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Les « prises » françaises du patrimoine culturel immatériel. Suivre les actualisations d’un dispositif politique complexe et ambigu

2022, Storari, Jacopo, Hertz, Ellen, Jean-louis Tornatore

Le patrimoine culturel immatériel (ci-après PCI), introduit par l’Unesco avec la convention de 2003, est un ensemble complexe et ambigu qui prend différentes formes selon qu’il est entre les mains d’institutions patrimoniales d’État, de collectivités territoriales, d’associations, de mouvements militants ou de chercheur.euse.s en sciences humaines et sociales. Il peut être envisagé comme moyen d’affirmer une « communauté nationale » au nom d’une « exception culturelle », comme un instrument de gouvernementalité, comme une ressource et un levier décisif du développement territorial, comme un moyen de reconnaissance, comme une arme critique ou encore comme un espace de remise en question du partage des savoirs et des expertises. Dans cette recherche, il s’agit d’explorer ces différentes actualisations du dispositif-PCI dans l’espace territorial français. Ce dernier offrant une palette de situations qui permettent de considérer l’ambivalence des politiques du PCI et de la convention unesquienne entre économie du marketing territorial et créativité ou expression « populaire », entre dispositif de contrôle et outil d’émancipation. Pour ce faire, je m’appuie sur la notion de « prise », introduite par la sociologie pragmatique (Bessy & Chateauraynaud 2014 [1995]) et transposée dans les études patrimoniales avec l’hypothèse de la « prise française du PCI » (Tornatore 2011, 2012). La notion de prise suppose une codétermination dans l’acte de prendre. Celui qui prend ainsi que l’objet qui est pris sont façonnés dans la prise, le matériau qui est pris fait et fait faire dans la prise. Dans le cas présent, le matériau est la convention de 2003 et ses actualisations, c’est-à-dire un dispositif politique qui engendre une manière particulière d’appréhender les politiques et les pratiques patrimoniales, ainsi que les objets qu’il vise. Parler de prise française du PCI, c’est donc envisager la capacité de trouble de la convention unesquienne au sein des politiques patrimoniales en France (Bortolotto 2011a, 2013b, 2014), mais en retour l’influence sur celle-ci de la tradition administrative et scientifique française en matière d’objectivation, de célébration et de politisation de traits ou d’éléments culturels. Pour autant, je propose d’être attentif à la pluralité de la prise ou plutôt au fait qu’il peut y avoir différentes prises du PCI. Il s’agit ainsi de mettre l’hypothèse de la prise française du PCI à l’épreuve de l’enquête : il faut alors prendre en compte et différencier les acteur.rice.s (humain.e.s et non-humain.e.s) en présence et comment, en s’engageant dans des dispositifs-PCI, ils et elles coconstruisent diverses prises de la convention de 2003. Dans cette recherche j’examine ainsi dans quelle mesure la convention unesquienne s’inscrit dans la tradition patrimoniale française en matière d’objectivation, de célébration et de politisation de traits ou d’éléments culturels, en y saisissant les continuités, les ruptures, ainsi que les surgissements nouveaux en matière. Et ceci tant au niveau des institutions patrimoniales d’État que des initiatives relevant des différents segments de la « société civile » (collectifs, associations, etc.). Néanmoins, il convient de ne pas s’abandonner au constat commode qui souligne l’existence d’une multiplicité de formes d’actualisation du PCI. Il ne s’agit pas de décrire une simple addition de cas hétérogènes et singuliers, mais plutôt une collection de cas qui permet de produire un bilan ouvert et contrasté de la mise en œuvre des politiques du PCI en France. Abstract: Intangible cultural heritage (hereafter ICH), introduced by UNESCO with the 2003 convention, is a complex and ambiguous entity that takes different forms depending on whether it is in the hands of state heritage institutions, territorial communities, associations, militant movements or researchers in the humanities and social sciences. It can be considered as a means of affirming a “national community” in the name of a “cultural exception”, as an instrument of governmentality, as a resource and a decisive lever for territorial development, as a means of recognition, as a critical weapon or as a space for questioning the sharing of knowledge and expertise. This research aims to explore these different actualizations of the ICH in the French territorial space. The latter offers a range of situations that allow us to consider the ambivalence of ICH policies and the UNESCO convention between an economy of territorial marketing and creativity or “popular” expression, a control device and a tool for emancipation. To do so, I rely on the notion of “prise”, which could be translated as “grasp” or “take” in English, introduced by pragmatic sociology (Bessy & Chateauraynaud 2014 [1995]) and transposed into heritage studies with the hypothesis of the “French take on ICH” (Tornatore 2011, 2012). The notion of take entails a co-determination in the act of taking. The one who takes as well as the object that is taken are shaped in the taking, the material that is taken acts and causes an action in the process of the take. In this case, the material is the 2003 convention and its actualizations, i.e. a political device that generates a particular way of understanding heritage policies and practices, as well as its objects. To speak of a French take of the ICH is therefore to consider the potential elements of disturbance of the UNESCO convention within heritage policies in France (Bortolotto 2011a, 2013b, 2014), but also to consider the influence on it of the French administrative and scientific tradition of objectification, celebration and politicization of cultural traits or elements. However, I propose to pay close attention to the plurality of the takes or rather to the fact that there can be different takes of the ICH. It is therefore a question of putting to the test the hypothesis of a French take on the ICH, and it is then necessary to take into account and differentiate the actors (human and non-human) involved and how, by engaging in ICH mechanisms, they co-construct various takes on the 2003 convention. Furthermore, in this research I examine the extent to which the UNESCO convention is part of the French heritage tradition in terms of objectification, celebration and politicization of cultural traits or elements, by grasping the continuities, the ruptures, as well as the new developments in this field, and this both within state heritage institutions and initiatives from different segments of “civil society” (collectives, associations, etc.). Nevertheless, one should not give in to the convenient observation highlighting the existence of multiple forms of ICH actualization. It is not a question of describing a simple sum of heterogeneous and singular cases, but rather a collection of cases that makes it possible to produce an open and contrasted assessment of the implementation of ICH policies in France.

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"Ceci n'est pas un jardin !": une ethnographie du traitement des restes du passé industriel des Gorges de la Breggia

2015, Storari, Jacopo, Hertz, Ellen

Ce travail de mémoire porte sur un projet dit de « requalification » d’un site industriel connu sous le nom de Saceba, situé dans la Suisse méridionale et plus précisément dans les Gorges de la rivière Breggia. En 2001, a été inauguré le Parc des Gorges de la Breggia dont la vocation est de valoriser le patrimoine géologique, paléontologique, mais également historique des Gorges de la Breggia. De ce fait, la cimenterie Saceba s’est retrouvée au cœur d’un parc naturel régional. Après la fermeture de la cimenterie advenue en 2003, toute une série de débats concernant son futur a vu le jour. Certains acteurs sociaux impliqués de près ou de loin dans sa gestion voulaient la détruire, d’autres la recycler afin d’y installer diverses activités productives, et d’autres encore la conserver en tant que témoignage historique. Finalement elle a été partiellement conservée et intégrée au patrimoine historique du parc. Le but de la présente recherche est de cerner la genèse du projet de requalification, la conséquente « intégration de la cimenterie au patrimoine du parc » et comment le « site requalifié » est-il perçu par divers acteurs sociaux forts hétérogènes qui fréquentent le parc. J’analyserai la transmutation de la Saceba en objet patrimonial non seulement en tant que processus, mais en tant que « rite d’institution » (Bourdieu 1982) qui instaure une ligne de partage entre « ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas » (1982 : 58). La première partie traitera de l’histoire des lieux et des objets qui sont investis aujourd’hui par les acteurs sociaux auxquels je m’intéresse. Il convient de souligner que c’est aussi l’histoire partielle des gens et des institutions qui se sont appropriés de ces lieux et de ces objets dans le passé. La deuxième partie consistera en le noyau de la recherche, à savoir l’analyse des différentes significations assignées à la Saceba en tant qu’objet inséré dans le contexte du Parc des Gorges de la Breggia. En outre, je me concentrerai sur les diverses initiatives visant la destruction, la conservation ou le recyclage de cet artefact. Enfin, la troisième et dernière partie se concentrera sur les changements induits par la patrimonialisation.