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La parole comme geste: la conception antique de la parole efficace et ses implications dans le théâtre antique
Auteur(s)
Capponi, Matteo
Editor(s)
Schubert, Paul
Date Issued
2008
Abstract
Cette recherche a pour but de redéfinir la notion de « parole efficace » dans la Grèce antique, notamment dans le contexte dramatique. Pour ce faire, elle applique les concepts de la pragmatique moderne aux rites langagiers ayant cours dans la Grèce archaïque et jusqu’au 5<sup>ème</sup> siècle. Il en ressort que chaque énoncé, plutôt que d’être assimilé à une « formule magique », doit être analysé selon trois données fondamentales en regard de l'efficacité de la parole: la part rituelle de la pratique, la forme de l’énoncé, l’accomplissement de gestes en parallèle de sa profération. Ces trois données balisent le parcours de la recherche. Elles donnent lieu à l’élaboration d’un concept indigène, inspiré autant des écrits théoriques de l’antiquité que des productions poétiques, qui permet au bout du compte l’analyse des textes dramatiques. Nous en faisons l’épreuve sur trois textes d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide.<br> 1) Plus précisément, dans le premier chapitre, nous tentons de cerner les diverses manifestations de la « parole efficace » dans la Grèce archaïque, sachant que les Grecs de cette époque n'ont pas de terme pour la définir en propre. En parallèle, nous développons les outils linguistiques nécessaires à notre recherche, en référence notamment aux études consacrées à la pragmatique du langage.<br> 2) Dans le deuxième chapitre, nous réfléchissons sur les rapports entre parole efficace et poésie. En quels termes les textes poétiques rendent-ils compte de l'efficacité de la parole? Notre recherche s’attache d’abord à Homère, puis à Pindare, chez qui nous mettons en exergue la fonction rituelle de la poésie chorale.<br> 3) Unité rituelle. Nous abordons sous cet angle, dans le troisième chapitre, la pièce d’Eschyle <i>Les Choéphores</i>. Il apparaît une particularité du langage théâtral, qui est de nommer les gestes des personnages et surtout d'expliciter toute fonction illocutoire. Les nombreux rites mis en scène dans la pièce font alors apparaître le texte des <i>Choéphores</i> comme une succession d'unités pragmatiques, identifiées par les gestes et les actes langagiers nommés.<br> 4) Unité formelle. Dans le quatrième chapitre, nous confrontons ce principe d’unités constitutives à la question de la forme. Pour évoquer les représentations indigènes développées au 5<sup>ème</sup> siècle, nous nous appuyons sur les métaphores et les moyens stylistiques utilisés par Gorgias dans <i>L'Eloge d'Hélène</i>, puis sur trois traités d'Aristote, la <i>Rhétorique</i>, la <i>Poétique</i> et le <i>De interpretatione</i>. Le geste et de l'unité sont au cœur du système descriptif d'Aristote. Les deux principes se rejoignent d’ailleurs dans un terme polyvalent, <i>schêma</i>, employé pour décrire les gestes de l'acteur, les modes du discours, les figures de danse.<br> 5) A la lumière de ce concept indigène, nous analysons dans le cinquième chapitre plusieurs discours de l'Electre de Sophocle. Nous y mettons en évidence des successions d'unités revêtant le caractère mixte du <i>schêma</i>. Définies comme "attitudes" à la fois verbales et physiques, ces unités déterminent l'action dramatique et constituent une forme de partition de jeu pour l'acteur.<br> 6) Unité gestuelle. Pour achever le tableau, nous ajoutons à cette analyse la modalité du geste. Euripide inclut nombre de contacts, d’émotions et de gestes dans son théâtre. La comparaison de certaines scènes emblématiques de l'histoire d'Electre avec les scènes correspondantes chez Eschyle et Sophocle nous permet de comprendre l'effet spécifique recherché par Euripide.<br> A terme, cette étude fournit des instruments pour remettre en cause une certaine tradition évolutionniste liée au développement de la tragédie. En partant du principe que chaque poète tragique dispose des mêmes outils langagiers que ses rivaux, elle montre qu’Eschyle, Sophocle et Euripide, à l’exemple d’un travail exécuté sur une même histoire, celle d’Electre, ont chacun privilégié un mode d’expression particulier. Il est cependant toujours possible de rapporter celui-ci à une forme d’efficacité de la parole, par le rite, par la forme, par le geste, qui inscrit le langage théâtral au cœur des pratiques langagières de la Grèce ancienne. Les trois modalités sont étroitement, sinon consubstantiellement liées, dans les croyances comme dans les pratiques. Elles constituent une unité fondamentale d’analyse, cristallisée dans le concept de <i>schêma</i>. Tout énoncé, dans un texte dramatique, doit être appréhendé en fonction de cette unité. C’est une clef d'analyse que nous pensons être profitable à tout lecteur de tragédie.
Notes
Thèse de doctorat : Université de Neuchâtel, 2008 ; Th. 2049
Publication type
doctoral thesis