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Pietro Pomponazzi (1460-1525) et la question de l'immortalité de l'âme: philosophie naturelle et théologie face aux limites de la connaissance

2021, Grandjean-Perrenoud-Contesse, Lauréline

La thèse défendue dans ce travail de doctorat est la suivante : la position du professeur et philosophe Pietro Pomponazzi, défendue dans son Tractatus de immortalitate animae (DIA, 1516), consiste à soutenir au second degré du raisonnement probatoire, qu’il est impossible, pour la raison humaine, de comprendre l’immortalité de l’âme. Cette position est condamnée par le Concile de Latran V, dont l’assemblée, lors de sa huitième session (1513) inscrite dans la Bulla Apostolici regiminis (BAR), estime que le dogme de l’immortalité de l’âme est philosophiquement démontrable, et exige des professeurs qu’ils l’enseignent à leurs étudiants en philosophie. Dans le DIA, nous avons distingué le premier degré du second degré du raisonnement probatoire. Le premier degré du raisonnement probatoire est un raisonnement de nature hypothétique sur la nature mortelle ou immortelle de l’âme humaine, au cours duquel Pomponazzi observe que l’intellect humain dépend du corps ut obiecto, ce qui l’autorise à ne dépendre ni de la matière, ni de la quantité pour son opération, sans pour autant être séparable du corps. Les deux modes de prédication « mortel » simpliciter et « immortel » secundum quid représentent la meilleure solution pour rendre compte de la nature incertaine de l’âme humaine en évitant la contradiction. Pour autant, cette solution ne fournit pas de réponse complète à la question de l’immortalité de l’âme humaine, puisque la définition de cette dernière reste fatalement incomplète. Le second degré du raisonnement probatoire débute lorsque notre philosophe, constatant la fatalité de l’incomplétude de son raisonnement au premier degré, s’interroge sur la possibilité même de la démonstration de l’immortalité de l’âme. D’un point de vue métaphysique, il établit que la nature de l’âme humaine étant d’être un moteur mû par le corps qu’elle meut par accident, aucune science ne peut fournir de définition à son sujet et aucune démonstration ne peut être donnée de sa mortalité ou de son immortalité. Epistémologiquement, il faut comprendre que l’intellect humain étant un moteur mû, il ne peut s’auto-mouvoir. Ne pouvant s’auto-mouvoir, il ne peut se prendre pour intelligible. S’il peut lancer l’exercice de la connaissance de soi, il est impossible que cet exercice aboutisse, car le résultat est nécessairement inadéquat à son objet (la seule façon dont l’objet puisse se présenter s’oppose à sa nature). Étant dans l’impossibilité de connaître son intellect à l’aide de son intellect, l’individu rationnel ne peut fournir de définition de son intellect, il ne peut donc comprendre s’il est mortel ou immortel. La position défendue dans la BAR est la suivante : l’âme humaine est essentiellement la forme du corps humain, immortelle et individuelle et tous ceux qui nient ne serait-ce qu’une partie de cette thèse ou qui en doutent sont condamnés. Les professeurs de philosophie sont tenus, lorsqu’ils prennent en considération des thèses hétérodoxes, d’exposer les solutions à ces thèses, de démontrer la vérité de la thèse orthodoxe à l’aide des outils philosophiques ainsi que de rendre manifeste la vérité. Or Pietro Pomponazzi doute philosophiquement de la thèse soutenue dans la BAR, et affirme l’impossibilité métaphysique due à l’incapacité de la raison humaine de démontrer philosophiquement l’immortalité de l’âme humaine. Dans le contexte de l’autonomisation de la philosophie vis-à-vis de la théologie scripturaire, il est important pour les pères conciliaires de maintenir les philosophes dans leur position ancillaire. On ne peut concilier privilège épistémologique du discours théologique scripturaire et autonomisation du raisonnement philosophique : si ce dernier prétend à la vérité, il peut se trouver à concurrencer frontalement la théologie scripturaire sur les objets d’étude qui leur sont communs. Pour les philosophes également, le combat est de taille : si le raisonnement philosophique ne prétend plus à la vérité mais seulement à certains degrés de probabilité, il se vide de sa substance et n’existe plus en tant que tel. Dans ce conflit, Pietro Pomponazzi se place résolument du côté des philosophes sans pour autant diminuer son adhésion à la vérité donnée, en ultime instance, par la révélation. Il semble que pour le Mantouan, face à l’incompréhensibilité (métaphysiquement nécessaire) de la nature de l’intellect humain, la seule attitude rationnelle restante consiste à se tourner vers une autorité ultime, qui excède le raisonnement et l’expérience humaine. Abstract: In this PhD dissertation I defend the following thesis: in his Tractatus de immortalitate animae (DIA, 1516), the stance of the professor and philosopher Pietro Pomponazzi at the second degree of probative reasoning, is that it is impossible for human reason to understand the immortality of the soul. This stance is condemned by the Fifth Lateran Council, whose assembly, at its eighth session (1513), recorded in the Bulla Apostolici regiminis (BAR), considers that the dogma of the immortality of the soul is philosophically demonstrable, and requires professors of philosophy to teach it to their students. In the DIA, I distinguished the first degree of probative reasoning from the second. The first degree of probative reasoning is of a hypothetical nature : considering the mortal or immortal nature of the human soul, Pomponazzi observes that the human intellect depends on the body ut obiecto, which allows it to depend neither on matter, nor on quantity for its operation, but without being separable from the body. The two modes of predication "mortal" simpliciter and "immortal" secundum quid are the best solution to account for the uncertain nature of the human soul while avoiding contradiction. However, this solution does not provide a complete answer to the question of the immortality of the human soul, since the definition of the latter remains fatally incomplete. The second degree of probative reasoning begins when our philosopher, noticing the fatality of the incompleteness of the first degree of probative reasoning, questions the very possibility of demonstrating the immortality of the soul. From a metaphysical point of view, he establishes that, given that nature of the human soul is to be a mover moved by the body which it moves by accident, no science can provide a definition and no demonstration can be given of his mortality or of his immortality. Epistemologically, it must be understood that since the human intellect is a moved mover, it cannot be self-moving. Since it cannot be self-moving, it cannot take itself for intelligible. While it can initiate the exercise of self-knowledge, it is impossible for this exercise to be successful because the result is necessarily inadequate to its object. Since he cannot know his intellect by means of his intellect, the rational individual cannot provide a definition of his intellect, so he cannot understand whether it is mortal or immortal. The stance defended in the BAR can be formulated as follows: the human soul is essentially the form of the human body, immortal and individual and all those who deny or doubt even part of this stance are condemned. Philosophy professors are required, when considering heterodox theses, to expose the solutions to these theses, to demonstrate the truth of the orthodox thesis using philosophical tools, and to make the truth manifest. Yet Pietro Pomponazzi has a philosophical doubt about the orthodox thesis and asserts the metaphysical impossibility to demonstrate philosophically the immortality of the human soul, due to the inability of human reason. In the context of the autonomization of philosophy from scriptural theology, it is important for the Council Fathers to maintain the philosophers in their ancillary position. One cannot reconcile the epistemological privilege of scriptural theological discourse with the autonomization of philosophical reasoning: if the latter claims to be true, it may find itself competing head-on with scriptural theology on the objects of study that are common to both. For philosophers, too, the struggle is significant: if philosophical reasoning no longer claims the truth but only works with certain degrees of probability, it empties of its substance and no longer exists as such. In this conflict, Pietro Pomponazzi resolutely goes on the side of the philosophers without however diminishing his adhesion to the given truth, in the final instance, by revelation. It seems that for Pomponazzi, faced with the (metaphysically necessary) incomprehensibility of the nature of the human intellect, the only rational attitude left is to turn himself to an ultimate authority, which exceeds human reasoning and experience.