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Tankink, Josefien
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Sex asymmetries in cooperative strategies among vervet monkeys
2025, Tankink, Josefien, Bshary, Redouan
La coopération – définie comme l’ensemble des actes qui augmentent la valeur sélective directe du bénéficiaire tout en requérant un investissement du donneur, et donc en réduisant son propre gain immédiat – constitue un paradoxe fascinant en biologie évolutive. Ce phénomène est particulièrement intriguant lorsqu’il se manifeste entre individus non-apparentés, puisque la sélection naturelle devrait avantager les individus égoïstes aux dépens des coopérateurs. Divers modèles théoriques ont tenté d’expliquer l’émergence et la persistance de la coopération chez des individus non-apparentés, malgré la tentation naturelle de tricher. Toutefois, les théories classiques qui tentent d’expliquer ce phénomène, telles que le dilemme itéré du prisonnier, reposent souvent sur l’hypothèse de gains symétriques, de choix coopératifs discrets et de stratégies fixes, et traduisent mal la variabilité contextuelle et nuancée des comportements d’aide observés in natura. L’objectif principal de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’influence des différences sexuelles sur l’évolution de la coopération et d’élucider les avantages évolutifs associés aux comportements coopératifs. Les écarts entre les jeux théoriques traditionnels et la complexité des systèmes sociaux des primates motivent mon étude des interactions mâle–femelle, qui se caractérisent souvent par des gains asymétriques, des stratégies spécifiques aux rôles et des comportements coopératifs dépendants du contexte. En intégrant ces asymétries inhérentes et les stratégies différenciées observées chez les deux sexes, je vise à proposer des cadres théoriques enrichis et à approfondir nos connaissances sur les relations hétérosexuelles chez les primates. J’ai ainsi utilisé plusieurs années de données comportementales sur des singes vervets sauvages (Chlorocebus pygerythrus) dans le cadre du projet iNkawu Vervet basé dans la réserve de Mawana (Afrique du Sud), afin de relier les règles de décision individuelles et les stratégies sociales aux proxys de fitness indirecte que sont le rang de dominance, le succès reproducteur et l’intégration sociale, et de tester des modèles évolutionnaires alternatifs au dilemme itéré du prisonnier. Pour mettre en lumière les mécanismes qui maintiennent la coopération entre individus non-apparentés dans des environnements sociaux complexes, j’ai ainsi testé plusieurs prédictions issues de modèles évolutifs alternatifs. En me concentrant sur l’établissement des échanges d’épouillage mâle–femelle, l’induction expérimentale de l’interdépendance sociale et le rôle des mâles lors de traversées de terrain à haut risque, je relie les règles de décision individuelles et les stratégies sociales à des indicateurs généraux de fitness tels que le rang de dominance, le succès reproducteur et l’intégration sociale. Le chapitre 1 se concentre sur la genèse des échanges d’épouillage entre les femelles adultes et les mâles ayant nouvellement immigrés dans le groupe chez les vervets. J’y ai testé deux hypothèses majeures pour expliquer l’émergence de relations réciproques à investissements variables : la stratégie dite « raise-the-stakes », qui prévoit un investissement initial faible n’augmentant que si la réciprocité est avérée, et la stratégie « making-friends », qui anticipe un investissement initial élevé susceptible d’être modulé en cas d’endettement. Contrairement aux deux prédictions, les femelles ont systématiquement fait part d’un investissement initial élevé, épouillant les mâles immigrés significativement plus longtemps que ce que ces mêmes mâles ne les épouillent en retour, avant de réduire progressivement leur effort sur les six premiers mois. Les mâles, en revanche, n’ont pas modifié leurs investissements d’épouillage, conduisant à un quasi-équilibre des échanges à long terme. Ces résultats suggèrent que les femelles investissent activement dans l’intégration des nouveaux mâles – sans doute pour favoriser la cohésion du groupe, garantir des avantages reproductifs futurs ou bénéficier de services protecteurs – et soulignent la nécessité d’intégrer explicitement les asymétries de stratégies de vie dans les modèles coopératifs. Le chapitre 2 évalue expérimentalement la théorie des « shared stakes », selon laquelle des liens sociaux stables créent une interdépendance de fitness décourageant la tricherie. Pendant douze mois, nous avons proposé à huit dyades mâle–femelle une tâche coopérative comprenant des boîtes alimentaires : deux boîtes positionnées à distance l’une de l’autre s’ouvraient et délivraient une nourriture de haute qualité uniquement si les deux partenaires toléraient simultanément la proximité de l’autre et touchaient leur propre borne. Avec le temps, le traitement d’interdépendance a renforcé significativement la force du lien social entre partenaires de tâche. Ces nouveaux liens ont par ailleurs permis d’établir des relations significatives pour les mâles dispersants. En effet, les mâles ont alors connu une amélioration marginale de leur rang de dominance, corrélée positivement à l’acceptation des « Mounts » (évènements de reproduction), et la probabilité d’accouplement entre les membres de dyades expérimentales a également augmenté, tandis que les paramètres sociaux des femelles sont restés globalement inchangés. Ces observations constituent la première validation empirique, chez des primates sauvages, de la théorie des « shared stakes » et montrent que l’interdépendance renforcée favorise les échanges coopératifs tout en procurant des avantages de fitness directs au sexe dispersant dans les sociétés promiscues. Le chapitre 3 explore le rôle socio-protecteur des mâles lors des progressions de groupe à travers des terrains à risque variable, afin de déterminer si le rôle de meneur endossé par un mâle traduit un soin paternel ou un choix de partenaire fondé sur la réputation. Sur quatre ans et cinq groupes voisins, nous avons enregistré l’ordre, l’espacement et la proximité des suiveurs pendant le franchissement de rivières (risque élevé) et de pistes (risque faible). À mesure que le risque augmentait, les mâles adultes – et en particulier les mâles dominants non-pères – ont montré une propension plus marquée à mener les traversées, souvent sans suiveurs à proximité et à plus grande distance, courant vraisemblablement un risque individuel disproportionné. Ces schémas s’accordent avec la théorie de la protection, indiquant que le rôle de meneur en contexte à haut risque fonctionne comme un service coopératif délibéré et que les mâles adaptent leurs stratégies coopératives en fonction de leur statut reproductif au sein du groupe. En conclusion, cette thèse apporte des données empiriques susceptibles d’éclairer et d’alimenter les théoriciens de l’évolution cherchant à modéliser la coopération chez les primates sauvages. Elle révèle que : (1) les stratégies d’investissement variable entre individus asymétriques s’écartent des modèles classiques de réciprocité ; (2) l’interdépendance expérimentale peut forger des liens se traduisant par des gains de rang et de succès reproducteur chez les mâles ; et (3) les mâles offrent des services adaptatifs de meneurs en contexte à risque et modulent leurs décisions coopératives selon leur trajectoire de vie. Ces résultats soulignent l’importance d’intégrer les asymétries sexuelles, les différences de stratégies de vie, les règles décisionnelles dépendantes du contexte et la dynamique à long terme des liens sociaux dans les cadres théoriques de la coopération. Ainsi, j’ai cherché à offrir une compréhension plus nuancée des façons dont les rôles sexuels et les stratégies reproductives structurent l’organisation sociale et la fitness individuelle dans les populations naturelles, tout en invitant à considérer la contribution active des femelles – par le choix du partenaire, le rapport des sexes adultes et leur influence sociale – dans la régulation dynamique du comportement coopératif masculin. ABSTRACT Helping behaviour – acts that increase the recipient’s direct fitness while involving investment from the actor, thereby reducing their payoff – poses a fascinating paradox in evolutionary biology, especially when it occurs between non-kin, given that selfish individuals should outcompete cooperative individuals through natural selection. Various theoretical models have attempted to explain how cooperation can evolve and persist among unrelated individuals, despite the inherent temptation to cheat. However, classic stylised frameworks like the Iterated Prisoner’s Dilemma often assume symmetrical payoffs, discrete cooperative choices, and fixed strategies, which generally poorly capture the nuanced, context-dependent variability of real-world helping behaviours. The overarching goal of this thesis is to contribute to the understanding of how sex differences might have influenced the evolution of cooperation, and to gain knowledge on the evolutionary advantages of cooperating. The discrepancies between traditional stylised games and the complexities observed in primate social systems motivate my study of male-female interactions in primates, which often display asymmetric payoffs, role-specific strategies, and context-dependent cooperative behaviour. By incorporating inherent asymmetries and differing strategies observed between the sexes, I hope to provide contexts to better refine theoretical models on cooperation as well as bring new insights into between-sex relationships in primates. I used multiple years of detailed behavioural data from wild vervet monkeys (Chlorocebus pygerythrus) at the iNkawu Vervet Project, Mawana Game Reserve, to link individual decision-rules and social strategies with indirect fitness proxies – dominance rank, mating success, and social integration – and to test alternative evolutionary models beyond the classic IPD structure. My aim is to explain why and how cooperation can persist among individuals of opposite sexes, while emphasising that the evolution of helping behaviour must be understood in the context of sex-specific strategies. To elucidate how cooperation between unrelated individuals is maintained within complex social environments, I tested several predictions from alternative evolutionary models, moving away from the classic Iterated Prisoner’s Dilemma framework. By focusing on the establishment of male–female grooming exchanges, the experimental induction of social interdependence, and the roles of males in high-risk group progressions, I link individual decision rules and social strategies to general fitness proxies such as dominance rank, mating success, and social integration. Chapter 1 investigates the build-up of grooming exchanges between adult females and newly immigrated males in wild vervet monkeys. I tested two main hypotheses for the build-up of reciprocal relationships between naïve partners with variable investment: the “raise-the-stakes” strategy, predicting low initial investment that increases only if reciprocated, and the “making-friends” strategy, predicting high initial investment that may be downregulated when debts form. Contrary to both predictions, females exhibited a consistently high initial grooming investment toward immigrants, grooming them significantly longer than they were groomed in return, and then gradually reduced their grooming over the first half year. Males, by contrast, did not alter their grooming investment over time, resulting in an eventual near balance of grooming exchanged. These results suggest that females proactively invest in including new males – potentially to secure group cohesion, future mating advantages, or protective services – and underscore the need for cooperative models to explicitly incorporate life-history asymmetries. Chapter 2 experimentally tested the shared-stakes theory, which posits that stable social bonds create fitness interdependence and thus disincentivize cheating. Over a 12-month period, we paired eight male-female dyads in a shared food-box task: two remote-controlled feeding stations delivering high-quality food only when both partners simultaneously tolerated each other’s presence and touched their respective boxes. The interdependence treatment significantly increased social bond strength between task-partners, with newly formed bonds emerging as meaningful relationships for dispersing males. Moreover, males exhibited a marginal improvement in dominance rank over the experiment, and this rank gain positively correlated with acceptance of mating attempts. Task-partners were also more likely to mate with each other, whereas female social parameters remained largely unchanged. These findings provide the first empirical support for shared-stakes theory in wild primates, demonstrating that enhanced interdependence promotes cooperative exchanges and yields direct fitness benefits to the dispersing sex in promiscuous societies. Chapter 3 examines male socio-protective roles in group progression across terrain of varying predation risk to evaluate whether male leadership reflects paternal care or reputation-based partner choice. Over four years and across five neighbouring groups, we recorded the order, spacing, and follower proximity of individuals traversing rivers (high-risk) versus roads (low-risk). As predation risk increased, adult males – especially dominant males who had not yet sired offspring – were significantly more likely to lead group crossings, often doing so without nearby followers and at greater distances, thereby likely taking on disproportionate individual risk. These patterns align with protection theory, indicating that male leadership in high-risk contexts functions as a deliberate cooperative service and shows that males adapt their cooperative strategies based on their reproductive status in the group. Altogether, this thesis contributes empirical evidence that can inform and hopefully inspire evolutionary theoreticians working on models of cooperation and wild primate societies. It reveals that (1) variable investment strategies between asymmetric strangers diverge from classic reciprocity models, (2) experimentally induced interdependence can forge bonds that translate into rank and mating advantages for males, and (3) males perform adaptive leadership services in risky contexts and change their strategies based on their life-history trajectories. These insights underscore the importance of integrating sex-specific asymmetries, life-history differences, context-dependent decision rules, and long-term bond dynamics into evolutionary frameworks of cooperation. By doing so, I provide a more nuanced understanding of how sex roles and reproductive strategies shape social organisation and individual fitness in natural populations. The results encourage the adoption of more nuanced frameworks that consider variable investments in cooperation, where life-history differences fundamentally shape the social dynamics of group living. Furthermore, these insights motivate future work to look beyond male strategies alone, acknowledging how female agency – through mate choice, adult sex ratios, and social leverage – potentially dynamically constrains and shapes male cooperative behaviour.