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La construction d'une représentation de l'Amérique du Sud à travers les écrits des voyageurs savants (1750-1830)
Titre du projet
La construction d'une représentation de l'Amérique du Sud à travers les écrits des voyageurs savants (1750-1830)
Description
Ma thèse de doctorat, intitulée "Les beautés de la nature à l’épreuve de l’analyse" (Paris, PSN, 2009), visait à démontrer que la progressive définition des disciplines scientifiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle conduisait au conflit épistémologique suivant, constaté par les hommes de science eux-mêmes : progresser
dans la connaissance de la nature, augmenter la précision de l’examen et de la descriptions des corps, supposait qu’on recourt systématiquement à des démarches analytiques (expérience, décomposition, examen des caractères spécifiques, des
individus, etc.). Ce choix méthodologique excluait une vision plus traditionnelle, basée sur un regard global qui, à défaut de produire un savoir pointu, laissait une part essentielle au plaisir, à l’efficacité de l’objet – conçu comme un tout – sur les sens. Or les hommes du XVIIIe siècles montrent un certain attachement à cette vision de la
nature, dont ils considèrent qu’elle agit sur des mécanismes cognitifs incompatibles, certes, avec ceux de l’analyse, mais tout aussi importants. Il s’agissait là de savoir quelle représentation de la nature la science devait choisir – et imposer.
Fort bien reçu, mon travail avait suscité de la part des experts la suggestion d’une prolongation de la réflexion vers l’espace du voyage. Or il m’a semblé nécessaire, pour donner suite à cette proposition, d’envisager le problème en en vérifiant la pertinence à
une époque ultérieure au moment où se terminait ma précédente étude : 1805. Par ailleurs, le récit de voyage étant en soi un domaine trop vaste, il fallait définir un espace cohérent d’analyse et tenter de cibler un objet particulièrement important, épistémologiquement, au moment où se constituent différentes disciplines des sciences et des sciences humaines (domaines de spécialités de la zoologie, géologie, géographie,
anthropologie, ethnologie, etc.).
C’est vers la représentation scientifique de l’Amérique du Sud, plus spécifiquement des pays andins, que j’ai dirigé mes intérêts. Il s’agira d’étudier de manière approfondie les récits des voyageurs savants francophones entre 1750 et 1830. A travers une analyse
détaillée de manuscrits et de textes publiés (ouvrages ou articles), je souhaite montrer comment naît, progressivement, une écriture du paysage sud-américain, à partir du
moment où celui-ci s’impose aux sens des savants, devenant une réalité digne d’observations, jusqu’à sa transformation en texte.
Le point de départ de cette recherche relève du constat suivant : l’Amérique du Sud, pourtant très présente dans l’imaginaire européen depuis le XVIe siècle, est encore au milieu du XVIIIe siècle un territoire à écrire sur le plan documentaire. En effet, si les
récits de la conquête et ceux des Jésuites ont éveillé un vif intérêt pour la figure du « sauvage », la nature sud-américaine se résume pour ainsi dire à une collection de
mythes, ou n’est envisagée que selon la dualité réductrice « espaces domestiqués vs espaces sauvages ». On s’étonne, en lisant la relation de la descente de l’Amazone effectuée par La Condamine en 1743, de ne trouver aucune réelle description du paysage, comme si celui-ci, hors de sa dimension utilitaire ou de sa valeur
cartographique, ne pouvait atteindre ler egard du savant. Il faudra attendre les voyages d’Alexandre von Humboldt, au début du XIXe siècle, pour qu’émergent des représentations nouvelles de cette nature, et pour que les yeux des voyageurs savants
s’arrêtent, dans une perspective d’observation autre qu’anecdotique, sur le paysage. On a d’ailleurs parlé d’une « seconde découverte de l’Amérique latine » pour définir la période fort riche en explorations qui s’étend entre 1800 et 1830. L’apport d’Alexandre de Humboldt dans l’élaboration d’une idée du paysage, et même d’une physionomie du paysage, fut essentiel pour des disciplines telles que la botanique, la géographie, et l’ethnologie. Humboldt rend possible, avant que ces sciences ne se séparent définitivement en champs disciplinaires clos, la rencontre de plusieurs approches de la nature autour d’une réalité qui touche aussi bien à une organisation concrète et réelle de l’espace qu’à l’appréhension subjective du
spectateur. L’idée de paysage, en outre, ne tardera pas à dialoguer avec celle de « milieu », si importante pour la biologie naissante du XIXe siècle.
Or il me semble que le paysage sud-américain, à l’articulation des XVIIIe et XIXe siècles, est l’un des lieux qui confronte le savoir européen, et notamment l’épistémologie des Lumières, à ses limites. Objet de représentation, certes, mais
manifestant toujours une forme de résistance à la simple réduction en image qu’on tente de lui imposer, il agit sur les protocoles scientifiques en obligeant le savant à redéfinir ces derniers : on ne peut observer la nature américaine comme on analyse la
nature française ; on ne peut raconter l’une comme on décrit l’autre.
Mon projet est donc d’étudier la manière dont la représentation scientifique d’un espace précis évolue entre 1750 et 1830, période extrêmement riche en expéditions scientifiques, culturellement marquée par le conflit entre vision esthétique et vision
scientifique de la nature. Quand le paysage sud-américain émerge-t-il des récits de voyage scientifiques ? Les ouvrages publiés reflètent-ils la même réalité que les notes
des voyageurs ? Quels seront les moyens (expérimentaux, linguistiques, logiques, matériels) mis en oeuvre par les savants pour dire et comprendre cette nature nouvelle
et inconnue ? Comment le paysage, dans l’espace scientifique, se construit-il progressivement dans une optique bien distincte de celle du paysage pittoresque ? Enfin, comment le paysage contribue-t-il à l’écriture d’une histoire scientifique de l’Amérique du Sud au début du XIXe siècle ?
Ces questions se posent de manière extrêmement forte avant l’apparition des périodiques à succès, tels que Le Tour du Monde, qui répandront dans le grand public un certain imaginaire de l’Amérique du Sud décidément orienté vers la culture du pittoresque. Elles permettront, dans une perspective inter-disciplinaire, d’étudier un
moment crucial de l’histoire intellectuelle française, autour d’une notion – le paysage – qui fait actuellement l’objet de nombreux débats.
dans la connaissance de la nature, augmenter la précision de l’examen et de la descriptions des corps, supposait qu’on recourt systématiquement à des démarches analytiques (expérience, décomposition, examen des caractères spécifiques, des
individus, etc.). Ce choix méthodologique excluait une vision plus traditionnelle, basée sur un regard global qui, à défaut de produire un savoir pointu, laissait une part essentielle au plaisir, à l’efficacité de l’objet – conçu comme un tout – sur les sens. Or les hommes du XVIIIe siècles montrent un certain attachement à cette vision de la
nature, dont ils considèrent qu’elle agit sur des mécanismes cognitifs incompatibles, certes, avec ceux de l’analyse, mais tout aussi importants. Il s’agissait là de savoir quelle représentation de la nature la science devait choisir – et imposer.
Fort bien reçu, mon travail avait suscité de la part des experts la suggestion d’une prolongation de la réflexion vers l’espace du voyage. Or il m’a semblé nécessaire, pour donner suite à cette proposition, d’envisager le problème en en vérifiant la pertinence à
une époque ultérieure au moment où se terminait ma précédente étude : 1805. Par ailleurs, le récit de voyage étant en soi un domaine trop vaste, il fallait définir un espace cohérent d’analyse et tenter de cibler un objet particulièrement important, épistémologiquement, au moment où se constituent différentes disciplines des sciences et des sciences humaines (domaines de spécialités de la zoologie, géologie, géographie,
anthropologie, ethnologie, etc.).
C’est vers la représentation scientifique de l’Amérique du Sud, plus spécifiquement des pays andins, que j’ai dirigé mes intérêts. Il s’agira d’étudier de manière approfondie les récits des voyageurs savants francophones entre 1750 et 1830. A travers une analyse
détaillée de manuscrits et de textes publiés (ouvrages ou articles), je souhaite montrer comment naît, progressivement, une écriture du paysage sud-américain, à partir du
moment où celui-ci s’impose aux sens des savants, devenant une réalité digne d’observations, jusqu’à sa transformation en texte.
Le point de départ de cette recherche relève du constat suivant : l’Amérique du Sud, pourtant très présente dans l’imaginaire européen depuis le XVIe siècle, est encore au milieu du XVIIIe siècle un territoire à écrire sur le plan documentaire. En effet, si les
récits de la conquête et ceux des Jésuites ont éveillé un vif intérêt pour la figure du « sauvage », la nature sud-américaine se résume pour ainsi dire à une collection de
mythes, ou n’est envisagée que selon la dualité réductrice « espaces domestiqués vs espaces sauvages ». On s’étonne, en lisant la relation de la descente de l’Amazone effectuée par La Condamine en 1743, de ne trouver aucune réelle description du paysage, comme si celui-ci, hors de sa dimension utilitaire ou de sa valeur
cartographique, ne pouvait atteindre ler egard du savant. Il faudra attendre les voyages d’Alexandre von Humboldt, au début du XIXe siècle, pour qu’émergent des représentations nouvelles de cette nature, et pour que les yeux des voyageurs savants
s’arrêtent, dans une perspective d’observation autre qu’anecdotique, sur le paysage. On a d’ailleurs parlé d’une « seconde découverte de l’Amérique latine » pour définir la période fort riche en explorations qui s’étend entre 1800 et 1830. L’apport d’Alexandre de Humboldt dans l’élaboration d’une idée du paysage, et même d’une physionomie du paysage, fut essentiel pour des disciplines telles que la botanique, la géographie, et l’ethnologie. Humboldt rend possible, avant que ces sciences ne se séparent définitivement en champs disciplinaires clos, la rencontre de plusieurs approches de la nature autour d’une réalité qui touche aussi bien à une organisation concrète et réelle de l’espace qu’à l’appréhension subjective du
spectateur. L’idée de paysage, en outre, ne tardera pas à dialoguer avec celle de « milieu », si importante pour la biologie naissante du XIXe siècle.
Or il me semble que le paysage sud-américain, à l’articulation des XVIIIe et XIXe siècles, est l’un des lieux qui confronte le savoir européen, et notamment l’épistémologie des Lumières, à ses limites. Objet de représentation, certes, mais
manifestant toujours une forme de résistance à la simple réduction en image qu’on tente de lui imposer, il agit sur les protocoles scientifiques en obligeant le savant à redéfinir ces derniers : on ne peut observer la nature américaine comme on analyse la
nature française ; on ne peut raconter l’une comme on décrit l’autre.
Mon projet est donc d’étudier la manière dont la représentation scientifique d’un espace précis évolue entre 1750 et 1830, période extrêmement riche en expéditions scientifiques, culturellement marquée par le conflit entre vision esthétique et vision
scientifique de la nature. Quand le paysage sud-américain émerge-t-il des récits de voyage scientifiques ? Les ouvrages publiés reflètent-ils la même réalité que les notes
des voyageurs ? Quels seront les moyens (expérimentaux, linguistiques, logiques, matériels) mis en oeuvre par les savants pour dire et comprendre cette nature nouvelle
et inconnue ? Comment le paysage, dans l’espace scientifique, se construit-il progressivement dans une optique bien distincte de celle du paysage pittoresque ? Enfin, comment le paysage contribue-t-il à l’écriture d’une histoire scientifique de l’Amérique du Sud au début du XIXe siècle ?
Ces questions se posent de manière extrêmement forte avant l’apparition des périodiques à succès, tels que Le Tour du Monde, qui répandront dans le grand public un certain imaginaire de l’Amérique du Sud décidément orienté vers la culture du pittoresque. Elles permettront, dans une perspective inter-disciplinaire, d’étudier un
moment crucial de l’histoire intellectuelle française, autour d’une notion – le paysage – qui fait actuellement l’objet de nombreux débats.
Chercheur principal
Statut
Completed
Date de début
1 Août 2010
Date de fin
31 Juillet 2011
Chercheurs
Antoine, Philippe
Organisations
Identifiant interne
32762
identifiant
2 Résultats
Voici les éléments 1 - 2 sur 2
- PublicationAccès libreDu dépaysement, ou l'impossible fabrique du savoir(2017-2-28)Joseph de Jussieu part pour le Pérou en 1735. Il y restera jusqu'en 1771. De ce long séjour, le médecin-botaniste ne ramènera rien, ou presque, sur le plan scientifique. Que nous disent les lettres qu'il adresse en Europe de ses recherches sur le terrain? Quels sont les éléments qui entravent le travail scientifique? Comment les problèmes épistémologiques, institutionnels, existentiels s'articulent-ils? Comment "ramener une expérience" de l'ailleurs ? On essaie ici de répondre, à travers un cas particulier, à des questions que pose l'histoire du voyage savant à l'époque moderne dès le XVIe siècle et jusqu'au milieu du XIXe siècle.