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Les « prises » françaises du patrimoine culturel immatériel. Suivre les actualisations d’un dispositif politique complexe et ambigu

2022, Storari, Jacopo, Hertz, Ellen, Jean-louis Tornatore

Le patrimoine culturel immatériel (ci-après PCI), introduit par l’Unesco avec la convention de 2003, est un ensemble complexe et ambigu qui prend différentes formes selon qu’il est entre les mains d’institutions patrimoniales d’État, de collectivités territoriales, d’associations, de mouvements militants ou de chercheur.euse.s en sciences humaines et sociales. Il peut être envisagé comme moyen d’affirmer une « communauté nationale » au nom d’une « exception culturelle », comme un instrument de gouvernementalité, comme une ressource et un levier décisif du développement territorial, comme un moyen de reconnaissance, comme une arme critique ou encore comme un espace de remise en question du partage des savoirs et des expertises. Dans cette recherche, il s’agit d’explorer ces différentes actualisations du dispositif-PCI dans l’espace territorial français. Ce dernier offrant une palette de situations qui permettent de considérer l’ambivalence des politiques du PCI et de la convention unesquienne entre économie du marketing territorial et créativité ou expression « populaire », entre dispositif de contrôle et outil d’émancipation. Pour ce faire, je m’appuie sur la notion de « prise », introduite par la sociologie pragmatique (Bessy & Chateauraynaud 2014 [1995]) et transposée dans les études patrimoniales avec l’hypothèse de la « prise française du PCI » (Tornatore 2011, 2012). La notion de prise suppose une codétermination dans l’acte de prendre. Celui qui prend ainsi que l’objet qui est pris sont façonnés dans la prise, le matériau qui est pris fait et fait faire dans la prise. Dans le cas présent, le matériau est la convention de 2003 et ses actualisations, c’est-à-dire un dispositif politique qui engendre une manière particulière d’appréhender les politiques et les pratiques patrimoniales, ainsi que les objets qu’il vise. Parler de prise française du PCI, c’est donc envisager la capacité de trouble de la convention unesquienne au sein des politiques patrimoniales en France (Bortolotto 2011a, 2013b, 2014), mais en retour l’influence sur celle-ci de la tradition administrative et scientifique française en matière d’objectivation, de célébration et de politisation de traits ou d’éléments culturels. Pour autant, je propose d’être attentif à la pluralité de la prise ou plutôt au fait qu’il peut y avoir différentes prises du PCI. Il s’agit ainsi de mettre l’hypothèse de la prise française du PCI à l’épreuve de l’enquête : il faut alors prendre en compte et différencier les acteur.rice.s (humain.e.s et non-humain.e.s) en présence et comment, en s’engageant dans des dispositifs-PCI, ils et elles coconstruisent diverses prises de la convention de 2003. Dans cette recherche j’examine ainsi dans quelle mesure la convention unesquienne s’inscrit dans la tradition patrimoniale française en matière d’objectivation, de célébration et de politisation de traits ou d’éléments culturels, en y saisissant les continuités, les ruptures, ainsi que les surgissements nouveaux en matière. Et ceci tant au niveau des institutions patrimoniales d’État que des initiatives relevant des différents segments de la « société civile » (collectifs, associations, etc.). Néanmoins, il convient de ne pas s’abandonner au constat commode qui souligne l’existence d’une multiplicité de formes d’actualisation du PCI. Il ne s’agit pas de décrire une simple addition de cas hétérogènes et singuliers, mais plutôt une collection de cas qui permet de produire un bilan ouvert et contrasté de la mise en œuvre des politiques du PCI en France. Abstract: Intangible cultural heritage (hereafter ICH), introduced by UNESCO with the 2003 convention, is a complex and ambiguous entity that takes different forms depending on whether it is in the hands of state heritage institutions, territorial communities, associations, militant movements or researchers in the humanities and social sciences. It can be considered as a means of affirming a “national community” in the name of a “cultural exception”, as an instrument of governmentality, as a resource and a decisive lever for territorial development, as a means of recognition, as a critical weapon or as a space for questioning the sharing of knowledge and expertise. This research aims to explore these different actualizations of the ICH in the French territorial space. The latter offers a range of situations that allow us to consider the ambivalence of ICH policies and the UNESCO convention between an economy of territorial marketing and creativity or “popular” expression, a control device and a tool for emancipation. To do so, I rely on the notion of “prise”, which could be translated as “grasp” or “take” in English, introduced by pragmatic sociology (Bessy & Chateauraynaud 2014 [1995]) and transposed into heritage studies with the hypothesis of the “French take on ICH” (Tornatore 2011, 2012). The notion of take entails a co-determination in the act of taking. The one who takes as well as the object that is taken are shaped in the taking, the material that is taken acts and causes an action in the process of the take. In this case, the material is the 2003 convention and its actualizations, i.e. a political device that generates a particular way of understanding heritage policies and practices, as well as its objects. To speak of a French take of the ICH is therefore to consider the potential elements of disturbance of the UNESCO convention within heritage policies in France (Bortolotto 2011a, 2013b, 2014), but also to consider the influence on it of the French administrative and scientific tradition of objectification, celebration and politicization of cultural traits or elements. However, I propose to pay close attention to the plurality of the takes or rather to the fact that there can be different takes of the ICH. It is therefore a question of putting to the test the hypothesis of a French take on the ICH, and it is then necessary to take into account and differentiate the actors (human and non-human) involved and how, by engaging in ICH mechanisms, they co-construct various takes on the 2003 convention. Furthermore, in this research I examine the extent to which the UNESCO convention is part of the French heritage tradition in terms of objectification, celebration and politicization of cultural traits or elements, by grasping the continuities, the ruptures, as well as the new developments in this field, and this both within state heritage institutions and initiatives from different segments of “civil society” (collectives, associations, etc.). Nevertheless, one should not give in to the convenient observation highlighting the existence of multiple forms of ICH actualization. It is not a question of describing a simple sum of heterogeneous and singular cases, but rather a collection of cases that makes it possible to produce an open and contrasted assessment of the implementation of ICH policies in France.

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"Ceci n'est pas un jardin !": une ethnographie du traitement des restes du passé industriel des Gorges de la Breggia

2015, Storari, Jacopo, Hertz, Ellen

Ce travail de mémoire porte sur un projet dit de « requalification » d’un site industriel connu sous le nom de Saceba, situé dans la Suisse méridionale et plus précisément dans les Gorges de la rivière Breggia. En 2001, a été inauguré le Parc des Gorges de la Breggia dont la vocation est de valoriser le patrimoine géologique, paléontologique, mais également historique des Gorges de la Breggia. De ce fait, la cimenterie Saceba s’est retrouvée au cœur d’un parc naturel régional. Après la fermeture de la cimenterie advenue en 2003, toute une série de débats concernant son futur a vu le jour. Certains acteurs sociaux impliqués de près ou de loin dans sa gestion voulaient la détruire, d’autres la recycler afin d’y installer diverses activités productives, et d’autres encore la conserver en tant que témoignage historique. Finalement elle a été partiellement conservée et intégrée au patrimoine historique du parc. Le but de la présente recherche est de cerner la genèse du projet de requalification, la conséquente « intégration de la cimenterie au patrimoine du parc » et comment le « site requalifié » est-il perçu par divers acteurs sociaux forts hétérogènes qui fréquentent le parc. J’analyserai la transmutation de la Saceba en objet patrimonial non seulement en tant que processus, mais en tant que « rite d’institution » (Bourdieu 1982) qui instaure une ligne de partage entre « ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas » (1982 : 58). La première partie traitera de l’histoire des lieux et des objets qui sont investis aujourd’hui par les acteurs sociaux auxquels je m’intéresse. Il convient de souligner que c’est aussi l’histoire partielle des gens et des institutions qui se sont appropriés de ces lieux et de ces objets dans le passé. La deuxième partie consistera en le noyau de la recherche, à savoir l’analyse des différentes significations assignées à la Saceba en tant qu’objet inséré dans le contexte du Parc des Gorges de la Breggia. En outre, je me concentrerai sur les diverses initiatives visant la destruction, la conservation ou le recyclage de cet artefact. Enfin, la troisième et dernière partie se concentrera sur les changements induits par la patrimonialisation.

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La gestion durable des sols agricoles: sécuriser les démarches ou légitimer les controverses ? L’exemple des politiques agroenvironnementales autour de l’érosion hydrique des sols arables en Suisse

2018, Derungs, Nicolas, Hertz, Ellen, Mitchell, Edward

Cette recherche interdisciplinaire (sciences naturelles – sciences politiques et sociales) porte sur la thématique de la gestion durable des sols agricoles. Plus spécifiquement, elle s’est focalisée sur les politiques environnementales et agricoles suisses autour de la protection qualitative des sols et de la lutte contre de l’érosion hydrique des sols arables. L’étude a abouti à une question adressée aux experts scientifiques et administratifs, et vise une réflexion sur les approches dominantes de la protection des sols en Suisse et à l’échelle globale : face aux constats d’échec des politiques agroenvironnementales, faut- il continuer comme le soutien l’ONU et la FAO à persévérer dans une unique stratégie de « sécurisation » de l’environnement et des sols, synonyme d’innovations techniques qu’il faut parvenir à faire appliquer, ou faut-il plutôt miser sur le développement de nouveaux espaces de débats et de processus décisionnels sur la base d’innovations sociales et politiques ? La révolution industrielle et agricole des 19e et 20e siècles a bouleversé la société européenne et le monde agricole. Cela a conduit notamment à une intensification et à une rationalisation des pratiques agricoles et de l’aménagement de l’espace rural, causes les plus évidentes de la dégradation des sols. Ce constat émis par les scientifiques des sols a alerté l’ONU dès les années 1950 qui y a vu un enjeu capital pour la sécurité alimentaire mondiale. Avec les experts scientifiques comme alliés, cette organisation a développé au début des années 2000 des cadres d’analyses autour des concepts de services écosystémiques ou d’intensification durable de la production agricole, ainsi que des lignes d’action qui ont très fortement influencé les recherches en sciences environnementales et les programmes des administrations étatiques occidentales. En Suisse, les experts des sols ont tiré la sonnette d’alarme dès les années 60- 70 et ont œuvré principalement à travers la Société suisse de pédologie (SSP) pour que le problème de la destruction et de la dégradation des sols soit cadré dans des bases légales. Pionnières en la matière, les autorités suisses ont inscrit la conservation à long terme de la fertilité des sols dès 1983 dans la Loi sur la protection de l’environnement (LPE), puis la gestion durable des ressources durant les années 1990 dans la Loi sur l’agriculture (LAgr). Durant la dernière décennie, sous l’impulsion de la FAO et de l’International technical panel on soils (ITPS), l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a soutenu un changement de paradigme de la protection des sols orienté notamment sur un couplage des pratiques agricoles durables et des fonctions des sols : le function-based decision making. Après 20 ans de mise en œuvre de la LPE-OSol 98 et de la LAgr-OPD 98, le constat demeure mitigé en matière de dégradation des sols. D’un côté il est raisonnable d’affirmer que sans ces instruments, l’état de fertilité (selon la définition de l’OSol) des sols serait pire aujourd’hui. De l’autre, la dégradation et de l’érosion se poursuivent à des degrés très divers. L’OFEV et l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) s’accordent à dire dans un rapport, dix-huit ans après l’entrée en vigueur des textes de loi, que les objectifs agroenvironnementaux n’ont pas été atteints. Ces instruments d’action publique, construits par les experts scientifiques et politico-administratifs, les acteurs du monde agricole et les élus politiques, n’ont pas généré les effets escomptés. Cette étude a donc cherché à comprendre pourquoi, en s’intéressant au problème de l’érosion, vécu sur le terrain notamment par les agriculteurs, les conseillers agricoles, ou les employés des administrations cantonales, et décrit par la recherche scientifique et les rapports nationaux et internationaux. Elle s’est également penchée sur la manière dont les scientifiques ont abordé ce problème et les limites de leur expertise. Finalement, elle a analysé comment les bases légales définissent le problème, comment elles ont été construites, mises en œuvre et évaluées. Au final, 67 entretiens et 15 observations ont été effectués, et une centaine d’articles et de rapports ont été parcourus. Cette enquête ethnographique aboutit au constat que l’érosion des sols agricoles n’est pas qu’un problème écologique et agronomique, mais un problème socio- environnemental comportant des dimensions économiques, sociales, administratives, politiques et culturelles. Pourtant les porte-paroles et le cadrage historique dominant légitimé tant au niveau international que national est celui des sciences environnementales et techniques qui ont avant tout considéré le problème de la dégradation des sols cultivés sous l’angle des effets sur la productivité agricole et de la prévention des risques (notamment érosif), et dont l’approche principale vise aujourd’hui à développer des modèles numériques et des innovations techniques qu’il faut parvenir à transférer aux destinataires de ces mesures. Cette expertise scientifico-technique qui s’affiche pourtant publiquement comme voulant être rationnelle et efficace est, face à l’étude et à la gestion des problèmes environnementaux, pétrie d’incertitudes, de controverses et de manque d’effectivité chronique de mise en œuvre. Dans le cas de l’érosion et de la dégradation des sols, les scientifiques eux-mêmes s’accordent à dire qu’ils ne sont pas parvenus à répondre aux questions fondamentales de leur discipline. En Suisse, les entretiens avec les divers acteurs impliqués révèlent qu’il demeure des zones d’ombre majeures de l’expertise scientifique autour de l’érosion hydrique des sols agricoles : l’apport des réflexions et des connaissances en sciences sociales et politiques ; des énoncés scientifiques socio-économiques concrets sur les impacts de la libéralisation des marchés sur les pratiques agricoles et sur l’état de l’environnement ; des énoncés scientifiques concrets sur les effets du développement territorial et des améliorations foncières sur la dégradation et l’érosion des sols. Face aux limites bien normales de cette seule forme d’expertise, ces mêmes groupes d’experts préconisent malgré tout à l’avenir, la production de données visant à alimenter des modèles toujours plus précis pour offrir aux décideurs des administrations des mesures de lutte (ou des pratiques agricoles) toujours plus ciblées. Mais des voix s’élèvent dans la communauté scientifique, affirmant qu’une telle approche conduit à un confinement toujours plus grand des scientifiques dans leur laboratoire, qu’elle ne pourra jamais contrôler toutes les incertitudes, qu’elle consolide le statut dominant des scientifiques « durs » et des ingénieurs sur les problèmes environnementaux dans les arènes politico- administratives, et qu’elle écarte largement d’autres types d’expertise profane ou scientifique en amont des processus décisionnels. Ce rôle central (nécessaire et important) des experts techniques travaillant dans les cantons, la confédération et les instituts de recherche tel Agroscope en tant que porte-parole et entrepreneur de causes s’est vérifié tout au long de l’histoire de la protection des sols. Ce rôle ne doit ni être minimisé ni être perçu rétroactivement de manière négative. Ce sont grâce à ces acteurs agissant dans ces scènes discrètes que des bases légales ont vu le jour. Mais la dégradation et l’érosion sont restées des problèmes d’experts. Ils ne sont jamais devenus des problèmes appropriés par d’autres acteurs de la société civile. En outre, le processus de construction des politiques agroenvironnementales a été marqué par des mécanismes de filtrage de l’expertise scientifico-technique conduisant à des incohérences importantes dans les bases légales. Citons en exemple la séparation entre la protection quantitative (surfaces) et qualitative (fertilité) du sol, l’absence du rôle des améliorations foncières dans les bases légales, l’absence de politique cohérente de la gestion de la matière organique (humus), l’absence de lignes d’action autour des dégâts off-site de l’érosion, des valeurs indicatives pour l’érosion scientifiquement incorrectes, etc. La mise en œuvre de la LPE-OSol et de la LAgr-OPD est également lacunaire. Cela est dû au manque de ressources humaines, financières, politiques et cognitives d’appliquer en particulier dans les services de l’environnement, et à des résistances et des blocages chroniques aux mesures de gestion durable ou aux instruments de contrôles de l’érosion. En bref, les consensus trouvés après de longues négociations sont sans cesse remis en cause. Finalement, les évaluations officielles de la Confédération reposent sur des critères mettant en avant les taux de participation ou le manque de données biogéographiques et techniques. Or, une telle posture des autorités peut être interprétée comme une façon de légitimer les politiques et les budgets agroenvironnementaux en vigueur. Sous cet angle d’analyse, les dimensions techniques sont instrumentalisées au sein des arènes politiques. Ce problème environnemental n’est donc pas tant technique, mais politique et démocratique. L’inégalité des ressources d’action entre les milieux environnementaux et agricoles, ainsi que l’influence des lobbys et des grands distributeurs pèse lourd sur ces enjeux et s’exprime à travers l’ensemble des processus décisionnels au sein du cycle des politiques publiques (mise à l’agenda, programmation, mise en œuvre, évaluation). Or, la technicisation des débats politico-administratifs et des rapports de la Confédération dépolitise systématiquement les questions et les objectifs fondamentaux des politiques agroenvironnementales : par exemple en discutant ad aeternam des moyens techniques pour contrôler l’érosion, pour finalement aboutir à des consensus qui sont remis en cause dès leur application. Voilà pourquoi dans cette étude, l’auteur a souhaité se détourner de cette focalisation sur les agriculteurs « coupables » et « à convaincre » en le portant sur le rôle des sciences, de l’État et du fonctionnement de notre démocratie. Il a plutôt cherché à remettre en question l’approche dominante de la protection des sols dans le monde sans vouloir la décrédibiliser, mais en l’incitant à davantage de réflexivité et à s’ouvrir aux autres sciences et formes de connaissances. Il use dans ce travail engagé de la liberté de parole d’un doctorant universitaire en ethnologie pour fournir une étude atypique et exploratoire. En conclusion, cette recherche plaide pour favoriser l’émergence de nouveaux porte-paroles légitimés des sols : des artistes, des agriculteurs, des jardiniers amateurs, des paysagistes, des sociologues, des philosophes, des historiens, etc. Elle soutient la création de panels d’experts pluridisciplinaires, p. ex. au sein de la Société suisse de pédologie (SSP), et la mise en place de nouveaux espaces de discussions publics et/ou confidentiels, p. ex. en mobilisant la convention d’Arhus sur le principe de participation. Finalement, cette étude encourage une meilleure formation de terrain sur les «  sols » au sein des universités, des hautes écoles et des écoles d’agricultures. Techniciser les débats et dépolitiser les enjeux a été une stratégie gagnante des acteurs de la SSP et politico-administratifs pour amener des bases légales et construire des instruments en évitant tout débordement politique qui auraient causé instantanément des blocages. Mais 30 ans plus tard, face à l’échec des politiques agroenvironnementales et face à l’énorme déséquilibre des ressources d’action entre les milieux environnementaux et les milieux agricoles, cette approche a montré qu’elle ne peut plus avancer seule. À terme, seule une réforme des processus décisionnels démocratiques visant à créer de nouveaux espaces de controverses scientifiques et politiques, ainsi qu’une légitimation de nouvelles formes d’expertise semblent pouvoir conduire à une remise en question des priorités politiques et à une redistribution des rapports de forces. Les débats fondamentaux sur les causes structurelles de la dégradation de l’environnement, sur la cohérence des politiques agroenvironnementales, et sur les objectifs à définir et à atteindre, ne doivent plus être tenus entre quelques experts techniques aux pauses café, mais bien trouver leur place dans de nouvelles arènes de discussion publiques, politiques et administratives., This interdisciplinary dissertation (combining natural, political and social sciences) focuses on the sustainable management of agricultural soils. More specifically, it tackles Swiss environmental and agricultural policies for qualitative soil protection and the accompanying measures to limit water erosion of arable lands. Aiming to launch sustained debate and reflection about the dominant approaches to soil protection in Switzerland and at the global level, it asks scientific and administrative experts the following question: given the failures of agri-environmental policies to date, should we persevere, as the United Nations (UN) and the Food and Agriculture Organization (FAO) propose, with the single-strand strategy of environmental and soil “security”, or is it not time to focus on the development of new spaces for debate and decision- making, based on social and political innovations? The industrial and agricultural revolutions of the 19th and 20th centuries have deeply transformed European society and the agricultural world. This has led to an intensification and rationalization of agricultural practices and zoning in rural areas, the most obvious causes of land degradation. Warnings by soil scientists have alarmed the UN since the 1950s, and led to the identification of world food security as a pressing issue. At the beginning of the 2000s, with scientific experts as allies, this organization developed analytical frameworks around the concepts of “ecosystem services” and “sustainable intensification” of agricultural production, as well as guidelines that have strongly influenced the environmental sciences and policy in Euro-American countries. Soil experts working mainly through the Soil Science Society of Switzerland (SSSS) warned Swiss authorities of the problem of soil destruction and degradation in the 60s and 70s, and began investigating the legal bases for action. Pioneers in the field, Swiss authorities heeded these warnings and enshrined the long-term conservation of soil fertility in the Swiss Environmental Protection Act (EPA) as early as 1983, and the sustainable management of resources in the Agricultural Act (AgricA) during the 1990s. Over the past decade, under the leadership of the FAO and the International Technical Panel on Soils (ITPS), the Swiss Federal Office for the Environment (FOEN) undertook a paradigm shift in soil protection, focusing in particular on the coupling of sustainable agricultural practices and soil functions, promoting so- called “function-based decision making”. Today, after 20 years of implementation of the EPA-OSol 98 and the AgricA- OPD 98, observers all conclude that the results of these efforts to reduce or stop soil degradation remain disappointing. On the one hand, it is reasonable to say that without these instruments, soil fertility (as defined by OSol) would be worse today. On the other hand, degradation and erosion continue, albeit at different speeds and to different degrees. The FOEN and the Federal Office for Agriculture (FOAG) agree, eighteen years after the implementation of this legislation, that their agri-environmental objectives have not been met. These instruments of public policy, co-conceived by scientists, politico-administrative experts, spokespeople for the agricultural sector and politicians, have not generated the expected results. This present study seeks to understand why, by conducting ethnographic fieldwork and interviews with farmers, agricultural advisers, public servants in cantonal and federal administrations and scientists, and by analyzing existing national and international reports. By focusing on how these diverse actors have tackled this problem, it identifies the limits of their expertise, with a particular focus on soil scientists. Finally, it analyzes how the legal bases that define and frame the problem were constructed, implemented and evaluated. In the end, 67 interviews and 15 field observations were carried out, and about 100 articles and reports were consulted. This ethnographic survey leads to the observation that the erosion of agricultural soils is not only an ecological and agronomic problem, but also a socio-environmental problem involving economic, social, administrative, political and cultural dimensions. However, the main actors and the dominant historical framework, recognized both internationally and nationally, are all limited to the environmental and technical sciences. These “technosciences” traditionally consider the problem of cultivated soil degradation in terms of its effects on agricultural productivity and risk prevention (especially erosive risk). Their main methods involve the development of numerical models, thought to justify the direction and content of technical innovations that must then be transferred to their end-users, that is to say, farmers and agricultural advisors. However, despite their public claims to rationality and effectiveness, a careful analysis of these forms of scientific and technical expertise reveals multiple uncertainties, controversies and a systemic lack of implementation. In Switzerland, interviews carried out with the various actors involved revealed that there are still major blind spots in scientific expertise around water erosion of agricultural soils. These blind spots revolve around: knowledge in the social and political sciences; a detailed and concrete assessment of the impacts of market liberalization on agricultural practices and the environment; and detailed scientific study of the effects of zoning and land improvement on soil degradation and erosion. While acknowledging the inevitable limits of single-strand expertise, these same experts nonetheless recommend that future policy emphasize the production of yet more data aimed at feeding more and more precise models to offer decision-makers control measures for increasingly precise targeting of farmers and farming practices. More recently, a small but audible portion of the scientific community has voiced the opinion that such an approach leads to the increasing confinement of scientists within their laboratories, to the detriment of real-world solutions. These critics point out that these mono-disciplinary policy measures will never be able to control all of the uncertainties in this area, that they consolidate the dominant role of “hard” scientists and engineers in addressing environmental issues, thereby largely excluding other types of scientific of practice-based expertise from upstream decision-making processes. The central (and no doubt necessary and important) role of technical experts working in the cantons, the Swiss Confederation and research institutes such as Agroscope who function as spokespersons and moral entrepreneur for soil policy has been a constant throughout the history of this issue. This role should not be minimized or perceived negatively today. It is thanks to these experts, acting discretely but effectively behind the scenes, that Switzerland has the legal bases it needs to undertake qualitative soil protection. However, by confining the problem of the degradation and erosion of agricultural soil to expert circles, this top-down approach has made it more unlikely that these policies are appropriated by other actors in civil society, most importantly, those people who are supposed to apply them. In addition, the process of creating agri-environmental policies has been marked by filtering mechanisms central to scientific and technical expertise, leading to significant inconsistencies. Examples include the disconnect between quantitative (surface) and qualitative (fertility) soil protection measures, the lack of any mention of land improvement in the legal bases for policy-making, the lack of a coherent policy for the management of organic matter (humus), the lack of guidelines around off-site erosion damage, and scientifically incorrect indicative values for erosion, etc. As mentioned, a further problem is that the implementation of EPA-OSol and AgricA-OPD is spotty and incomplete. This is due to lack of human, financial, political and cognitive resources in environmental administrations, and to resistance and chronic inertia with respect to sustainable management measures or erosion control instruments. The analysis presented here demonstrates how points of consensus reached after long negotiations are constantly being called into question, sending confusing signals to all actors involved. Finally, the official assessments that the Confederation undertakes to evaluate the effectiveness of these policies are based on criteria that highlight participation rates or that focus single- mindedly on lack of biogeographic and technical data. Such an official attitude can be interpreted as a way of legitimizing existing agri-environmental policies and budgets, in a country where agriculture represents a highly charged political issue. From this perspective, the dissertation concludes that the technoscientific orientation of current policy serves distinct purposes within political arenas. In other words, the environmental problem of agricultural soil fertility is not so much a technical as a political and democratic problem. The unequal budgets and legitimacy as between environmental and agricultural administrations, as well as the influence of lobbies and the food industry, weigh heavily on these issues. All of these framing mechanisms can be seen through a detailed analysis of the decision-making processes within the public policy cycle (setting of the political agenda, programming, implementation, evaluation), as demonstrated here. However, through “technicization” of the politico- administrative debate, the reports of the Confederation systematically depoliticize these issues, losing sight of the fundamental objectives of agri- environmental policies. This “failure as usual” model for tackling environmental problems is particularly evident in the eternal discussions about the technical means to control erosion, which, time and again lead to fragile agreements that are challenged as soon as they are applied. Thus, farmers continue to refuse or neglect these policy measures, while experts continue to deprive themselves of the means fully to evaluate their effectiveness. For all these reasons, this dissertation takes its distance from the focus on technical fixes that seek to convince “conservative” or “ignorant” farmers to tow the line. Rather, it focuses on the role of science and the functioning of Swiss democracy. It seeks to challenge the dominant approach to soil protection around the world without discrediting it, by encouraging it to be more reflexive and open to other sciences and other forms of knowledge production. Using his academic freedom as a PhD student in anthropology, the author takes an engaged and critical, and yet informed and respectful, stance with respect to scientific expertise, hoping to provide innovative avenues for reflection in an area in urgent need of new solutions. In conclusion, this research argues in favor of the emergence of new soil spokespersons: farmers, hobby gardeners, landscapers, artists, sociologists, philosophers, historians, etc. It recommends the creation of multidisciplinary expert panels, for example within the SSSS, and the establishment of new public and/or private forums for discussion, for example by mobilizing the Aarhus Convention on the principle of participation. Finally, this study encourages better field training in soil sciences in universities, colleges and agricultural schools. Technicizing the debates and depoliticizing the issues was a winning strategy for the SSSS and politico- administrative actors in their attempts to create the legal basis for the protection of agricultural soil, by avoiding the political resistance that frank and open discussion of the stakes at hand would have encountered. However, thirty years later, faced with the failure of agri- environmental policies and the huge imbalance of resources for action as between environmental and agricultural authorities, this approach has shown that it can no longer advance alone. Ultimately, only a reform of democratic decision-making processes aimed at creating new spaces for scientific and political disagreement, as well as the legitimization of new forms of expertise, can lead to a realignment of political priorities and a redistribution of power and influence in this area. The fundamental debates on the structural causes of environmental degradation, on the coherence of Swiss agri-environmental policies, and on the objectives to be defined and to be achieved must no longer be held between technical experts over coffee breaks, but find their rightful place in new public, political and administrative arenas.

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Le sale et le vivre ensemble: cohabitation entre humains et jinné

402, Vuilleumier, Louis, Hertz, Ellen

Que fait-on de nos déchets et qu’est-ce que les déchets nous font ? Les ordures agissent sur nous, nous dégoûtent, nous révulsent et en retour nous agissons sur elles. L’analyse de la gestion domestique et collective des déchets ménagers en milieu rural sénégalais amène l’observateur à articuler considérations techniques et sociales. L’itinéraire de l’ordure m’a conduit à questionner les relations que les habitants entretiennent entre eux et les manières de façonner leur ville. De l’intérieur d’une concession et ses débordements, en passant par les rues du village, jusqu’aux lisières de ce dernier, je suivrai les changements successifs de statut des objets et leur déchéance éventuelle. Les relations qui se tissent entre les individus et leurs déchets mettent en lumière les différentes manières de se présenter soi et sa famille, de construire l’image de la ville que les habitants entendent donner aux visiteurs de passage et éclairent les modalités de gestion de leur environnement.

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Qui choisit mon parfum?: une ethnographie de la vente en parfumerie

2017, Alberti, Anne, Hertz, Ellen