant de faire référence plus explicitement à des risques de « perte d’autonomie » dans leurs relations avec les médias, les pouvoirs et les publics (difficulté à obtenir des informations / attentes et impératifs des médias employeurs / de l’audience).
Dans un seconde typologie, les méthodes d’enquête orientées sur l’accès aux sources prédominent également. Un autre singularité se profile : l’importation, l’influence ou l’adaptation au cours de ces 50 dernières années de méthodologies d’enquête provenant en fait d’autres mondes sociaux, périphériques ou extérieurs : milieux des sciences sociales ; de justice et police, du renseignement ; « solutions créatives » inspirées par d’autres professions. Ces méthodologies vont elles aussi au-delà des « fondamentaux » du métier. Elles sont néanmoins privilégiées par les journalistes, dans une perspective pragmatiste.
L’analyse distingue ensuite les méthodes qui relèveraient des « tactiques », individuelles, mobilisées au coup par coup suivant les opportunités, et donc peu capitalisables sur le long terme, et des « stratégies » (prenant appui sur les moyens financiers, technologiques, symboliques... et/ou l’influence du média employeur, d’une équipe de rédaction ; sur des réseaux professionnels, des organisations et institutions ; sur des lois autorisant l’accès aux informations, par exemple).
Or, étudier ces stratégies et ces tactiques d’enquête, c’est faire face à un objet « qui résiste », plus encore que pour d’autres genres journalistiques. Certes, le journalisme en général peut se caractériser comme une profession du « flou » (flou de « l’entrée » ou de la « sortie » du métier, de ses frontières, de l’identité professionnelle pour soi ou pour autrui, etc.). Toutefois, dans le cas des pratiques du journalisme d’investigation, la recherche conclut que ce « flou » ou cette « indétermination productive » sont poussés à un degré bien plus élevé, pour un cumul de raisons et de motivations.
En effet, les praticiens de ce genre journalistique sont d’autant plus tenus d’affirmer (face aux employeurs, au lectorat, aux menaces de sanctions et de poursuites, au pouvoir judiciaire...) une rigueur dans le travail accompli. Simultanément, ils tendent à masquer plusieurs composantes clés de l’investigation, à différents niveaux : nécessité d’accomplir un « sale boulot », suivant des logiques d'action souvent contraires aux fondamentaux du métier, mais perçues comme plus efficaces ou même indispensables pour lever des obstacles d'accès aux sources et révéler des informations cachées, d’intérêt public ; recours aux « pratiques déloyales » et à des méthodes intrusives ; gestion, proximité et protection des sources ; échanges de services, formes de
partenariats et modèles économiques sur lesquels reposent les enquêtes, à l’interne mais aussi, à l’externe ; sensibilité des sujets d’enquête traités, des « révélations » et risques (financiers, juridiques, personnels, physiques…) encourus, etc.
Enfin, cette recherche avance deux nouvelles notions : les « méthodologies de l'input » caractérisent ainsi des méthodes d’enquête orientées principalement sur l’accès aux sources. Elles renvoient de fait, à l’origine, à des méthodes inspirées en grande partie d'autres domaines d'activités professionnelles que le journalisme.
La notion de « mouvance productive » (« mouvance » dans le sens littéral de « ce qui est fluctuant, changeant ») évoque quant à elle de façon plus explicite la priorité accordée par les journalistes à des principes de mobilité, en particulier aux jeux fluctuants et changeants qu'ils peuvent développer dans les rapports aux sources en activant une large palette de tactiques, au cas par cas. Davantage que les ressources et moyens stratégiques, la variété et la nécessaire indéfinition de ces tactiques leur permettent de conserver certains avantages relatifs, malgré des rapports de force défavorables (manque de budget et de temps alloués par les employeurs à la réalisation des enquêtes, par exemple), mais aussi d'éviter des tentatives extérieures de prise de contrôle sur leurs activités.
Notes
Doctorat, Neuchâtel, Sciences économiques, AJM
Identifiants
Type de publication
doctoral thesis
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