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    The self and others : a glimpse into the bonobo mind
    (Neuchâtel, 2019)
    La question de l'évolution de l'intelligence humaine a fait l'objet de nombreuses recherches. Pour étudier l’évolution de notre cognition et afin de mieux estimer l’apparition de nos différentes capacités cognitives dans le temps, nous devons nous tourner vers d'autres espèces en utilisant une approche comparative. La théorie de l'esprit est une de ces capacités cognitives qui joue un rôle fondamental dans le bon fonctionnement de nos interactions sociales. Posséder une «théorie de l'esprit» implique la capacité d'attribuer des états mentaux (objectifs, intentions, connaissances et croyances) à soi-même ainsi qu’aux autres. Certains suggèrent que les individus en possession de cette capacité peuvent, d’une part et de façon implicite du moins, comprendre la réalité des autres, même si cette réalité diffère de la leur, et d’autre part, qu’ils peuvent utiliser ces états mentaux comme base pour interpréter et prédire le comportement des autres. Les recherches au cours des 40 dernières années ont permis l’élaboration d’une image d’une complexité croissante des capacités liées à la théorie de l'esprit chez les grands singes, suggérant que cette capacité cognitive, considérée jusqu’à lors comme unique chez l’Homme est peut-être partagée au moins partiellement avec les animaux. Mes recherches ont visé à étudier, par diverses approches, si les bonobos sont capables, ou non, de maintenir différentes perspectives de réalité; la leur ainsi que celle des autres. Dans ce but, j'ai souhaité répondre à trois questions. Premièrement, comment, les bonobos, se perçoivent-ils dans différents types d'images de soi et comment l'expérience modifie-t-elle cette perception? Deuxièmement, les bonobos apprennent-ils socialement des autres dans le contexte de l'alimentation, malgré le fait que leurs propres connaissances soient en contradiction avec ce qui leur est démontré par les autres? Troisièmement, les bonobos, peuvent-ils utiliser des connaissances déjà acquises sur les comportements d'autrui afin de faire des inférences pragmatiques lorsqu'ils perçoivent des signaux de communication de ces derniers ? Pour répondre à ma première question, j'ai mis en place une étude expérimentale afin d’évaluer comment des bonobos, naïfs, sans expérience préalable avec des miroirs, réagissaient à une variété d'images d’eux-mêmes et d’autrui. Plus précisément, des images de soi dans un miroir, des images de soi en vidéo directe ou non, ainsi que des images vidéo de congénères connus et inconnus. J'ai ensuite évalué comment la perception de leur propre image dans des séquences vidéos non-directes était influencée par l’exposition prolongée à leur reflet dans un miroir. Mes résultats soutiennent l'idée que les bonobos ont effectivement un sens de soi mais que cette capacité se développe avec l'expérience. Pour répondre à la deuxième question qui visait à savoir si les bonobos pouvaient apprendre par l'observation des autres, malgré leur propre expérience contradictoire, j'ai conçu une expérience d'apprentissage social, écologiquement pertinente, qui a démontré que les bonobos mémorisaient et suivaient les préférences alimentaires des autres, même s'ils connaissaient des alternatives viables. De plus, ces préférences alimentaires acquises socialement sont restées stables même quand les sujets avaient pris conscience que les deux aliments proposés étaient appétissants. Pour répondre à ma dernière question, j'ai évalué la capacité des bonobos à utiliser les connaissances sociales acquises précédemment relatifs aux préférences alimentaires des autres comme base d’information afin de faire des inférences pragmatiques lors de l’émission de vocalises de la part de ces derniers. Pour ce faire, j'ai mené une expérience en ‘playback’ qui a démontré que les bonobos réagissaient différemment aux vocalises alimentaires d'un démonstrateur ayant une préférence alimentaire connue, par comparaison avec les vocalises alimentaires d'un individu de contrôle sans préférence alimentaire connue. Bien que les sujets n'aient pas été en mesure d'intégrer toutes les informations mises à leur disposition, ils ont été en mesure d’en intégrer suffisamment et d’utiliser leurs connaissances au sujet des deux individus ayant émis les vocalises alimentaires pour faire des inférences basiques. En somme, ces recherches fournissent un appui nous permettant de suggérer que notre dernier ancêtre commun était déjà en possession d'un certain nombre de facultés cognitives qui forment le fondement de l'intelligence humaine. Ces découvertes, qui vont de la perception de sa propre réalité à la compréhension de la réalité des autres donnent, je l’espère, un autre aperçu de l'esprit du bonobo et, par extension, de celui de notre ancêtre commun.
    Abstract The question of how human intelligence evolved has been the focus of a vast amount of research. To investigate the evolutionary trail of our cognition and to better estimate when different cognitive capacities appeared through time, we must look to other species using the comparative approach. Theory of mind is one such cognitive capacity that has a fundamental role in the proper functioning of our social interactions. To possess a ‘theory of mind’ implies the ability to attribute mental states (goals, intentions, knowledge and beliefs) to one’s self and to others. It is suggested that individuals in possession of this capacity can understand the reality of others, at least implicitly, even if that reality differs from one’s own, and use mental states as a basis of interpreting and predicting the behaviour of others. Research efforts over the past 40 years have produced an increasingly complex picture of theory-of-mind related capacities in great apes, suggesting that a cognitive capacity previously thought to be unique to humans may be at least partially shared with animals. My research aimed to investigate, through a variety of approaches, whether bonobos are able to maintain different perspectives of reality; their own and that of others. To address this, I attempted to shed light on three questions. First, how do bonobos perceive themselves in different kinds of self-images and how does experience modify such perception? Second, do bonobos socially learn from others in the context of feeding, even if they have contradictory knowledge about reality compared to what is being demonstrated to them by others? Third, are bonobos able to use previously acquired knowledge about others’ behaviours to make pragmatic inferences when attending to their communication signals? To answer the first question, I investigated how mirror-naïve bonobos reacted to a variety of contingent and non-contingent self-images in the form of video and mirror images, as well as footage of known and unknown conspecifics. I then investigated how the bonobos’ perception of themselves in non-contingent video footage was influenced by prolonged mirror exposure. My findings provide evidence supporting the idea that bonobos do indeed have a sense of self but that this ability develops with experience. To answer the second question, whether bonobos could learn from others through observation despite own contradictory experience, I designed an ecologically relevant social learning experiment that demonstrated that bonobos memorised others’ food preferences and adhered to them, even if they knew viable alternatives. Importantly, socially acquired food preferences remained stable even after subjects became aware that both food types were palatable. To answer my final question, I assessed whether bonobos could use previously acquired social knowledge about others’ food preferences as premises for pragmatic inference when attending to their vocal behaviour. To do this, I ran a playback experiment that demonstrated that bonobos reacted differently to food calls of a demonstrator with a known food preference, compared to the food calls of a control individual with no known food preference. While subjects were not able to integrate all the information made available to them, they were able to integrate enough to draw inference from the two call providers’ underlying difference in knowledge. In sum, my findings provide ground to suggest that our last common ancestor was already in possession of a number of cognitive faculties that form the foundation of human intelligence. These findings, that range from perceiving one’s own reality through a sense of self, to understanding the reality of others and incorporating their knowledge of reality, to finally using their knowledge of others’ reality to make inferences of their communication signals, have provided, I hope, a further glimpse into the bonobo mind and, by extension, that of our common primate ancestors.