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    Travail de mémoire, travail de l'oubli: le monument contre le fascisme de Harbourg
    A travers l’exemple donné d’un des contre-monuments de Jochen Gerz, le Mahnmal gegen Faschismus, réalisé conjointement avec sa femme Esther Shalev-Gerz, le présent travail porte sur la manière dont l’artiste allemand s’est intéressé au rapport entre souvenir et oubli dans la mémoire de la Shoah. Situé entre la mémoire et le souvenir, l’oubli structure la première et produit le deuxième. Au lieu de nier cette dépendance de la mémoire à l’oubli, Jochen Gerz est venu la questionner et l’utiliser. Dans leur monument contre le fascisme localisé dans la banlieue de Harbourg, le couple d’artistes a ainsi créé une colonne de 12 mètres sur laquelle les habitants de Harbourg étaient invités à graver leurs noms. Plus les gens signaient la colonne, plus vite elle disparaissait lors d’une cérémonie organisée par la mairie, grâce à un dispositif d’enterrement. Ainsi, la colonne s’est petit à petit enfoncée sous le « poids » des signatures pour faire place à un espace vide. En mettant les habitants en présence de l’objet disparu, le monument a cherché à leur faire réaliser que « rien ne pouvait se dresser à [leur] place contre l’injustice ». En me référant à mes expériences de terrain à Washington, Paris et Hambourg, je vais montrer comment les contre-monuments ont été une étape importante en Allemagne pour accomplir le travail de mémoire d’un passé douloureux. En prenant le contre-pied d’une transmission silencieuse et commémorative de la Shoah qui ne fait que répéter que l’événement tragique a eu lieu, les contre-monuments ont permis de joindre l’histoire des exécuteurs et des complices à celle des victimes, grâce à un jeu subtil de présence et d’absence, et d’entamer un travail de mémoire et de deuil. De par sa radicalité, la mémoire de la Shoah, est devenue un outil heuristique pour penser les rapports d’une société à son passé et est devenue une référence dans le domaine. Parmi les multiples limites que cette étude rencontre, la principale semble être celle de n’avoir pris en considération que l’un des deux artistes qui ont conjointement réalisé le Monument contre le Fascisme. Le point de vue, le parcours particulier et le rapport d’Esther Shalev-Gerz à la mémoire de la Shoah sont les grands absents de cette étude.