ROLAND KAEHR'^ O I ^ m E D'ETHNOGRAI i LE MÛRIER ET L'ÉPÉE A la mémoire de mon père ROLAND KAEHR LE MURIER ET L'EPEE LE CABINET DE CHARLES DANIEL DE MEURON ET L'ORIGINE DU MUSÉE D'ETHNOGRAPHIE À NEUCHÂTEL THÈSE présentée à la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Neuchâtel pour obtenir le grade de docteur es lettres et sciences humaines MUSÉE D'ETHNOGRAPHIE, NEUCHÂTEL, SUISSE 2000 La Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Neuchâtel, sur les rapports de MM. Pierre Centuvres, professeur à l'Université de Neuchâtel, Philippe HENRY, professeur à l'Université de Neuchâtel, Manuel Laranjeira RODRIGUES de Areia, professeur à l'Université de Coimbra et Louis NECKER, chargé de cours à l'Université de Genève, autorise l'impression de la thèse présentée par M. Roland Kaehr, en laissant à l'auteur la responsabilité des opinions énoncées. Neuchâtel, le 26 mai 2000. Le doyen: Daniel Schulthess Dans la série «Collections du Musée d'ethnographie, Neuchâtel»: N0 1 Marceline de MONTMOLLIN Collection du Bhoutan - catalogue (épuisé) N0 2 Manuel Laranjeira RODRIGUES DE AREIA, Roland KAEHR Collections d'Angola: les signes du pouvoir. Préface de Marie-Louise BASTIN. Etude des bois de Roger DECHAMPS N0 3 François BOREL Collections d'instruments de musique: les sanza N0 4 Yvon CSONKA Collections arctiques. Préface de Jean MALAURIE N° 5 Roland KAEHR Le mûrier et l'épée: le Cabinet de Clxarles Daniel de Meuron et l'origine du Musée d'ethnographie à Neuchâtel N° 6 Jean-Claude MULLER Collections du Nigeria: le quotidien des Rukuba N° 7 Manuel Laranjeira RODRIGUES DE AREIA et Roland KAEHR Collections d'Angola: les masques (en préparation) Directeur de la publication: Jacques Hainard © 2000 Musée d'ethnographie, Neuchâtel (Suisse) 4, rue Saint-Nicolas, CH-2000 Neuchâtel Edition, maquette et mise en pages: Roland Kaehr Photographies: Alain Germond Couverture: Les Sauvages de la Mer Pacifique [ou Les Voyages du Capitaine Cook]. Papier peint de Joseph Dufour et Cie 1804-05, sur un dessin de Jean-Gabriel Charvet; 20 lés d'environ 250 x 54 cm (détail des lés VHI et DC). Cliché: Pascal Toumier, gracieusement fourni par le Musée des Ursulines, Mâcon ISBN 2-88078-025-X ISSN 1420-0430 DU GÉNÉRAL AUX PARTICULIERS .L/E 6 juin 1795, Charles Daniel de Meuron (1738-1806) \ colonel propriétaire et commandant du régiment suisse neuchâtelois de son nom, faisait don à la Commune bourgeoise de Neuchâtel du Cabinet d'histoire naturelle qu'il avail installé à Saint- Sulpice dans le Val-de-Travers. Celui-ci sera ainsi à l'origine de tous les musées existants de la Ville, fors celui des beaux-arts, de création plus récente. Il n'empêche que son souvenir a été occulté pendant toute une génération, ce qui a suffi à ce que bien des traces s'effacent et des liens se perdent entre les objets et leur fournisseur. Certes, en 1890, deux carnets d'inventaire estimatif pour l'assu- rance contre l'incendie (N) font resurgir le nom de Meuron, certes le transfert au début du siècle des collections ethnographiques dans la villa Pury sur la colline de Saint-Nicolas permet de maintenir cette identité retrouvée (L), certes l'établisse- ment dans les années vingt à trente des registres d'inventaire (O) par Théodore Delachaux (1879-1949) assure officiellement cette reconnaissance mais l'importance de ce patrimoine reste ignorée. 11 faut attendre une quarantaine d'années pour qu'à l'instigation de Jean Gabus, directeur du Musée d'ethnographie, Guy de Meuron et Pierre Ceritlivres - assistant alors en instance de départ pour l'Afghanistan - y consacrent une brève étude (1965), travail précurseur criblé de nombreux points d'interrogation. Elle constituera pourtant la référence obligée pour une exposition commémorative, 175ans d'ethno- graphie à Neuchâtel, en 1967 - l'anniversaire était approximatif ! - et servira encore lors de la réalisation d'une salle permanente au MEN inaugurée onze ans plus tard. Dans l'intervalle, en relation avec le travail d'inventaire du fonds du MEN entrepris en vue de la publication de la Société suisse d'ethnologie, Collections ethnographiques en Suisse I (1979), nous nous étions lancé dans l'aventure de la Pour éviter les longueurs de trop nombreuses répétitions, les abréviations suivantes ont été adoptées: CDM pour Charles Daniel de Meuron - en nous inspirant du «superbe Cachet monté en or avec le Chiffre C.D.M.» que livre le 24 février 1798 Jean Perrin de Londres (P - dos.55.I) ou de l'achat le 26 avril 1801 de «3 Marques d'Acier trempé faisant CDM» à Josep Girod (P - dos.28.I), initiales qu'emploie aussi Théodore Abram de Meuron, par exemple le 12 mars 1797 (P - dos.53.II) -, BPUN pour Bibliothèque publique et universitaire, Neuchâtel (anciennement Bibliothèque de la Ville), MEN pour Musée d'ethnographie, Neuchâtel, MHN pour Muséum d'histoire naturelle, Neuchâtel, MAH pour Musée d'an et d'histoire, Neuchâtel, AEN pour Archives de l'Etat, Neuchâtel (cantonales), AVN pour Archives anciennes de la Ville de Neuchâlet. Afin de simplifier les références des citations, en général datées, les diverses sources manuscrites n'ont été identifiées que par des lettres (A à V), normalement complétées par une cote et éventuellement par l'indication d'une page, si indispensable. 8 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE redécouverte en commençant par une «chasse aux trésors» et avions eu la bonne fortune de lever quelques spécimens bien visibles mais ignorés de tout le monde, ce qui avait stimulé notre quête. Au delà de la récupération matérielle des objets, menée au début de manière empirique et «olfactive», nous avons conduit plusieurs recherches, visant d'abord à dater le document de base partiel miraculeusement préservé et mystérieusement réapparu en 1967, l'inventaire du XVIIIe siècle, ce qui nous a entraîné dans la longue analyse de la bibliothèque de CDM, assortie de plusieurs voyages d'étude. Pour identifier d'autres spécimens originels, au moins virtuellement, nous avons ensuite consacré beaucoup d'efforts à dépouiller les sources manuscrites qui nous étaient accessibles. Nous avons tenté de repérer les artefacts2, de connaître leurs sources et les circuits qui les avaient conduits au Cabinet de CDM, découvrant au passage les moyens que celui-ci avait mis en œuvre afin d'assouvir sa passion. L'impossibilité d'assurer autrement l'authenticité de certaines des pièces les plus passionnantes, c'est-à-dire celles attribuées, non sans légèreté, à Cook, nous a entraîné dans une abondante correspondance et obligé à des déplacements de Londres à Leningrad, aux fins de comparaison. Enfin nous nous sommes préoccupé de situer cette collection locale dans un contexte à la fois historique et géographique plus vaste et nous nous sommes par conséquent interrogé sur Ie retentissement des Lumières à Neuchâtel. Bien que.son propos soit différent, l'ouvrage de Guy de Meuron (1982), paru dans l'intervalle3, nous a aidé à baliser notre itinéraire. Nous y renvoyons impli- citement pour la biographie de CDM et l'histoire du régiment Meuron, de même qu'à celui plus récemment édité qu'il a consacré à la famille Meuron (1991). Nous avons privilégié les documents nouveaux, apportant parfois des corrections. Depuis la parution en 1964 du premier article sur «Le Cabinet d'histoire naturelle du Général Charles-Daniel de Meuron» dans le Musée neuchâtelois (MEURON et Centlivres 1964: 96-112), repris avec quelques changements et adjonctions dans la plaquette de 1965, qui sera dès lors citée abondamment et pra- tiquement sans remise à jour, de nombreux éléments nouveaux nous ont incité à la présente réactualisation. Toutes les questions ne sont certes pas encore résolues - et sans doute certains mystères resteront-ils à jamais impénétrables - mais il est plus que temps de publier les découvertes et d'éliminer au moins certaines erreurs, tenaces à force d'être imprimées et répétées. La première découverte a été celle d'une copie de l'Acte de donation commu- niquée au MEN par le Dr Gilbert DuPasquier en 1967 (GaBUS 1967: I: 19), l'ori- ginal existant aux Archives anciennes de la Ville de Neuchâtel (M). S'il précise la date officielle de la donation, le 6 juin 1795, il ne livre aucun élément d'information ni sur les mobiles de CDM, ni sur le contenu du Cabinet dont le I*e Nouveau Petit Robert indique: «On écrirait mieux artefact» (1994: 129). Lui-même emprunte à ses devanciers, en reprenant l'essentiel de la biographie tracée par Armand Du Pasquier (1923}, malheureusement dépourvue de toute référence et limitée à de très brèves citations de la correspondance de CDM, dans une graphie partiellement corrigée. Il ne consacre au Cabinet que l'Annexe IV, p. 291-5, qui ne rectifie pas l'étude antérieure (Meuron et Centlivres 1965). DU GÉNÉRAL AUX PARTICULIERS 9 dépositaire sera la Bibliothèque publique de la* Ville/de Neuchâtel fondée sept ans plus tôt. Il est même contre-informatif sur quelques points. La deuxième, autrement importante, mais jusqu'à présent insuffisamment exploitée, est celle du Tome II de l'Inventaire du Cabinet (M), retrouvé en 1967 dans les combles du MEN (Schoepf 1968: 116), lors de la préparation de l'expo- sition 175 ans d'ethnographie à Neuchâtel et dont personne ne sait comment il y avait abouti. D'après le procès-verbal du 26 octobre 1798 (B), le temps que passe le Bibliothécaire, à s'occuper des collections pouvait laisser supposer que l'enre- gistrement avait été effectué entre 1796/97 et 1798. Or il ressort de l'analyse qu'il s'agit d'un inventaire avant donation et non après, sîtuable entre 1789 et 1794/1795. Plus précisément, en se fondant sur l'étude des ouvrages de la biblio- thèque de CDM qui y sont également recensés4, il peut être daté d'entre 1790/1791 et le début de 1792. Il n'a donc aucun lien direct avec le geste de CDM et un travail analogue ne semble pas avoir été entrepris à là réception à Neuchâtel. La troisième, grâce à ce registre et aux recherches qu'il a permises, est celle d'objets «ethnographiques» inédits ayant fait partie du premier fonds5 ou des dons non détaillés dus à CDM entre 1795 et 1802. En l'absence du Tome I, il nous a fallu exploiter une liste (L) dressée par Louis Coulon (1804-1894)6 et datée du «16 may 1834». Les autres apports postérieurs à la donation écartés - à la suite du dépouillement de toutes les mentions d'entrées -, des pièces insoupçonnées du Cabinet sont ainsi apparues, donnant une image plus précise de l'ensemble dont elles faisaient partie, à côté des objets d'histoire naturelle, délibérément laissés ici de côté, seuls les «artificialia» étant pris en considération, c'est-à-dire les objets manufacturés ou artefacts, produits de l'ingéniosité humaine. Concrètement, la récupération matérielle des objets a consisté à reconnaître les éléments d'un puzzle au dessin partiellement inconnu que deux cents ans d'histoire ont forcément rendu incomplet. Trahis souvent par une désignation vague et insuffi- sante, cachés parfois sous une attribution erronée, ils se trouvent mélangés à un ensemble considérablement plus vaste. Le Cabinet n'est nullement demeuré inalié- nable: du mobilier en sera distrait dès le début, du matériel aussi par la suite, égaré ou détérioré, voire vendu. Des perturbations se sont en outre produites au cours des différents déménagements et des partages, des signes d'identification ont disparu et l'oubli a effacé momentanément7 jusqu'au souvenir du fondateur! De surcroît, même cernés, certains objets ne peuvent être distingués de spécimens anonymes ana- logues entrés postérieurement. Voir le chapitre VC. Il est inexact que «La plupart de ces objets ont encore leurs anciennes étiquettes et la date 1790» et la note 1 prête à confusion qui dit que «L'inventaire original du Cabinet d'Histoire Naturelle du XVITP siècle, dont nous ne possédons que le tome H, apparemment le plus complet, est consacré aux règnes végétal, animal, à la bibliothèque et â "divers objets" (d'ethnographie) au nombre de 44. Nous en retrouvons 43 dans nos collections.» (Gabus 1967: I: 24). Louis Coulon fut directeur des musées de 1829 à sa mort. Si le châtelain Louis de Meuron ([1829]), dans le Messager boiteux pour 1830 cite dûment son parent, officiellement le nom de CDM ne resurgit que dans le Règlement du 9 avril 1838 (J). 10 LE MÛRIER ET L'ÊPÉE A défaut de parvenir à reconstituer dans son intégralité - fût-ce théoriquement - le contenu «ethnographique» du Cabinet soumis à tant de vicissitudes, les pièces retrouvées et divers recoupements nous autorisent néanmoins à avancer un ordre de grandeur plus conforme à la réalité, leur nombre total ayant avoisiné deux centaines, en englobant le don de CDM du 7 novembre 1800, sur lesquels les trois quarts ont été retrouvés. Il s'agit d'une première approche, provisoire et révisable. Par ailleurs, sa bibliothèque s'est révélée notablement plus étendue que le seul Inventaire ne donnait à le penser8. Concernant l'institution publique, les archives officielles, dont certaines procèdent les unes des autres sans qu'il soit toujours possible de remonter jusqu'à la source, sont dispersées et même éclatées, souvent difficiles d'accès et fragmen- taires. Faute de témoignages contemporains suffisants, les investigations ont dû s'étendre bien au delà de la période de formation jusqu'au moment où cette insti- tution devient «Musée», terme qui n'apparaît - inopinément - que le 3 février 1837 (B)1 nous arrêtant aux années de sa réouverture au Collège latin marquée par la visite royale de 18429. Les écrits privés tels que lettres et comptes, eux aussi dissé- minés en divers fonds d'archives et même à l'intérieur de ceux-ci, sont pléthoriques et redondants, mais non moins frustrants en ce qu'ils présentent des lacunes et offrent des données imprécises, ambiguës ou non décryptables10. Tous les manuscrits accessibles ont néanmoins été consultés et de patients dépouillements entrepris, que la collaboration et la complaisance des détenteurs des documents ont grandement facilités. Jamais exploités jusqu'ici dans cette perspective, ils cachent probablement encore des découvertes à faire, mais Ia chance nous a permis de dénicher des informations dans des dossiers qui ne laissaient pas suspecter leur présence. Nous avons constitué un corpus de quelque 700 références de dimen- sions très variables, ordonnées chronologiquement et transcrites aussi fidèlement que possible11, dont seuls quelques fragments sont ici exploités. Si notre étude se limite essentiellement à l'aspect particulier des artefacts d'un ensemble restreint, l'exemple neuchâtelois du «Cabinet d'histoire naturelle du Général de Meuron» dessine en filigrane l'évolution des musées à l'époque. Les textes exhumés, au delà d'une aventure particulière, d'une «histoire au ràs du sol», Outre les livres disséminés dans la famille ou passés dans le commerce, comme une trouvaille l'a révélé (voir le chapitre VII), des dépouillements de correspondance pourraient encore rallonger la liste. En fait, Louis de Meuron, parlant du Cabinet dans la chronique citée ([1829I), l'appelle déjà «Musée» à l'occasion. Aux duplicata et même triplicata - sinon plus - de sécurité s'ajoutent les copies et recopies, parfois les brouillons, difficiles de lecture; les dépenses foisonnent dans des centaines de pieces comptables qui s'enchevêtrent, se doublent, se compliquent de nombreux avis de banques et de l'interpénétration des divers comptes, tandis que toute écriture manque entièrement pour certaines périodes. Sauf pour le S à l'intérieur des mots, nous avons respecté au plus près la graphie, signalé les passages susdits par des // et par des { } les mots en «réclame», sans toutefois céder au calque (il eût alors fallu tenir compte des fins de lignes qui peuvent être significatives), et nous avons introduit quelques apostrophes qui n'existaient pas ou séparé des mots collés lorsque la lecture en était contrariée, mais tous les rétablissements sont mis entre crochets [ ]. DU GÉNÉRAL AUX PARTICUUERS 11 éclairent l'esprit dans lequel les collections étaient faites à la fin du XVIIIe siècle en province. Enfin, dans une perspective ethnohistoriqué, cette recherche répondant à un vœu déjà ancien (BUCK 1949: 34; 39-40) peut apporter quelques éléments à la connaissance de la culture matérielle des populations du Pacifique12. Le titre donné à l'ouvrage. Le mûrier et l'épée mérite un bref commentaire, alors que le sous-titre est explicite. Il ne doit rien à Ovide et à l'histoire tragique de Pyrame et Thisbé, les amants désespérés de Babylone. Il est inspiré des armes par- lantes que s'était choisies CDM (après que la branche de sa famille avait été anoblie en 1763 par le roi de Prusse Frédéric II) parce qu'emblématique des deux activités qui ont rempli sa vie de militaire et d'amateur d'histoire naturelle, le représentant symboliquement dans ses passions. De plus, le mûrier (Moracées) est une des matières premières des «tapas» dont un échantillonnage hawaiien figure dans ses collections et recèle peut-être la clé de leur origine liée au troisième voyage de James Cook. L'ouvrage se divise en deux parties étroitement liées: les recherches sur le Cabinet pour Ie situer dans son contexte et présenter son histoire; un catalogue de tous les objets dus à CDM qui ont été retrouvés, suivi d'un catalogue des livres de sa bibliothèque telle qu'elle a pu être partiellement reconstituée. Elles sont complé- tées par la liste des sources manuscrites et une bibliographie. Dans la première partie, les différents chapitres s'articulent autour d'une thématique plus que d'une stricte chronologie; les éléments qui s'appellent sont rapprochés selon leurs affinités, avant que ne reprenne Ie cours normal du temps. Sous l'égide des armes parlantes qu'il avait adptées, LE MÛRIER ET L'ÉPÉE offre un résumé permettant de faire rapidement la connaissance de CDM, de son parcours de vie et de son inscription dans l'histoire. Le chapitre suivant, LA RAISON SUFFISANTE, LES EFFETS ET LES CAUSES, partant de la passion de collectionner depuis que l'homme est homme, relève les formes qu'elle prend au XVIIIe siècle et ce qui en résulte dans le pays de Neuchâtel. Intitulé LES PARCOURS DE LA CURIOSITÉ, le troisième chapitre passe au crible quelques descriptions de voyage qui commencent à se multiplier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, conduisant de choses remarquables en constructions dignes d'intérêt et, souvent, de cabinet en cabinet, parmi lesquels est cité une fois celui de Saint-Sulpice. Le quatrième chapitre, DES OBJETS ET DES HOMMES, tisse les rapports qu'entretiennent les objets de collection, le collectionneur et ses fournisseurs, de «Le premier corpus d'objets polynésiens susceptible d'être identifié aujourd'hui est constitué par les quelque 2 000 pièces réunies durant les trois voyages du capitaine James Cook, c'est-à-dire de 1768 à 1780» (Kaeppler, Kaufmann et Newton 1993: 23), sans préjudice d'autres découvertes possibles (Kaeppler 1978a: xiv). Voir aussi le commentaire plus récent d'Adrienne Kaeppler (Hauser- Schàublin et Krüger 1998: 92-3). \ 12 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE même que les éventuels bénéficiaires de cadeaux. Les archives ont livré la trace de certains objets mais non de données ethnographiques. Le cinquième, LE CABINET À SAINT-SULPICE, retrouve notre officier qui, rentré au pays, meuble de rares loisirs à réaménager son Cabinet avec ses envois parvenus d'Afrique du Sud, tout en continuant à le compléter de toutes les façons possibles, et cite de nouveaux visiteurs. Dans le sixième, L'INVENTAIRE MIRACULÉ ET L'INVENTAIRE FAN- TÔME, est entreprise une étude attentive d'un vieux registre oublié et préservé par pure méconnaissance, et faite une tentative de reconstituer le volume manquant à partir de ce que l'on sait du Cabinet. C'est l'occasion de profiter de rétablir quelques erreurs d'attribution postérieures. Le septième, EX LIBRIS, est consacré, lui, à l'examen de la dernière partie de l'Inventaire qui comprend une liste de livres ayant appartenu à la bibliothèque de CDM, ce qui permet d'établir une date clé pour situer certains objets. Le huitième, DU CABINET AU MUSÉE, part de la donation à la communauté et analyse son assimilation. Le cadeau que reçoit la jeune Bibliothèque publique, qui vient de s'ouvrir aux lecteurs, ne va en effet pas sans poser des problèmes. Suivant UNE MALLE AUX INDES, le neuvième chapitre découvre le collec- tionneur toujours aussi entiché de son cabinet qui s'inquiète d'«l pot ou est Loiseau ibis», héros d'une véritable odyssée. Le dixième, COLLECTION PASSION, montre CDM, de retour à Neuchâtel, continuer à collecter et à s'intéresser surtout à l'histoire naturelle, tout en déve- loppant son réseau de relations, mais finir par se muer en jardinier amateur. Le onzième, L'OUVERTURE AU PUBLIC, se préoccupe du retentissement de Ia nouvelle institution au sein de la population et des échos imprimés. A propos de la création de ce musée, le dernier chapitre, LES LUMIÈRES SUR LA VILLE, s'interroge en conclusion sur le retentissement des «Lumières» dans une petite cité de province. Dans Ia seconde partie, un seul chapitre, LES «CURIOSITÉS ARTI- FICIELLES», s'efforce, en mettant à profit toutes les ressources archivistiques et tous les témoignages, de reconstituer, par déduction, le contenu du Cabinet de CDM en ce qui concerne les objets manufacturés. II est suivi du CATALOGUE DES OBJETS et du CATALOGUE DES LIVRES proprement dits. DU GÉNÉRAL AUX PARTICULIERS 13 Remerciements J. L nous est un agréable devoir de remercier ceux qui, dans le cadre de diverses institutions, nous ont aidé dans notre travail, en commençant par Neuchâtel. Avix Archives cantonales: MM. René Anker. Jean-Marc Barrelet. Jean Courvoisier et Maurice de Tribolet; à la Bibliothèque publique et universitaire: MM. René Marti, Jacques Rychner, Michel Schlup et M™ Maryse Schmidt-Surdez; à la Bibliothèque des Pasteurs: M. René Péter-Contesse; à la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université: MM. Pierre Centlivres et Philippe Henry; à l'Institut de botanique de l'Université: MM. Michel Aragno et Martin Krähenbühl; à l'Institut de géologie de l'Uni- versité: MM. Yves Persoz et Jean-Paul Schär; au Musée d'art et d'histoire: M. Jean-Pierre Jelmini, M™ Caroline Junier Clerc et Denise de Rougemont; au Musée d'ethnographie: MM. François Borei, Jean Gabus t et Jacques Hainard; à l'Institut d'ethnologie: M™ Raymonde Wicky et M. Philippe Vaucher; au Muséum d'histoire naturelle: MM. Christophe Dufour et Jean-Paul Haenni; au Séminaire de français moderne de l'Université: M. André Bandclier. Nous avons aussi une particulière dette de reconnaissance envers les collègues et spécialistes plus éloignés à la compétence desquels nous avons eu recours. Au Museum der Kulturen, Bale: MM. Christian Kaufmann et Urs Ramseyer; au Museum für Naturkunde der Humboldt-Universität, Historische Bild- u. Schriftgutsammlungen, Berlin: W Hannelore Landsberg; au Museum für Völkerkunde, Berlin-Dahlem: M. Markus Schindlbeck; au Bemisches Histo- risches Museum, Berne: M™ Heidi Hofstetter, MM. Ernst Johannes Kläy et Thomas Psota; à la Biblio- thèque nationale, Berne: M. Régis de Courten; au Herzog Anton Ulrich-Museum, Braunschweig: M. Rudolf-Alexander Schütte; au Städtisches Museum, Braunschweig: M™ Evelin Haase; aux Archives cantonales vaudoises, Chavannes-près-Renens: MM. Christian Gìlliéron et Pierre-Yves Favez; au Miiseu Antropològico da Universidade, Coimbra: M. Manuel Laranjeira Rodrigues de Areia; au Staatliches Museum für Mineralogie und Geologie, Dresde: M. Gerhard Mathé; aux National Galleries of Scotland, Edimbourg: M"1" Anne Buddie; au University Alaska Museum, Fairbanks: M™ Molly Lee; à la Johann Wolfgang Goethe-Universität, Francfort: M. Christian F. Feest; à la Bergakademie, Freiberg: MM. Arndt Lehmann et Peter Schmidt; au Musée d'ethnographie, Genève: MM. Louis Necker et Daniel Schocpf; au Muséum d'Histoire naturelle, Genève: MM- Yves Firmet, Pascal Moeschler et M™ Claude Olive; à l'Institut und Sammlung für Völkerkunde der Georg-August-Universität, GÖttingen: M. Gundolf Krüger, M™ Anke Meiner, MM. Erhard Schlesier et Dietrich Wolff; aux Franckesche Stiftungen, Halle an der Saale: M. Thomas Müller-Bahlke; au Völkerkundemuseum, Hermhut: M. Stephan Augustin; au Musée cantonal d'Archéologie et d'Histoire, Lausanne: M. Gilbert Kaenel; au Museum für Völkerkunde, Leipzig: MM. Peter Göbel et Lothar Stein; au Museum of Mankind, Londres: M"™ Anne Alexander, Jill Hasell, Dorota Czarkowska Starzecka et M. Philip Taylor; au Musée des Ursulines, Macon: M™ Marie Lapalus; au Museo de America, Madrid: M™ Araceli Sanchez Garrido; au Centre de Sciences humaines, New Delhi: M. Jean-Marie Lafont; à la Sainsbury Research Unit for the Arts of Africa, Oceania & the Americas, Norwich: M. Steven Hooper; au Deutsches Leder- und Schuhmuseum, Offenbach am Main: M™ Renate Wente-Lukas; à l'ORSTOM, Orleans: M. Pierre Grenand; à la Carleton 14 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE University, Ottawa: M™ Ruth Phillips; au Musée canadien des civilisations, Hull: M™ Judith L Hall; à l'University Museum, Oxford: M™ Stella M. Brecknell; à la Bibliothèque nationale, Paris: M™ Catherine AHix et M. "Francis Peyraube; au Musée des Arts Africains et Océaniens, Paris: M'™ Sylviane Jacquemin t; au Musée Dapper, Paris: M™ Christiane Falgayrettes Lcveau et M. Michel Leveau; au Musée de l'Homme, Paris: M™ Marie-Claire Bataille Benguigui; au Muséum National d'Histoire Naturelle. Paris: MM. Claude Dupuîs et Franz Jullien, M™ Françoise Serre; à l'ORSTOM, Paris: M™ Anne Lavondès; à la Maison des Sciences de l'homme, Paris: M. Gérard Collomb; au University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, Philadelphia: M™ Adria H. Katz; au Musée de Cliarlevoix, Pointe-au-Pic: M™ Nicole Desjardins; au Musée des Suisses de l'étranger, Pregny/Genève: M. Jean-René Bory; au Musée du Papier Peint, Rixheim: M. Berbard Jaque; à l'Institut d'anthropologie et d'ethnologie, Saint-Pétersbourg: M™3 Nina Klimova et Elena S. Soboleva; aux Fine Arts Museums, M.H. de Young Memorial Museum, San Francisco: M™ Mary Haas; à la Bibliothèque centrale, Soleure: M. Peter Probst; au Folkens Museum Euiografiska, Stockholm: MM. Per Kâks et Björn Ranung; au Musée zoologique, Strasbourg: M™ Elisabeth Lang; à l'Université des Sciences Humaines, Strasbourg: M. Eric Navet; au Musée Royal de l'Afrique centrale, Tervuren: M. Roger Decliamps t; au Muzeum Azji i Pacyfiku, Varsovie: M. Andrzej Wawrzyniak; au Museum für Völkerkunde, Vienne: M™ Gabriele Weiss; à la Smîtlisonian Institution, Washington: M™ Adrienne L. Kaeppler; au .Staatliche Schlösser und Gärten, Wörlitz, Oranienbaum und Luisium: MM. Ingo Pfeiffer et Uwe Quilitzsch; à la Société du Musée et Vieil Yverdon, Yverdon-les-Bains: M"™ Denise Cornamusaz et France Terrier; au Musée national suisse, Zurich: M™ Chantal de Schoulepnikoff; au Museum Rietberg, Zurich: MM. Lorenz Hornberger, Albert Lutz et Hugo Weihe Notre gratitude va enfin aux particuliers dont l'apport a été précieux et à ceux, trop nombreux pour que nous les mentionnions tous, qui, d'une manière ou d'une autre, ont facilité et soutenu notre recherche. M. Denis Apothéloz, Neuchâtel; M. Jean-Gabriel Badoud, Neuchâtel; M. Ezio Bassani, Varese; M. René Berger, Québec; M™ Christine Bezzola-de Meuron, Neuchâtel; M. Henri Bonnet, La Chaux-de- Fonds; M™ Marience Bourquin-Simanjuntak, Genève; M™ Claudette Bovet, Neuchâtel; M. Romain Brot, La Tour-de-Peilz; M. Michel Burnand, Seppey-près-VulUens; M. Denis Chevallay, Punta Arenas; M. Alberto Costa Romero de Tejada, Barcelone; M. Georges de Coulon, Eclépens; M. Yvon Csonka, Neuchâtel; M. André Desvallées, Paris; M* Sylvie Doriot, Lens; M. Frédéric S. Eigeldînger, Saint- Biaise; M. Jean-Jacques Eigeldînger, Genève; M. Jean-Jacques Fïechter, Préverenges; M. Biaise Fontannaz, Lonay; M. Mustafa Gauteaub, Neuchâtel; M™ Claire Gérentet, Lyon; M™ Christiane Hausheer, Neuchâtel; M™ Beatrix Heintze, Francfort-sur-le-Main; M™ Catherine Hudclot-Bodin, Paris; M. Marcel Jacquat, La Chaux-de-Fonds; M. Jean Jamin, Paris; M. Martin Kerner, Kirchdorf; M™ Sundarapathmawathy Kunanayakam et M. Anthony Kunanayakam, Genève; M. Gabriel Ladaîquc, Villers-lès-Nancy; M. André Lagneau, Neuchâtel; M™ Félicitas Maeder, Bâle; M. Gaspar de Marval, Lausanne; M. Patrick Mauriès, Paris; M. Etienne de Meuron t, Pully; M. Guy de Meuron t, Bâle; M™ Marceline et M. Gerald de Montmollin, Auvemier; M™ Isabel Moutinho, Carlton; M™ Cecilia Oesch-Serra, Neuchâtel; M™ Catherine Orlîac, Le Raincy; M. Henry Petitjean Roget, Petit-Bourg (Guadeloupe) ; M. Edouard Pommier, Paris; M™ Fenneke Reysoo, Nimègue; M. Yann Richter, Neuchâtel; M™ Agnès Rotschi, Paris; M. Nasser Sadeghi, Worb; M. Jaques Sandoz, Neuchâtel; M. Daniel Schulthess, Neuchâtel; M. René Sigrist, Genève; M. Christian Stenersen, Gex; M. Charles-Emile Thiébaud t, Neuchâtel; M. Pierre Vacheron, Neucliâtel; M. Christian Wolfrath, Neuchâtel; M. Jean-Pierre Zellweger, Fribourg; M. Rodolphe Zellweger î, Neuchâtel; M. Zhang Zhihong, Berne. PREMIÈRE PARTIE I LE MÛRIER ET L'ÉPÉE JLj existence de CDM1 débute en même temps que la mise'au point par Jacques de Vaucanson (1709-1782) de son canard automate et s'achève à la veille de la sup- pression par l'Angleterre de la traite négrière. Dans l'intervalle, Jeanne Baré est la première femme à accomplir, inofficiellement, Ie tour du monde à bord de L'Etoile, de 1766 à 1768. Pour fortuits et arbitraires que paraissent ces repères, assurément insuffisants, ils n'en correspondent pas moins à quelques changements essentiels dans un siècle qui en compte beaucoup. Sur le plan industriel s'opèrent les débuts de la mécanisa- tion dont le contrecoup social devrait être la fin de l'exploitation humaine, sur Ie plan politique l'absolutisme s'effondre devant l'épanouissement cahotique de la liberté prônée par les Lumières. L'Encyclopédie a pu imaginer avoir fait à propos du savoir ce que Cook parachève quant à Ia reconnaissance définitive du globe terrestre2. A la quête des épices qui exacerbe le commerce et suscite de nombreux affrontements guerriers, succède la fascination du «bon sauvage». Inoculation, réverbères, pomme de terre, lithographie sont alors autant de petites révolutions techniques parmi d'autres. CDM naît le 6 mai 1738 à Saint-Sulpice dans la Principauté de Neuchâtel sous le règne du roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier. Il est l'aîné des trois fils de Théodore de Meuron (1707-1765), chamoiseur, marchand et capitaine de Ia milice du Val-de-Travers, et d'Elisabeth Dubois, avec laquelle celui-ci s'est marié en 1728. Ses deux autres frères sont Théodore Abram (1741-1831), marchand et capitaine de grenadiers, et Pierre Frédéric (1746-1813), futur brigadier général. Ils sont encadrés de deux sœurs, Marianne (1730-1808), future femme de Jean Pierre DuPasquier, et Charlotte Elisabeth (1748-1816), future femme de Benoît Sergeans. Destiné au commerce, CDM fera une carrière militaire, sans oublier jamais sa formation première. Après avoir été instruit par le pasteur Daniel de Meuron, il est placé en apprentissage à La Brévine puis à Liestal, enfin à Strasbourg. Il y renonce à 17 ans et demi à peine, s'enrôlant comme simple soldat en 1755 au service de France, dans le régiment suisse de Hallwyl, incorporé à la Marine. Il y est accepté comme enseigne en 1756 et nommé sous-lieutenant l'année suivante. 1 DHBS 1928: IV: 735; Jeanneret et BONHOTE 1863: II: 84-8; Kaehr 1996b; MEURON et Centltvres 1965: 29-31; mémoire de CDM briguant le grade de maréchal de camp daté de «Paris le 12.e Août 1790» (F-A.41). En fait les grands voyages amènent un débordement de découvertes, révélant l'extraordinaire complexité de la nature que les grilles mises en place peinent à absorber (Moureau 1990b: 10). 18 LE MÛRIER ET L "ÉPÉE Fin 1757, CDM s'embarque sur Le Florissant avec son détachement et participe à Ia campagne contre les Anglais aux Antilles. Lors des combats, il fait preuve de courage et est blessé trois fois, ce qui lui vaut une pension d'invalide que lui accorde Louis XV en 1760, augmentée plusieurs fois par la suite. Après la conclu- sion du Traité de Paris qui met fin à la guerre de Sept Ans (1756-1763), le régiment est réformé et CDM retrouve provisoirement ses premières activités. Poursuivant l'entreprise de son père, il s'est mis à collectionner des produits de la nature et de l'art dont certains viendront enrichir le Cabinet de Saint-Sulpice. Dans l'intervalle, CDM a épousé Anne-Marie Filhon de Morveaux (1733-1809); l'union, célébrée le 3 décembre 1762, restera sans enfants et se soldera par un divorce prononcé quarante ans plus tard. En 1763, la branche de sa famille est anoblie par le roi de Prusse Frédéric II. La variante des armes parlantes qu'il se choisira comprend un arbre3 et une arme. En 1765, CDM se fait incorporer dans le régiment des gardes suisses où il reste seize ans. Vie de garnison, parades: les règlements, tels qu'ils sont consignés dans son Livre d'Ordres (P - dos.68.II), ont une importance prépondérante. Frisé, poudré, habile courtisan, le fringant officier fréquente la société aristocratique parisienne et s'y fait remarquer; il ne doit pas ignorer les débats d'idées que suscite Y Encyclopédie ni manquer les expériences de «science amusante» auxquelles se réduit pour l'heure 1'electrica lé. II restera marqué par ces contacts et, sans prétendre au savant, gardera le souci de Ia recherche scientifique, quoique plus intéressé par ses applications pratiques. Pour un homme entreprenant tel que lui, son état aux gardes suisses est peut-être insatisfaisant, d'où sa participation, entre 1775 et 1780, à la Compagnie d'Appróua- gue qui se propose une colonisation de la Guyane. Mais le projet n'aboutit pas, comme échouera en 1793 sa tentative d'engager le roi de Prusse Frédéric- Guillaume II à fonder une colonie dans l'archipel des Bissagos. Malgré plusieurs promotions - il obtient le grade de capitaine en 1768 et celui de colonel en 1778 -, en tant que prolestant, l'ambition de CDM se trouve bloquée et les décorations se bornent à la croix du Mérite militaire reçue en 1773. Il démissionne en 1781. Les protections dont il jouit - celle particulièrement du duc de Choiseul avec l'agrément du roi Louis XVI - lui permettent alors de lever en 1781 sous l'égide de la France un régiment pour le compte de la Compagnie hollandaise des Indes orien- tales (VOC4), régiment dont il est colonel propriétaire et commandant. Il le conduit en 1783 au «Cap de Bonne-Espérance» où recommencent garnison et mondanités, non sans conflits divers ni difficultés, notamment en ce qui concerne le respect par les Hollandais de leurs engagements. Il en profite pour augmenter ses collections - qu'il développera par Ia suite grâce à des naturalistes nommés comme médecins dans ses troupes - et, de nouveau, surgit l'intérêt marchand. Outre que la possession d'un régiment pouvait être source Eii français régional, Ic meuron (piûron ou mûre) est lé fruit du marier (Thibault 1997: 509-10), nom donné abusivement à la ronce, alors que c'est bien un arbre qui figure comme signe héraldique. Vereenigde [Neederiandîsche Geotroyeerde] Oost-Indische Compagnie. / - LE MÛRIER ET l'ÉPÉE 19 d'appréciables bénéfices, le commerce de vin et d'autres denrées ou produits ne perd pas ses droits. ,-;«.'¦. * -r * Laissant le commandement du régiment à son frère Pierre Frédéric, CDM rentre en 1786 en Europe pour tenter de résoudre ses problèmes - la question du paiement des arriérés qui lui sont dus et les accusations dont il fait l'objet - avec son employeur, la Chambre de Zelande pour être précis, mais les démarches traînent, malgré les recommandations prussiennes. Après un séjour à Paris puis à Saint- Sulpice, CDM s'était en effet rendu à Berlin et avait obtenu l'appui de Frédéric- Guillaume II qui lui avait accordé au surplus le titre honorifique de chambellan en octobre 1789. D'autres déplacements ne se révèlent pas plus fructueux. Comme Ia Révolution a provoqué une dégradation de la situation, CDM cherche à se rapprocher de la puissance anglaise. En 1795, les Provinces-Unies étant envahies, le Stadhouder, Guillaume V, prince d'Orange et de Nassau, s'étant réfugié à la cour d'Angleterre et la Compagnie hollandaise ayant pratiquement cessé d'exister, CDM se résout - ce qui ne surprend personne - à mettre son régiment à Ia solde de Sa Majesté britannique, le roi George III. Il contribue ainsi à l'hégé- monie coloniale anglaise aux dépens de la France. Une capitulation provisoire est signée le 30 mars 1795 à Neuchâtel par l'intermédiaire de Hugh Cleghorn avec lequel CDM va devoir s'embarquer aussitôt. .CDM est obligé de se rendre en Inde pour avaliser le transfert de ses troupes qui avaient été transportées du Cap à Ceylan et dont certains corps avaient passé sur le continent. Il continue de céder à sa passion de collectionneur, bien qu'ayant offert son Cabinet - qu'il complétera par la suite - à la Ville de Neuchâtel. Il ne revient en Europe qu'en 1797 avec Ie grade de major général et séjourne près de deux ans à Londres. . Au terme d'un voyage à Berlin, où il est décoré en 1800 de l'Ordre de l'Aigle rouge par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, CDM1 toujours propriétaire du régiment, se retire alors à Neuchâtel et est fait lieutenant général par les Anglais. Des concitoyens avaient formé le projet de lui faire acheter l'hôtel DuPeyrou mais c'est finalement la Grande Ruchette qu'il acquiert en 1800, transformera à grands frais et fera décorer à sa gloire mais sans pouvoir en jouir longtemps car il meurt de suites opératoires le A avril 1806, jour de Pâques. Durant ses presque 68 ans d'existence, le monde s'est considérablement trans- formé tandis que ses choix idéologiques ont peu varié. Tout entiché de manières de gentilhomme qu'il fût, marqué parla tradition protestante, dévoué à sa famille, CDM n'en a pas moins défendu des valeurs très bourgeoises; traditionnaliste jusqu'au bout, il s'est même montré violemment anti-rousseauiste et contre-révolutionnaire. Le régiment, qui avait gagné le sous-continent indien, se distingua à la prise de Seringapatam en 1799. En 1806, il tint garnison à Malte en Méditerrannée. Embarqué pour le Canada en 1813, il y prit part l'année suivante à la bataille de Plattsbourg et fut finalement licencié en 1816 - certains officiers et leurs hommes participèrent en 1816-1817 à l'expédition de Lord Selkirk à Ia rivière Rouge -, ayant passé 15 ans au service de la Hollande et 20 à celui de l'Angleterre, seul corps de troupes suisse à avoir servi deux puissances et sur quatre continents. II LA RAISON SUFFISANTE, LES EFFETS ET LES CAUSES ö I le Cabinet d'histoire naturelle de CDM mérite une attention particulière, puisqu'il est à l'origine de trois musées actuels de Neuchâtel, ceux d'histoire naturelle, d'ethnographie et d'histoire (sans parler des collections minéralogiques, botaniques et même archéologiques)1, il n'est pas le premier à avoir alimenté un fonds public neuchâtelois. Au début du XVIir siècle, quelques objets sont remis à la collectivité neuchâ- teloise, sans qu'il soit encore question de musée. Comme à Genève2 à la même époque, une institution toutefois en tenait lieu dans une certaine mesure: «la bibliothèque de la Compagnie des pasteurs, généralement désignée sous le nom de Vénérable classe». Destinée sans doute à l'origine à grouper des ouvrages de théologie, son cadre, par la force des circonstances, s'est élargi, et, peu à peu, elle accueille non seulement des livres profanes, mais aussi des objets d'art ou de curiosité. Lorsque quelque bourgeois veut assurer à sa ville natale la possession d'un objet de prix, c'est à elle qu'il en fait don. L'on voit ainsi la bibliothèque des pasteurs hériter à maintes reprises, dès 1712, de médailles précieuses. En 1736, M. de Merveilleux, capitaine de vaisseau, lui fait présent d'un calumet de paix artistemetit travaillé, d'un bonnet à la chinoise, d'une idole et de diverses autres raretés de bibliothèque. M. Magnet de Formont mourait en décembre 1741, lui laissant par testament un petit hercule de bronze estimé plus de cent louis d'or [2400 £L un buste de marbre, ses médailles antiques et les Commentaires historiques sur les vies des empereurs, en trois volumes in-f°. (Boy de la Tour 1922: 8). Le «Musée de peinture», ainsi appelé à ses débuts, a une origine différente et postérieure (Soguel 1985: 69-73). Dans le domaine des beaux-arts, les collections de CDM sont mal connues, mais attestées par le témoignage de François de Diesbach à l'occasion de ses visites des 9 septembre et 7 octobre 1801, ainsi que du 7 octobre 1803 (Pury 1917: 83; 230; 1918: 212) et confirmées par l'existence d'une rubrique spécifique dans l'Inventaire du Cabinet (voir le chapitre VD. Le détail des comptes et la cor- respondance de CDM révèlent de nombreux achats de gravures; il est le dédicataire notamment de «La Grosse Pierre sur le Glacier de Vorderaar» par Hentzi, situable entre 1789 et 1795, fit exécuter divers portraits et engagea un peintre aux Indes du 15 décembre 1795 au 26 avril 1796 (P - dos.30). Tout semble être resté dans la famille. Il y a lieu de préciser que le «Musée ethnographique» n'acquiert une existence réellement indépendante que grâce au legs de James-Ferdinand de Pury, dans la villa duquel il est inauguré Ie 14 juillet 1904 (KNAPP 1904). 2 Michaelis (1985: 79-82). 22 /Ji MÛRIER ET L'ÉPËE La Biographie neuchâieloise apporte des précisions sur le don de Charles Frédéric de Merveilleux (1686-1749), officier au service de France: A son retour de l'Amérique, il envoya à Ncuchâtcl pour la bibliothèque de la Classe des pasteurs, diverses curiosités qui furent trouvées assez remarquables pour être mentionnées dans le Mercure suisse. «Elles consistent, dit ce journal, en un grand calumet de paix; un bonnet de guerre de peau, orné de plumes et de houppes de poil teint en rouge, venant de la nation des Akansas, à deux cents lieues de la Nouvel le-Orléans, sur le fleuve du Mississipi ou de St-Louis; un hausse-col d'écaillés de tortue, à l'usage des Indiens, qui ont voulu imiter ceux de nos officiers d'Europe; il vient d'un chef caraïbe de la Dominique, sous le vent de la Martinique; une portion de Ia queue d'un serpent à sonnettes; une masse de cire verdâtre, tirée du fniit d'un arbre de Mississipi; une petite figure d'un animal nommé agouti, faite par des indiens du Mexique, de cette pâte d'argent que Freizer appellepignes. Ü avait aussi envoyé, il y a environ un an, le crâne entier d'une vache marine, où l'on voit les deux grosses dents, sortant de la mâchoire supérieure, qui ressemblent à l'ivoire.» (Jeanneret et BonhÔte 1863: II: 68). La citation du Mercure, infidèlement rapportée, qu'il faut dénicher à la fin d'une «Lettre sur l'ofice de Bibliotècaire» du numéro de juillet 17363, continue par: Mr. [Jean Georges] Bosset |I688-1722] de la Rackette, avoit donné un an auparavant à la même Biblioléque une Peinture Clùnoise, Sur une espéce d'étofe de Soie, colée Sur un long Rouleau de très beau Papier, où il y a plusieurs lignes de Caractères Monogrames à l'usage de cette Nation. (1736: 82-3).4 Jean Frédéric Magnet de Formont (1703/04-1741), fils du pasteur David Magnet, huguenot réfugié à Zurich, «outre une riche bibliothèque, avait réuni une belle série d'objets d'art de tout genre. Vendue à l'encan en 1742, elle produisait 45,000 livres, somme considérable pour l'époque.» (BOY DE LA TOUR 1922: 5). Le sentiment de l'obligation de rendre, contrepartie de l'affirmation par le protestantisme que l'homme est sur terre pour se livrer à des œuvres terrestres et que le succès de ses entreprises esl le signe de Ia grâce divine5 a pu susciter ces gestes généreux. Mais les abandons de biens de ces particuliers au public, pour se faire «pardonner leur aisance, étaient aussi une façon de s'assurer une relative survie à travers la pérennité d'un ensemble réuni au prix de bien des efforts, une «éternité pour leur peine» en quelque sorte. Encore s'agissait-il de dons relativement peu importants quant au nombre de pièces6. Elle est due à la plume de Louis Bourguet (1678-1742) (Godet 1942). Elle a de fortes chances d'exister toujours à la BPUN parmi les quelques rouleaux qu'elle abrite (visite du 28 mai 1997), dont ceux reçus en février 1839 «de la vénérable classe des Pasteurs»: «Trois rouleaux contenant une relation en tableaux coloriés des colonisations en chine, avec un texte Chinois» (B), ce que confirme, page 36, le Registre des dons (E) . «Que ceux qui "gagnent tout ce qu'ils peuvent et épargnent tout ce qu'ils peuvent donnent" aussi "tout ce qu'ils peuvent", afin de se fortifier dans la grâce et d'amasser un trésor au ciel» (Weber 1967: 216, citant John Wesley). Nous avons relevé tous les dons autres que ceux d'ouvrages et d'argent qui figurent dans l'épais manuscrit in-folio de la Bibliothèque des Pasteurs (N0 31769) (A), Remis par la suite au Musée, avant II - LA RAISON SUFFISANTE, LES EFFETS ET LES CAUSES 23 D'autres collections privées existèrent au XVIIIe siècle dans la région7 - et non des moindres - comme celles du pasteur, savant géologue et botaniste Elie Bertrand (1713-1797) à Yverdon8, celle du médecin et naturaliste Abraham Gagnebin (1707-1800)9 et de son frère Daniel (1709-1781) à La Ferrière, celle du maire du Locle Henri Sandoz (16977-1775)10, celle de Théodore de Meuron'1 à Saint-Sulpice ou peut-être celle de François Louis de Marval (1744-1804)12. Il semble découler de cette enumeration fort incomplète que les collectionneurs ne sont alors pas encore très nombreux et qu'ils se recrutent principalement dans une couche favorisée de la population. Des témoignages plus précis font défaut et les exemples donnés sont sujets à caution: il se pourrait que des intéressés ne ressor- tissant pas à cette élite sociale aient également rassemblé des ensembles dont la trace n'a pas été conservée, certains éléments ne surgissant que plus tard au gré des héritages et des dispersions. Quoi qu'il en soit, à l'exception du cabinet d'Elie Bertrand légué à sa mort et intégré dans l'embryon de musée visible dès 1763 à Yverdon (Kaehr 1984: 351-3), les collections connues ont disparu sans guère laisser de traces. En cette fin du XVIIIe siècle «de véritable grandeur» (SCHEURER 1993: 14) particulièrement favorable à la fondation et au développement d'institutions cultu- Ie 22 février 1839 (B) - et non en 1840 comme l'indique Alfred Godet: «La même année, la Vénérable Classe dépose au musée son médaillier, composé de 148 numéros.» (1898:152) - puis en 1860 (Aubert 1919: VII), et affectés aux différentes collections. Le X* chapitre de La Conchyliologie, «Des plus fameux Cabinets d'Histoire Naturelle qui sont en Europe.» qui en liste plus de cinq cents, ênumère celui d'Elie Bertrand, les deux de Bourguet, dispersés, celui de «M, Haedleri, Docteur en Médecine à Neufchâtel», celui des Gagnebin, celui de «M. de Sandos, Conseiller d'Etat & Président en la Châtellenie de Thiele» (DEMAILLER 1780: I: 403-4). Le catalogue sommaire de son cabinet, en latin avec traduction française, Elue Bertrandi [...] Museum, dont un exemplaire se trouve à la Bibliothèque Nationale à Paris (Sz 817), tient en 16 pages de petit format in-8° (10 x 17,5 cm) et ne répertorie que des objets d'histoire naturelle répartis en trois catégories: «Les Fossiles», «Pétrifications» et «Corps Marins» (Halleh 1981 (1785-1788): I: 339, n° 1085). Cette liste avait déjà paru en 1766 à Avignon dans un Recueil sur divers traités sur l'histoire naturelle Ìn-4° aux pages 497-508. Collectionneur acharné, il vendit sa première collection et en reconstitua une seconde, celle qu'il légua à Yverdon (voir aussi, avec quelques réserves, WtLSON 1994: 121; 160). Il ne faut pas le confondre avec son frère Jean (1708-1777) ni avec son neveu Jean Elie (1737-1779). «L'ainé». Voir JACQlMT (1983) et SCHLUP (1986b), ainsi que le catalogue imprimé de la collection (Gagnebin [1765]) signalé par Haller (1981 (1785-1788): I: 340, n° 1089). Il pourrait s'agir de Henry Sandoz, petit-fils de Jouas (1626-1690), fondateur des Moulins du CoI- des-Roches (lettre de M. Jaques Sandoz du 13 juillet 2000). Trois personnes ont porté le même prénom: le grand-père de CDM (1681-1775), son père (1707- 1765) et son frère puîné, Théodore Abram (1741-1831). Il s'agit vraisemblablement du père de CDM; mais qui accueillit John Strange en automne 1772, à propos duquel De Beer (1951: 100) écrit: «At St Sulpice Strange's landlord was M. Théodore Meuron, of whose collection of fossil shells Strange did not think very much.»? 12 Voir le chapitre IV. 24 LE MÛRIER ET L 'Ei3EE relies ouvertes à un public certes encore restreint, mais non plus limité à un cercle fermé de privilégiés13, ce qui signifie un passage de l'intérêt individuel au collectif (Balle 1996), la donation de CDM prend ainsi a posteriori un éclat spécial, puisqu'une partie importante de sa collection1'1 subsiste aujourd'hui, encore iden- tifiable. Cet ensemble reste néanmoins sans commune mesure avec ses homologues étrangers. La passion de collectionner remonte fort loin dans l'histoire de l'homme: des réunions d'objets et d'artefacts anachroniques, inexplicables autrement, ont été découvertes dans la région par les préhistoriens (Deuchler 1983: 8-9: EGLOFF 1982: 185-9). Elle ne peut être séparée de ses débordements dont donnent exemple Jean Henri de Sandoz-Rollin15 ou Abraham Gagnebùi, qui avait abandonné sa mai- son pour se réfugier à l'auberge voisine16. Après la tendance universaliste des premiers cabinets, qui reste sous-jacente, les sujets sur lesquels cette passion peut porter ont varié en fonction non seulement des idiosyncrasies, mais encore des modes, pour ne pas parler d'idéologies17. Des collections de «naturalia» s'étaient constituées en de nombreux pays au XVIe siècle avec l'illusion de pouvoir dominer la diversité du réel en un espace restreint. «Posséder un monde qui se révélait soudain dans une infinie variété, qui ouvrait sans cesse sur de nouveaux inconnus; posséder cette frange même d'irré- gularité, d'immaîtrisable; posséder ce qui ne pouvait tenir dans les livres, rentrer dans l'ordre du connu, tel était le ressort des collectionneurs de curiosités. Si les "scientifiques" tendaient par leurs différents inventaires, à épuiser la multiplicité des choses, à finir une perspective, les collectionneurs tenaient plutôt à la jouissance du La Kunstkammer de Pierre le Grand accueille ses premiers visiteurs en 1714 (MUSÉE D 'ANTHROPO- logie ET D'ETHNOGRAPHIE 1989: 6). Son souhait était que les gens voient et apprennent; l'entrée était libre et chacun recevait une collation et un petit verre de vodka (Kammerer-Grothaus 1992: 6, 8). A Paris, le cabinet de Joseph Bonnier de la Mosson (1702-1744) était libéralement ouvert à un public nombreux de simples curieux (Bourdier 1959). De même, la musique commençait timidement à se démocratiser (Guédé 1999: 112-3). «Si, au pays de Neuchâtel, diverses collections particulières constituées par des naturalistes éclairés existaient déjà au XVIIIe siècle, celle de Charles-Daniel de Meuron était sans contredit l'une des plus riches et des plus variées.» (Meuron 1982: 291). Le conseiller d'Etat Jean Henri de Sandoz (1698-1753) «se procurait journellement une infinité de curiosités rares et précieuses» - et jusqu'à une indulgence! - pour augmenter «son cabinet de raretés» (Jelmini 1982: 303). Cette manie est à distinguer du fétichisme collectionneur d'un chevalier de Saint-George (1739- 1799) ou d'un prince de Conti (GuÉDÉ 1999: 129, note). Aux dires de Sinner (1781: I: 209-10) qui, tout en déclarant que le cabinet d'Abraham Gagnebin «môriteroit d'être mieux connu», ne ménage pas les critiques; plus tard, M™ de Gauthier (1790: II; 317) abonde dans le même sens, bien qu'elle ne l'ait peut-être pas visité et se borne à démarquer Sinner. Gagnebin en inflige pourtant parfois la visite à ses hôtes, fût-ce contre leur gré, «avec une opiniâtreté incroyable» (DESJOBert 1910: 114). 17 Entre autres, Bazin ([1967]); Lugli (1986); Pomian (1987); Schnapper (1988). U - LA RAISON SUFHSANTE, LES EFFETS ET LES CAUSES 25 singulier, à l'accumulation de raretés, à l'infinie prolifération des merveilles; ils recherchaient Pasyndète;>la-juxtaposition, le sertissage, la mise en relief de l'unique.» (MAURES 1994: 18-9). Bien que présents dans des cabinets européens dès le XVe siècle18 et attestés en Suisse dès le siècle suivant19, les objets «ethnographiques», réduits souvent à un rôle de mémorial, restèrent accidentels et l'intérêt pour les productions exotiques, vif mais marginal, tendit à régresser. Au demeurant, jusqu'à la fin du XIXe siècle, il n'était guère question d'acquérir de telles étrangelés de manière onéreuse. Au XVIIIe siècle, le goût dominant passe insensiblement des antiques, puis de la physique expérimentale, à celui de l'histoire naturelle20 qui s'imposera avec une force sans pareille et aura une durable emprise. Au témoignage de l'Encyclopédie d'Yverdon à l'article «Curiosité» (1772: XII: 580), ce tournant peut se situer dans les années 1760. Le marquis de Langle, dans son Tableau pittoresque de la Suisse, avancera même que «Ce goût de l'Histoire Naturelle, si généralement répandu dans toute l'Europe, est la passion favorite des Suisses» (FLEURIOT 1790: 87). En raison de cette prépondérance, le statut des objets d'histoire naturelle et des objets d'ethnographie était inégal21, ceux-ci n'étant souvent que des souvenirs pour les voyageurs qui les avaient recueillis: «In the 18lh century the importance of the "natural curiosities" collected on the voyages was immediately recognized.». «Ethno- graphic specimens at this time were for the most part unimportant appendages to the great collections of specimens of natural history [...] Often these were only curious mementos of their voyages» (KAEPPLER 1978a: 1 et 37). Dans la note x de son Discours sur l'origine et les fondemens de l'inégalité parmi les hommes que rappelait Claude Lévi-Strauss (1963: 10), Jean Jacques Rousseau (1964: 213) regrettait que nombre de voyageurs fussent plus préoccupés des pierres et des plantes que des hommes et des mœurs. Mais l'histoire naturelle n'est-elle pas le commun dénominateur de tout ce que l'homme peut observer et, partant, collectionner? «Tout le monde sait que ce mot, pris dans toute son étendue, exprime la connoissance & la description de ce qui compose l'Univers entier. L'histoire des cieux, des météores, de l'atmosphère, de la terre, de tous les phénomènes qui se passent dans Ie monde, & celle de l'homme même, appartiennent au domaine de l'Histoire naturelle.», déclare Valmonl de 8 Par exemple Bassani (1986; 1988); Impey et MacGregor (1986); Jones (1994); Laude (1968: I: 541-4). 19 Collections ethnographiques en Suisse / et // (1979; 1984); Deuchler (1983: 12-5). En dépit du teime, qui précède celui de «sciences naturelles», il s'agissait de description de la nature, statique, sans composante historique: «La nature n'avait pas d'histoire, mais une physionomie.» (Bredekamp 1996: 11) Cette disparité de traitement apparaît dans Ie prix des articles mis en vente, par exemple sur Ia liste publiée par Georg Forster (1985) dans le calendrier portatif de Göttingen pour l'année 1782 où ceux d'histoire naturelle sont proportionnellement plus chers que ceux d'ethnographie, à l'exception d'un costume de deuil tahitien. La cote commerciale des objets océaniens n'a toujours pas changé lors de la vente par James Parkinson des collections du Leverian Museum en 1806 (O'Reilly 1966: 17). 26 LE MÛRIER ET L'ÊPÉE Bomare dans son Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle (1791: VI: 616-7) que CDM possédait dans sa bibliothèque. «Les Arts» même y ressortissent, qui «sont ou la Nature copiée, ou employée aux besoins & aux plaisirs de la société.» (1791: VI: 620). A défaut de musée dont Valmont de Bomare se fait, après d'autres, Ie propa- gandiste, les cabinets des amateurs constituent en quelque sorte un «abrégé de Ia Nature entière» (1791: VI: 638)22. S'il existe un ordre, divin, naturel ou humain, une «méthode» va permettre d'organiser l'immensité et le chaos de la nature; d'en comprendre les mécanismes, de la soumettre au profit de la société, toute la création étant considérée au service de l'homme. L'époque est aux synthèses, aux vastes compilations raisonnées, ainsi que le révèle Ie titre de multiples ouvrages: c'est donc à des buts scientifiques et à l'instruction que doivent concourir ces cabinets qui offrent quantité de témoins difficilement accessibles, «utile collection, où la Nature étale ses productions, où l'art qui les a rassemblées les rapproche & les distingue, devient un livre élémentaire, toujours ouvert pour l'Observateun> (1791: VI: 617-8), d'où leur multiplication. Ils répondent au besoin d'extérioriser des connaissances universelles. Si les cabinets sont aussi propres à instruire qu'à amuser, il faut néanmoins sacrifier l'agrément à l'utilité, estimait Elie Bertrand (1763: xij, xiv). Plus qu'aucun autre, ce siècle s'ouvrant sur le monde a cru en la transparence de l'Univers (MOUREAU 1990a: 138, 99). La conséquence est l'exigence, partout et toujours répétée, d'un ordre méthodique23 sans lequel un cabinet d'histoire naturelle n'est rien, comme le répète à l'envi le discours préliminaire du Dictionnaire universel des fossiles propres et des fossiles accidentels d'Elie Bertrand (1763: xxij) ou l'article «Cabinet d'Histoire naturelle» de l'Encyclopédie d'Yverdon (1771: VI: 627), même s'il y a des limites et des entorses nécessaires à une présentation rigoureuse24. L'accumulation anarchique et envahissante - ressentie comme anormale dans Ie Sur le frontispice du cabinet du Roi de l'anticipation de Mercier «étoit écrit Abrégé de l'Univers» (1774: 238). Cette exigence est posée notamment dans La Conchyliologie de Dezallier d'Argenville (1780:187) et l'appréciation de cette qualité revient fréquemment dans les commentaires de visiteurs de cabinets, par exemple Andrea? (1776: 278) vantant de confiance celui des frères Sandoz (?): «wegen ihrer ausserordentlichen Sauberkeit» ou Strange (De Beer 1951:103) écrivant à propos de celui de M. [Henri] Sandoz des Roches: «His Cabinet is in very neat orden>. Le marquis de Langte insistera: «un Cabinet d'Histoire Naturelle peut être comparé à une Bibliothèque» (Fleuriot 1790: 90). «On est donc obligé, afin d'éviter Ia confusion, d'employer un peu d'art pour faire de la Symmetrie ou du contraste.» (Daubcnton cité par VEncyclopédie d'Yverdon 1771: VI: 630). II - LA RAISON SUFFISANTE, LES EFFl-IS ET LES CAUSES Zl cas d'un Abraham Gagnebin - est condamnée sans appel25. Daubenton va jusqu'à parler du «dégoût qui vient Ue la confusion & du désordre» (1749: III: 4). ... Ordre - mais il peut ne correspondre qu'à une «rhapsodie du disparate» pour reprendre la formule heureuse de Patrick Mauriès (1994: 34) - et absence de «fard», étiquetage ne signifient pas sécheresse ou inélégance, car le «bon goût» doit pré- dominer, si difficile soit-il de concilier les différentes exigences, sans sacrifier pour autant à l'esthélisme: toujours «l'agrément doit être réuni à l'instruction.» (Valmont de Bomare 1791: VI: 632). L'évolution qui s'opère du XVIe au XVIH' siècle dans le domaine de la conchiliologie - sinon de la conchiliomanie - est exemplaire de la transformation de l'esprit des collections en général. «Emblème de Tailleurs, provenant de contrées inaccessibles, rare et ruineux, [le coquillagel occupe une place de choix dans la culture de la curiosité, telle qu'elle s'exprime dans les cabinets de raretés des XVIe et XVIIe siècles. Devenu, avec les grandes expéditions, plus commun, on se met au siècle suivant à en tapisser pièces et grottes en d'étranges marquetteries oniriques, toutes en festons et mascarons.» (MAURTÈS 1994: 1er rabat jaquette). A ce point, «le souci esthétique, Ie goût des symétries et des rappels excède largement l'intérêt scientifique: coquilles et coraux, loin d'être de rares unica, sont désormais essentiellement des motifs décoratifs.» (MAURIÈS 1994: 37). En d'autres termes, un passage se fait de la fascination à la banalisation en passant par l'étude. Assurément, l'histoire naturelle n'est pas le seul domaine à intéresser les collectionneurs et les cabinets de peinture ne sauraient être négligés, mais le statut des, œuvres d'art est différent (Schnapper 1994). De surcroît, les amateurs de tableaux, et plus généralement les amateurs d'art, constituent une élite souvent très fortunée qui forme un monde un peu à part. Cela ne veut pas dire que des sommes considérables ne se dépensèrent pas pour des «naturalia»26. En contrechamp, d'autres perspectives s'ouvrent dans le large secteur de la «curiosité», suscitant la création de cabinets qui déplurent à certains, comme le révèle toujours Y Encyclopédie d'Yverdon, sans qu'en soit empêchée l'extension ni l'acceptation: Sinner (1781: I: 209-10) n'écrit-il pas: «On est étonné d'y voir un amas informe de curiosités étrangères aux règnes minéral & végétal, des animaux empaillés, des têtes de morts coëffées en différens costumes, & d'autres objets plus propres à amuser les enfans, ou à épouvanter des femmes enceintes, qu'à instruire les curieux. On croit être dans la demeure d'un charlatan ou d'un devin de village, ou dans le laboratoire obscur d'un alchymiste. La solitude peut enfanter ce goût bizarre peu digne d'un philosophe.» L'engouement pour les coquilles notamment entraîna une flambée des prix, des ventes aux enchères fabuleuses accompagnées de catalogues somptueux, des supercheries et artifices de brocanteurs dénoncés par Dezallicr d'Argenville (1780:1: -436; 497) et, bien évidemment, des faussaires, dont même Linné fut victime {Dance 1978: 96, ill. p. 95). 28 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE Quelques personnes blâment la mode des cabinets de curiosile: mais elles sont dans l'erreur. Le vrai bon goût ne peut se former que par la comparaison, ou par l'observation. Un jeune homme s'instruit mieux en une heure dans un cabinet d'histoire naturelle, qu'il ne pourrait le faire en dix ans de voyage, & d'observations particulières. (1772; XII: 580). Le dictionnaire portatif qu'est le Manuel du naturaliste de Duchesne (1770) consacre cette évolution en se référant au cabinet de Sainte-Geneviève. Bien que réticent, Valmont de Bomare, dans les mêmes termes, admet les objets de curiosité dans la quatrième édition de son ouvrage27: «J'ai été obligé de faire mention de plusieurs objets qui n'ont pas un rapport immédiat avec l'Histoire Naturelle. Il s'agit des médailles, des vases & morceaux antiques, des habillemens & armes des Sauvages. La curiosité est excitée par le concours & l'aspect de tous ces objets: & on nous a fait observer que tenant à l'Histoire des arts, à celle de l'Homme, à la Chronologie, &c. & faisant aujourd'hui partie des Cabinets des Curieux, nous devions en dire quelque chose; nous l'avons fait, mais très-succinctement.» (1791: I: xxxj). Il en parle dans l'article «Armes» (1791: I: 518-20) par exemple et les inclut même (1791: VI: 634, 635, 637-8) au sein du cabinet d'histoire naturelle modèle dont il donne une très longue description représentant l'essentiel de l'article «Histoire naturelle» (1791: VI: 616-639). Peu importe que les produits de l'industrie humaine soient pour longtemps28 récupérés par le biais de l'histoire naturelle avant d'acquérir une identité et un statut propres: leur émergence signifie qu'un public beaucoup plus large peut désormais prendre rang parmi les collectionneurs et elle manifeste l'amorce d'une démocratisa- tion de cette passion qui se développera au fur et à mesure de l'élargissement du champ des objets collectionnables. Dans le domaine de l'exotisme, les cabinets ne se seraient pas augmentés autant si les voyages n'avaient connu une extraordinaire expansion29. Les grandes circum- navigations provoquent le brassage des gens et des idées. Grâce à des découvertes nombreuses, les noms des dernières terres inconnues complètent peu à peu les cartes de géographie et les bibliothèques s'emplissent de multiples récits d'expéditions lointaines. Traverser les mers devient une expérience sinon banale du moins Il était beaucoup plus engagé dans la première édiu'on (1764) puisqu'il écrivait qu'un cabinet d'Histoire Naturelle se devait d'être rempli de «raquettes, de hamacs, d'habillemens ou ajustemens & plumages des Indiens, de calumets ou pipes, de carquois, d'arcs, de flèches, de casse-têtes, de boutous, bonnets de plumes, couyoux ou tabliers,pagaras ouarabés ou colliers, nécessaires Chinois, évantails de feuilles de latanier, gargoulette du Mongol, kanchoas ou fouet Polonois, canots Indiens, instrumens de musique Chinois, [etc., etc.], équipages & ustensiles des Indiens & d'autres peuples anciens et modernes» (cité d'après DrOKHE et GOSSIAUX 1985:12). Dans son Cabinet, acquis par le prince de Coudé en 1787, figurait un modèle de pirogue «fait en clous de girofles par un sauvage des îles Moluques» (Hamy 1988: 28). 28 Pratiquement jusqu'à Ia fin du XIXe siècle, les «ethnographica» arrivèrent à la suite des spécimens d'histoire naturelle exotiques et souvent dans des envois composés surtout d'animaux et de plantes. 29 «Ceux à qui le voyage est refusé peuplent au moins leur univers d'objets exotiques» (Droixhe et GOSSIAUX 1985: 12). Il - LA RAISON SUFFISANTE, LES EFFETS ET LES CAUSES 29 beaucoup plus commune. L'entreprise reste hasardeuse, périlleuse même; souvent les mois s'ajoutent aux mois selon les caprices du vent; des menaces de toutes sortes pèsent sur les vaisseaux, sans parler des dangers supplémentaires qu 'ajoute la guerre: il n'empêche que gens et marchandises traversent désormais d'un bout à l'autre la planète avec une relative régularité. Au demeurant les risques font partie du jeu - d'où les précautions prises tant dans la correspondance que dans les envois - et sont acceptés comme l'est aussi la mort30. Tant s'en faut que tout un chacun coure les océans et les déserts mais un public existe pour accueillir les relations de voyage comme pour s'intéresser aux. témoins matériels qui les accréditent31. A défaut de tenter au loin l'aventure, on part à la découverte d'un pays européen ou d'une région voisine, moins pour l'agrément que pour l'étude. Sans ce mouvement naissant de «tourisme culturel»32, comment comprendre la floraison de «descriptions» et plus encore de «voyages», parfois sous la forme de lettres plus ou moins fictives? Tels les guides modernes, ils ne manquent pas de signaler, à côté des particularités géographiques, les nombreux cabinets d'histoire naturelle qui existent ou viennent d'éclore à de multiples endroits et méritent en quelque sorte le détour33. Il est probable que la démarche des voyageurs consiste souvent en la reconnaissance du déjà-lu (MOUREAU 1990b: 7), de la même manière que les guides confirment ou critiquent les assertions des publications antérieures. Duplicata, triplicata et copies - dont l'absence peut être un motif suffisant pour différer un courrier -, précautions de conservation, emballages adéquats, voies d'expédition choisies et si possible convoyage par une personne complaisante pour les objets volumineux n'empêchaient ni les pertes ni les dégâts. Illustrant cette attitude fataliste, les quelques lignes de François Joseph Raymond à Pierre Frédéric de Meuron du 12 novembre 1783 qui lui rendaient compte de l'arrivée d'un détachement: «L'Espérance de la paix (un navire] vient d'arriver (aujourd'huy 15 9.1™) elle a eu une bien longue traversée; La troupe est Cependant bien, il n'y a eu que 7 morts.» {P - dos.56.HI), de même qu'une lettre du banquier Jean Frédéric Perregaux (1744-1808) à CDM Ie 30 avril 178[7]: «ce vaisseau s'est perdu [...] on en a rien sauvé; ainsi ne vous inquiétez pas davantage au sujet de ce paquet qui à éprouvé le sort du reste de ce qui était à bord.» (P - dos.17.III). Même un voyageur tel qu'Henri Paulin Panon Desbassayns (1732-1800), venu de La Réunion, ne manque pas de visiter les 21 mai, 3 et 9 juin 1785 le Cabinet d'histoire naturelle du Jardin du roi lors de son séjour à Paris (1990: 55-6) comme, de passage au Cap du 17 au 26 janvier 1785, il avait vu le zoo puisqu'il écrivait: «Le Cap est une fort belle colonie. Les maisons [sont] bien bâties, les rues n'y sont pas pavées, le jardin de la Compagnie est fort beau, la ménagerie est peu munie de bêtes et d'oiseaux. Cela n'est pas comme l'on m'a dit que cela était il y a quelques années.» (1990: 8). i2 Guyot (1948: 8) déclarait quant â lui: «Jusque vers la fin du XVIII* siècle, je ne vois guère qu'il ait existé un véritable tourisme neuchâtelois.» Avant que la Révolution française n'en fasse un principe, c'est l'ouverture au public qui fonde réellement les musées, même s'ils n'en portent pas le nom, introduisant du même coup une activité qui se révèle fondamentalement contradictoire avec la responsabilité qui leur est attribuée d'être des archives permanentes d'objets, c'est-à-dire de conserver. Sur les cabinets de Genève et du reste de la Suisse, voir quelques exemples dans La Conchyliologie (DEZALLIER 1780: I: 841-3). 30 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE Un bon témoignage de cet intérêt est fourni par le Journal du pasteur Théophile Rémy Frêne (1727-1804) qui «partout où il va, [...] porte une attention gourmande aux collections» les plus diverses (Eigeldinger 1993: 103). Se trouvant à Bâle, après avoir vu la veille le «Cabinet de Curiosités Naturelles» de M. Ryhiner, il se rend le jeudi 17 juillet 1783 chez M. et M™( Bernoulli fils et se montre, en l'occurrence, prolixe dans son témoignage34: C'est ta où est le fameux Cabinet d'histoire Naturel si connu à Bâle sous le nom de Cabinet Bernoulli et que mon Epouse et moi avions déjà vu en 1769. Il a augmenté dès lors; nous y trouvâmes M' Bernoulli le Pere, Vieillard octogénaire, mais vigoureux et allerte, qui Ie montrait à des étrangers; il est encore plus curieux de ces choses que son fils, C'est le Cabinet de Bâle le plus riebe en petrifications, coquillages, insectes et amphibies. J'y vis entr'autres une Piece ronde en forme de Medaillon de 6 pouces de diamètre, d'une matière pierreuse et fort blanche, représentant en relief une belle Vénus. C'est une pétrification Moderne d'Italie, où it y a un cer / tain ruisseau dont les eaux pétrifient, de maniere qu'en y mettant et laissant quelque terns un moule en creux, il s'y amasse une matière telle que nous venons de dire, c'est à dire pierreuse et blanche, qui, détachée, représente en relief ce qui se trouvoit en creux dans le modele. J'y ai vu un Zebre empaillé, dont la peau est charmante; un Manequin fait par le Cousin Beckel, représentant en grandeur Naturelle une femme vêtue en Gröenlandoise d'un habit venu de Gröenlande, etc., etc., etc. Enfin, il y a tant de choses â voir dans ce Cabinet Bernoulli qu'à moins d'un séjour de plusieurs jours, l'on peut dire d'un Curieux, obruûurpoiius quam itisttvitur, selon l'expression de M1 l'Antistes Merian, qui, ayant diné avec nous cliés son beaufrere M* Merian, étoit aussi venu chés W Bernoulli. D y a aussi dans ce Cabinet quelques Ouvrages de l'Art, entr'autres une Venus nue d'albâtre, haute d'environ 15. pouces, superbe Ouvrage. Je/ remarque que les nudités en petites statues deviennent fort communes, même dans les cabinets et les Collections destinées à toute autre chose. (Frêne 1994: lu: 151-3). Mais le nombre des visiteurs des diverses collections est impossible à estimer et leurs réactions demeurent généralement inconnues; les relations publiées, d'un ton plutôt neutre, attestent cependant cette nouvelle faveur et surtout justifient la place occupée par les cabinets parmi les attraits des voyages commentés. Plus encore, certains des itinéraires proposés n'ont d'autre but que d'en faire le tour. Le prochain chapitre envisagera quelques-uns de ces ouvrages dans la mesure où ils concernent la région neuchàteloise, sans prétendre - ni par la suite non plus - à !'exhaust ivi té. Nous avons dû ce document, alors inédit, à l'obligeance de MM. André Bandetier et Frédéric S. Eigeldinger. Le possesseur du premier cabinet est le commerçant Johannes Ryhiner (1728-1790). Les deux autres collectionneurs sont les pharmaciens Nicolaus (1704-1786) et son fils Hicronymus (1745- 1829) Bernoulli, que confond De Beer (1937; 164, note 1, à propos de la visite de M™ Roland au début d'août 1787) avec «Johann Bemouilli (1667-1748[49J), (qui] avait eu pour fils (entre autres) Johann (1710-1790). C'est de celui-ci et de son fils Daniel (1751-1834) qu'il s'agirait ici.» Ill LES PARCOURS DE LA CURIOSITÉ ÌT OUR la seconde moitié du XVIIIe siècle, Ie premier ouvrage1 à retenir notre attention, dans la perspective des voyages culturels à Neuchâtel, est celui d'un pharmacien de Hanovre, Johann Gerhard Reinhard Andrea; (1724-1793), lui-même possesseur d'un riche cabinet minéralogique (Dezallier 1780: I: 383): Briefe aus der Schweiz nach Hannover geschrieben, in dem Jahre 17632. Rédigées au cours de son voyage en Suisse du 8 août au 20 octobre 1763, ces 28 lettres commencèrent à paraître aussitôt dans le Hannoverisches Magazin pour être reprises en volume en mars 1764 et faire l'objet d'une seconde édition, illustrée de planches gravées et enrichie de suppléments, édition publiée à Zurich et Winterthour en 1776. Dans la bibliographie commentée accompagnant le récit du Voyage qu'il avait effectué vers 1778/80, récit paru en 1781, un autre auteur, Jean Rodolphe de Sinner (1730-1787), se montrera fort sévère pour l'œuvre d'Andrea; mais il lui accordera le mérite de signaler de nombreux cabinets helvétiques (1781: I: xx). Effectivement, Andre«, après avoir parlé du cabinet d'Elie Bertrand à Berne, décrit longuement celui du pasteur Daniel Sprüngli (1721-1801) relire à Sleulen près de Berne dès 1775 (1776: 185-8; 195-203); il est à peine moins détaillé sur celui des Deluc, Jean André (1727-1817) et Guillaume Antoine (1729-1812), à Genève (1776: 263-6; 267) et il consacre une notice à de nombreuses autres collections, au total près d'une trentaine, en majorité centrées sur l'histoire naturelle. Dans Ia lettre datée du dimanche 9 octobre 1763 relatant son court passage à Neuchâtel en venant d'Yverdon (1776: 277-80), il ne peut que signaler l'existence de trésors qu'à son dépit il n'a pas vus. Par scrupule de déranger le «Genie» que Jean Jacques Rousseau représente pour lui, il n'a pas non plus rendu visite à l'ermite de Môtiers dont le lieu de séjour était à 6.heures de route de son étape (1776: 279). Il n'est pas sans intérêt toutefois de relever les noms des propriétaires de cabinets qu'il cite, d'après des sources imprimées non spécifiées: à Neuchâtel ou dans les environs, ceux des frères Sandoz (?), de M. Magnet de Formont - décédé depuis près de 21 ans - et de M. Stadler - qui aurait quitté Neuchâtel avant 1757 d'après Thurmann (1851: 56) -, ceux du pasteur et géologue Pierre Cartier à La Chaux-du-Milieu - mort depuis plusieurs années, toujours d'après Thurmann Guyot (1933: 22) remarquait malicieusement, exemple à l'appui: «Il est assez piquant, lorsqu'on feuillette ces Guides, ces Itinéraires, ces Manuels, ces Voyages en Suisse, si nombreux entre 1780 et 1850, de relever les emprunts qu'ils se font les uns aux autres et le peu de vergogne qu'ils mettent parfois à se copier, tout simplement.». L'ouvrage, cité par Deadlier (1983: 16) et récemment réutilisé par Schmutz (1994), comprend dans la 48e et dernière lettre un début de lexique bâlois - allemand. 32 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE (1851: 105) -, de M. Sandoz au Locle et, à La Ferrière, de MM. Gagnebin - dont il avait rencontré l'aîné le 18 septembre à l'auberge de Samen (1776: 130): Ein und vierzigster Brief. Mein Herr, Nachdem ich um 7 Uhr diesen Morgen Iverdun verlassen, [...] sind wir um 3 Uhr diesen Nachmittag hier, zu Neufchatel, Neuburg oder Neuenburg [...] angelanget, in dessen Nachbarschaft die am Wege wachsenden weissen Trauben, wie im Pays de Waud, mit Gyps besprenget waren. [...] Meine Hofnung, Ihnen aus Neufchatel Anzeige von einer langen Reihe natfirlicher Merkwürdigkeiten zu thun, die sich in Cabinetten finden sollen, ist mir, leider ! fehlgeschlagen. Das Cabinet der Gebrüder Sandos sol sonst die seltensten Stfikkc endialten, die man, wegen ihrer ausserordentlichen Sauberkeit und Volständigkeit bewundert. Diese Herren sind nicht in der Stade Von denen Sachen, die, laut gedrukten Nachrichten, ein gewisser Herr Magnet de Fotmon, und ein Herr Stadler besizen sol, kan man mir nicht sagen, ob sie noch hier sind. {/ ) So sollen sich auch in der Nachbarschaft von Neufchatel noch Samlungen befindefn], die gesehen zu werden verdienen, nämlich die des Herrn Cartier, Pasteur à la Chaux du milieu; die des Herrn Sandos, Maire des Roches, au Lockle; und die derer Herren Gagnebin, à la Ferriere dans le Pays d'Arguël. Allein, woher solle ich die Zeit nehmen, noch diese verscliiedenen Oerter zu besuchen 7 Mit geflügeltem Fusse eilet meine Wanderschaft zu Ende, und es muss mich nicht befremden, dass sie aufhöret, wie sie angefangen hat. Morgen gehe ich also auf Bici, um Uebcrmorgen zu Solothum und, den Tag darauf, in Basel zu sein. U] Neufchatel, den 9 October 1763. (/) Bei Neufchatel finden sich viele Versteinerungen. Une année après le passage d'Andrea? à Neuchatel, une publication en revue, la «Description abrégée des Montagnes, qui font partie de la Principauté de Neuchatel» (1764), révélait les «merveilles de la Nature & de l'Art» que pouvait offrir «ce Pays extraordinaire». Ainsi que l'explique VAvertissement de la seconde édition (1766) de la Description des Montagnes et des Vallées Qui font partie de la Principauté de Neuchatel et Valangin, «Cette Brochure a été insérée dans le Journal Helvétique du mois de Décembre 1764, & l'on en tira alors [en 1765] un certain nombre d'exemplaires à part.»; la «bagatelle» en question aurait relaté le voyage de deux jeunes seigneurs dans la principauté en 17643. Dans le Journal Helvétique (1764: 596), il avait d'abord été déclaré que cette Description était «le fruit des Observations réunies de six Amis, qui ont fait le Voiage de ces mêmes Montagnes.». En fait, ces deux Polonais, les comtes Michel Georges (1742-1806) - inopinément arrivé en juillet 1762 à Berne chez Elie Bertrand - et son frère aîné Joseph ( ? -1797) Mniszech, fils de la grande-chambellane de Lithuanie, l'auraient accompagné dans son excursion; Bertrand aurait fourni des éléments pour la rédaction d'Ostervald (Berthoud 1870:56; Bratun 2000; De Beer 1967:88; Weidmann 1986: 83-6). /// - LES PARCOURS DE LA CURIOSITÉ 33 La première édition ne parle, à propos de Saint-Sulpice, que de la source de l'Areuse au-dessus du village (1765: 12), accorde six lignes au cabinet d'histoire naturelle «très artistement arrangé» de M. Sandoz, maire du Locle (1765: 27-8) et en consacre plus de 25 à celui de MM. Gagnebin à La Ferrière (1765: 49-50), sans détailler les «quelques Ouvrages de l'art» qui s'y trouvent aussi. Venant renouveler, après septante ans, la Description d'Abraham Amiet parue en 1693 à Besançon et plagiée en 1708 (Kaehr 1980: 94-5), cet opuscule, plus précis encore que très sommaire, connut un succès tel que «l'Auteur» - tôt identifié parses contemporains comme le banneret Frédéric Samuel Ostervald (1713-1795)4 -, ayant «tiré parti d'une Lettre sur le même sujet, qui fait partie du Journal Helvétique de Février 1765» (1766: Avertissement) en publiait, toujours anonymement, une nouvelle version «Revue, corrigée & considérablement augmentée» l'année suivante chez Samuel Fauche à Neuchâtel5. Ostervald, qui souhaitait que sa description pût rendre service aux voyageurs, s'étendait sur les personnages célèbres de la région et soulignait combien les ressources minéralogiques du pays6 étaient propres à combler les naturalistes, lui- même s'intéressant aux «coquillages fossiles», comme il l'avait écrit au père de CDM le 28 août 1760: J'apprends qu'il [CDM] est comme moi amateur des curiosités naturelles & qu'il vous envoyé des coquillages de la Rochelle. S'il vouloît bien en mettre quelques uns à double pour moi je me chargerais avec plaisir de lui procurer en retour de nos coquillages fossiles dont on est fort curieux dans les pays qu'il habite. (P -dos.71.II). Largement diffusée7, elle servit de guide notamment au diplomate, archéologue et géologue anglais John Strange (1732-1799) en septembre-octobre 1772 (ARNOUX 1984: 78; De BEER 1951: 98; 1967: 87-93), au pasteur Johann Rudolf Schinz (1745- 1790) en juin-juillet 1773, à Louis Charles Félix Desjobert (1750-après 1793) en septembre 1777 (SCHLUP 1986b: XVIII; 1986c: 4-5), à Marc Marie de Bombelles (1744-1822) en 1781 (TlSSOT 1987: 26). 4 Haller 1981 (1785): I: 235-7, n° 890. 5 Reéditée deux fois, en 1861 et en 1913, elle a reparu en 1986 par les soins des Editions de la Nouvelle Revue neuchâteloise (ScilLUP 1986b), en même temps qu'un numéro de la Nouvelle Revue neuchâtelotse (Sculup 1986c) qui offre quelques témoignages de voyageurs de l'époque. Celui-ci révèle que la Description a eu en tout cas un lecteur attentif, Abram Henri Petitpierre (1748-1786) qui, après 1783 au plus tôt, annota copieusement son exemplaire en y ajoutant d'intéressants commentaires (Evard 1986: 29-39). En prolongement, le Musée ncuchâtelois (TiSSCfT 1987: 25-31) a public également un fragment du Journal du marquis de Bombelles; ce document prouve le succès de cette littérature et laisse supposer qu'à côté des relations destinées à la publication d'autres écrits personnels restent à découvrir. Abraham Ruchat (1680-1750) signalait déjà, pianelle de «pierres merveilleuses» à l'appui, qu'«on trouve dans ces mêmes montagnes plus de pierres rares, ou de coquillages pétrifiez, qu'en aucun autre endroit de Iti Suisse.» (1714: 539). La Bibliothèque des Pasteurs en possède un exemplaire (NL 242 A) augmenté d'une adresse collée «Et se vend au Locle, chez Samuel Girard«, Libraire & Relieur». 34 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE Cette fois, il mentionnait à Saint-Sulpice la «belle collection de coquillages marins que M. Théodore Meuron possède» {1766: 27) et, s'il reprenait presque "dans les mêmes termes (1766: 65-6) ce qu'il avait dit du cabinet de M. Sandoz, il détail- lait sur près de quatre pages (1766: 112-5) celui de MM. Gagnebin, présentant les propriétaires et s'arrêtant aux pièces les plus remarquables, dont une rare - et célèbre - «Etoile marine pétrifiée», fleuron de la collection8, mais toujours sans préciser en quoi consistaient les «quelques ouvrages singuliers de l'art» (1766: 113) qu'il renfermait à côté d'un médaîllier9. Abraham Gagnebin, médecin, naturaliste et savant botaniste qui connaissait «la nomenclature des plantes comme pas un» (MATrHEY 1982: 14), avait été à plusieurs reprises le «parolier» de la petite «troupe herborisante» de Rousseau et de ses compagnons en excursion. Jean Jacques dut voir son célèbre cabinet lorsqu'il se proposa «d'aller dans la belle saison passer une quinzaine de jours près de M. Gagnebin pour [se] mettre en état du moins de suivre [son] Linœus», ainsi qu'il en avertissait DuPeyrou le 29 avril 1765 (ROUSSEAU 1976: XXV: 204, n° 4356). Parti la veille de Môtiers embarrassé de M. de Pré de Fains, écuyer de la reine, qui le suivit «pedestrement à la Ferrière, menant son cheval par la bride» (ROUSSEAU 1959: 611; 1581, note 1) et d'un M. Fischer (De Beer et Gagnebin 1957: 67), il y séjourna du vendredi 14 au jeudi 27 juin 1765 (Eigeldinger 1982: 42). Il herbo- risa avec le marquis de Maîche et son hôte10 dans les gorges de Biaufond et les marais tourbeux de La Chaux-d'Abel mais, peut-être parce qu'il fut malade, sans laisser à la postérité ses impressions sur ce qui faisait au loin la réputation de ce coin de l'Erguel. Des voyageurs en Suisse dans la période 1773-1786 (DE BEER 1949) qui inscrivent la région neuchâteloise à leur itinéraire11, plusieurs ne font pas référence Découvert en 1733, cet Ophiomusium gagnebini, reproduit à plusieurs reprises, ome le portrait à l'huile d'Abraham Gagnebin, sur la table, à l'extrême droite en bas (JACQUAT 1983; 185). Il se trouve actuellement au Musée d'histoire naturelle de Bale qui l'a acheté en 1826. Selon Strange, qui critique aussi le désordre du cabinet, il n'était pas unique (De Beer 1951: 104-5; 1967: 91-2). Abraham Gagnebin avait fourni en automne 1765 à Ostervald des complements d'information pour la réédition de la Description (Sculup 1986b: 121-6), lui signalant l'existence d'un inventaire imprimé du cabinet (Jacquat 1983: 189-90), qui ne recense pas d'«exotica» et seulement 9 «Petites statues ou idoles antiques» (Gagnebin [1765]: 35). Une lettre de Pierre Alexandre DuPeyrou au libraire François Coinde: du 6 octobre 1768 {ROUSSEAU 1980: XXXVI: 132, n° 6449), que nous a signalée M. F.-S. Eigeldinger, apprend que les deux frères lui avaient répondu qu'ils estimaient leur cabinet à mille Louis, somme manifestement forcée. Un exemplaire du catalogue resté dans le fonds familial (Jacquat 1983: 190) porte en suscription «Le prix qu'on enfait est d." 600 Louis = soit £ 14 400», ce qui était déjà non négligeable, puisqu'il faudrait multiplier ce demier chiffre par environ 20 pour avoir une vague estimation en CHF. Il fit une autre campagne botanique sous la conduite de Gagnebin au Creux-du-Van le 25 juillet 1765; la caravane comprenait en outre le colonel Pury, DuPeyrou et d'Escheniy {Dufey 1985; Eigeldinger 1986: 26). Dans le vaste inventaire de De Beer menant de 941 à 1945, quelque 175 voyageurs peuvent être pointés pour la période comprise entre 1763 et 1839. ìli - LES PARCOURS DE LA CURIOSITÉ 35 ;à dés cabinets d'histoire naturelle et, parmi ceux qui s'y intéressent, un seul ¦mentionne celui de Saint-Sulpîce. >. j .* ; < ^TeI est le cas de Johann Rudolf Schinz, parti de Neuchâtel le mercredi 30 juin 1773 pour une excursion de quelques jours, qui ignore cette partie du Vallon (1978: 32-4).,, Jean Marie Roland de La Platière (1734-1793), fulur ministre girondin de l'Intérieur, a fait trois voyages au cours desquels il visite plusieurs cabinets, le premier en août, septembre et octobre 1769, le deuxième d'août 1773 à janvier 1774 et le troisième en août 177613. Dans sa Lettre I datée de «Basle, le 25 Août 1776.», il insère un extrait de la relation de son deuxième voyage où il raconte qu'il était au Locle: A une demi-lieue de-là & sur une hauteur, dans la maison de la roche, qui appartient au Maire [Henri Sandoz], j'ai été voir un cabinet d'histoire naturelle, plus particulièrement composé des pétrifications du pays, parmi lesquelles il y a des bois, des roseaux, beaucoup de mousses &. de coquil- lages: le tout placé plutôt symmétriquement & de fantaisie, qu'ordonné par principe. (1780: 1: 158). Thomas Blaikie (1750-1838), dans le cadre de ses excursions botaniques, vécut près de six jours, du 6 au 12 août 1775 (1997: 88-90), avec Abraham Gagnebin, mais, comme il se souciait davantage des plantes vivantes et de ses propres récoltes, c'est à peine s'il mentionne son cabinet: 6 août. [...] Vers 3 heures, j'arrivai à La Ferrière, et me présentai chez le docteur Gagnebin avec la lettre apportée de Berne. Après avoir admiré quelques-unes des curiosités de son cabinet, je m'en fus loger à l'enseigne du Cheval blanc, la seule auberge de l'endroit. 7 août. Retourné dès le matin chez le Tf Gagnebin; passé quelques instants à revoir sa collection de curiosités. Nous partîmes ensuite ensemble pour la montagne. (1935: 101). Ni Jean Bernoulli (1744-1807), passé en 1774 et 1775, du moins dans son premier ouvrage (1777- 1779), ni le plus célèbre d'entre eux, William Coxe (1747-1828), venu pour la première fois à Neuchâtel du 9 au 11 septembre 1776, ni le professeur Christophe Meiners (1747-1810) de l'Université de Goettingue, présent aux alentours du 20 juillet 1782 et de nouveau le 8 septembre 1788, ni François Robert (1737-1819), géographe ordinaire du Roi, dans son ouvrage paru en 1789 mais relatant une tournée datant de 1784, ni «Mr. H. de B....» [Hentzi de Berne] dans sa «Course dans le Comté de Neuchâtel» effectuée en 1785 en char à banc - que publient les Etrennes llelvctiennes et patriotiques, Pour l'an de Grace MDCCLXXXVII et qui n'est l'occasion de parler que d'histoire, de paysages, de l'avantage d'un détournement du Seyon [il s'était déjà trouvé à Neuchâtel en septembre 1750 lors d'inondations] et, accidentellement, de fossiles. Avec sa femme, Jeanne Marie ou Manon Phlipon (1754-1793), qui en fait mention dans son Voyage en Suisse, ils y passèrent quinze jours en juillet-août 1787 et visitèrent plusieurs cabinets et collections: à Genève, la bibliothèque du collège «& [le] cabinet d'histoire naturelle, inférieur à celui de M. de Saussure.» dont elle ne peut juger que par oui-dire, ceux de Sprunglî près de Berne, du frère de Lavater et de Johann Gessler [Gessner] à Zurich, de Bernoulli et de Socin à Bale. (De Beer 1937: öl; 95-6; 130; 146-7; 163-4). 36 LE MÛRIER ET L'ÊPÉE Dans son Voyage d'un amateur des arts paru en 1783, Monsieur de La Roche, venu en 1776 et 1778, lors de son passage en 1776 à Yverdon ne signale que la bibliothèque. Louis Charles Félix Desjobert, qui fait une tournée très classique en Suisse, ne négligeant pas les cabinets et se voyant même retarder contre son gré le 26 septem- bre 1777 à La Ferrière, écrit seulement (1910: 116) qu'il avait quitté Môtiers avec ses compagnons le dimanche 28: à 7 heures du matin, nous sommes arrivés à Saint Sulpi à 8; nous y avons vu La papeterie dans le plus grand détail, et la source de la Reuse, qui est très sauvage, et sommes revenus à Moutiers à 10 h.U. Jean Benjamin de Laborde (1734-1794), plus fasciné par Cagliostro vu à Strasbourg14 que par les cabinets - quoique citant celui du chanoine Ges[s]ner à Zurich - passe à Neuchâtel entre le 15 et le 18 juillet 1781 sans dire grand chose de la ville (1783: I: 173-89, lettre XV). Dans un nouvel ouvrage, Beschreibung des Fûrstenthums Welsch-Neuenburg und Vallengin paru en 1783 - qui enrichit la Description d'Ostervald de 1766 et souvent traduit mot à mot Ie Voyage de Sinner de 1781 -, l'astronome bâlois Jean Bernoulli recommande cette fois la visite du Cabinet de CDM à Saint-Sulpice et suggère la comparaison des coquillages avec les fossiles: Die Liebhaber werden nicht durch St Sulpice gehen, ohne die schone Sammlung von Conchylien des Hm. Mcuron von Morveaux, nunmehrigen Obersten eines Schweitzerregiments in holländischen Diensten, zu sehen. Sie werden Ursache haben, die vollkommene Aenlichkeil der abereinsümenden Foßilien, an welchen die benachbarten Berge reich sind, zu bemerken (1783: 50). Le «roman» par lettres publié en 1803 par Etienne François de Lantier (1734- 1826)15, Les voyageurs en Suisse, qui pourrait fictivement se situer dans les années 1780 mais dont bien des éléments ont été réactualisés, et qui accole en désordre différentes informations puisées dans des guides, ne s'attarde qu'à une seule insti- tution culturelle à «Yverdun»: Dans la maison-de-ville est la bibliothèque publique, qui a été fondée par une société de savans' et d'amateurs, qui l'entretiennent encore. Les bibliothécaires, aussi aimables qu'obligeans, nous ont offert la jouissance des livres. {1803: III: 260, lettre XC). Ses héros, Adolphe et Blanche, effectuant un voyage aux environs de cette ville qui les mènera à Orbe, Romaînmôliers, Valangin, Saint-Biaise et à Neuchâtel - dans l'ordre! - ne sont censés y voir que la maison de Bosset (1803: III: 279, lettre CXI Le Comte Alessandro Cagliostro {Quérard 1869: I: 177 sqq, col. 616-631), alias Giuseppe Balsamo (1743-1795), célèbre mage. Arrivé «dans le courant de septembre 1780», il y demeura jusque «dans la journée du 13 juin 1783» (PnonADÈS 1932: 191, 2AZ). liest l'auteur des Voyages d'Antenor en Grèce et en Asie, avec des notes sur l'Egypte; Manuscrit grec trouvé à Hercuïanum... dont Quérard (1830: IV: 541) écrit: «Les Voyages d'Antenor ne sont qu'un roman d'imagination fort gracieux à la vérité...; on l'a surnommé avec raison TAnacharsis des Boudoirs'». /// - LES PARCOURS DE LA CURIOSITÉ 37 [sic]), la Grande RochetteV qui deviendra celle de CDM16. Ils iront ensuite à La Chaux-de-Fonds et au Locle. Charles Joseph de Mayer (1751-1825?), qui s'intéresse à la minéralogie, y consacre un chapitre spécifique de son Voyage [...] en Suisse En 1784X1 intitulé «Voyage minéralogique & botanique de la Suisse» (1786: II: 254-70) doni quelques lignes concernent «Neuchâtel et le Valengin» (1786: II: 269). Il monte en «Charabas» à La Chaux-de-Fonds et, en l'absence de M. «Drozz», ne visite que l'établissement de M. Robert: «Son Cabinet, dont les pendules font la richesse, étoit composé de chefs-d'œuvres de Mécanique» (1786: II: IA). S'il ne manque pas Ie moulin du «cul des roches» (1786: II: 79), il va seulement voir «à Motier-Travers Ia maison où J. J. Rousseau, chassé de l'île de Bienne, s'étoit retiré» ! (1786: II: 80). A Yverdon ensuite, il se bornera à évoquer la «Bibliothèque publique encore naissante» (1786: II: 85). Quant au luxueux monument constitué par les Tableaux de la Suisse de Laborde et Zurlauben, qui reprennent des passages de multiples sources, ils rapportent qu'à Neuchâtel: M. Bernoulli [...} a aussi fait mention des autres objets dignes de l'attention des Etrangers qui passent par cette ville; tels que la Bibliothèque publique, qui est riche en manuscrits, en éditions rares, en curiosités naturelles (1786: IV: 542). Ils oublient de préciser, comme l'avait fait Bernoulli, qu'il s'agit de la bibliothèque de la Compagnie des pasteurs qui, après avoir publié le catalogue de son fonds en 1780, s'était timidement ouverte au public: Diese Sammlung ist bis jetzo sehr gering [...] Man sieht in dieser Bibliothek viele Medaillen, worunter einige sehr selten sind, und einige Merkwürdigkeiten aus Amerika; sie bestehen in einem großen Friedenshelm (calumet) (...I einer indianischen Malerey, auf einer Art seidenen Stoffes, der auf eine lange Rolle Papier geklebt ist18 (Bernoulli 1783: 303-4). 16 CDM ne peut se rendre acquéreur de la propriété qu'en 1801 (MEURON 1982: 238-40), longtemps après la mon de Jean Georges Bosset (1688-1772), horloger puis négociant à Batavia, le premier donateur neuchâteloîs d'objet exotique en 1735 dont le souvenir se soit conservé. Dans le compte rendu qui en est publié par les Etrennes Helvétiennes pour 1787, ce nouveau voyage s'attire une virulente critique qui vaut sans doute pour bien d'autres ouvrages similaires: «ENCORE un voyage écrit par un étranger en traversant rapidement notre patrie .... Promettre beaucoup dans le titre & lenir peu dans l'ouvrage; prétendre de ce qu'une chose arrive dans un Canton qu'elle arrive dans tous; conclure de Ia possibilité d'un abus à son existence; décrire des lieux qu'on n'a point vus; déplacer les villes, les lacs & les rivieres; estropier les noms, les dates & les anecdotes; le tout avec esprit, aisance dans le style & vernis d'érudition: telle est la maniere de ce nouveau voyage qui peut passer pour agréable & bien écrit, maïs nullement pour correct &. utile.» Par ailleurs, il recopie textuellement certains passages de Laborde. Il s'agit du calumet indien donné en 1736 par Charles Frédéric de Merveilleux et du rouleau de peinture chinoise donné en 1735 par Jean Georges Bosset (voir le chapitre II). 38 LE MÛRIER ET L1EPEE C'est du même auteur que les Tableaux de la Suisse reprennent les lignes, citées plus haut en version originale, que le savant bâlois avait consacrées trois ans auparavant à Saint-Sulpice: Les curieux ne passeront pas Saint-Sulpice sans voir la belle collection de coquillages marins que possède M. Meuron [...] de Morveaux, colonel actuel d'un Regiment suisse au service de la Hollande; ils auront lieu d'observer la parfaite ressemblance de leurs analogies fossiles, dont les montagnes voisines abondent. (1786: IV: 552-3). Les Voyages en Europe favorisent la diffusion et le succès des idées philo- sophiques et de la connaissance en général, à plus petite échelle et parallèlement aux récits colorés des aventureuses épopées au long cours; ceux-ci fournissent des matériaux scientifiques mais constituent aussi un apport important à la culture européenne des XVIIIe et XIXe siècles par l'image du monde ainsi restituée (DROUIN 1989: 323-6). «Voyages et collections apparaissent [...] comme les deux pôles de l'histoire naturelle. Toutefois, entre ces deux pôles, rien ne passerait si on ne se mettait en peine de nommer et de classer tous les spécimens apportés. Entre l'aventure des voyages et la poésie des jardins, la nomenclature et la classification ne font pas écran ou diversion, elles forment l'échangeur qui, en les reliant l'un à l'autre, conditionne la production d'un savoir sur le vivant.» (DROUIN 1989: 327). A son niveau, CDM, par son équipée au Cap et par l'élaboration qu'il suscite d'un Inventaire de son Cabinet19, se situe à cette charnière de l'histoire des sciences et de la société (Feest 1995a: 12-3). Dans sa collecte pourtant, ses rapports au monde sont plutôt distants et la possession des choses l'intéresse davantage que ce qu'il pourrait apprendre sur les hommes. Cet Inventaire (voir le chapitre VI) reste malheureusement une exception. IV DES OBJETS ET DES HOMMES XT ors d'une tradition familiale, le Cabinet de Saint-Sulpice eût sans doute connu le sort commun de ces divertissements pour amateurs éclairés - une rapide dispa- rition - sans les apports, la reprise et le développement redevables à CDM qui manifesta dans toutes ses entreprises une extraordinaire volonté de permanence1, non dénuée d'une certaine obstination. L'occasion de l'enrichir lui est fournie par la constitution en 1781 de son régiment qui, après une terrible traversée de cinq mois, débarque au Cap le 7 février 17832, au lieu «d'aller en droiture à Ceylan ou est theatre de la Guerre», comme il l'écrit le 2 avril 1783 à Pierre Frédéric (P - dos.25.II). Mais ce sont surtout les «naturalia» qui retiennent son attention. ' Quels qu'aient pu être l'ouverture d'esprit de CDM et son intérêt pour les cultures extra-européennes et leurs productions, intérêt réel mais moindre malgré tout que celui de son frère Pierre Frédéric3, voire pour l'archéologie4, les spécimens «ethnographiques»5 restent des apports isolés et marginaux: sa vraie, son invariable Celte constante est frappante lorsque sont rapproches la création d'une caisse de famille, le transfert de ses collections à la communauté, le maintien de son régiment contre l'évolution historique et les tentatives d'intégration ou l'imposition d'un texte sur la cloche que la communauté de Saint-Sulpice a préférée comme cadeau (Kaehr 1996b). D'après la lettre N° 2 de François Joseph Raymond du 25 février 1783 à Pierre Frédéric de Meuron, frère cadet de CDM (P - dos.56.III), date que reprend Linder (1997: 169). 3 Plusieurs lettres datées de Colombo et attribuées à CDM (GABUS 1967:1: 21-2) sont en réalité de Pierre Frédéric, l'auteur du De Meurvn's Report sur Ceylan (MEURON 1982: 160). C'est lui qui avait écrit le 19 décembre 1782 à CDM: «Lonfait des échanges bien avantageux avecles hotentots» (P - dos.48.I), peuple dont celui-ci ne parle guère. Quelques rares et vagues notations de type etlino- graphique se rencontrent pourtant dans son «Journal» de voyage en Egypte en date du 13 juin 1795 (P - dos.68.I) et dansdes lettres de Madras à Théodore Abram, son frère puîné, par exemple les 7 et 21 octobre 1795 (P - dos.43.1). Voir le chapitre X. Si la préoccupation des sociétés exotiques existe depuis longtemps, l'apparition terminologique est tardive: «Le mot ethnologie est né en 1787; Ie mot ethnographie est un peu postérieur: il date de 1810.» (POIRIER 1969: 7; voir aussi Poirier 1968: 25-6). Le terme «ethnologie» figure dans le résumé des cours de Chavannes (1788: ni). Selon Souvenir de l'inauguration du Musée ethnographique, le mot «ethnographie», employé comme synonyme de description des peuples, l'aurait été en 1807 par Campe (Knapp 1904: 18). Par ailleurs, les spécimens sont généralement décontextualisés (THONtAS 1994:120). 40 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE passion est l'histoire nalurelle. Dans les deux listes de «Divers objets»6 des règnes végétal et animal de l'Inventaire retrouvé du XVIIIe siècle (M), voisinent pêle-mêle des objets de toute provenance, d'époque variée et de valeur très inégale, mais aucun de prestige. Pour important quo soil ce fonds dans le Cabinet de CDM, il n'en demeure pas moins secondaire par rapport à l'ensemble. «Déjà intéressé par la collection de coquillages marins de son père7, Charles-Daniel avait commencé à la compléter alors qu'il était jeune officier au régiment de Hallwyl.» (MEURON 1982: 291; P - dos.71.II). Sa formation dans son adolescence, les contacts qu'il noue ensuite à Paris comme officier aux gardes suisses entre 1765 et 1781 (MEURON 1982: 33-4), ses goûts des jardins, sa rencontre au Cap avec le colonel écossais Robert Jacob Gordon (1743-1795), commandant des troupes hollandaises depuis 17738, les exemples qu'il y avait sous les yeux9, ses relations avec la «Gesellschaft natur forschender Freunde zu Berlin»10, l'ambiance de l'époque enfin, tout manifeste son attirance pour l'histoire naturelle, bien qu'il soit resté un simple dilettante. Il favorise même les sciences, ainsi qu'en témoignera son souhait, enregistré le 29 avril 1795, de voir créer une chaire de chimie" à Neuchâtel (G), condition de la donation de son Cabinet sur laquelle il reviendra plus tard (V - 7 août 1801). Voir le chapitre VL Voir le chapitre H. Si le capitaine King (Cook et KING 1785: IV: 576-7) en parle de manière élogieuse, CDM le juge meilleur connaisseur du pays et naturaliste que militaire et insinue, dans une lettre à Pierre Frédéric du 18 avril 1784, qu*«n s'est fait une réputation par Ses voyages dans les terres dont il a donnés & ramassé des Connoissances naturelles. Un profess1 Uean Nicolas Samuel Allamand (1713-1787) à Leyde] pour avoir dès animaux l'a celebre dans un ouvrage.» (P - dos.42.n) (Duchet 1971: 52). Il avait un musée privé (Bax 1970: 50; Smit 1994: 807-8). Sa femme, Susanna Margaretha Nicolet (1748- ? ), était originaire de Lignerolle (UNDER 1997: [2], 151-4, 172). Il était rapporté qu'à la bibliothèque du Cap, qui vers 1793 ne comptait «pas au-delà de cinq à six mille volumes», on avait «joint quelques raretés, entr'autres toutes les dépouilles des îles de la mer du sud, ce qui en fait une espèce de Muséum. Ce serait un très-joli cabinet de particulier.» et qu'il y subsistait les restes d'une ménagerie. (GRANDPRÉ 1801: II: 122-3; 119-20). La Société des Scrutateurs [ou des Curieux] de la nature de Berlin a été fondée en 1773 à l'initiative de Friedrich Heinrich Wilhelm Martini (1729-1778). Sa lettre du 11 juillet 1780 témoigne de son intérêt pour cette science dont il connaissait personnel- lement un représentant célèbre, Ballliazar Georges Sage (P - dos.43.I)- IV - DES OBJETS ET DES HOMMES 41 Si objets «ethnographiques» il .y a, c'est par accident et pour tout dire par raccroc, plus comme souvenirs personnels12 que comme témoins des autres, ce que l'immense majorité des «exotica» restera dans un très grand nombre de musées jusqu'à notre époque. Pas plus que pour les autres objets, les deux listes d'artefacts de l'Inventaire (M) ne donnent la moindre indication de lieu de collecte, de date ou de fournisseur. Il est probable que CDM en a recueilli certains «sur place» (ou tout au moins à proximité des régions d'où ils proviennent), soit au cours de son engagement aux «Indes occidentales» (Antilles) en 1758-1759, soit pendant Ia période de garnison au Cap entre février 1783 et mars 1786, bien que les erreurs de désignation ou les attributions fantaisistes puissent en faire douter. Il serait cependant faux de vouloir mettre étroitement en relation les objets du Cabinet avec la carrière militaire de CDM, oubliant sa première vocation qui réapparaissait à toute occasion. Ainsi que l'écrit Armand Du Pasquier (1923: 131), «Le commerce l'attirait au moins autant que les affaires militaires.»; il lui a permis, par les «retours en Spéculations», de continuer à financer son régiment - qui était du reste une affaire susceptible de laisser d'appréciables bénéfices - et lui a valu des contacts étendus. Un registre d'inventaires d'effets de soldats et d'officiers du régiment, vendus après décès, qui couvre la période 1782-1799 (P - dos.12), ne fournit, à côté de hardes, meubles, livres, tableaux, provisions diverses et esclaves, que de rares exemples de possession d'objets d'histoire naturelle. Ainsi, «la succession de feu M. [Jean] Jobard [Jobart], Chirurgien major», mort le 15 novembre 1785, réalisée «au Cap de Bonne-Espérance Lc 18 9.1" 1785.», comporte «des Coquillages», «des oiseaux Empailles», «1 Corne de Rhinoceros» (p. 7-8) et celle de «feu Monsieur Philippe de la Brosse, Cadet Sergent [...], décédé à Colombo, le 31e. Octobre, a." 1788», «Huit Oiseaux empaillés» ainsi qu'«Un linge contenant des yeux d'Email» (p. 25). En revanche, d'après une lettre du 19 juillet 1798 de son frère Henri {P - dos.40,1), le capitaine Samuel Gigaud, décédé en 1795 à Batavia, possédait tout un ensemble de bijouterie. Recoupant pratique- ment la «Note qui Indique dans quelles malles j'ay placé mes effets pour notre départ pour Europe» (P - dos.30), !'«Inventaire des Effets de M.r f. Choppìn secretaire de M/ Le C* de Meuron décédé hier trois avril 1797 a Bord du fort William» dressé par le capitaine Jean Jacques Bolle, aide de camp de CDM, et Henry d'Ivemois, cadet volontaire, apprend que, comme passionné de musique, non seulement il avait emporté «1. Violon dans son Etui», «un petit paquet Cordes a violon» pour remplacement et «De la musique en Cahiers & en feuilles», c'est-à-dire des partitions, mais encore qu'il ramenait quelques objets obtenus durant son voyage, «L'habillement arabe. Consistant en 1. Robe, 1 Ceinture, un Turban, & 2 Pantalons blancs, [...] 1. Pipe de Terre, arabe, avec son tuyau, [...] I. Poignar malabar en Corne, [...] 1. Paire de Pantoufles malabares - 1. Baton de Canelle avec un petit dez d'or - 1. d.to de Bois noir avec une petite pome d'hyvoire - 1. Parapluie de toile Chinois - 6. Tasses avec leurs Souscoupes & petites Cuillers en Coco - 2. Sucriers aussi en Coco, Le tout gravé, Vi Coco en forme de Tasse - 20. Tours de Bracelets Indiens, Communs.», ainsi qu'«l boete ou il y a 2 colibris; plumes de paon; oiseaux et bracelet dans une petite cassette au g1» (P- dos.30; dos.M.V). Ses biens seront vendus au Cap le 5 août 1797 et le produit comptabilisé le 8 septembre 1797 (P - dos.31.III). D'après le «Bordereau dembarquement» (P - dos,14.VI), d'Ivemois devait encore faire entrer dans sa «Malle N° I. H>» sa «petite Casette Calmindre [bois de Ceylanl garnie en argt Contenent divers Bijouteries et pierreries de Ceylon». 42 LE MÛRIER ET L'ÉPÉE L'examen minutieux des comptes13 tenus par François Joseph Raymond14'dès le départ de France, puis au Cap, du 1er septembre 1782 au 23 janvier 1786, laisse apparaître des dépenses parfois considérables pour des «curiosités» non spécifiées et de multiples acquisitions de spécimens zoologiques {quantité de peaux de tigres et de coquillages, peaux d'autruches, oiseau de mer, bois de cerf, cornes de buffle,- Serpens empaillés, peau d'oiseau, rouge & noire, oiseaux empaillés, Souris de mer, petits requins, Cayman, boëtes Scarabées, Boètes Insectes et Scarabées...), botaniques (Cocos...) ou minéralogiques, mais dont il n'est pas toujours possible de savoir s'il ne s'agit pas de fournitures (chien de mer, opportunément précisé «pour polir des formes», peau de veau marin, Cauris...), de gibier destiné à l'alimentation (des gros poissons de mer, deux jeunes autruches...), d'animaux de divertissement (un gros Singe, & fraix à ce sujet, Perruches, Tortues de Terre, Secrétaires vivants...) ou autres (pierres d'agathes...). Un sapeur de la lÈre compagnie [n° 221 du contrôle], «françois-Jg [Joseph] Baudard» (P - dos.11), détaché de la troupe et parfois aidé d'un soldat, a souvent été employé à la préparation des peaux ou au nettoyage des coquillages dont il fournissait certains, quand il ne passait pas de nombreuses journées à des embal- lages. Des boîtes en fer blanc ont également été acquises à cette fin. Dans le domaine des objets manufacturés, l'incertitude est plus grande encore car il peut s'agir d'objets d'usage en dépit de leur exotisme. Les listés apprennent ainsi que 1 Rixdale 4 est dépensé le 9 mai 1783 «Pour une boête fleurs de la Chine; d'ordre de M. Le Colonel», et presque la même somme (Rx11.1.--) versée le 25 mai «à Henry» «pour une boëte de fleurs de la Chine», que le 14 novembre 1784 Rx/ 65.2.— sont payés «à Veutz, Sellier, pour curiosités», le 19 décembre 1784, 30 Rixdales «à M. Dunillac, pour une pipe de Chine», le 20 avril 1785 Rxr 36.4.-^ «à Weutz, Sellier, pour peaux de zèbres, & autres curiosités [...]» et que le 20 octobre 1785, 34 Rixdales sont versés pour «6 Pommes de Canne, en dent mache- liere d'éléphant, Sc 2 Sambocks15 achetés par M. Le Colonel»16. Dépenses particulières de La Maison, depuis le 1." Z*" 1782. au 23 Janvier 1786 portées à la caisse du régiment (P • dos.28.II). Le «fidèle» lieutenant François Joseph Raymond, ami «solide &. sûr», né vers 1753 et décédé à Colombo le 19 juillet 1790. qui fut l'indispensable secrétaire comptable du régiment puis grand-juge. «Il laisse un fils de son esclave Marianne, qu'il a adopte selon l'usage de ce pais, il l'aimoìt beaucoup, il en étoit même fou, car il en faisoit parade /atous Ses Amis/.», écrira Pierre Frédéric à CDM le 12 novembre 1790 (P - dos.48.II). D'après l'Encyclopédie d'Yverdon, le sambouc est un «bois de senteur, que les nations de l'Europe qui négocient sur les côtes de Guinée, ont coutume d'y porter, non pas pour aucun commerce avec les nègres, mais pour en donner aux rois du pays qui en font grand cas» (1774: XXXVII: 496), mais il s'agit en l'occurrence de fouets, comme le confirme Le Vaillant (1790: II: 250-1): «nos gens s'occupèrent à dépecer la peau de l'Hippopotame pour en faire ce que l'on appelle dans le Pays des Chanboc. Ce sont des fouets en usage pour frapper les Bceufs qui sont sous la main du conducteur...». D s'en fait aussi avec la peau du rhinocéros. Le Rixdaler vaut, en argent de France, 4,,b 16.', soit approximativement entre CHF 80.- et 100.- actuels. IV ¦ DES OBJETS ET DES HOMMES 43 ¦¦.. De toute façon, CDM a dû se faire apporter les différents spécimens plutôt qu'il ne les a .lui-même recueillis; söit aü Cap même où il était possible d'acquérir des «curiosités naturelles» (Damberger 1801:1: 35, note 1), soit lorsqu'il se rendait à la «campagne», par exemple à Stellenbosch, apparemment sans jamais s'aventurer bien loin; d'après les comptes, il a aussi pu en acquérir à l'occasion du passage de navires. Le 9 mai 1785 par exemple, une dépense est inscrite pour «Chaloupe & ports d'effets venants de Ceylon» et le 17 janvier 1786 «Pour débarquer des Provisions venant de Batavia». D'une quelconque préoccupation ethnographique, d'une présence de 1'«autre» à travers les objets, il n'est toutefois jamais question - ce dont il ne faudrait d'ailleurs pas lui faire un procès, qui se révélerait ana- chronique. Au fur et à mesure des possibilités, CDM a envoyé ses acquisitions en Europe, mais il n'est pas certain que tout soit arrivé à bon port ni en bon état. Chaque escale de vaisseau était mise à profit pour l'expédition de correspondance, de marchandises commerciales (vin surtout, destiné à l'Europe ou même à l'Amérique, sagou parfois) et d'objets de collection de temps à autre, si le capitaine se montrait complaisant17. Les comptés (P - dos.28.II) présentent à maintes reprises des dépenses d'emballage, de transport, de chaloupe pour aller en rade - les déchargements ne pouvant se faire qu'à False Bay -, mais qui concernent rarement le Cabinet, seule la coïncidence de divers préparatifs permettant de le penser18. Ces indications sont complétées par diverses correspondances, notamment par des lettres de Raymond (P - dos.56.III; dos.57.I) qui révèlent des envois d'objets en Europe dès le printemps 1783. Il n'est pas toujours possible d'identifier le contenu et la destination des diverses caisses apparaissant dans les documents: fournitures pour le régiment, marchandises commerciales, effets personnels, correspondance, cadeaux et collections s'enche- vêtrent. La recherche se complique des longs délais de transmission. Moins de deux mois après avoir débarqué au Cap, comme Raymond en avertit Pierre Frédéric dans sa lettre N.0 2, datée du 25 février 1783 mais poursuivie jusqu'au 20 mars (P - dos.56.III), et comme CDM le répète à son frère dans une lettre du 2 avril 1783, diverses marchandises sont.expédiées à titre de paiement - les «retours» - à la fois par L'Actif commandé par le capitaine Fleury et par Le Héros commandé par le capitaine Revel, certaines étant exclusivement destinées à des cadeaux, parfois intéressés: Je vous aïs Ecris par l'Angélique [capitaine Stralen] mon cher frère [...] il faut /Savoir/ mettre des bornes à Son ambition dès que l'on ne /ma/ pas mis aportée d'aller en droiture à Ceylan ou est theatre de la Guerre [...] Je vous ferais toutes les remises possibles. J'ai déjà Comencé je Continuerai, taches Selon les saisons, il pouvait passer une vingtaine de navires en 3 mois, tous ne s'arrêtant pas, ou aucun. La vente du vin servait en partie à alimenter la caisse du régiment Comme l'achat de poivre, par exemple, prélude à l'envoi de «naturalia» qui partiront en décembre 1784 à bord de L'Hermione. 44 LE MORIER ET L'ÉPÉE que M.n deBeseval15 & le Comte d'Erlac20 M." lenoir reçoivent levin de Constance que je leur ais Envoyés à !adresse dcduBey franc de fret. (P - dos.25.II). Cet envoi, qui concerne notamment Pierre Victor de Besenval, est répété par Raymond dans sa lettre N.0 4 datée du 8 mai 1783 qui révèle de surcroît la présence de «naturalia»: Je vous marquois que le Cap.™ Fleury auroît à Son bord pour remettre a m DuBey, fret payé avant le départ 4 Ballots de chacun 25 pw toile de Coton [...]. Les trois autres balots pour vendre au meilleur Compte. 1 Caisse & un baril Coquillages 1 Caisse renfermant deux alverames!l vin de Constance, l'une pour envoyer quitte de fraîx à la famille de M."" Gordon & l'autre pour vous 1 paquet en totle Contenant une peau de [jeune] Zèbre & deux de tigre, avec des dépêches à lad1™1'1 de M. DuBey Que le Cap.™ Revel qui Comandoli le Héros, parti d'icy Sur Son Lest pour S1 Domingue avoit à Son bord quitte defret trois alverames Vin de Constance, une pour M de Besanval, une pour MLeC d'Erlach & l'autre pour M LeNoîr, à partager avec M de Sartine22. Il doit faire Son retour en france, à Bordeaux, Nantes ou le havre. (P - dos.56.IH}. Le 29 octobre 1783, Pierre Frédéric, de La Rochelle semble-t-il, accuse récep- tion du second envoi: Les trois Barils vin Sont /arivé &/ repartis aleur destination, je Suis enclianté que vous ayez fait un Cadeau aM deBesenvaL pensé alui car cenest que par Son canal quii peut vous faire avancer. [...] JeSuis fâché den'avoir pas deux peaux de Zebre pour offrir avotre amy DuPeyron, comme Parent de celui qui vousa rendu des Services Si eminents (le capitaine de L'Hennione], c'est que deux feraient de beaux Caparassondliivers vous feriez bien d'en envoyer deux à M. de Besen. ... ainsi quedautres raretés de cePaïs la. (P - dos.48.1). lv Le baron Pierre (Joseph) Victor de Besenval (1721-1791), fils de Jean Victor II (1671-1736), petit- fils de Jean Victor I (1638-1713), le bâtisseur du château de Waldegg près de Soleure. Ancien comman- dant de CDM, lieutenant-colonel aux gardes suisses, lieutenant-général des Armées du roi de France et inspecteur général des Suisses et Grisons (Dœsbach 1987: 9-35; Meuron 1982: 33), il était grand amateur de fleurs rares et collectionneur d'art, notamment d'objets orientaux (Bailey 1986: 52; FlECHTER 1993: 98; TfflÉRY 1789: U: 574-80), et de femmes ! Oft Pierre Louis d'Erlach ( ? -1788), brigadier et capitaine de la compagnie générale aux gardes suisses. «petits tonneaux, appelés alverames, contenans 90 pintes» ([SAINT-PIERRE] 1773: II: 39), «C'est-à- dire demi-haam, soit quatre-vingts bouteilles», selon Ia note d'Yves Bénot dans Ia réédition du Voyage (1983: 197, note 3). 22 Antoine Raymond Jean Galbert Gabriel de Sartine (1729-1801), comte d'Alby, ministre de la Marine dès 1774 et jusqu'à la Révolution. IV ¦ DES OBJETS ET DES HOMMES 45 A l'arrivée, plus tardive encore, du premier envoi, Pierre Frédéric ne pourra que constater les dégâts, le 21 mars 1784,,lorsqu'il procédera à l'ouverture des colis à Saint-Sulpice: Jai debalé LesCoquillagc. jai eu ladouleur devoir LcsLautille [Nautiles] enpieces ainsi que la grosse coquille de Nacre qui etoit /cassée/. Dimanche nous /distribuerons/ les toiles. Les trois peaux one Soufert de leur long emballage, quant au vin nous ni avons encore touché quepour envoir laqualité & la Couleur. nous en boirons cependant Dimanche avotre Santé J'en enverrai quelque Bouteilles à Motier, et Je vendrai le reste. (P • dos.48.I). Suivent en janvier 1784, en même temps que des alverames de vin de Cons- tance, par la frégate L'Hermione sous les ordres du capitaine Du Peyron, son «bienfaiteur» lors de la traversée à l'aller (MEURON 1982: 52-323), «1 Caisse Chitz & pelleteries» et par le vaisseau du roy L'Artésien, dont le capitaine est le Ch/ DeVignes, «N° 7 et 8 2 Caisses coquillages [emballés]»; puis en février «N° 12 1 C doublement encaissée & emballée Contenant flacons de Serpens à l'esprit deVin» et «N° 13 1 C Contenant Cornes &peaux d'animaux Sauvages &marins.», selon les lettres N.° 10 et 11 de Raymond datées des 20 janvier et 29 février 1784 à Pierre Frédéric (P - dos.56.III). Après lui avoir parlé de vin qu'il lui adresse et de cannelle à vendre, CDM confirme ce dernier envoi à son frère Ie 1er mars Ì78424: je vous Envoyé par l'Ajax /comande par mon ami & Camarade M.r de la Règle/ [...] U y a aussi une Caisse ou il y a 11 flacon de Serpents & autres insectes dans le Rum. je tacherai d'en faire une autre ou il y aura des plantes de mer qui demande d'être déballé avec bien de la précaution, une tête de buffle dès cornes de différents animeaux, deux Veaux marin & quelque Coquillages. Si elle peut être faitte Je la lui remettrai aussi.
(B -6 juillet 1804).
IV - DES OBJETS ET DES HOMMES
51
mettre en demi bouteille & le conserve pour mon retour Sans Se priver d'en boire & d'en faire goûter
a nos amis. -'*¦¦•¦ ' -'* '¦* • k->
Dans la Caisse de peau /il y a 4/ Zèbre, je desire qu'il en garde deux pour faire Empailler une
Grande & une petite ainsi qu'une de Leopard. & quelque petites de différents animaux, il y en a de Chat
Sauvage de ce pays cy qui Sont d'un gris Roux elles Sont Employées avec Succès pour les Sciatiques
les Rumatisme & même Ia Goûte.
Le reste il faut tacher de tirer le meilleur parti possible, la facture vous dirigera. (P - dos.42.II).
CDM n'a pas envoyé, ni même emballé, tout ce qu'il avait recueilli. A son
départ, non seulement il abandonnait un mobilier de ménage qui sera mis aux
enchères les 21 et 22 mars 1786, mais encore une bibliothèque entière de 74 titres
dont 64 reliés représentant 204 volumes, «La machine Electrique et ce qui en
dépend» - vraisemblablement celle ayant appartenu à l'ancien gouverneur du Cap,
le baron Joachim Van Plettenberg34 -, vendue 230 Rx, trois grands tableaux chinois
vendus 100 Rx - qui sont peut-être ceux signalés à Besenval - et jusqu'à «1 Panier
et Divers Coquillages» vendus «4 **» (4 escalins) Ie second jour entre «1 Sac Poires
Seches» et «1 Sac Raisins Secs»35, sans parler de sa maison! Il n'y a donc pas lieu
de croire qu'il emportait de «volumineux» bagages (MEURON 1982: 65).
Comme l'a révélé la correspondance, certaines acquisitions non africaines (les
«trois tableau de Chine» ou les «feuilles de talipot» venues de Ceylan) ont été faites
au Cap. Mais CDM avait des correspondants: à Java, Pierre Isaac de Meuron,
dit Pierroton, un sien parent36, et à Ceylan, M. Coquart ainsi qu'un certain
M. Martin37, que CDM finira par nommer auprès de Raymond au printemps 1787,
34 Gouverneur du Cap de 1774 à 1765. Selon la lelire de CDM du 25/26 décembre 1784 à Pierre
Frédéric: «Je lui ais acheté Son Cabinet de Phisique Par Speculation & par politique Mil florins
d'holande payable en hollande» (P - dos.42.II).
35 «Traduction du Rolle de ventes failles dans la maison de Monsieur le Comte et Colonel de Meuron,
au Cap de Bonne Espérance les 21 et 22 mars 1786» (15 pages) et «Catalogue des Livres de Monsieur
de Meuron Colonel dont la vente se fera les 21 et 22 Mars 1786» (3 pages) (P - dos.14.VI).
Quoique dûment mentionné précédemment (Meuron 1982:15), il ne figure pas dans la publication
Histoire d'une famille neuchâteloise (La famille Meuron) (Meuron 1991 - absence confirmée par une
lettre de M. Guy de Meuron du 14 juillet 1994), mais est cité à plusieurs reprises dans la correspondance
et les comptes (Kaehr 1997: 335-43).
37
Le futur lieutenant François Louis Martin, de Peseux, né vers 1737, entré au régiment le 21 juin
1787 et décédé à Vellore le 28 décembre 1798. Dès le printemps 1786, il se trouvait à Ceylan d'où il
était en correspondance avec Raymond au Cap, à qui il envoya des objets d'histoire naturelle, reprenant
la récolte de M. Coquart, selon la lettre N.0 34 de Raymond à CDM du 30 avril 1786 (P - dos.57.I).
«notre Martin» avait «institué Son héritier Monsieur Bumand qui est chargé de la Famille du
Deffunt» étant donné que, d'une liaison avec une indigène - il «a, Selonl'usage deLuxembourg, une
Chingulaise av'ectrois ou quatre enfans» -, il laissait un fils qui sera placé au «Mih'tary Male Orphan
Asylum» à Madras (PETERSON 1999: 89, note 17), comme Pierre Frédéric l'écrit à CDM les 11
novembre 1789, 14 avril 1798 et 9 octobre 1800 (P - dos.50.I).
52
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
sans négliger M. Bumand38 dont le nom apparaîtra à plusieurs reprises. A part «les
Diables de Négombo & quelques Coquillages» de M. Coquart de Ceylan chargés en
mai 1785 par M. de LaVieuville, d'autres «naturalia» parviennent au Cap, également
en provenance de Ceylan, en avril 1786, donc après le retour de CDM en Europe.
Malheureusement, l'état des objets laisse à désirer, d'après la lettre N.° 34 de
François Joseph Raymond à CDM du 30 avril 1786:
Comme j'espère de vous écrire Souvent, mes Lettres Seront Courtes; La présente est seulement pour
vous donner avis que j'ai reçu Ces jours passés une Lettre de M. Martin à Ceylan, qui vous fait part d'un
envoy d'une Caisse coquillages & quelques pierreries, avec deux planches bois jaune & deux demi billes
bois de Calmindre qui est a peu près comme le bois puant mais plus foncé. Je viens de recevoir le tout
de L'envoy du Lieutenant Adrians que vous avez vu Chez M. Chiron" & M. Dumenil l'a fait aporter
/du bord/ [du vaisseau Stavenìsse] a la maison.
Pour vous rendre Compte de cet envoy j'aurai l'honneur de vous dire que je le regarde comme les
demieis efforts d'un homme mal aisé à qui vous devez Compte de Sa bonne volonté Seulement. Lc bois
jaune est gercé au point de ne Servir que pour bordures. L'autre n'a de diamètre que pour tirer des pieds
de table. Les Coquillages Sont les mêmes que ceux que m. Coquart vous avoit envoyé. Les diamants
Sont de vrais Cailloux à 1 Esc [escalins] pièce; Il y a deux petites mâchoires d'Eléphant pesant
ensemble 5 ou 6.fc et deux becs d'oiseaux de Cette forme [minuscule croquis] il y avoit un plumet blanc
- a peu prés de héron avec deux oiseaux à moi inconnus, renfermés dans une boëte très bien fermés; En
l'ouvrant j'ai trouvé les oiseaux disséqués & absolument mangés par les Vers qui se Sont de là jettes
Sur le plumet qui s'est entièrement deffait en voulant le Secouer. Je présume que M. Coquart avoit
Commencé Cette Collection & quà Sa mort elle S'est trouvée dans les mains de M. Martin, Je vous
l'adresserai avec vos autres effets. Mais je ne Sai qu'envoyer en retour à Cet officier (P ¦ dos.57.I).
Il n'est pas certain que CDM les ait reçus, pas plus que ceux qui devaient
(ou auraient dû) arriver de Batavia en avril 1787 de la part de Pierre Isaac de
Meuron, ainsi que Raymond l'écrit à Pierre Frédéric dans sa lettre N.° 42 du 15 avril
1787:
Je n'ai aucunes nouvelles de Ceylan; le V.™ la Perle qui devoit en revenir le premier a failli Couler
bas à l'Isle de france [île Maurice], On en attend deux â chaque instant.
[...] M.' Le Baron de Niewenheim ancien Cap.™ au Service de Batavia, qui a passé icy en Mars avec
le Diamant, ne put pas trouver à bord la Caisse de coquillages dont M. P." Izaac de Meuron l'avoit
chargé pour Monsieur Le Comte. Mais je lui ai donné vôtre adresse & en cas d'absence Celle de
M." Van de Perre Meyners & Comp.' [banquiers à Mïddelburg] Je souliaite que ces Curiosités ne soyent
point perdues. (P - dos.57.1).
Jacob Rodolphe Bumand (1753-1816), dit des Indes, entra au service de la Compagnie hollandaise
des Indes comme marchand en 1776 à Batavia d'où il fut transféré à sa demande deux ans plus tard à
Ceylan. De 1784 à 1794, il fut gouverneur de Battikalao. Après la conquête britanique en septembre
1795, il renonça à rentrer en Europe et vécut à Colombo où il exerça des fonctions administratives
élevées. Il est l'auteur d'un mémoire que copiera Cleghom. (lettre de M. Christian Gilliéron du 2 août
1994; Nadaraja 1966).
39
Abram Chiron, négociant au Cap, qu'il a quitté le 6 janvier 1785,
IV - DES OBJETS ET DES HOMMES
53
Ce nonobstant, si le Cabinet a comporté avant 1795 des spécimens «des Indes»,
contrairement à ce qu'indiquent depuis longtemps,les .publications40, CDM ne les
en a pas ramenés lui-même; à moins qu'il ne s'agisse de productions des Antilles.
La plupart des objets du Cabinet issus de terres que CDM n'avait pas encore
touchées avant la donation ou qu'il ne foulera jamais n'ont pu être acquis que
de tiers, après des cheminements plus ou moins indirects. Parmi eux, à côté des
œuvres extrême-orientales, trop largement répandues et commercialisées depuis
longtemps en Europe pour mériter une enquête, figurent des objets d'Amérique du
Nord et surtout d'Oceanie41 qui ne manquent pas de piquer l'intérêt, plusieurs étant
spécifiquement hawaiiens.
C'est le 18 janvier 1778 que le capitaine James Cook (1728-1779) a décou-
vert*2 Oahu, Kauai et Ni'ihau; après son passage de mars à juin sur Ia côte Nord-
Ouest de l'Amérique, à sa seconde visite, il découvre Maui le 26 novembre de la
même année puis le 30 novembre Hawaii (transcrit «Owhyhe») proprement dit. Qui
plus est, l'origine géographique de l'ensemble de cette série d'artefacts correspond
de manière surprenante aux divers points touchés par le troisième voyage de Cook
(1776-1780): Nouvelle-Zélande, Tonga, Tahiti, îles Hawaii, côte Nord-Ouest de
l'Amérique, Alaska43. Certains présentent des analogies avec le matériel rapporté
par le peintre et dessinateur Johann "Waber44 et donné entre 1787 et 1791 à la
Bibliothèque de Berne qui se trouve maintenant au Musée historique (CsONKA 1988:
134,136, 138; Kaeppler 1978b: 18, 32); il en va de même avec des pièces remises
en évidence au Musée d'ethnographie de Herrnhut - 38 sur les 106 fournies avant
1782 par Benjamin La Trobe au «Naturalienkabinett» de Barby (AUGUSTIN 1993)
- ainsi qu'avec plusieurs de la riche collection de Göttingen (KRÜGER 1994).
S'il ne faut pas céder à l'engouement pour le célèbre capitaine, qui a provoqué
de nombreuses attributions erronées (FEEST 1998; KaEPPLER 1978a: 38-9),
Par exemple Richesses des Musées suisses (Deuchler 1983: 214) ou l'ouvrage «commémoratif»
du Musée d'histoire naturelle (Dufour et HAENNl 1985: 36) qui reprend les sources antérieures. La
confusion, que risquent d'entretenir les Promenades touristiques (Jelmini 1997: 109), vient en partie de
l'expression imprécise de l'époque et de CDM en personne, qui écrit plus d'une fois «dans l'Inde» alors
qu'il s'agit du Cap.
Dans l'Inventaire (M), ils apparaissent plutôt avant les objets africains, ce qui ne doit pas traduire
une chronologie d'acquisition: lors de l'établissement d'une telle liste, il est fréquent que les dernières
entrées soient inscrites d'abord.
42 Même si l'archipel a été aperçu au XVIe siècle (Augustin 1993: 15, note 17; Phelps 1976: 63-4),
voire touché (DUNIS 1990), il n'a été exploré que pendant le séjour de Cook (Beaglehole 1992: 580)
duquel proviennent les premiers objets parvenus en Occident, des le 22 mai 1779 en Russie (KAEPPLER
1978a: 46; 1978b: 1-3) puis en Angleterre - trois collections sont reçues au British Museum entre le 10
et le 24 novembre 1780 {King 1981: 22-4). Une latence de sept ans suivra: «After Cook's visit no ships
called in Hawaii until 1786.» (Kaeppler 1978a: 53, note 3).
Il n'y en a pas, en revanche, des Marquises, des Nouvelles-Hébrides et de Nouvelle-Calédonie
{deuxième voyage uniquement).
44 Ou John Webber (1751-1793) (Biographies 1995: 21-6). Le solde de ses collections sera vendu
après sa mon chez Christie's les 14 et 15 juin 1793 (Kaeppler 1978a: 47; 290; Hauptman 1996).
54
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
la filiation Cook apparaît néanmoins hautement probable45; ce qui permettrait
d'ajouter les pièces neuchàteloises aux quelque 2 000 spécimens répertoriés des trois
voyages (Kaeppler 1978a: 49; Kaeppler, Kaufmann et Newton 1993: 23).: -,*¦.
Mais il y a lieu "de ne pas négliger qu'après Ie troisième voyage de Cook,
d'autres expéditions sont susceptibles d'avoir ramené du matériel, dont il est.ardu
de suivre la trace. A partir du printemps 1785 est fondée la South Sea Company
pour le commerce des fourrures entre l'Amérique du Nord et la Chine dont les
bateaux «font aiguade» à Hawaii. Ainsi, le 26 mai 1786, les capitaines Nathaniel
Portlock et George Dixon arrivent à la baie de Kealakekua - cependant que La
Pérouse, dont les vaisseaux sombreront lors du retour sur un récif de.Vanikoro,
relâchait le 28 mai à Maui. Portlock fera une nouvelle visite en février 1787 et les
deux vaisseaux seront de retour en Europe avant mai 1789. Le capitaine John
Meares (v. 1756-1809) touche Hawaii en août 1787, puis, lors d'un second voyage,
le 17 octobre 1788, tandis que le capitaine Douglas, qui commande le second
vaisseau, débarque le 6 décembre 1788 pour séjourner jusqu'au 18 mars 1789 et y
revenir en juillet 1789; en février 1788, James Colnett (v. 1754-1806) passe à.Kauai
(Sahlins 1985: 108, note 4) et il séjournera «à Hawaii en tant que capitaine de.
Y Argonaute» au printemps 1791 (SaHLINS 1979: 317; 34O)"16; le 22 septembre
1789, c'est le tour du capitaine John Henry Cox et de son lieutenant George
Mortimer sur le Mercury (Buck 1953: 38-9) et à la fin de 1789, celui de Metcalf
sur YEleanora... (SaHLINS 1992: 36-9). . r. <, K
En revanche, le capitaine Etienne Marchand (1755-1793), qui sera en vue de
Hawaii Ie 4 pour repartir le 7 octobre 1791, ne jettera l'ancre à Toulon que le 14
août 1792, trop tard pour qu'aucun objet n'ait pu arriver et être enregistré dans le
Cabinet de CDM. L'expédition du capitaine George Vancouver (1757-1798), qui
avait participé aux deuxième et troisième voyages de Cook, ne peut non plus entrer
en ligne de compte puisque, s'il fait une première visite du 5 au 16 mars 1792, une
deuxième le 14 février 1793 et une troisième le 9 janvier 1794, il ne retourne qu'à
la fin de 1795 avec les collections officielles du botaniste Archibald Menzies (1754-
1842) (Alexander 1891: 125-7; 320-1; Buck 1953: 34-41, 49-56; King 1994),
entrées au British Museum le 13 février 1796 (KING 1981: 25-6).
11 convient aussi d'envisager les possibilités connues d'approvisionnement. Il
était très tentant d'imaginer ces «17 tapas de Tahiti à décors divers (noirs, rouges
et blancs) en provenance probablement d'échanges avec les bateaux de Cook en
Afrique du Sud» (Gabus 1967: I: 24). Or, quittant Ie mouillage de Hawaii sous le
commandement du capitaine Charles Clerke (1743-1779) huit jours après que Cook
avait été tué dans la baie de Kealakekua («Karakakooa»), les deux navires le
«How exciting that you have found what appears to be another Cook voyage collection I» (lettre
de M"™ Adrienne Kaeppler du 24 février 1990).
Esteban Martinez, commandant du port de S. Lorenzo de Nutka, fera parvenir au cabinet royal de
Madrid des objets hawaiiens provenant de la confiscation de la cargaison de son navire en 1789 mais
pas de tapas (lettres de M™ Araceli Sanchez Garrido des 11 juillet et 16 septembre 1996). Une collection
nord-américaine d'Archibald Menzies provenant de son voyage sur le Prince of Wales commandé par
Ie capitaine James Colnett en 1787-1788 entre au British Museum le 19 février 1790 (KlNG 1981: 24-5).
IV '-''DES OBJETS ET DES HOMMES
55
Resolution et le Discovery appareillèrent le 22 février 1779 pour relâcher, conduits
par Ie nouveau commandant, le capitaine John Gore (v. 1730-1790), le 12 avril 1780
au Cap où le régiment Meuron ne débarquera que le 7 février 1783! Même si, en
plus des spécimens peut-être donnés par Anders Sparrman47 ou les Forster au retour
dû deuxième voyage en 1775, il est resté au Cap des témoins du troisième voyage
(Kaeppler 1978a: 44, 49, 293; 1994: 69), la source est à chercher ailleurs.
Les occasions n'étaient pas illimitées de se procurer de telles pièces au cours des
dix ans seulement qui séparent la mise sur le marché de spécimens de Hawaii48 et
leur présence assurée à Saint-Sulpice dans le Cabinet de CDM, durée qui se réduit
même à quatre ans49. Certes, Ie moindre prix attaché aux «ethnographìca»50 par
rapport aux «naturalia» a pu permettre une circulation des objets dès la fin de
178051 et surtout à partir de 1781, mais avant la fameuse dispersion du Leverian
Museum en 1806 (KAEPPLER 1978a: 12). Or la nature des objets retrouvés suggère
plutôt un lot et donc un fournisseur unique.
Bien que beaucoup de personnes aient détenu du matériel du dernier voyage de
Cook en raison de leurs relations personnelles directes ou indirectes avec le célèbre
capitaine, il n'y a pas lieu de penser que CDM ait pu compter parmi ses fournisseurs
les peintres Johann Wäber (1751-1793), Philippe Jacques de Loutherbourg (1740-
1812) - qui séjourna près de Bienne du 17 juin 1787 au début de l'année suivante
(PhotiadèS 1932: 350-7) - ou même Joshua Reynolds (1723-1792), pas plus que
Johann Georg Adam Forster (1754-1794) - venu trois jours début novembre 1793
Anders Sparrman (1748-1820) avait déjà fait à 17 ans un voyage en Chine avant de devenir l'élève
de Linné. En décembre 1771, il alla au Cap, devint précepteur des enfants du gouverneur tout en herbo-
risant avec ardeur. En 1772, il fut invité à se joindre à l'équipage du Résolution puis débarqua de nou-
veau au Cap en 1775, d'où il ne revint qu'en 1776. n donnera ses curiosités à l'Académie royale des
Sciences de Stockholm en 1799.
Il faut être conscient que des officiers jusqu'aux membres de l'équipage, tous les participants se
procurèrent des curiosités comme souvenirs (BuCK 1949: 36) et étaient donc des collectionneurs poten-
tiels (Thomas 1994: 135), comme le rappelle Stephan Augustin (1993: 7), tout en signalant les limites
d'acquisition liées à la place, au matériel d'échange et à la considération: «Für die Seeleute war es relativ
schwierig, botanische oder zoologische Stücke zu erlangen und auf den Schiffen haltbar zu präparieren.
Völkerkundliche Dinge brachten dagegen in dieser Hinsicht keine größeren Probleme, mit Ausnahme des
Transportraumes, der zumindest in den Mannschaftsquartieren nicht reichlich zur Verfügung gestanden
haben kann. [...] Rang und Stellung der einzelnen Expeditionsteilnehmer, Offizier, Arzt, Wissenchaftler
oder Matrose, hatten Auswirkungen auf die Möglichkeiten zum Sammeln. Offiziere verfügten über eigene
Kabinen und konnten diese als Unterbringungsmöglichkeiten nutzen.».
Voir le chapitre VU.
Au cours des voyages, certaines pièces ont pu servir de monnaie d'échange pour des biens de
consommation mais aussi ont été troquées contre d'autres «exotica» (Hauser-SCHÀublin et KrOger
1998: 11-29), voire ont été données en cadeau, notamment la collection offerte par Clerke au major
Magnus Behm, gouverneur du Kamchatka, le 22 mai 1779 (Kaeppler 1978b: 1).
Les navires étaient de retour à Plymouth le 22 août mais n'arrivèrent au Nore, à l'embouchure de
la Tamise, que le 4 octobre 1780.
56
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
à Travers (Kelm et HEiNTZE 1976: A96)52, d'autant que celui-ci n'a pas néces-
sairement possédé des pièces de Hawaii.
"^A côté de sources d'approvisionnement françaises53 possibles, puisqu'il avait
de nombreux contacts à Paris, une hypothèse serait que CDM a profité de son mys-
térieux séjour à Londres en octobre-novembre 1791. Le fournisseur pourrait alors
être le marchand George Humphrey ( ? - après 1797 ou 1806)5* - selon la sugges-
tion de M™ Adrienne L. Kaeppler (lettre du 24 février 1990) - qui possédait déjà
un fonds important de pièces du deuxième voyage, vendues aux enchères en 1779
(Kaeppler 1978a: 44-5). Au retour du troisième voyage, celui-ci «again went to the
ships when they docked and bought whatever he could.» et il s'approvisionna de
même à la vente d'un officier, Ie chirurgien du Discovery David Samwell
(1751-1798), dès le 14 juin 1781, revendant une grande partie des objets en 1782
à Göuingen (Kaeppler 1978a: 13, 22, 47) tout en conservant probablement du
matériel, comme il acquit des pièces à la vente de la duchesse de Portland (courriel
de Mmc Adrienne Kaeppler du 26 juillet 2000) en 1786.
Comme l'Inventaire (M)55 liste un objet «[X] 27. Bateau d'Ecorce d'arbre, fait
par les Souvages Caraïbes» qui doit correspondre à la maquette de bateau des
Yàhgan de la Terre de Feu MEN 95.1.18, la collection de CDM a pu comprendre
également -, et pour autant que ce spécimen ait une origine Cook -, des objets du
deuxième (1772-1775), voire du premier voyage (1768-1771). Cette éventualité
pourrait consolider la supposition d'une source Humphrey, qui reste très
hypothétique..
Il voit sa femme, Thérèse Heyne (1764-1823), qu'il avait épousée en 1785 et dont il était séparé,
ainsi que ses enfants. Elle se trouvait alors à Ncuchâtel avec l'écrivain Ludwig Ferdinand Huber (1764-
1804); ils furent paimi les familiers de M" de Charrièrc.
La présence de pièces des voyages de Cook en France, révélée par de multiples indices, est encore
très insuffisamment explorée «Cook objects in France are siili a mystery and Switzerland, too.» (courriel
de NT" Adrienne Kaeppler du 7 septembre 2000).
George Humphrey avait ouvert au public son musée privé, N° 70 St. Martin's-Lane, dont il vendra
le contenu réuni depuis plus de 30 ans dans des enchères débutant le 5 avril 1779. Considéré comme «a
dealer in minerals and other natural history specimens» (Chalmers-Hunt 1976: 42; 61), il était aussi
«a prominent ethnographie dealer of late eighteenth-century London [who] had a large stock of Cook
voyage objects, which he had purchased himself from Cook's ships» (Kaeppler 1974: 70).
Le «Preisverzeicliniß von südländischen Kunstsachen und Naturalien» de Georg Forster (1985:102),
pam anonymement dans le Göttinger Taschenkalender fiir das Jahr 1782, qui comporte des spécimens
du 3e voyage de Cook mais aussi des précédents, indique où s'adresser: «Alle obige Artikel sind bey
Hm. Martin in King's Street Cov'ent-garden, und bey Hm. Humphry, in St. Martin's Lane, London, zu
haben.». D'après le catalogue autographe accompagnant l'importante collection vendue à Gottingen en
1782 (URBAN 1982: 24) et pourvue d'étiquettes losangiques typiques, Humphrey indique quant à lui
«Dealer in Natural History, &, & N.°48, Long Acre London.» (examen du 13 septembre 1994).
Le petit «Livre d'adresses» de CDM (P - dos.68.1) mentionne: «M/ Hompfrey Hist: Naturelle /
Leicester Square».
Enfin, en suivant Adrienne Kaeppler (Hauser-Scuäubun et KRÜGER 1998: 91), il a rédigé le
catalogue pour la célèbre vente aux enchères du Leverian Museum de 1806.
Voir le chapitre XIII.
IV ¦ DES OBJETS ET DES HOMMES
57
La documentation est hélas ! très lacunaire pour la période précise du voyage de
CDM à Londres en automne 1791: aucune dépense d'histoire naturelle n'a pu être
repérée qui puisse s'y rapporter"'aucun frais d'expédition non plus, alors que le lot
comporte une lance de 8 pieds 4 pouces qui pourrait difficilement passer inaperçue,
encore qu'elle ait été sciée en deux à un moment indéterminé !
Manifestement rempli par un secrétaire pour son second séjour en Angleterre56,
et donc datable de 1797, le petit «Livre d'adresses» relié cuir brun de CDM
(P - dos.68.I) montre que CDM était bien renseigné. Le répertoire comprend un
«Sir Banks Joseph, Soho Square»57 ainsi, justement, qu'un «M/ Hompfrey Hist:
Naturelle / Leicester Square»58!
Une preuve incontestable de la filiation aurait pu être fournie en découvrant de
par le monde, sur la multitude de spécimens dispersés59, deux échantillons de
«tapa» qui non seulement présentassent Ie même motif (comme les deux morceaux
MEN V.508 et V.50960 mais encore se correspondissent, ce qui n'a pas été le cas.
A défaut, Ì1 ne reste que la datation de l'Inventaire par l'étude de la bibliothèque de
CDM pour étayer la présomption que ce groupe d'objets proviennent du troisième
voyage de Cook.
Ces témoins prennent une valeur toute particulière pour la connaissance
scientifique du Pacifique, dans une perspective ethnohistorique (Kaeppler 1978a:
48; O'REILLY 1970), notamment en ce qui concerne Hawaii, jusqu'alors vierge de
toute influence européenne. «But, because European tools, technology, and ideas
were traded to the local inhabitants by the men on the ships, changes could take
effect immediately, especially those brought about technologically by iron tools. [...]
It is crucial to be able to state that objects from Hawaii came from Cook's voyage
rather than from those of Portlock, Dixon, or Vancouver. Only then will statements
Le début de chaque section alphabétique se rapporte presque toujours à Londres et, première de Ia
page, l'adresse de Hugh Cleghom, l'agent anglais qui l'avait accompagné en Inde et était rentré avant
lui, est celle qu'il lui communique par sa lettre du 27 octobre 1797 et que confirment James & John
Mcyrick: «Old Cavendish Street n° 20» [Cavendish Square] (P - dos.37.I; dos.41.rV).
Sir Joseph Banks (1743-1820), naturaliste qui avait pris part au premier voyage de Cook, président
de la Royal Society de Londres de 1778 à sa mort
58 CDM lui-même a ajouté de sa main un «Le C." de Bouraon Queen Street N°. 2 / Edgwarë Road.
(histoire naturelle.)»; il s'y trouvait également le nom de «M Guerning Histoire naturelle à Francfort»
qui, en automne 1801, lui proposera l'achat de ses collections. D'après Ia Nouvelle biographie générale
(1857: XX: col. 267), Johann Christian Geming (1746-1802), tout en s'occupant d'affaires de banque,
se livra à l'étude de l'histoire naturelle et particulièrement d'entomologie. Il n'épargna rien pour réunir
une vaste collection d'insectes et une riche bibliothèque. Il soigna «de la manière la plus désintéressée»
le texte des Papillons d'Europe, que CDM possédait dans sa bibliodièque.
«A large amount of bark cloth was collected in Hawaii on Cook's third voyage. Much of it was
cut into small pieces and bound or pasted into books, such as the series of volumes by Shaw (1787).»
(Kaeppler 1978a: 90).
60 Voir le chapitre XIV.
58
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
on pre-European technology be valid.» (Kaeppler 1978b: vii). Plus encore,
«Although certainly of antiquarian interest, Cook voyage collections can be used as
archaeological end points as well as beginning points for changes resulting from
European influence - not only in technology, but also in the ideology reflected.»
(Kaeppler 1978b: viii).
En vérité, la découverte au XVIIIe siècle est mutuelle et elle a de profonds effets
aussi bien sur les insulaires du Pacifique que sur les Européens; même si les consé-
quences sont inégales, les changements étant décisifs chez les premiers, les
influences sur les seconds, pour subtiles qu'elles puissent être, n'en existent pas
moins, modifiant considérablement des modes de penser (WlTHEY 1989: 11).
Kaeppler (1978b: viii) trace encore la perspective d'utilisation à des fins anthro-
pologiques du matériel documenté. «Are objects in museum and private collections
destined to be only "artificial curiosities,' as they were called in the 18th and
early 19th centuries? Or can they be useful in telling us about ways of life and
belief systems now long passed away? I belief that they can be used in this latter
sense. What do the collections mean? Why were these objects collected, rather than
others? What were the symbolic and functional aspects of the objects in the 18th
century, not only to their makers, but to those who collected them on the voyages
and in Europe?».
Des artefacts ethnographiques surprenants que l'auteur appelle ailleurs «manmade objects of
wonder» (Kaeppler 1978a: 15; 5, note 7).
V
LE CABINET À SAINT-SULPICE
A arti le 9 mars 1786 du Cap - où il avait passé en garnison trois ans et un mois
- pour arriver le 3 mai en rade du Texel après une très rapide traversée, CDM ne
pourra s'occuper de ses collections que l'année suivante, à partir de mai 1787, après
ses séjours aux Pays-Bas et à Paris, sinon plus tard.
Le fonds qui se trouvait déjà dans la maison patrimoniale de Saint-Sulpice
comportait vraisemblablement quelques-uns des «coquillages marins» de Théodore
de Meuron, de même que des «pétrifications», dont celui-ci se proposait, le 10 mai
1757, d'offrir une collection au colonel Franz Joseph de Hallwyl (1719-1785) dans
le régiment duquel servait son fils (P - dos.71.II); il y avait sans doute aussi des
objets souvenirs du service de CDM à la Martinique en 1758-1759. Dès 1760, alors
qu'il est à Rochefort pour remplir ses charges de militaire, tout en se préoccupant
de se marier, il avait recueilli des coquillages et lancé conjointement des opérations
commerciales. Dans ce contexte multiple, des contacts avaient été établis avec des
amateurs qui n'étaient autres que le banneret Frédéric Samuel Ostervald et,
indirectement, Elie Bertrand, «Pasteur de l'Eglise françoise de Berne», comme celui-
là Ie révèle le 15 mars 1761:
J'ai trouvé une occasion favorable pour faire parvenir à M*. Bertrand Pasteur de l'Eglise françoise
de Berne1, la boette de Coquillage dont vous avés eu la bonté de gratifier nôtre cabinet J'ai receu dans
sa dernière ordre exprès de vous faire mille remerciements & de vous inviter à aller le voir de même
que la collection de curiosités naturelles qu'il a chés lui. (P - dos.71.IQ.
Beaucoup plus tard, une lettre à son frère Pierre Frédéric, le 21 [?] mars 1781,
suggère que CDM a également pu enrichir ses collections à Paris:
avés vous retiré Mes Coquillages, je le desire fort Si je peux Envoyer quelques meuble je le ferais
car je Songe Sérieusement à preparer un petit menage. {P - dos.42.Ü").
Ces coquillages, s'ils existent encore, ne se trouvent probablement pas à Yverdon où le musée est
issu surtout de la collection qu'il avait léguée (Kaehr 1984: 351-3) et qui est la seconde, rassemblée
après son retour de Pologne. La première, constituée alors qu'il était encore pasteur à Berne, a été
vendue pour sa plus grande partie au Grand Electeur de Saxe, vers le début de 1764 (Roulet 1950: 68;
Weidmann 1986: 80; 100-1; lettre de M™ France Terrier du 24 mai 1994), tandis que Haller, dans sa
bibliographie, imprimait qu'elle «Ist grössentheils an den Churpfâlzischen Hof verkauft worden»
(1981 (1785-1788): I: 339, n° 1085). L'imprécision des sources, malgré plusieurs démarches en
Allemagne orientale, n'a pas permis d'en retrouver la moindre trace,
60
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
II y acquerra de même des tableaux et des gravures, selon une autre lettre du 25
mai suivant (P - dos.42.II).
Certaines étiquettes (libellées en français) et cotes antérieures qui ont subsisté,
différentes de celles correspondant à l'Inventaire (M) et d'une autre écriture,
suggèrent que CDM pourrait avoir entrepris d'organiser assez tôt ses trésors et
procédé (ou fait procéder) à une première numérotation (qui a l'air d'être séquen-
tielle) - à moins qu'il ne s'agisse de repères de marchands2.
Si la création du Cabinet n'avait daté que du retour de CDM à Saint-Sulpice,
il serait étonnant que le Journal du moraliste Théophile Rémy Frêne, pasteur à
Tavannes depuis 1763, en parle déjà en date du 2 juillet 1787, au reste par ouï-
dire3.
Le 2. Juillet lundi, de bon matin, IvT de Gelieu', ses cinq Pensionnaires, Louis et mois nous
acheminâmes contre U Goguelisse; nous passâmes par Nods. Chemin faisant. M* de Gelieu me raconta
comment M* Mouron, originaire de S? Sulpi (quoique de Neuchatel), Colonel du Regiment de ce nom
au service de la Compagnie HoIIandoise des Indes Orientales, et en Garnison au Cap de Bonne-
Espérance, y avoit fait une fortune très considérable. A l'âge de quelque cinquante ans, il s'est retiré
depuis peu chés lui à ? Sulpi, où il s'est formé un des plus beaux et un des plus riches Cabinets qu'on
puisse voir en curiosités et raretés naturelles et exotiques. Il a envoyé aux Indes son frère cadet, homme
marié, qui, pour faire la fortune de sa femme et de ses enfans, a hazardé cette entreprise et est parti sans
leur dire adieu. (Frêne 1994: 345-6).
Tout prouve au contraire l'existence d'une structure d'accueil: la lettre du
«Commandant» Raymond du 20 janvier 1784 à Pierre Frédéric annonce déjà «Vous
aurez de quoy former un Joli Cabinet d'histoire Naturelle & quelque chose qui Serit
la Canelle» (P - dos.56.III), celle de CDM du 28 décembre 1785 à Théodore Abram
parle expressémenl d'oiseaux empaillés «pour Joindre à Ce qui est déjà dans le
Cabinet de S1 Sulpice.» (P - dos.43.II) et le relevé de l'expédition du 23 janvier
1786 mentionne «Pour le Cabinet de M le Ctó» (P - dos.30), ce que confirme
Raymond qui, de son côté, avait écrit deux jours plus tôt: «Pour Le Cabinet de
m. Le Colonel» (P - dos.57.0.
Les envois successifs faits du Cap6 sont probablement restés entassés dans le
«magazin». Dans ces conditions, Théodore Abram improvise une présentation de
«ce qu'il y avoit de plus curieux» pour la visite du gouverneur de Neuchatel le
«vendredy» 29 septembre 1786 mais, comme il le regrette le 3 octobre 1786,
Voir le chapitre XIV.
La transcription de ce document nous avait aimablement été communiquée par M. Frédéric
S. Eigeldinger le 4 juin 1987.
4 Jonas de Gélieu (1740-1827), son gendre, pasteur à Lignières de 1763 à 1790.
Ils sont partis de la «Cure de Lignières»; le petit Louis est son «Neveu».
Voir Ie chapitre IV.
V - LE CABJNETA SAINT-SULPICE
61
«le terrible & affreux lems» qu'il a fait empêche M. de Béville7 de s'arrêter
(P-dos.25.II). -. .¦;.¦-¦
Au surplus, en été 1787, non seulement tous les objets n'ont pas été installés
mais la pièce qui doit les abriter reçoit un mobilier spécifique8 et va subir d'impor-
tantes transformations, l'espace qui leur est réservé doublant par la réunion de deux
volumes commerciaux de la maison patrimoniale. La somme globale pour les
«meubles & autres» s'élèvera au moins à £ 10 383.8.— jusqu'en 1789!
Concernant les gros travaux, les écritures sont plutôt embrouillées, notamment
à cause des multiples copies et des relevés particuliers qui les recoupent, parfois
dépourvus de date et imprécis - l'inscription est tardive et le «cabinet» pourrait
désigner parfois une autre pièce puisqu'une dépense est faite pour un lit - mais
l'essentiel est confirmé par deux lettres des 6 avril et 18 décembre 1788
(P - dos.53.I) de Théodore Abram, qui renâcle à ces investissements dispendieux,
à Pierre Frédéric. Un compte est payé entre le 15 août 1788 et 1791 «à Vaucher
Menusier pour les deux portes de Communication de la chambre au Cabinet, les
deux Cadres et la Caisse et les poser», !'«ancien Meuron» se chargeant de «percer
Ia muraille et remaçonner la Caisse de la porte»; puis pour «Reparation de la
chambre du Cabinet d'histoire défaire la Separation refaire le plancher [...]»
«9 journées de façon», la pièce étant sans doute reblanchie; enfin «a J: J: Vaucher
Menusier pour les reparations qu'il a faite a la chambre a coté du Cabinet d'histoire
f...]», «une serrure» étant posée «a la porte du Cabinet, 2 clefs». (P - dos.28.I).
Entre mai 1786 et avril 1795, CDM sera souvent retenu loin du pays pour tenter
de régler les affaires de son régiment, s'occuper de ses diverses opérations commer-
ciales, cultiver les appuis ou soigner sa santé.
¦ II séjourne d'abord aux Pays-Bas, qu'il quitte en septembre pour demeurer six
semaines à Paris, puis retourne y rejoindre en décembre 1786 Pierre Frédéric, qui
lui succède au Cap et doit faire passer le régiment à Ceylan. Revenant à Paris, il
s'accorde enfin une «course» à Saint-Sulpice en mai 1787. Ses troubles digestifs lui
font prendre en août les eaux de Vichy avec Pierre Victor de Besenval9, selon sa
lettre du [15] décembre 1787 à Pierre Frédéric (P - dos.43.II), puis il s'installe à
Paris où sa santé laisse longtemps à désirer; après une cure en août 1788 à Contre-
xéville, toujours avec Besenval10 (P - dos.43.II), il rentre en automne à Saint-
Sulpice et réalise un vieux rêve, faire en 42 jours le tour de la Suisse - sur laquelle
il s'extasie - en compagnie de son neveu Ja[c]ques Louis DuPasquier11, voyage qui
lui coûte le double de ce qu'il avait présumé (R - dos.22.IV). En décembre 1788,
Louis Théophile Le Chencvix de Béville (1734-1816), lieutenant-général, gouverneur de Neuchâtel
de 1779 à 1806.
Voir la fin du présent chapitre.
La comtesse Victoire Duliamel de Précourt [M™ Duhamel], amie de CDM, s'y trouvait aussi avec
la marquise de Créqui sans parler de Thimothée [Lebideff], serviteur de CDM, malade également.
En compagnie notamment du marquis de Jaucourt.
Fils (1762-1830) de Jean Jacques et de Marianne, née Meuron.
/
62
LE MÛRIER ET L'ÉPP.E
il écrit à Pierre Frédéric: «nous avons vu toutes les Bibliothèques et tous les
Cabinets d'histoire naturelle» (P - dos.44.I). De retour à Saint-Sulpice à fin octobre
1788, il y passe «faute d'argent» un méchant hiver, sans «demarcr» pendant trois
mois, dépérissant d'ennui et de froid: «mon Cabinet m'eut un peu distrait [...] mais
il glaçait», écrit-il le 14 mars 1789 (P - dos.44.I). Bien que sa santé reste chan-
celante, parti à la fin de juin, il fait une longue tournée qui le conduit d'abord à
Paris où il reste un mois, puis, accompagné de Ja[c]ques Louis, à Berlin où, de
septembre à décembre 1789, il cherche des protections, enfin aux Pays-Bas où il
«végète» de janvier jusqu'à la fin de juin 1790. Il séjourne en été à Paris, «Rue et
faubourg S1 dénis hotel du désin> (F - A.45), et ne revient que le 13 novembre à
Saint-Sulpice où il vivra un nouvel hiver peut-être moins rigoureux mais néanmoins
douloureux puisque se manifestent les premiers problèmes rénaux12.
Malgré les autres préoccupations de CDM, ses démarches et voyages fort
nombreux, les neuf ans qu'il passera en Europe ne vont pas sans modifications pour
son Cabinet, ni sans fruits non plus. S'il distrait quelques pièces de ses collections,
celles-ci s'augmentent malgré tout à la faveur des arrivages de marchandises
qu'il fait venir du Cap. Certaines étaient déjà en route, d'autres encore en dépôt
(P - dos.14.IV), d'autres encore seulement annoncées ou commandées. Leur récu-
pération, compliquée par suite de difficultés de transport, occupe une partie de la
correspondance tant.avec son ami François Joseph Raymond (P - dos.57.I) qu'avec
celui qui succédera à ce dernier au Cap, le capitaine Henri David de Meuron Môtiers
(1753-1804), son cousin. Il doit même recevoir quelques cadeaux imprévus: une
boîte ancienne en métaux variés de Renaud de Coquillard13 le 14 août 1788 (P -
dos.58.1) et de Pierre Isaac de Meuron «une espèce de médaille d'or, et une petite
fiole d'huile ou d'escence de Canelle» selon Ia lettre que ce même Renaud lui
envoie le 6 avril 1794 (P - dos.59).
Après le 4 novembre 1786, une «Caisse de Pelteries» venant de Nantes doit
arriver à Saint-Sulpice (P - dos.42.II), qui est l'une de celles expédiées du Cap le
23 janvier de la même année (P - dos.30); Théodore Abram, Ie 30 juin 1787, porte
dans ses comptes des «fraix a 6 Colis Petrification Peleterie, talîpo &.c venant de
Paris & du Cap» pour la somme de £ 468.11,- (P - dos.28.I).
Le 9 juillet 1787, Renaud de Coquillard signale l'arrivée aux Pays-Bas d'une
caisse «Remplie de Coquillages» (P - dos.58.1), dont il n'est pas possible de situer
l'origine et qui est peut-être celle dont il déclare le 15 octobre suivant qu'elle «doit
être en route présentement» (P - dos.58.I).
D'autres lots suivront - les comptes de Raymond au Cap portent en date du 22
avril 1786 une dépense de Rx 28.--.-- «au S/ Dirck Hoffmann p/ 2 porcs epics»
Comme son contemporain, Arthur Phillip {1738-1814), premier gouverneur de la Nouvelle-Galles
du Sud, peut-être sa maladie est-elle due à une diète trop salée à laquelle étaient exposés les marins par
suite du moyen de conservation des aliments (Frost 1987:218) ou plutôt à une absorption d'eau insuffi-
sante (renseignement de M. Jean-Pierre Zellweger Ie 4 août 1997).
François Simon Renaud de Coquillard ( ? -1799?), précédemment de la légion de M. de
Maillebois, capitaine chargé du dépôt du régiment à Flessîngue puis à Middelburg.
V - LE CABINET A SAINT-SULPICE
63
(P - dos.22.II) et le 24 novembre 1787 une de Rx 101.2.-- «au Bourgeois Jan Engel
p/ 6 peaux zebre» (P - dos.17.III) - mais avec lenteur et difficultés, vu l'impos-
sibilité de charger des caisses; plus de deux ans s'écouleront avant que CDM puisse
rapatrier «ce qu'il y avoit d'Embalé pour [lui] depuis [son] départ» du Cap, ainsi
qu'il l'écrit le 1er janvier 1788 à Meuron Môtiers (P - dos.43.II).
Parmi les nombreux récits de voyages qui fleurissent alors, il en est à nouveau
plusieurs qui ne parlent pas de cabinets ou ne contiennent pas d'éléments intéres-
sants à propos de la nouvelle installation de CDM14. Il n'empêche que la réputation
du Cabinet s'étend, au point de le faire entrer dans le circuit des curiosités locales
comme une étape obligée de tout périple. Le succès auprès des visiteurs dut être
grand pour que CDM y ait attaché un «Tronc pour les pauvres»15 dont le maintien
sera la seule exigence posée lors de la cession aussi bien des collections que du
mobilier (G; M).
Après le pasteur Frêne qui, Ie 2 juillet 1787, a expressément fait état de
«curiosités [...] exotiques» mais sans les avoir vues, Ie premier témoignage sur Ie
cabinet n'est autre que celui de l'Ecossais avec lequel CDM négociera l'avenir du
régiment: Hugh CIeghorn16. En compagnie du jeune comte Home17 dont il était
Ainsi celui du citoyen Jacques de Cambry (1749-1807) qui, parlant de Neucliâtel, fait entre le 23
et le 25 août 1788 un circuit dans les Montagnes neuchâleloises {1800:1: 228-246). Adélaïde Edmée de
La Briche (1755-1844), arrivant à Neucliâtel le 1™ octobre 1788 à Neuchâtel, n'y fait que passer pour
se rendre à La Chaux-de-Fonds en «charaban», puis le lendemain au Locle, aux Verrières et de là à
Ponlarlier (ZURICH 1935: 153-64). Le général Miranda, lors de son voyage dans la Principauté du 5 au
10 octobre 1788, évite le Val-de-Travers et ne va même pas à Môtiers (Guyot 1934: 22-35). Le pasteur
Philippe Sirice Bride! (1757-1845) qui, vraisemblablement en 1788 d'après la carte accompagnant son
récit (1789), effectue une «course de Bale à Bienne par les vallées du Jura», ne va pas plus loin que
«l'isle de St-Pierre»; il promet une suite de sa relation jusqu'au lac de Joux, mais elle ne semble pas
avoir vu le jour. Inspirée par les Tableaux de la Suisse de Laborde et Zurlauben du désir «d'aller voir
surplace», la comtesse de La Marck (Bory 1971: 45: 26-8) qui s'intéresse aux collections d'histoire
naturelle, après bien des aventures, ne fait non plus que passer la nuit du 8 au 9 septembre 1789 à
Neucliâtel, se souciant surtout de faire un pèlerinage à l'«ïïe Saint-Pierre». Enfin, le Guide du voyageur
en Suisse du naturaliste Thomas Martyn (1735-1825) consacre, lui, à peine deux pages à Neuchâtel
(1790: 49-51), sans entrer dans les détails.
A plusieurs reprises, CDM fera des dons pour les pauvres de Saint-Sulpice et aussi de Boveresse,
comme en font foi ses comptes, notamment avant un départ et pour marquer l'heureux retour de ses
lointains voyages. «Pour Le bien & L'embellissement de Son Heu natal», comme l'écrit Jean-Jacques
Bolle à Théodore Abram le 28 octobre 1798, tennes qu'il reprend le 6 décembre 1799 (P - dos.33), U
contribuera de même à divers travaux d'édililé publique ou offrira une cloche, réalisée par Joseph Désiré
Rognon, fondeur à Chauvraiche, exigeant, sans vaine illusion mais attentif à perpétuer comme il convient
son souvenir (Kaehr 1996b), une inscription conforme à ses vœux, dont son secrétaire, Daniel Henri
Reymond. lui communique le texte, selon une lettre à Théodore Abram du 9 octobre 1802 (P - dos.43.I).
Une biographie complète de Hugh Cleghom (1752-1837) contient malheureusement quelques erreurs
importantes à propos de Neuchâtel (CLARK 1992).
64
LE MURIER ET L 'EPEE
le précepteur, il s'élait établi à Neuchâtel, probablement en mars 1789, et y avait
noué de "nombreuses connaissances et amitiés (Clark 1992: 99).
A sept participants, trois à cheval et quatre en «charabanc», est entreprise dès
Ie 3 juin une excursion qui, selon Ie second volume du journal de Cleghorn, les
conduit à La Chaux-de-Fonds, au Locle et au Saut-du-Doubs.
Returned from this expedition, Lord Home went fishing .for trout in the Arciise, in the Val de
Travers, for some days and Cleghom joined hini to explore the valley and visit the village of St Sulpice,
in which was «the house of my friend Colonel de Mcuron who has collected an excellent Cabinet of
Natural History» (Clark 1992: 54).
Lors du grand tour de Suisse qui suit en été, Cleghorn aura l'occasion de voir
d'autres collections, dont celle du général Pfyffer18 à Lucerne, mais c'est en mars
1790, pendant le voyage en Italie, qu'il fut vraiment impressionné par un musée,
celui établi par les Biscari à Catane (Clark 1992: 67-8; 80).
Le témoignage qui lui succède, celui d'une exilée française, identifiée comme
une certaine M"* de Gauthier, prend une valeur toute particulière en dépit de sa
brièveté. Déjà auteur d'un récit de voyage en Alsace, elle entreprend de relater sous
forme de «lettres» ses deux parcours en Suisse en 178? et 1790, tout en y mêlant
plusieurs récits sur la Révolution. L'ouvrage en deux volumes est publié anonyme-
ment en 1790 «à Londres», adresse manifestement fictive.
Pour meubler ses loisirs, elle n'avait pas manqué de faire le tour de toutes les
curiosités du pays, se référant notamment au Dictionnaire [...] de la Suisse de
Tschamer (1788), à Bourrit - de préférence sa Nouvelle description des glacières
(1787) -, aux Lettres à M W. Melmoth sur l'état politique, civil et naturel de
la Suisse de Coxe (1781), mais utilisant moins explicitement aussi Sinner de
Ballaigues; elle s'était particulièrement intéressée aux cabinets de divers amateurs,
sans réussir à les visiter tous. En juillet 1790, elle avait découvert celui de CDM, qui
se trouvait alors absent à Paris, et elle en parle dans la lettre LV datée «A la
Brevine, Ie 26 juillet 1790»:
On nous conduisit à S. Sulpice, dans le cabinet d'histoire naturelle de M. de Meuron, colonel au
service de la Compagnie Hollandoise. Sa collection de coquilles est nombreuse; nous vîmes des meubles,
des habits & des armes à l'usage des Indiens & des Chinois, que le propriétaire a rapportés de ses
voyages, ainsi que quelques plantes sèches; le talipo y est dans son entier. On me permit d'y mâcher du
bétel: je lui trouvai un goût d'épice qui me déplut, & qui me feroit rejeter ce parfum, quand même il
n'aurait pas l'inconvénient de noircir les dents.
J'examinai avec plaisir une collection de quadrupèdes extrêmement réduits dans leurs proportions,
mais imités à merveille, posés avec grace & naturel; ils sont d'ailleurs revêtus des peaux des animaux
qu'ils représentent. On m'a dit qu'ils venoient de Strasbourg. (1790: C: 303).
17 Alexander (1769-1841), 10* Earl Home:
1R
François Louis Pfyffer de Wyher (1716-1802), lieutenant-général au régiment de Sonnenberg,
topographe, auteur d'un célèbre plan en relief de la Suisse intérieure [centrale] de 6 x A mètres terminé
en 1786 et actuellement au Gletschergartenmuseum; CDM l'avait précédé en 1788 (P - dos.44.I).
V - LE CABINET À SAINT-SULPICE
65
D'après sa correspondance, dès fin juin 1791, CDM^est à nouveau en route,
s'arrêtant d'abord en juillet à Conirexéville avant de.passer aux Pays-Bas, fait
en octobre/novembre un mystérieux séjour à Londres19, pour revenir ensuite aux
Pays-Bas où il effectue de nombreux déplacements et rentre finalement après Ie 21
juillet 1792 à Saint-Sulpice.
Ainsi, il ne voit pas la comtesse Sophie Juliane Friederike de Dönhoff
(1768-1834), réfugiée en été 1792 à Neuchâtel, lorsqu'elle vient visiter le Cabinet
à Saint-Sulpice, ainsi qu'il le rapportera à son neveu, en même temps qu'il évoque
ses ennuis de santé, dans une longue lettre de onze pages datée de Saint-Sulpice le
10 janvier 1793 (V). '
En septembre 1792, une fracture à la jambe droite20 et des complications
avaient tenu CDM alité plusieurs mois d'hiver, le condamnant longtemps aux
béquilles, restreignant ses mouvements, ce qui l'oblige à faire venir Renaud
de Coquillard en Suisse l'été suivant - il est «a S.' Sulpice le 28 Juillet 1793»
(P - dos.22.I). Descendu habiter «sa petite maison»21 à Neuchâtel quoique «bien
hipotequé», il va prendre les bains à Schintznach en août, cure qui lui permet de
troquer une de ses béquilles contre une «canne à tête», comme il l'écrit de Neuchâtel
le 20 décembre 1793 à son frère (P - dos.44.I). Il semble y avoir fait un second
Hugh Cleghom informe le 28 octobre 1791 le ministre Henry Dundas des dispositions de CDM
{MEÙRON 1982: 102) qui est de retour à Middelburg le 17 novembre puisqu'il reçoit ce jour les comptes
du capitaine François Simon Renaud de Coquillard (P - dos.22.D et que Jean Pierre de Meuron Bullot
parle de «votre chère Lettre de Middelbourg en daite du 17e 9.-b™ 1791, que j'ai reçu au Cap peu de jours
avant mon départ» dans sa réponse datée de Colombo, le 26 décembre 1792 (P - dos.47.I). Par ailleurs
CDM écrira le 24 décembre à son cousin Pierre Henri: «Amonrctour d'Angleterre il y aun mois»
(R - dos.22.IV). Son incognito n'est guère préservé et même le Courrier de Madras fera état de son
voyage avant qu'il n'en parle à Pierre Frédéric, comme celui-ci le lui apprendra dans sa lettre du
12 novembre 1792 (P - dos.49).
L'accident a dû se produire la première semaine aux Bayards, selon le récit détaillé du 6 décembre
1792 qu'en fait Théodore Abram - qui lui tient momentanément lieu d'écrivain - à Pierre Frédéric
(P - dos.53.I) et que complétera CDM lui-même le 20 décembre 1793 (P - dos.44.1), précisant
notamment qu'il a été soigné par le chirurgien Petitpierre; les dépenses que Théodore porte dans ses
comptes (P - dos.28.I) le 17 octobre 1792 «a Qiarles Louis Dubois pour chercher Gauffre» et le 20 «au
docteur Gauffre» y sont probablement liées, Ce même jour une dépense est faite «a f rançois Vingenroth
pour aller chercher M". Petitpierre». La fracture ayant été mal réduite, l'os devra être rebrisé deux fois,
et CDM partira pour l'Inde handicapé et sans être rétabli, comme le montre son journal de voyage en
date du 3 juin 1795 (P - dos.44.n).
L'année précédente, selon une lettre de mars 1792 de Théodore Abram à Pierre Frédéric
(P - dos.53.I), le fils de Gauffre était parti de Brest dans l'expédition de Bruni d'Entrecasteaux (1737-
1793) à la recherche de La Pérouse en 1791-1794. «Maurice-Raphaël Gauffre figure sur le rôle de
L'Espérance comme second chirurgien natif de Pontarlîer (dans le Jura). Il reste à Java et devient
chirurgien en chef de l'armée et des hôpitaux de Java en 1813.» (lettre de M™ Sylviane Jacquemin du
24 mai 1994).
21 En 1792, il a acquis la maison de M™ Prince à Neuchâtel, connue sous Ia désignation de «Petite
Rochettc» ou «Rochette du Faubourg», pavillon dont les transformations se prolongeront jusque pendant
son séjour en Inde.
66
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
séjour l'année suivante et y avoir rencontré M. Peyer Im Hof (P - dos.55.II),
conseiller d'Etat schaffhousois.
Le médecin Johann Gottfried Ebel, qui publie en 1793 son Anleitung et
s'intéresse particulièrement à toutes les collections, indique sous la rubrique
«Môtiers»:
Geht man über St. Sulpy, so hat man I. St. weiter, sieht aber {...] und ein Naturalienkabinet in
St. Sulpy bey einem Grafen, der lange in Ceylon war und von daher sich Vieles mitbrachte. (1793: II:
16-7).
Dans la version française, Instructions pour un voyageur, due au «Traducteur
du Socrate rustique», Jean Rodolphe Frey (1727-1799), et parue en 1795, figure une
réactualisation qu'il a signée et qui le révèle très bien informé22:
Il y a une lieue de plus en prenant par SL Sulpy, mais on en est bien dédommagé {...] à quoi l'on
peut ajouter à bien justes titres Ie beau Cabinet d'Histoire Naturelle de l'aimable Colonel Meuron,
Chambellan du Roi de Prusse, qui habite St. Sulpy, et que de longs séjours qu'il a faits aux Indes
occidentales, et au Cap de bonne Espérance ont mis à portée de seconder son goût et ses connoissances
en ce genre.
Ce Cabinet un des plus riches de la suisse dans les trois règnes, est destiné, par le possesseur à la
Ville de Neuchâtel sa patrie. Le coquiller surtout est des mieux choisis et des plus complets. Entre les
autres morceaux les plus saillans, je citerai seulement une défense d'Eléphant qui pèse 90 livres, une
mâchoire inférieure de Baleine qui en pèse 550 et qui a 18 pieds de long. Parmi les serpens empaillés,
celui à lunette est de six pieds: des morceaux de cristal, et des minéraux des plus rares &c &c. Son frère
qui commande son régiment dans l'Isle de Ceiian, travaille à augmenter cette précieuse collection. T
(Ebel 1795: II: 213).
En revanche, Ia deuxième édition allemande reste fautive et dépassée, puisque
sa traduction française en 1805 indiquera qu'à «St. Sulpi»:
on remarque un cabinet d'histoire naturelle chez un Comte qui après avoir séjourné longtems à l'île
de Ceylon habite aujourd'hui à St. Sulpi (1805: HI: 405).
De même, à Neuchâtel, sera ajouté aux «curiosités»:
l'herbier de M. le Capitaine [Jean Frédéric] de Chaillet [1747-1839], l'un des plus beaux et des
mieux entretenus de toute la Suisse (1805: IV: 8).
CDM ne s'était pas contenté d'attendre l'arrivée des objets déjà recueillis ou de
recevoir de petits cadeaux; il s'agite, multiplie les initiatives afin d'obtenir des objets
d'histoire naturelle - mais non des artefacts - pour lui et ses amis, sollicitant ses
subordonnés et leur dépêchant des renforts, comme le montre sa lettre du 28 mai
1787 à Raymond:
Nous devons cette référence au professeur Philippe Henry (communication orale du 30 septembre
1994).
V ¦ LE CABINET À SAINT-SULPICE
67
Jespére mon Cher Raymond cjue'tori amitié & ton attachement poür'moy ne te permettront pas de
négliger les occasions de me procurer tous les objets que tu croira mériter place dans mon Cabinet
d'histoire naturelle de même que des Graines & oignon, pour M/ de Beseval. tu Sais lusage quii en fait,
& quel ami c'est pour moy, il ne S'est point dementi j'ai pensé en être Etouffé lorsque nous nous Somes
revus, recomande fortement toutes mes Garnissions à cet Egards à mon Cousin Meuron de Motier auquel
je nais pas le tems d'écrire non plus qu'à Sa Digne Epouse fais leur à l'un & a l'autre mes tendres
amitiés, j'ai reçu aussi une lettre de NT Reyne [le chirurgien-major Antoine Pierre Louis Reyne] à
laquellejenepeux repondre non plus, dis lui qu'il m'a fait grand plaisir que je laime toujours, & qu'il
est du nombre dès recomandés fortem' a mon frère [Pierre Frédéric, alors en route pour Le Cap],
[...] Jai nomé Mr Martin. Jespere que tu lui fera Sentir lobligation par la difficulté, il poura mieux que
personne Contribuer par Ses relations à te Seconder dans mes gout D'histoires naturelles, remercie le
pour ce quii à fait & j'approuve fort le Cadeau d'Eau de vie, tu ne pouvoîs mieux me deviner.
(P-dos.43.n).
Lorsque le régiment se prépare au transfert à Ceylan fin 1787 - début 1788,
CDM se lance dans une volumineuse correspondance. Non seulement il communique
instructions et nouvelles aux responsables de ses troupes, mais encore il consacre des
passages d'une longueur surprenante à son Cabinet, car ses obligés vont se trouver
«au Centre des Richesses» dans le domaine de l'histoire naturelle23. Il écrit le [15]
décembre 1787 à son frère Pierre Frédéric concernant Besenval, au colonel Jean
Pierre de Meuron Bullot (1744-1803) le 30 décembre 1787 et bien sûr à François
Joseph Raymond, Ie même jour (P - dos.43.II).
Par la suite, il ne cessera de stimuler de même Ie capitaine Samuel Gigaud, en
décembre 1788 (P -dos.44.I), puis le chirurgien-major Antoine Claude Louis Reyne,
le 14 octobre 1790 et Jean Zorn, resté au Cap, le 5 septembre 1791 (P -dos.44.I),
ainsi que Ie lieutenant André Garnier, d'après la correspondance avec Pierre Frédéric
des 1er mai 1790 et 5 septembre 1791 (P - dos.48.II; dos.44.I).
Quel que soit son rang, chacun est habilement invité à témoigner de sa
reconnaissance envers le propriétaire du régiment par des récoltes de spécimens; tous
les rabatteurs possibles sont les bienvenus, sans que pour autant ils ne doivent
consentir des dépenses à cet effet, mais cela peut leur valoir la faveur d'une
permission.
Dans ces lettres éclate tout à la fois l'insatiabilité de ses penchants de collec-
tionneur - «vous Connoissés mä pation»24 - et son irrépressible intérêt pour le
L'Encyclopédie d'Yverdon écrit: «Comme l'isle de Ceïlan est la clef des Indes, il semblé que
l'auteur de la nature ait pris plaisir à l'enrichir des plus rares trésors de la terre» et plus loin: «Toutes
les pierres précieuses, à la réserve du diamant, se trouvent dans cette isle» (1771: VIII: 182; 184).
CDM écrira en toute conscience le 16 janvier 1797 à M. Matthiessen, ancien contrôleur au bureau
militaire au Cap: «j'en payeray La dépense avec plaisir; ayant toujours La maladie de L'histoire
naturelle, je ramasse continuellement» (P - dos.44.II); avec la même obstination, ü s'était efforcé de
rassembler les portraits des Meuron lors de la création de la caisse de famille en 1791 et avait cherché
à récupérer les vieux drapeaux du régiment le 18 décembre 1791 (P - dos.44.I); le 2 août 1792, Renaud
de Coquillard portera effectivement une dépense «p.* 2 Caisses renferm.1 les vieux Drapeaux du
Régiment», suivie d'une autre le 22 septembre 1792 (P - dos.22.I).
68
LE MÛRIER ET L'ËPÉE
commerce. «J'ai étés Surpris celte Semaine d'une Vente de Cabinet qui n'egaloit pas
mä Collection, S'élever à 27 mil livres»25, note-t-il dans sa lettre du [samedi 15]
décembre 1787 à son frère; s'étant rendu compte que même les-surplus peuvent se
vendre avantageusement à Paris, il poursuit: «ramassés moy donc tous ce que vous
pouvés est en Quantité» (P - dos.43.II). Chez CDM, les deux attirances sont toujours
indissolublement liées mais, comme le rappelle Yves Laissus, «La vogue de l'his-
toire naturelle s'est doublée très tôt d'un aspect commercial» (BEDEL et alii 1986:
667), d'où les marchands-naturalistes, les ventes publiques et les catalogues de
collections, sans oublier la spéculation.
Cet aspect mercantile apparaît dans Ie rappel d'une tentative faite plusieurs
années auparavant, d'après une lettre que CDM envoie de Saint-Sulpice le 28 janvier
1789 à son cousin et contemporain Pierre Henri26, «àSonChateau»:
A L'Egard delaCoileciion devos mines, dont vous Complies m'aider par lepret deSaValeur, les
Circonstances ont contrecaré vos intentions dès les premier instant, vous ne putes mêles faire parvenir
dans le tcms ouelles étoient enfaveur. Si javois pus les recevoir pour l'automne alore il n'est pas douteux
que j'en auroîs tires partis, cetoît leComencem.1 decegout il n'y avoit pas Encore deSpeculateur mais il
Sevendit trois Grand Cabinet pend.' lhiver qui ouvrirent les yeux nombre deSpeculateurs firent venir
detoutes part !abondance enfit tomber leprix lannée Suivante, parce queSes Choses /ne/ Se vendent
qu'àlafin delautomne lorsque lonaquitté lesmaisons deCampagne après les risques quelles avoient Courus
àBayonne jefis assurer àRouen &les fraix d'assurances defret, &deport jusque Paris furent Consequent
leComte de Quitry mêles logeât &maida aies mettre envente, qui fut onnepeutplus mal personne n'en
vouloît plus les amateurs étoient munis, &.tes marchant vouloient tout pourrien. jepris donc leparu'
deretirer rinvendus qui pouvoit être presque lamoitié, quejegardais àParis enattend.' uneoccasion
favorable qui neSepresentoit point jusquàcequejeles remis amondépart amonfrére qui les as Envoyés icy
ou elles Sont Encore Empaquetées, cequejai crus quevous déviés Savoir monfrère mayant dit vous
enavoir fait part, elles Sont donc avôtre disposition vous appartenant &jeconçois quellespouront vousfaire
quelqueplaisir, jepourrais même enaugmenter laCollection àParis &en Hollande corne enallemagne,
àlEgard duproduit de cequi àête vendus, leConte vous enfut Envoyés dans letems il futfait Enpresence
duComte deQuilry &rhuissierpriseur, &Si jenemetrompejecrois vous avoir tenus Conte du produit n'est
qui les fraix prélevé nemontoît pas agrand chose Jen'en ais qu'une idée Confuse jem'en rapporte
entierem.' avôtre memoire. (R - dos.22.tV).
Sollicitant son frère Pierre Frédéric dans ses lettres (N° A et N° 9) datées de
Saint-Sulpice, Théodore Abram, dont les préoccupations sont pragmatiques - il
Malgré les recherches que nous avons faites sur les ventes de décembre 1787 à Paris, tant en
consultant le Journal de Paris que les ouvrages spécialisés (Lugt 1938-1964; Mireur 1901-1912) ou
même le fichier des anonymes de la Bibliothèque nationale à Paris, il ne nous a pas été possible de
découvrir à quoi CDM se référait, n n'empêche: si coûteuse soit cette folie, un cabinet pouvait être une
affaire rentable et la possession d'un bon stock permettre des échanges bénéfiques.
Pierre Henri de Meuron (1738-1801), fils de Pierre Henri, seigneur de Corcelles-sur-Concise, allié
à Jeanne Lucrèce de Brun, propriétaire de mines à Baigorry en Basse-Navarre, père de Maximilien
(1785-1868), filleul de CDM.
V - LE CABINET À SAINT-SULPICE
69
pense d'abord épicerie - mais qui, désireux d'obtenir un petit souvenir, tient
probablement à se démarquer- de CDM, exprime le 4 octobre 1787 ce que le non-
collectionneur attend d'une production exotique naturelle, voire manufacturée:
tous ces objet nous deviendront infiniment précieux & cher venant de vous & de l'Endroit que vous
habites, Sil y a qqucs Fiantes & fleurs curieuses, desechees & aplaties entre des faillies de Papier elles
prendront peu de place (P - dos.53).
De même le 1er juillet 1788, lorsqu'il revient sur son souhait, il précise:
En vous demandant quelques Plantes &c du cru de Ceylan ce n'est point pour en faire des amas,
mais uniquem.1 pr avoir le plaisir d'avoir qques chose du cru du Pais que vous habités, & ce n'est point
une chose pressente (P - dos.53).
En prévision des enrichissements futurs, CDM fait diverses recommandations
pour les emballages et les envois; le [15] décembre 1787, il joint également à
l'attention de son frère «un memoire de M/ Vaillant pour la Conservation des
Papillon, Oiseaux, & insecte.» (P - dos.43.II)27. Si les missives traitent abondam-
ment d'histoire naturelle, il n'y est toutefois jamais fait menlion*d'un quelconque
intérêt «ethnographique».
Pierre Frédéric, qui commande le régiment depuis le 1er avril 1787, quitte le
7 février 1788 seulement Le Cap - il y est arrivé le 25 octobre 1787, selon sa
lettre du 1er novembre suivant (P - dos.48.II) - et n'y laisse qu'un dépôt sous la
responsabilité du capitaine Jean Zom28. Cependant, des marchandises que CDM
avait emballées avant son départ sont toujours en magasin. Inquiet, celui-ci relance
aussi son cousin Henri David de Meuron Môtiers le 1er janvier 1788 et lui adresse
même des commandes supplémentaires parmi lesquelles figure une «Piere verte &
transparentes» (P - dos.43.II). Il est si désireux d'en avoir d'autres échantillons qu'il
tentera encore des démarches de Madras neuf ans plus tard, avant son retour en
Europe, et enverra une lettre au Cap en prévision de son étape29.
CDM a dû faire Ia connaissance au Cap de François Le Vaillant (1753-1824), qui publiera en 1790
à Paris les trois tomes de son Second voyage dans l'intérieur de l'Afrique par le Cap de Bonne-
Espérance dans les années 1783, 1784 et 1785 et le revoir à Paris où il en a reçu personnellement le
mémoire, sans doute manuscrit, aucune mention bibliographique n'en ayant été trouvée. Connu pour avoir
ramené la première girafe vivante à Paris, Le Vaillant, qui possédait un cabinet à Asnières, s'acquit une
réputation durable comme ornithologiste (Damberger 1801; GrandprÉ 1801).
De nombreux manuels ont été rédigés à l'intention de voyageurs-naturalistes et des traités de
taxidermie (Yves Laissus, «Les cabinets d'histoire naturelle», in: Bedel 1986: 667).
La prise du Cap, dont la nouvelle parviendra en Inde à CDM et à son frère en décembre 1795,
entraîne la chute du dépôt, le 30 septembre 1795 {Linder 1997; 180), et le suicide de Robert Gordon
(Linder 1997: 153).
29
Voir le chapitre X.
70
LE MÛRIER ET L-ÉPÉE
Enfin les colis tant attendus sont annoncés. Informé de Ceylan par Raymond
d'une expédition imminente du Cap, CDM contracte le 17 mars 1788 selon la copie
de lettre - le 27 mars pour les comptes (P - dos.21) - une assurance auprès de MM.
Coudere & Brans à Amsterdam, la prime étant de 457.2.6 florins:
Je Suis charmé d'aprendre l'heureux retour de Moiis.' Coudre chez Vous, que vous m'annonces par
V/lcttre du 6. de ce mois; recevés M." mes remercîem." p.' les renseignem.0 que Vous me donnés Sur
les prix d'ass.™ de l'Inde ches Vous; ojuoilçjue celui de 4% p.r les navires venant du Cap, me semblé
un peu haut, cependant Je veux* bien en passer par là, dans l'espérance que vous m'obtiendrez qque
douceur Sur ce prix s'il est possible; en consequence il vous plaira de me faire couvrir Sur navire
quelconque venant du Cap, en Europe les articles Suivants, Savoir
1 C.e porcelaine valant C.1 f 330.--
1 C/*1 conten' un service thé en pierre & Coquil'. " 130.--
1 Cf Soyeries et tailles fines " 2200.-
3 D" d'histoire naturelle " 520.-
1 Dent d'Eléphant & 4 peaux Zebre " 320.--
3 Ancres vin de Pontac " 280.--
1 Alverames madère Sec " 125.--
8,Ancres vin Constance 1/2 rouge & 1/2 blanc " 415.--
C.e f. 4320."
Vous observerés MeS que tous ces articles sont évalués très au dessous de ce qu'ils me reviennent,
puisqu'il n'y a aucuns fraix de compris dans ce C.**, ce qui doit être une raison de plus pour que cette
assurance n'éprouve aucune difficulté; Vous aurés Soin de faire Stipuler dans la police, "Sur Bâtiment
quelconque venant du Cap, et pour quelque port que ce Soit d'Europe, où il devra faire son debarquem',
& que le risque de mes effets ne sera fini que lorsqu'ils seront débarqués sur le quai de la destination
de ce navire. Cette clause est absolum' indispensable p' éviter toute Chicane en cas de perte, [...]
P.S. Vous observerés M." que ces objets étant acheté en detail, c'est à dire les uns après les autres. Je
les ai payés comptant & n'aurai en coiisequence aucun compte ni facture à produire en cas de perte;
Vous voudres bien aussi faire assurer prime et prime des primes, pour que je n'aie rien a payer en cas
d'événement. (P - dos.43.0).
Les caisses arrivent «heureusement» au Havre et, le 24 avril 1788, il en
remercie Raymond qui, malgré l'éloignement, y est probablement pour beaucoup
(P - dos.43.II). Mais le déballage révèle des surprises, ainsi que CDM le lui écrit
de Saint-Sulpice en décembre 1788, la casse ayant été importante. L'envoi comporte
des coquillages qui sont ceux précédemment envoyés de Ceylan via Le Cap par
M. Martin30:
Lettre de Raymond à CDM du 30 avril 1786 (P - dos.57.I).
V - LE CABINETA SAINT-SULP1CE
71
en attendant Je vais prendre ta lettre du 30. Janvier demier, qui m'anonçait les 28 Caisses par le
Paquebot N.° 5 à la Consignation de M" Baudry Boulogne et fils aîné Neg.° au havre, lesquelles Sont
heureusement arrivées, mais avec beaucoup de déchet, J'ai été beaucoup plus malheureux encore avec
les Porcelaines dont les 3/4 Se Sont trouvés cassées, toutes les terrines les grands, les grands plats et ta
majeure partie des assiettes, surtout les petites. Je n'en ai sauvé que 5. Douz." de Service et 30 à Soupe,
une Couple de Douz.a de petites de dessert, il est vrai qu'il était impossible que cela fut autrem.1 par la
maniere dont elles etoient emballées, presque Sans paille, portant à faux Sur les Côtés, les grandes pieces
pèle mele, dès que l'une des terrines a été Cassée n'étant pas remplie. Cela a donné du jeu et le Desordre
S'en est Suivi, C'est un malheur. Je ne t'en attribue point la faute, La caisse du Service à thé à moins
Souffert, J'en ai sauvé les 3/4, Les Coquillages Sont arrivés à bon pon, fais en mes remerciments à M/
Martin. J'espère que mon frère trouvera lé moyen de le dedomager des petites dépenses que Cela Lui
a occasionné. Je suis fort aise d'avoir pu le placer et J'esperre qu'il justifiera mes demarches à cet égard.
(P - dos.44.I).
Laissé seul, Meuron Môtiers ne fait pas montre de beaucoup de bonne volonté,
tellement que, de La Haye, le 1er avril 1790, CDM lui reproche de ne rien lui avoir
envoyé:
Je n'ai rien reçu de ce que Vous m'annonces par l'Orient, ni dents, ni Plumes, ni graines, ni
plantes, ni animaux, ceci est annoncé du 5. février 1789 et depuis je n'ai rien reçu qu'un mot fort aigre
du 26 avril (P - dos.44.I).
Peut-être son successeur, Jean Zorn, est-il plus efficace à se fonder sur la lettre
que CDM lui envoie le 5 septembre 1791:
remercie le Colonel [Jean Pierre de Meuron Bullot] de Sa peau de Goudou31. ISi j'avóis pus
en avoir une de Carnal leopard Soit Giraffe, J'en aurais bien payés Cinquante même Soixante Rixl
(P - dos.44.I).
Par ailleurs, en 1789 et 1790, CDM achète des objets d'histoire naturelle lorsque
l'occasion se présente: oiseau, pétrification, coquilles. Dans ses comptes, François
Simon Renaud de Coquillard, à Middelburg, porte en date du 9 septembre 1789 la
dépense suivante: «Payé pour l'emballage d'un Oiseau de paradis et transport
jusqu'à Bruge» (P - dos.22.I)32. Le 26 juillet 1790, le «Livre De Recette et
dépense» indique sous Dépense de maison: «achat de 2 Coquilles £ 18.--.--», puis,
le 31 août «à Briquet natur.6 1 nid pétrifié £ 9.--.--», «au dit 1 morceau grès de
fontaïnebleau £ 3.—.--» et le 5 septembre «acheté de Briquet 7 Coquilles pour
£ 22.-.--» (P - dos.21). Le «2 7^ 1791» Théodore Abram porte une dépense
«a 1 Caisson pétrif[ications]» (P - dos.28.I). Début février 1792, le capitaine
Lire: coudou, grande antilope à crinière; c'est vraisemblablement celle que CDM fera adresser
en décembre 1791 à la «Gesellscliaft natur forschender Freunde zu Berlin» mais qui ne la recevra pas.
Peut-être les «fraix a 1 caisson oiseaux» pour un montant de «£ 188.1.-» que Théodore Abram
porte après le 31 mai 1790 dans ses comptes correspondent-ils à cet envoi (P - dos.28.I)?
72
LE MURIER ET L 'EPEE
Légrevisse33 charge à La Haye «une Caisse dans Laquelle», écrit Renaud, «il à mis
pour vous différante pièces d'histoire naturelle» (P - dos.59). Le 22 octobre 1792,
Renaud expédie «quelque petites monnoies des jndes pour Mons/ Le Comte Votre
frère» dans «une Caisse d'oignons de fleurs et arbrisaux» toujours adressée
à Théodore Abram à Saint-Sulpice (P - dos.59). En juillet 1794 encore, CDM aug-
mente son cabinet d'un «os de Balleine» ainsi d'«l Caisse herbes botaniques» par
l'intermédiaire du commerçant bâlois Luc Preiswerck (P - dos.56.I).Le 19 novembre
1794, Renaud de Coquillard lui mande qu'il a tenté, le 20 septembre, d'envoyer
«un manuscrit de L'istoire des jndes, omé de planche En Lumiée, qu'on dit être très
précieux» (P - dos.59) ...
Si CDM ne parvient pas à développer davantage son Cabinet, ce n'est pas faute
d'avoir essayé tous les moyens. Répondant aux lettres que Pierre Frédéric lui avait
écrites en décembre 1787 et janvier 1788, il lui annonçait, le 27 mars 1788, la
nomination - après celle de M. Martin et non sans difficulté - d'un «Chirurgien En
Second», M. Olivier34, dont le rôle était en fait de s'occuper de réunir des collec-
tions (P - dos.43.II). Malgré ce que CDM écrit de Paris à Pierre Frédéric le 23 avril
1788, M. Olivier ne dut pas rejoindre le régiment (P - dos.43.II).
En 1788/1789, une partie du régiment Meuron a passé de Ceylan sur Ie
continent. De Colombo, le 5 novembre 1788, Pierre Frédéric lui répond de manière
quelque peu dilatoire:
Je suis bien Sincèrement attaché aMonsieur de Besenval, jevcwdrois lui prouvermes Sentimens,
Raymond médit avoir répondue l'article delhtstoire Naturelle, rien deplus difficile queCelà, on Connoit
mal l'atr &les inconvéniens de cepays, j'entrerai dans des détails plus amples ci après.
[...] Cependant, Si vousvoulez quejepuisse travailler à une Collection depierreries, il mefaudroit avoir
un ouvrage Connu en Europe Ätraduit danstoutes les Langues, qui traite desperles, des Diamants
&detoutes les Sortes depierres fines de Couleur, & de leurValeur, unpoids à diamant avec les grains &
Karats, ime petite balance Äunmarc35, avec Cela les Cribles enyvoirc pourles perles, depuis la grosseur
33 Officier du régiment Luxembourg dont CDM avait fait la connaissance en décembre 1791 en
Hollande, selon sa lettre à Pierre Frédéric du 18 décembre 1791 (P - dos.44.D.
4 Guillaume Antoine Olivier (1756-1814), voyageur et entomologiste, né aux Arcs, près de Fréjus,
reçu à 17 ans docteur en médecine à Montpellier, soutenu par M. Gicot d'Orcy. n eut l'occasion de faire
partie d'une ambassade au shah de Perse d'octobre 1792 à décembre 1798 01OGRAPfOE universelle
ancienne et moderne 1822: XXXI: 591-6). CDM avait souscrit à son Entomologie, ou histoire naturelle
des insectes.
Médecine'et sciences naturelles allaient de pair et, dans les voyages de découverte, les hommes de
l'art furent nombreux à réunir des collections.
«Nom d'un poids dont on se sert dans plusieurs pays pour peser .les matières d'or & d'argent», ou
également «poids de cuivre composé de plusieurs autres poids emboîtés tes uns dans les autres, qui tous
ensemble ne font que le marc, c'est-à-dire huit onces, mais qui séparés servent à peser jusqu'aux plus
petites diminutions du marc. Ces parties du marc faites en forme de gobelets sont au nombre de huit,
y compris la boîte qui les enferme tous, & qui se ferme avec une espece de mentonnière à resort attachée
au couvercle avec une charnière.», selon l'Encyclopédie d'Yverdon (1773: XXVII: 462 et 469).
V - LE CABINET À SAINT-SVLPICE
73
de 8 pourungrain jusques à un ou deux Karats, LeSurplus Setrie à lamain. Avec ces Secours jepourrois
être moins dupe. CeCommcrce est entre .lesmains des Maures, qui : Söntfins & nous attraperoient
Commeils ontfait MM de Luxembourg. J'ai vu un oeil de chat de SOOpagodes &und'unescalin, il y a de
Ia différence à mes yeux, mais jeneSaurois L'apprécier à cetaux. Jugez Comme l'on peut être dupe.
[...] Quant à la description de Ceylan, je ne suis pas en état d'y travailler, il en coûte trop pour voyager
dans ce pays, difficile de pénétrer dans l'intérieur, & dangereux d'aller dans les Etats du Roi de Candie
(P - dos.48.II).
Le 29 décembre 1788, il lui détaille IeS1 difficultés qui attendront M. Olivier:
vous oubliez un point essentiel, C'est de m'indtquerJusquà qu'elle Somme je dois lui avancer pour
Ses opérations. Car ce n'estpas îcy Comme au Cap où l'on peut Courir le pays Sans dépenser un Sol;
onvad'habitationenhabitation, icy ce n'est pas de même; L'intérieur du pays estimerai à tout Européen,
excepté aux Ambassadeurs & auCapitaine deCanelle dans les Lieux où la Compagnie a l'usagedelafaire
Cueillir. La possession de laCompagnic Sur la Côte Ouest est de 4 à 6 lieues de profondeur. Ce pays
n'ad'interressant que Son riche produit en Canelle; la Culture duSucre, du Caffé, dupoivre &du Coton
est très reculée. Pour voyager dans les possessions delà Compagnie il fautunSanas, C'est un espéce de
Passeport pour toucher dans lespostes delaCompagtiîe despoules &desoeufs, dans quelques endroits duriz,
nullepart dupain: il faut outre Cela avoir deux interprêtes, l'un Chingulaìs &Portugais, l'autre Portugais
&français; L'on nepeut Voyager ni à Cheval ni en Voiture à Causedes Chemins & des rivières. L'on ne
peut donc allerqu'en Palanquin, il faut porter des liantes, des Vivres Ädelaboisson. ü'nepourrapas faire
uneCourse de 2 ou 3 jours à moins de 24 Coulis qui Coûteront demi Rixdaler par jour; C 'est une misère
deles Conduire; Aproposdebotte ils posenüe palanquin à terre, emportentvjvres &hardes &vous
abandonnent Souvent dans des bois presque impénétrables. Voilà unepartie des difficultés qui Sont Cause
que lisle de Ceylan estSi peu Connue &ne le Sera peut être pas delongtems. il y en a unebien grande
encore, Ce Sont les bêtes féroces &Venimeuses; JugezMaintenant desrecherches quel'on peut faire &de
Ce que Ion a à Vaincre. Il n'y a que les Chefs politiques qui peuvent Seprocurer toutes les raretés de
lisle mais Sans analise & Sans description. Ceux là en font un Négoce ou présent à Batavia; Les Anglois
payenthorriblement Cher des objets qui n'ont que peu démérite &point deValeur, Mais les pagodesSont
Chez eux Comme icy les Sous de Cuivre (P - dos.48.TJ).
Au lieu d'objets, CDM reçoit en novembre 1789 à Berlin une lettre de son frère
datée du 18 mars 1789, à laquelle il répond, le 18 mai 1790, qu'il attend «les
détails que vous m'anoncé Sur les Chasses d'Eléphant l'Ambassade de Candie, mais
Surtout quelques Choses de l'histoire naturel de Ceylon.» Il le prévient
qu'un nommé «Jn Macé, dr en médecine» a été engagé dans la même perspec-
tive que M. Olivier sur recommandation de M. Gicot d'Orcy36 (P - dos.44.1).
36 Jean Baptiste François Gicot d'Orcy (1733-1793), inspecteur des mines et receveur-général des
finances, était aussi naturaliste. Dezallier d'Argenville, dans les additions aux cabinets de Paris de sa
Conchyliologie (1780: I: 797), écrivait qu'il «possède un très-beau Cabinet d'histoire naturelle, où l'on
distingue une suite des plus nombreuses & dès plus complexes en insectes & papillons, tant d'Europe
que de la Chine & des deux Indes: un choix des oiseaux les plus rares, artistement grouppes sur des
arbrisseaux feints dans des cages vitrées: enfin de belles suites de coquilles, madrépores, minéraux,
74
LE MURIER ET L'ÉPÉE
Cet excentrique et curieux personnage, au témoignage de Renaud de Coquillard
dès le 23 mai 1790 (P - dos.58.II), n'embarque que le 28 septembre après un séjour
mouvementé à Middelburg. Resté en carafe au Cap, Jean Macé confirme le 5 juillet
1791 à Pierre Frédéric les conditions de son engagement (P - dos.41.IV).
Dans l'intervalle, CDM avait rappelé à Jean Zom le 5 septembre 1791 les
consignes le concernant:
Je vous aïs dis cy devant mes intentions à !Egard de M/ Macé Conformés vous y. Je Sais qui! a
des talents & dès lumières, mais ce n'est pas des paroles quii me faut, c'est dés realités, qu'il vous
remette ce qu'il me destine. Ces Envois, me prouveront Son Zélé & Sa reconnoissance. Je vous remercie
des Coquilles que vous m'envoyés tâchés de ramasser partout, tout ce qu'il vous Sera possible.
(P • dos.44.0-
Mais au reçu d'une lettre que le capitaine Zorn lui envoie du Cap le 7 septembre
1791, CDM finira par déchanter (P - dos.44.I) et il se félicitera le 18 mars 1794
d'être débarrassé de cette encombrante recrue (P - dos.44J), non sans avoir essuyé,
le 24 janvier 1792, les critiques de Pierre Frédéric:
Monsieur Massé [Macé] est resté au Cap. Il m'a écrit une Lettre, dont voici la Copie, qui vous
indiquera à qui vous avez à faire. D a voulu me mettre dedans. Je lui envoyé Copie de la vôtre en disant
à Zom, s'il prend une autre destination que celle du Régiment, de se faire rembourser oe qu'il lui aura
payé. Voilà, ce que s'est, de se livrer sur des Recommandations de Gens, qui ont de l'Intérêt à la Chose.
Monsieur Gigot d'Orci vouloit sans doute se faire une belle Collection à vos Dépens. Il a bien raison
de vous faire Amitié. (P - dos.49).
Avec de bonnes raisons sans doute de ne pas être satisfait, CDM insiste,
revenant à la charge auprès de son frère Ie.8 octobre 1790:
J'attends avec une impatience bien grande quelques Choses en Histoire naturel. J'avois Espéré que
vous m'auries déjà Envoyés. Jai fais quelques Cadeau En Pierre peau de Zebre Bois & Minéraux a la
Société des Scrutateurs de la nature a Berlin qui a crû devoir m'en témoigner Sa reconnoissance par un
diplôme d'associés honnoraire le Roy m'en a fait Complim' deux des Ministres d'Etat en Sont membre.
Le Roy la protege beaucoup. (P - dos.44.1)
fossiles, pétrifications, cristallisations: quelques quadrupèdes, poissons, crustacées, reptiles, &c: le tout
disposé dans l'ordre le plus élégant.»
Il avait acquis de nombreux spécimens zoologiques auprès des explorateurs Sonnerai, Le Vaillant
et Olivier, qui vinrent enrichir le cabinet de Henri Boissicr (1762-1845) à Genève en 1804 (SlGRlST
1990: 3; 1995: 5). Gicot d'Orcy possédait également une importante bibliothèque dont, après son décès,
Ncuchâtel commandera quatre ouvrages d'histoire naturelle en février 1794 (voir le chapitre Vin).
Renaud de Coquillard fait quelquefois mention d'un «Monsieur Gigot» mais il s'agit de Samuel Gigaud,
cependant qu'il reçoit pour CDM des lettres de «M. Guigaud D'orcy venant de paris» en novembre et
décembre 1789 (P - dos.22.I).
V - LE CABINET À SAINT-SULPICE
75
Pierre Frédéric a pourtant réuni des spécimens mais l'occasion de les faire
parvenir en Europe lui a manqué, comme il l'écrit le 20 janvier 1791:
J'ai acheté beaucoup de Pierres. Si vous avez de bons Lapidaires, ils pourront tirer partir de jolis
morceaux d'ametîstes. Saphirs & autres, en assez grande quantité. J'ai déboursé jusqu'à présent Rx 80
pour cet objet. Je me bornerai là, en attendant vôtre réponse; à moins qu'actuellement, que j'ai acquis
quelques connoissances, je ne trouve quelque chose de Certain. Les Coquillages n'ont pas réussis cette
année. Il n'y a eu que de très communs dans la Baye de Trinkonomale. Nulle part ailleurs on ne trouve
rien de Bon. {P - dos.49).
CDM l'en a remercié le 5 septembre 1791, non sans manifester son impatience
et son désappointement:
Je vous remercie de m'avoir acheté dès Pierres de Ceylon, mais vous m'auriés faits plus de plaisir
de me les Envoyer de Suittes avec d'autres Choses vous Comptés tattente de 4 ans pour rien, & Dieu
Sais quand je verrais quelques Choses de ce pays. Vous êtes bien peu Empressé de me procurer quelques
jouissances, j'ai malheureusem.' manques l'occasion je n'etois pas icy. les naturalistes ont achetés a bien
bon Comptes de nos Soldats de retour des Choses interressantes Surtout en Coquille & vous n'avés pus
m'en procurer cepend.' plusieurs off.' me mandent vous avoir remis différentes Choses pour moy. vous
même mandiés à nôtre frère Theodore que vous aviés un rassemblem.1 asses Considerable pour moy que
vous n'attendiés qu'une occasion pour les Envoyer, & amoy un an après vous ne me pariés que de
quelques pierres. /Encore que vous n'envoyés point/ tout, tout anonce que vôtre frère, qui toute Sa vie
n'a vécu que pour Ses frères particulierem.' pour vous en est Cruéllem.1 oubliés, quels déchtrm.* pour ma
Sensibilité (P - dos.44.I).
Mais il ne s'agit pas d'un simple châle comme celui que Pierre Fédéric joignait
à sa lettre du 12 novembre 1791 à Ja[c]ques Louis DuPasquier (V), et Théodore
Abram, à qui il écrit le même jour, n'est pas mieux favorisé:
Si Je puis obtenir l'embarquement dune Caisse qui attend depuis presdedeux Ans, vous aurez
quelque drôlerie de Ceylon, Je ménage beaucoup leCapitaine qui est un bien Aìmabte homme il n'a pas
encore voulu me rien prometre. (F - A.50).
Le 24 janvier 1792, Pierre Frédéric expliquera à CDM les problèmes tels qu'ils
se présentent concrètement:
Vous vous plaignez, que vous n'avez encore rien reçu en fait d'histoire naturelle. J'ai quelque
Chose, je ramasse tous les jours. Mais indiquez moi, comment je puis vous l'envoyer. Les formalités sur
les vaisseaux de la Compagnie sont trop gênantes; d'autres occasions Sont trop rares & trop difficiles,
& il n'y a qu'un moyen, c'est de vous arranger avec M. Vosmaar, pour mettre à son Addresse, comme
3 II s'en est aussi procuré à l'occasion de successions, comme à l'importante vente le 28 mai 1790
«de feu Monsieur [Jean] Donzel Capitaine-Lieutenant [...] décédé à Trinkonomale le 10." Avril 1790»:
«1 d°. [Caisse de Coquilles] contenante de marteaux [achetée par] M*. Gigaud p.' M1, le Colonel» et
«1 grande boete îd [rouge contenante différentes Coquillages], avec de Compartimens [achetée pari M1.
Gigaud p/ M1, le Colonel» (p. 40), tout comme il acquerra le 14 janvier 1793 des «Filets à oiseaux» ainsi
qu'«l machelliére d'Eléphant» à la «Vente des Effets [...] de feu Monsieur [André] Gamier [...],
Lieutenant à la Suite [...I, décédé à Colombo le 29." X1". 1792» (p. 91-92). (P - dos.12)
76
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
destiné pour son altesse, alors qu'il choisisse ce qui pourra tenir Sa place dans le Cabinet. Car remettre
aux Voyageurs, c'est s'exposer au Désagrément de ne rien recevoir. Jamais il n'est sorti de l'Isle une
Collection de Coquillages aussi belle & aussi compiette, que celle que Martin vous envoya, je crois que
vous n'avez rien reçu. {P - dos.49).
Qui pis est, lorsque des pièces ont été recueillies à l'intention de CDM, il arrive
qu'elles soient détournées ou que le résultat ne corresponde nullement à l'attente. La
lettre du 30 janvier 1792 de M. Martin, qui lui sert d'informateur, révèle aussi les
problèmes d'intégration qu'il avait rencontrés:
Maravat est un pauvre home; il s'est gardés bien des Choses qui ne lui etoientque Confiées et qu'il
auroit du vous remettre entrautre deux Argus, peut Communes de même que deux Chicorées qui etoteut
dans le Nombre de 222. Coquilles que je lui avoit remises et /un/ très beau panache de plumes de Cocca.
il etoit chargé aussi d'un Sabre persan, que M. le Colonel Paulier38 m'avoit Envoyé du Bengale. Depuis
que J'ai l'honneur d'être au Régiment Je n'ai pas bougé de Colombo, ou il n'y a rien du tout de
l'histoire naturel. Trinconomale et Jaffenapatnam Sont les lieux ou on trouve de choses rares et
Curieuses. Un Capitaine du Regim.' qui a été longtems a Trinconomale a vendu Ì1 y a quelques jours un
Coquillier Superbe pour Rixd/ 320. il etoit presque donné; pour un Connoisseur, je l'auroit acheté Si je
n'eusse pas /été en/ dettes. J'avois démandé des Coquillages a M. Bumand Chef de Batlicaloa lequel
m'en a Envoyés une Caisse Enorme, dans toute cette Caisse il n'y avoit pas une Seule bonne Coquille,
je les ay données a M. GrandCourt39. M Macé n'est point venu a Ceylon, Sans quoi J'aurais pu lui
donner quelques renseignements relatives a Sa mission. J'ai vu chez Mon Colonel des pierres très rares,
de plusieurs Espèces, qu'il a eues de différentes personnes; lors qu'il fut a Trinconomale, un Soldat de
votre Regim,' en avoit une Collection passable. Jeu l'honeur d'en parler au Colonel qui ne jugea pas a
propos de la faire acheter. Si par la suite il se présente quelques morceaux curieux, je ne manquèrent pas
de me les aproprier.
J'ai, mon Colonel, la Satisfaction de croire que je Suis bien avec mes Camarades, entrautre avec
ceux qui me voyoient avec quelque peine au régim.1. (P - dos.41.IV).
La vérité est que le harcèlement de CDM agace. Par le long rapport daté de
«Colombo Le 20.e Janvier 1790» que Pierre Frédéric (F - A.34) lui avait adressé,
CDM était bien tenu au courant de la situation, mais d'objets il n'était nullement
question. Au point que le 3 mai 1791, CDM écrit à Ja[c]ques Louis Dupasquier:
«rien d'agréable ne m'est venus ny de Ceylon Sur mes affaires personnels, du Cap
Encore moins» (V). Il faut donc en déduire que la marotte de CDM n'est pas trop
acceptée en général dans sa famille - Théodore Abram critique notamment les
dépenses infructueuses que cela occasionne. Et la mauvaise affaire Macé fera surgir
sous la plume de Pierre Frédéric, îe 12 novembre 1792, ce que CDM reprochait lui-
même à cet ingrat collaborateur
Antoine Louis Henri Polier de Bottens (1741-1795), colonel puis major, servait comme militaire
et architecte dans la Compagnie anglaise. Il était un ami du Lyonnais Claude Martin (1735-1800), major
général à Lucknow (Llewellyn-Jones [1995]: passim).
39
Le sous-lieutenant Pïhan de Grandcourt, qui venait de donner sa démission.
V - LE CABlNBTA SAINT-SULPICE
77
Massé n'a pas voulu venir à Ceylan. J'ignore, comment Zom lui a réglé ses appoEntemens. Ii a
reclamé les Berg40, qui l'ont pris sous^leur protection ainsi que Dumini. H vomit les plus grandes
Infamies sur vôtre Compte, que vous l'avez trompé, & en même tems laCompagnie, au dépend
delaquelle vous vouliez vous procurer une Collection d'histoire naturelle. Toute cette Clique avec Dubois
ont concerté un mémoire, qu'Us enverront en Europe. Je suis affligé des Désagréments, que vous vous
attirez, en vous livrant avec confiance à des Inconnus; je desire de tout mon Coeur, que vous n'en
reprouviez pas de Sérieux à l'occassion de ce mauvais Sujet, qui, à ce que l'on dit, est plus pire, que
Bailli, &, Dauphin". (P - dos.49).
Mais pour diminuer l'effet d'une telle déconvenue, Pierre Frédéric, dans la
même lettre, sait allécher et séduire son frère par de nouvelles promesses:
Puisque les Coquillages, que Rassant a porté42, ont été trouvé si beaux, je puis donc vous envoyer
les miens, car ils sont supérieurs. Je ferai une Couple de Caisses pour le Mois de Janvier, de ce que j'ai,
& les enverrai à fret. Reyne a ramassé une Cinquantaine de Sortes de Bois43. J'ai beaucoup de Pierres,
toutes mélangées; le triage vous amusera. Le Diamant est sous plusieurs formes. (P - dos.49).
Les «détournements de biens sociaux» que CDM tente d'opérer au sein de son
régiment non seulement ne sont guère appréciés des bénéficiaires potentiels mais
encore peu suivis d'effet, alors que des possibilités de récolte existent Le manque
d'empressement à le satisfaire a probablement contribué à Ia brouille qui surgira
entre les deux frères44,
Théodore Abram non plus n'a rien reçu qui, à ses lettres du 12 novembre 1792
et du 24 janvier 1793, répond de Saint-Sulpice à son frère Pierre Frédéric le 18 mars
1794:
Je suis fâches que vous n'ayez pu obtenir d'embarquer les deux Caisses dont vous me pariez
j'espère que dans l'intervale qui s'est écoule dès lors, elles seront en route, jugés du plaisir que nous
aurons de les débaler, ne fut ce que les plus petites misères, venant de vous & du Pays que vous habités,
combien nous les priserons (P - dos.53.I).
Sans doute sont-ce toujours et encore ces mêmes caisses dont Théodore Abram
parlera à CDM dans sa lettre du 23 décembre 1795 et dont rien ne prouve que Pierre
Frédéric se soit finalement décidé à les envoyer, le résultat revenant au même:
Si P.f. a expédiés les deux Caisses dont il m'a voit parlé cy devant il est aparent quelles Seront
perdues, elles Seront Sûrement comprise dans la vente qui Se fait à Londres Si j'en avoîs eu la certitude
40 M. Berg était «Secrétaire du Conseil» au Cap (ISaint-Pierre] 1773: II: 36).
Officiers cabaleurs pendant la garnison au Cap.
Cette prestation reste énigmatique.
A rapprocher des 18 échantillons que CDM envoie de Madras en Europe le 9 mai 1796 (voir le
chapitre DO.
44 La lettre de CDM à Théodore Abram du 17 mars 1798 (P - dos.30) - citée dans le chapitre IX -
est éloquente à ce sujet Envenimée par des questions d'argent, la mésentente conduira Pierre Frédéric
à intenter un procès à CDM le 24 décembre 1803, ce qui explique la teneur du testament de ce dernier
à l'égard de son frère benjamin (MeuroN 1982: 297).
78
LE MÛRIER ET L1EPEE
& les marques & N.0 avec leur Contenu je lesaurois répétées. Ma feme est nos petites en Sont bien
fâchée parce qu'il devoit y avoir du très fin cotton fille pour tricotter des bas. (P - dos.52.n).
A côté des commandes purement commerci ales'*5 - souvent sous couvert de
services à rendre -, les envois d'histoire naturelle servent à plusieurs fins. Si le
Cabinet est le premier bénéficiaire, diverses personnes et institutions en profilent
également: les petits cadeaux non seulement entretiennent l'amitié mais permettent
d'obtenir des avantages et des protections - tous les puissants n'ont pas la stricte
intégrité de M. de Béville, n'acceptant pas une première offre de vin de Constance,
selon ce qu'avait rapporté CDM à Pierre Frédéric les 28 octobre et 4 novembre 1786
(P - dos.42.II) - ou valorisent le fonds par la collaboration avec des sociétés
savantes. Quant aux échanges, dont l'éventualité est évoquée dans la correspondance,
il n'y a pas d'attestation qu'ils aient dépassé le stade des intentions.
Ainsi, les collections fournissent après le 25 mai 1791 un présent non
désintéressé au souverain prussien Frédéric-Guillaume II, par l'intermédiaire de son
neveu Ja[c]ques Louis DuPasquier, alors chapelain du roi à Berlin: «Six peaux de
Zèbre [...] pour faire des Couvertures de Chevaux.», et non huit puisqu'au dépit de
CDM, «les deux autres pour Completer L'Equipage Sont unpresentable.» (V)-6.
Le 15 septembre, CDM se déclare «bien Charmé que le Roy aye acceptés avec
quelquinterret mes peaux de Zèbre» (V); néanmoins sa curiosité n'est pas satisfaite
et, Ie 6 février 1792, il demande de La Haye à son neveu qu'il «Tâche de Savoir Si
Ie Roy c'est Servis Sur ses chevaux des Peaux que tu lui à donné de ma part, cela
m'intrigue» (V).
L'autre sort réservé aux objets est leur promotion «scientifique», dont l'honneur
rejaillit sur celui qui les a procurés'". Malgré le pluriel employé dans la corres-
pondance, CDM n'a établi qu'une seule relation certaine, celle avec la Gesellschaft
Naturforschender Freunde à Berlin. Le 18 mai 1790, la Société le nomme membre
honoraire48. Comme l'apprend la lettre d'accompagnement du 22 juin 1790
Les plumes d'autruches, par exemple, sont évidemment destinées aux élégantes.
Ces deux peaux en mauvais état, indignes du souverain, seraient-elles par hasard celles figurant
page 150 de l'Inventaire (M) sous la cote [K] 6: «2 Grandes peaux de Zèbres maies, du Cap de
Bonneespérance» ?
C'est sans doute dans cette perspective que CDM demande également à ses correspondants de lui
fournir des relations sur le pays où ils se trouvent.
Lc diplôme imprimé «In der vollkommenen Ueberzeugung, daß man in Beobachtung und
Erkenntniß der Natur an einem Orte und in einer Gegend, unmöglich große Schritte thun könne, [...]»
et revêtu d'un sceau (P - dos.67.m) est signé notamment de Herbst et du docteur Marcus Elieser Bloch.
Il est à supposer que CDM éprouva une secrète fierté qu'on lui donnât, avant d'autres savants, du
«Monsieur et cher Confrere». (P - dos.40.I).
Dezallier (1780:1: 827-8), dans ses additions aux cabinets des pays étrangers, écrivait, reprenant
la notice que lui avait communiqué M. Dubois, que «La Société des Curieux de la Nature, à Berlin, a
rassemblé en très-peu de temps une Collection précieuse d'histoire naturelle. On y trouve des prépa-
V ¦ LE CABINET À SAINT-SULPICE
79
(F - A.36), CDM vient d'enrichir «son Cabinet de plusieurs pieces interessantes»:
la Société lui doit une peau de zèbre.(fournie, au dépit des naturalistes qui ne sont
pas de simples amateurs de curiosités, sans le crâne), mais aussi des cadeaux de bois
et de minéraux; il a promis oralement - sans doute lors de son long séjour à Berlin
en 1789 - «différentes pierres de Ceylon». Cet engagement fait penser qu'il avait
de sérieuses assurances - malheureusement déçues - de pouvoir compléter ses
collections.
CDM est fort sensible à la distinction berlinoise et il s'engage le 2 décembre
1790 auprès de Ja[c]ques Louis DuPasquier à concrétiser sa promesse dès qu'il aura
reçu quelque chose de son frère:
je les dédomagcrais du Stil par tous ce que je pouraïs leur Envoyer d'inlerressant. tu Sais que je
n'ais Encore rien reçu de Ceylon; que l'on m'annonce beaucoup de Choses, que Sitôt que je les aurais
je m'empresserais de leurs en Envoyer & de leur Comuniquer tous ce que je recevrais d'inlerressant. Soit
en animaux. Coquillages, Minéraux ou autres, dit Surtout mil Choses a tous les membres &
particulièrem1. (V).
Les arrivées de matériel exotique tardant décidément, le 24 juillet 1791, de
Contrexéville, il informe DuPasquier qu'il a expédié de Saint-Sulpice «un fourmillé
à Ecaille [pangolin] pour la Sociétés, en attendant mieux.» (V) - expédition dont,
arrivé à La Haye, il s'inquiète le 8 septembre 1791 et, après son retour de Londres,
à nouveau le 17 décembre 1791. Il a également livré à ses confrères berlinois la
description de l'accouplement des éléphants49 que lui avait communiquée Pierre
Frédéric (V).
Dans l'intervalle, Ie Ier décembre 1791, une lettre exprimant la «reconnoissance»
de la Société avait été adressée de Berlin à CDM à Neuchâtel pour l'envoi de deux
pièces, «savoir d'un Pangolin empaillé et bien conservé et d'un Rameau de l'arbre
nommé Protea argentea par Linné»50, malheureusement sans les semences. Le
secrétaire poursuivait:
Nous nous flattons que le vif intérêt que Vous avez témoigné jusqu'ici prendre a notre Société et
dont Vous nous avez deja donné plusieurs preuves Vous engagera Monsieur et cher Confrere a nous les
continuer en nous faisant part des productions si interessantes dans les trois règnes delà nature qu'offre
rations anatomiques, des squelettes, des parties isolées de grands animaux, des plantes, beaucoup de
mines, de belles cristallisations, mais les coquilles sur-tout méritent attention. On n'est étonné ni de leur
nombre ni de leur choix, lorsqu'on sait que ce Cabinet a été formé en grande partie par feu M. le
Docteur Martini, Secrétaire de la Société, l'un des plus grands Conchyliologistes de l'Europe. On y voit
le véritable Scalata, le Murex, dit la Manchette, l'Argus, des Jambons, &c. &c.»
L'Historische Arbeitstelle du Museum für Naturkunde der Humboldt-Universität à Berlin, héritière
des archives de la Société, conserve une douzaine de documents concernant CDM, mais cette communi-
cation ne figure pas dans le dossier (lettre de M™ Hannelore Landsberg du 14 octobre 1994).
«il ressemble à nos pins, sa feuille à celle de nos saules. Elle est revêtue d'un duvet blanc très-
éclatant.» ((Saint-Pierre] 1773: II: 38).
80
LE MÛRIER ET L1EPEE
l'isle de Ceylan, ci que Votre place et vos Liaisons dans ce beau pais vous mettront a portée d'en
obtenir51
Ce même 17 décembre, CDM informe son neveu qu'il a fait «adresser une très
belle peau de Coudou, qui m'a été Envoyée du Cap. elle part En caissée de
Rotterdam» (V). C'est Renaud de Coquillard qui s'occupe de l'envoi de ce cadeau,
selon ses écritures des 2 et 28 décembre 1791, ainsi que du 17 juin 1792
(P - dos.22.I; dos.59).
Ecrivant de nouveau Ie 6 février 1792 à son neveu, CDM regrette de ne pouvoir
faire des envois à la Société des scrutateurs de la nature: «Si P:f: (Pierre Frédéric]
m'avoit tenus parole, Je les aurais Enrichi de mes Doubles, mais je n'ai Encore rien
reçu.» (V)
Pierre Frédéric a promis de s'exécuter mais a rencontré des obstacles insurmon-
tables. Par ailleurs, dans la période entre 1792 et 1795, il est très difficile de suivre
les envois de marchandises entre Ceylan et la Suisse et si, en Hollande, Renaud de
Coquillard annonce des colis (par exemple Ie 6 avril 1794), rien ne permet de dire
à quoi ils correspondent. Enfin, des événements de force majeure viennent encore
anéantir les opérations les mieux engagées.
Malgré sa bonne volonté, CDM ne parvient ainsi pas à remplir ses devoirs
envers la Société des scrutateurs de la nature. Profitant de proposer la candidature
du prince Golitzyn, dont il joint deux écrits «Sur laformation des Pierre», et celle
de son compatriote bernois Hentzi, «Gouverneur des Page deS: A: S: Monseigneur
IeStathoudre Prince d'Orange»52, et promettant de chercher à obtenir la graine
manquante de l'«arbre d'argent» dont il laisse en blanc la désignation linéenne, il
s'excuse, de La Haye le 9 mars 1792, de sa faible contribution:
malheureusement Jen'ai pus Encore Satisfaire mes désirs acet Egards, la perte quej'ai fais d'une
Caisse importante vcnantde Ceylon &qui Ses trouvée perdue àLoriant dans letumulte delà revolution
outout étoit au pillage; &donilamajeure partie vous étoit destinée &il y avoit desChoses rares &pretieuses
quejeregrette infiniment. Jespcre pourtant bientôt en Etre dedomagé, paries nouvelles quemonfrére me
donne d'un rassemblement considerable quii adeja &d'autre quii attendoit pourfaire Expedition dutout.
Lon m'avoit annoncé uneCaisse venantduCap debonne Espérance remfermant unepeaudeGoudou
corne les Hottentots l'appellent Jai donnés ordres devous lExpedier onmemande lavoir fait Je désire
quelle vous Soit parvenues &quelle mérite vôtre attention.
D'après le brouillon conservé au Museum für Naturkunde à Berlin (Brief Nr. 5/1-3) et communiqué
par M™ Hannelore Landsberg le 9 novembre 1994. L'accusé de réception de cet envoi ne parviendra
finalement à CDM que l'année suivante à La Haye, le 6 février 1792 (V).
Rudolf Samuel Hentzi (ou Hentzy voire Henzî) (1731-1803), dessinateur et précepteur chez le
prince d'Orange, auteur des Vues remarquables des montagnes de la Suisse parues en 1776, d'un récit
de voyage. Course dans le Comté de Neuchâtel en 1785, et d'un ouvrage posthume, Promenade pitto-
resque dans l'Evêché de Bâte aux bords de la Birs, de la Some et de la Suze, paru à La Haye en 1808-
1809.
V ¦ LE CABINET À SAINT-SULPICE
81
Dcmicrcm1. un officier venahtdè Ceylon rh'aEnvoyés àlaHayé quelque Baguatelle quejai pris
Egalement laliberté devons offrir dans une Boette quejai fais remettre au cliariot dePoste. Je désire
Egalement quii S'y rencontre des Choses qui puissent vous interesser53.
- Cette «Caisse importante venantde Ceylon» dont le secrétaire de la Société
regrette «infiniment la perte que Vous nous annoncez avoir fait dans Ie tumulte du
Port de l'Orient» dans sa réponse du 12 mai 1792 (P - dos.40.1) n'a, curieusement,
pas laissé Ia moindre trace dans les papiers de CDM. Et, toujours d'après la même
lettre, «la peau du Coudou ou Coudoma de Buffon» n'est pas parvenue à destination.
Quant au reste, il n'est pas arrivé dans les meilleures conditions:
Nous avons cependant reçu la cassette avec les objets d'Histoire naturelle, que nous devons a vos
bontés ainsi que les deux brochures, nous regrettons Seulement que l'Esprit de Sucre ou Rum s'etant
répandu hors des verres et mêlé avec le Sucre Palmier ait gâté dans le transport toutes les pieces qui ont
été comme engluées par ce melange mielleux. (P - dos.40.I).
Le 10 janvier 1793, CDM communique à son neveu son intention de faire à
la Société un nouveau don prélevé sur son fonds: «un Herbier, que j'ai raporté
du Cap.» (V), projet qu'il n'a peut-être pas mis à exécution immédiatement,
Toujours est-il que, pendant son absence en Inde, Ie 14 août 1795 Ja[c]ques Louis
DuPasquier portera dans ses comptes une dépense pour «Emballage & fraix d'une
Caisse botanique envoyée à la société des Curieux de la nature à Berlin»
(P - dos.27; dos.30), ce dont il rend compte à son oncle dans sa lettre des 25-26
décembre 1795 (V; P - dos.38.II). Le secrétaire de la Société en accusera réception
le 6 janvier 1796 (P - dos.40.I).
Au fil de la correspondance apparaissent toute une série de noms de personnages
intéressés par l'histoire naturelle, qui dessinent un complexe réseau de relations au
niveau européen qui en recoupe peut-être d'autres, notamment le «maiUage»
maçonnique (Beaurepaire 1998: 16). Les liens non évidents de cette intellingentsia
scientifique permettent de mieux comprendre comment une circulation d'objets, de
spécialistes et d'idées a été possible. Parmi les connaissances scientifiques de CDM
figuraient ainsi le colonel Robert J. Gordon, François Le Vaillant, dont le com-
manditaire est un «M. Theming d'Amsterdam»54, lequel est la caution de
Guillaume Antoine Olivier; ce naturaliste a été recommandé à CDM — de même
que le fantasque M. Jean Macé - par Jean Baptiste François Gicot d'Orcy auquel
l'avait présenté Louis Daubenton; Gicot d'Orcy est lui-même en rapport avec Jean
Chrétien Gerning, banquier et entomologue distingué, qui a soigné «de la manière
la plus désintéressée» le texte des Papillons d'Europe du R.P. Engramelle que le
premier a édités. D'autres sont Marcus Elieser Bloch, le contact de CDM à la
D'après sa lettre conservée au Museum für Naturkunde à Berlin (Brief Nr. 6/1-3) et communiquée
par M™ Hannelore Landsberg le 16 octobre 1994. .
Jàcob Temminck (1743-1822), collectionneur d'oiseaux et trésorier de la Compagnie (Smtt 1994:
805-7).
82
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Gesellschaft Naturforschender Freunde à Berlin, le ministre J. F. W. Herbst,
spécialiste des crustacés, le prince Golitzyn, Rudolf Samuel Hentzi, le docteur Pierre
Thouvenel dont il possédait des livres et pour lequel il avait consenti un placement.
Il s'y ajoutera plus tard le missionnaire Christoph Samuel John, le géologue Leopold
de Buch, l'entomologue Louis Jurine, le baron de Haagen...
S'il n'existe pas de description du Cabinet, les comptes tenus par Théodore
Abram de Meuron pour son frère (P - dos.28.I), outre les gros investissements
d'aménagement, donnent certains détails sur le mobilier et sur quelques dépenses
d'entretien.
En 1787, celui-là paie £ 79.9.- «a Louis Offeschtette pour layettes» et, après
le 15 août 1788, il note une dépense «a Ochstet a compte pour les corps et Layettes
sous la Table d'histoire naturelle»; puis «Pour refendre la grande Table et les
Tablards regarnir les derrière».
Des frais continuent d'être consentis, puisqu'en 1791 il paie £ 48.—.— «a Jean
Jaques Vaucher pour finir les 3 Corps de Buffet de 146 Layettes»; le 4 avril 1791,
£ 24.18.-- à «frédrich cosendier menuisier [...] pour Cadres Tablard Listes, & autres
ouvrages au cabinet», puis £ 34.6.- «a Robert serrurier pour fermente des doubles
fenêtres, crochets de laiton pour le Cabinet, pour le traineau»; le 27 octobre 1791,
£ 2.4.-- «au menusier pour pieds d'oiseaux» et le 26 janvier 1792, il règle
«au menuisier un memoire pour le Cabinet» de £ 12.6.--.
En février 1793 un paiement est signalé «au Serrurier pour ferrage du Tronc»
et, avant le 20 mars 1793, celui de 013½ Pots Eau de vie pour sa [à CDM] Jambe
& pour remplir les Bocals».
Après le transfert du Cabinet à Neuchâtel, une dépense, le 10 mars 1802
en faveur de «D.1 frederich Reymond», fournit une indication supplémentaire
puisqu'elle concerne «une Caisse pour Emballer les feuilles de verre de Strasbourg
qui etoient aux vitrages du Cabinet d'histoire».
Peut-être CDM avait-il même ajouté un petit laboratoire pour faire des
expériences de physique55 et de chimie? Les comptes présentent en- 1788 une
dépense «Pour le Pied de verre de la machine Electricte et Ia Table» et le 30
décembre 1793 un versement «à l'Ancien Meuron pour le blanchissage qu'il avoit
fait a la Cuisine du Cabinet».
«Ce que nous ignorons [...]», écrivait Pierre Centlivres (MEURON et CENTLIVRES
1965: 28) à une époque où l'existence de l'Inventaire (M) était inconnue, «c'est
l'arrangement des pièces au sein du Cabinet».
Imaginer l'agencement général n'est pourtant pas trop hasardeux car il est
probable que l'influence des naturalistes, dans le milieu desquels il s'était trouvé à
Paris (Meuron 1982: 33-4), a conduit CDM à une organisation systématique -
Avant le 25/26 décembre 1784 (P - dos.42.II), il avait acheté son cabinet de physique au baron J.
Van Plettenbcrg, gouverneur du Cap de 1774 à 1785, et lorsqu'il s'installera définitivement à Neuchâtel,
il en remontera un à la Grande Rochette (Meuron 1982; 243).
V ¦ LE CABINETA SAINT-SULPICE
83
plusieurs des ouvrages de sa bibliothèque élant du reste susceptibles de rinspîrer -
plutôt qu'à une mise en scèriè*"avec lin parti pris décoratif §ui pouvait se rencontrer
dans de petites collections56.
L'aspect des lieux pourrait s'esquisser à partir de la description imaginaire de
Valmont de Bomare ¢1791: VI: 622-38) déjà mentionnée, qui suggère les plans
d'une telle installation: des objets bien ordonnés sur des rayons, dans des armoires
à vitrine57 analogues à celles du vestibule du premier étage de la Grande
Rochette58, quelques pièces en dehors et des séries dans des meubles à tiroir, ces
«layettes dépendantes du cabinet d'histoire naturelle, reçues de S.' Sulpice»59 que,
le A juillet 1800, M. Jean de Merveilleux sera «autorisé à remettre à MJJ du comité
de la Chambre de charité» (B), et dont l'une avait peut-être renfermé ces «Lépas dits
oeil de rubis» (a 29., page 173 de l'Inventaire) (M), trop nombreux pour être
comptés...
Pour le détail, la structuration des vitrines pouvait correspondre à un certain
ordre du monde, aux contingences matérielles près, susceptibles de faire éclater le
cadre de la présentation, mais il est douteux que Ia disposition des objets ait reflété
un état des connaissances. Si certains d'entre eux ont frappé les visiteurs - et parfois
de manière récurrente - leur succession pièce après pièce dans l'espace est impos-
sible à reconstituer faute de témoignages suffisants.
«De l'arrangement d'un Cabinet d'Histoire Naturelle», chapitre neuvième de La Conchyliologie
(Dezaluer d'Argenville 1780:1:187-98).
Une idée du mobilier nécessaire à contenir une collection composée surtout de coquilles se trouve
à ta fin d'un catalogue de vente de XII + 560 pages sortant de l'ordinaire, Catalogue systématique et
raisonné ou Description du magnifique cabinet Appartenant ci-devant à M. le C. de *** [...] Par M. de
***. (1784: 519-20, n™ 2225 à 2234). Comme une annotation autographe de l'exemplaire de la BPUN
(12.5.4 / N" 390) l'indique, il avait été rédigé par M, de Favanne fils, avec un luxe de détails inouï dans
le descriptif de chacun des 2224 lots, pour la vente à Paris de la collection du comte de La Tour
d'Auvergne dès le 19 avril 1784.
En moins luxueux, le Cabinet pouvait ressembler à la célèbre Kunstkammer de Pierre le Grand a
Saint-Pétersbourg aménagée en 1728 (Musée d'anthropologie ft d'ethnographie 1989; visite du
2 août 1991) et qui accueillit en 1780 la collection du 3" voyage de Cook donnée par le capitaine Clerke
au major Magnus Behm, gouverneur du Kamchatka, aux armoires du cabinet de Bonnier de la Mosson
(1702-1744) avant 1739, à celles des Franckesche Stiftungen dès 1741 à Halle an der Saale (Jahn 1994:
487 (QL 4 et 5); 492 (ill. 8); PETERSON 1999: 71-93 (ill. 10)), à la nouvelle installation du cabinet de
Sainte-Geneviève à Paris datant de 1753 (Zehnacker et Petit 1989: 22-4, fig. 9-11), à celui de
Clément Lafaille au Muséum de La Rochelle dont les boiseries datent de 1776 (Duguy 1968) mais dont
l'aménagement n'est plus d'origine (Delafosse 1961; visite du 19 décembre 1997), à la salle ovale du
Teyters Museum à Haarlem construite en 1780 (Kunstenaars 1989; visite du 2 septembre 1989) ou
encore au Musée Ashton Lever â Londres tel que l'a dessiné Sarah Stone dans les années 1780 (KlHG
1996: 175). Pour comparaison, voir la reconstitution du Cabinet d'histoire naturelle de Jean Hermann
à Strasbourg (Lang 1989; 1995; visite du 29 janvier 1999).
58
Voir le chapitre X.
59
Le contenu des tiroirs ressemblait peut-être à celui du cabinet d'histoire naturelle du pasteur Jean
Frédéric Obcriin (1740-1826) (Schneider et Geyer 1991) ou de sir Hans Sloane (1660-1753)
(MacGregor 1994).
84
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Inversement, il est impossible de s'appuyer sur l'Inventaire, postérieur à l'amé-
nagement, pour tenter une spatialisation et il y a peu de chance que son établisse-
ment ait entraîné d'importants remaniements. Il y a lieu de le considérer comme une
opération distincte.
L'esprit du Cabinet tient d'abord à son contenu et à sa forme. Le départ entre
cabinet de curiosité et collection erudite est difficile et «il est toujours arbitraire de
séparer les deux» (SCHNAPPER 1988: 241), collectionner étant une des premières
formes de la science60, à condition de ne pas s'y enfermer61. Par la réunion de
curiosités qu'il présente, de productions insolites et rares62 de la natureet de l'art,
sans véritable spécialisation et dans une perspective assez universaliste où les
réductions d'animaux participent d'une idée de résumé du monde, il semble s'appa-
renter encore aux Kunst- und Wunderkammer des siècles précédents.
Comme nombre de ses contemporains, CDM reste fasciné par l'étrange,
l'insolite, voire la monstruosité, sinon les falsifications, autrement dit les
«mirabilia»63. C'est ainsi que, prévenant le séjour de Raymond à Ceylan, il lui
demande de Paris le 30 décembre 1787, à côté d*«une peau d'Eléphant avec la
trompe bien Conservée»:
Si tu peu m'en avoir une [peau] de ces Cochon à deux jambes. Q'faut Eviter démettre du poivre
pour Ia Conservation des plumes ou des peaux parce qu'il Engendre des vers (P - dos.43.n, voLA).
De même, lorsqu'il remerciera la Société des Scrutateurs de la Nature, à Berlin
du diplôme qu'elle lui a envoyé, il s'engage à enrichir «Son Cabinet des choses
rares et curieuses quf'il pourra se] procurer.»6*. Plus réaliste, Pierre Frédéric, dans
sa lettre déjà citée du 29 décembre 1788 de Colombo à CDM, avançait que:
Les deux Cochons queM/ leDessave Cock a emmené &dont Nous en avons Vu un a Amsterdam,
Sontunjeu delaNature, Sans exemple, elle est icy féconde enjeu, mais toujours en Augmentation &jamais
en diminution. Un Cinquième Membre, double tête &C. on ena defréquens exemples. Le Chef de Mannar
a aporté un Cocq à quatre pâtes &deux anus, il en a fait Cadeau à MadameVanAngelbeck de Cochin,
&C'estsurement pour Batavia. (P - dos.48,II).
«le désir du savant [est] de tout accepter sans préjugé à un moment de l'histoire où connaître, c'est
d'abord collectionner.» (Lamarche-Vadel 1995: 131)
«A trop accumuler, l'ordre de répartition devient inopérant et donc caduc.» (LAMARTHE-VAdel
1995: 133).
En fait, le qualificatif «rare» apparaît surtout chez les donataires, en particulier dans l'Acte de dona-
tion (M|.
Il s'en trouve des exemples dans le Kunst- und Wunderkanimer (XVIe siècle) du château d'Ambras,
près d'Innsbruck, dont la muséographie est pourtant très en avance sur son époque (AUER et al. 1996;
visite du 1" janvier 1997).
D'après sa lettre du 8 octobre 1790 conservée au Museum für Naturkunde à Berlin (Brief Nr. 4/1-2)
et communiquée par M™ Hannelore Landsberg le 16 octobre 1994.
V - LE CABINbTA SAINT-SULPICE
85
Dans l'impossibilité de constituer un ensemble universel et structuré, CDM se
contente de certains spécimens représentatifs, «témoins»:en quelque sorte, voire
symboliques puisque parfois réduits à des parties (peau où, au contraire, squelette)
quand il ne s'agit pas d'animaux «factice[s] en petit»; il est tout aussi incapable de
spécialisation, démarche caractéristique d'une nouvelle optique scientifique.
Privilégiant donc la diversité plutôt que les suites, le Cabinet de CDM
correspond à cet aspect de la «curiosité encyclopédique et exubérante» que met en
évidence Krzysztof Pomian (1987: 109). CDM n'entre ainsi pas dans la catégorie
des «collectionneurs-novateurs» (Pomian 1994: 50-1); à y regarder de plus près, il
est assurément 'un amateur dans le meilleur sens du terme, aux goûts éclectiques,
fasciné par le temps (passé et durée) et satisfait par l'exotisme des objets qui ornent
son cabinet sans chercher plus loin, davantage qu'un simple amasseur (RHEEMS
1979: 344). En ce sens il encourt les critiques de Lamarck, formulées au début de
la Révolution française et citées par Yves Laissus, qui oppose les «simples cabinets
de curiosité» aux «vrais cabinets d'histoire naturelle avantageux aux progrès des
sciences et propres à répandre des connoissances utiles» (Bedel et alii 1986: 669).
Pourtant, il se préoccupe non seulement de l'accessibilité de ses collections et
de leur mise à disposition du public par la présentation, mais encore de leur préser-
vation future. A la dessication et à Ia conservation en alcool s'ajoutent les mesures
de précaution sur lesquelles il se documents par Ia littérature - l'ouvrage de l'abbé
Manesse figure dans sa bibliothèque - et en interrogeant des spécialistes - comme
François Le Vaillant -, consignes qu'il répercute dans son courrier. L'abandon
finalement de sa collection à la communauté reflète le souci de transmettre intact ce
patrimoine comme il l'exprime dans sa lettre à Louis Jurine65.
D'un autre côté, par son refus de l'accumulation pure et simple en dépit dé sa
passion, par le souci de faire établir un Inventaire raisonné de son fonds, GDM
penche déjà vers la tendance scientifique que concrétise l'adoption d'un découpage
naturaliste, exclusif et actualisé. La collection porte bien le titre de «Cabinet
d'histoire naturelle» et non de «Cabinet de curiosités». Par rapport au projet
hégémonique de celui-ci, à ses prétentions encyclopédiques, la réalisation de CDM
présente un éventail déjà restreint. Plus encore, l'installation probable d'un labo-
ratoire indique un passage de la collection passive à l'expérimentation active, un
glissement du ludique à l'utile, préfigurant la condition qu'il met à sa donation66:
la création d'une chaire de chimie. Les réflexions ultérieures de CDM révèlent bien
l'importance qu'il attache à l'application pratique des sciences. Sans conteste, son
Cabinet s'inscrit dans une perspective didactique, qui le situe ainsi à une étape
charnière de l'histoire des musées67.
Voir le chapitre VIII.
Bredekanìp 1996: 36; 70; 113; 119.
SCHNAPPER 1988: 109; 116; 175; 189; 246; 302; 304.
86
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Au demeurant, !'«effort de dressage de la curiosité, pour reprendre Ie mot de
Pomian, relayé par Malebranche puis par les Académies du XVIIIe siècle, fut pour
le moins laborieux et la transformation des cabinets curieux en "cabinets d'histoire
naturelle subordonnés à des interrogations scientifiques" une tâche toujours à
recommencer.» (SCHNAPPER 1988: 312). Et que CDM eût parfois préféré la «science
amusante» aux sciences sérieuses n'importe guère, le but qu'il devait viser étant
surtout la communication et le contact humain.
Sur le plan social, la possession du Cabinet (comme celle d'une bibliothèque)
illustre l'obligation de rang à laquelle se devait de sacrifier CDM, en même temps
qu'il fait rejaillir du prestige sur sa personne. Bien que d'autres considérations et
intérêts aient pu entrer en jeu et que le geste se conformât à une ouverture de
l'époque, en donnant sa collection à la collectivité, CDM accroissait encore sa
réputation et s'assurait - malgré des éclipses - une durable gloire posthume pour
laquelle ses seuls mérites mil itaro- commerci aux n'eussent sans doute pas suffi.
VI
L'INVENTAIRE MIRACULÉ ET L'INVENTAIRE FANTÔME
1 GNORÉ jusqu'en 1967 (SCHOEPF1968:116), le précieux document que constitue
le seul volume subsistant de l'Inventaire (M) se présente sous la forme d'un fort
in-folio relié parchemin clair à la tranche mouchetée de rouge et de vert, mesurant
225 par 370 mm sur 60 mm d'épaisseur. Une étiquette collée au dos indique:
«Inventaire / du Cabinet. // T. II. / Règnes / végétal / & / minéral. // Bibliothèque,
/ Tableaux, / Gravures, &c.», ce qui ne correspond qu'imparfaitement au contenu1.
Le chiffre «II» est d'une encre plus foncée et les trois dernières lignes pourraient
avoir été rajoutées.
Le registre comprend 584 pages - gardes non comprises - en papier vergé de
217 par 360 mm comportant deux filigranes: un monogramme (chiffre)2 et un car-
touche avec les capitales B. R.; elles sont réunies par cahiers irréguliers de 16 et
parfois 12 pages. Les deux premières pages étant blanches, la pagination (située en
tête à l'extérieur) commence à partir de la 3e et s'arrête à la 489e; il en reste 95 non
paginées, dont une partie est néanmoins remplie. Dans le dernier tiers, un feuillet a
été visiblement coupé à la lame, si bien qu'il doit en manquer un autre au moins,
probablement tout au début. Les pages ont été soigneusement préparées: colonnes
dessinées à l'encre rouge, titres calligraphiés, début de numérotation mis en place
pour les cotes, 30 lignes étant prévues, parfois déjà réglées à la mine de plomb.
L'écriture, appliquée, n'est pas celle de CDM, mais d'un secrétaire.
Dépourvu de titre au début - absence étonnante -, l'Inventaire commence
directement par «Regne végétal. / Racines.» à la première page numérotée. C'est
seulement à la page [61] qu'apparaît un titre précisant qu'il s'agit de !'«Inventaire
/ du Cabinet d'rjstoire / Naturel d.e / Monsieur le Comte de / Meuron, Chambellan
du / Roi de Prusse. // Tome II / Seconde partie: / Contenant le Regne Animal, / ou
la Zoologie./.». Sachant que CDM se fait accorder par Frédéric-Guillaume II le titre
Le règne animal, qui occupe pourtant - à la place du règne minéral annoncé - la plus grande panie
du volume, n'est donc pas mentionné sur l'étiquette. Dans la logique du système de classification, cette
substitution du règne animal au règne minéral implique que celui-ci doive précéder les deux autres
(minéral, végétal, animal); l'ordre inverse (animai, végétal, minéral), se référait à l'idéologie ancienne
qui met l'Homme au sommet de la Création.
Cette marque, assez répandue, se retrouve sur le papier employé pour le «Compte courant [de
CDM] avec son frère Théodore Abram Meuron de S.1 Sulpice dressé en fév.r 1791 arrêté & signé le 21
Juin ditte année.» où figure en plus le filigrane «S . SULPICE» mais les dépenses de papier
(P - dos.28.I) sont trop imprécises pour permettre une quelconque datation par ce moyen.
88 LE MVRlER ET L'EPEE
honorifique (et la clef3) de chambellan le 29 octobre 1789 (F), le document ne peut
être ipso facto que postérieur à cette date4.
Sauf pour la partie commençant à la page 473, le classement est strictement
naturaliste et suit le découpage préétabli qui s'est inspiré d'une nomenclature en
cours5, peut-être simplifiée; il y a quelques adaptations et des flottements, puis-
qu'une peau de chien de mer est classée sous Poissons vivipares de mer (p. 93) et
6 peaux de chiens marins sous Amphibies {p. 103). Mais toutes les catégories sont
loin d'avoir été occupées.
Dans ces listes, chaque type d'objet recensé a été pourvu d'une cote alpha-
bétique et chaque objet de la catégorie d'un numéro d'ordre. Ces cotes alpha-numé-
riques ont été retranscrites sur de petits morceaux de papier, collés ensuite sur les
étiquettes que portent encore les spécimens, en particulier «ethnographiques»
(historiques, voire archéologiques également), et dont le libellé est quasi identique
à l'inscription du registre. Entre les pages 150 et 151 a subsisté une petite bande de
papier découpé (qui provient peut-être de la page manquante, étant donné que
pontuseaux et vergeures correspondent) portant les cotes AT 8. K 9. K 10. ATl-I.
K 12., préparées et non utilisées, et de même entre les pages 154 et 155, un
fragment marqué AT 157 et une bande où se suivent K 160. AT 161. K 162. AT 163.
K 164. K 165. K 166. K 167. (bien que K 157, 160 et 161 soient occupés), enfin
entre les pages [490] et [491] une petite étiquette F 64 (se rapportant aux volumes
de VEncyclopédie qui figure dans la bibliothèque de CDM) . Ce mode de faire
donne à penser que les objets ont été identifiés avant d'être enregistrés.
En relevant uniquement les rubriques remplies, la répartition se présente de la
manière suivante:
Il en emportera une en Inde, selon ce que révèle une lettre du 22 octobre 1795 (P - dos.44.U) !
Cette page de titre étant tardive et tenant compte de la rocade des règnes de la nature, il serait
certes envisageable que l'établissement de l'Inventaire (M) ait commencé plus tôt, mais cette hypothèse
est infirmée par l'examen des livres qui y sont listés (voir le chapitre VII}.
Les coquilles sont ainsi réparties en 28 familles offrant de fortes ressemblances avec l'ancienne
classification de Dezallier d'Argenvilte (1780) avant l'intervention des de Favanne. Pour M. Pascal
Moesciiler (lettre du 19 octobre 1989), les différences constatées sont minimes. En tout cas, la
classification linnéenne est ignorée et ce sont les noms anciens qui sont employés.
Entre les pages 356 et 357 s'est conservé un petit bout de buvard qui a servi à assécher le numéro
«o 1.» qui se lit a la page 357 et entre les pages 110 et 111 un fragment de papier irrégulièrement
découpé de 32 x 92 mm portant les indications «N 30 4 Neuchâtel» [te chiffre 4 à la plume rouge] d'un
envoi de messagerie.
VI ¦ L'INVENTAIRE MIRACULÉ ET L'INVENTAIRE FANTÔME
89
I cotes]
[nombre de
positions
occupées]
Regne végétal.
}
P- 1
p. 3
.p. 5
P- 9
p. 11
p. 10
p. 15
p. 17
p. 18
p. 19
p. 23
p. 27
p. 35
p. 37
p. 47
p. 51-52
Racines
Ecorces
Feuilles
Bois
Graines *
Fruits & semences. 3° la Sillique.
Fruits & semences. 5° Fruit à noyau.
Fruits & semences. 6° Fruit à pépin.
Fruits & semences. 7° La Baye.
Plantes parasites.
Plantes.
Résines.
Gommes.
Plantes marines.
Divers objets.
A 1. â 3. 3
B 1. 1
C 1. à 5 5
El. à 50. 50
Yl. à 5.** 5
F 61. 1
F 121. à 132. 12
F 151. à 152. 12
F 181. 1
H 1. à 2. 2
Kl. à 4. 4
0 1. 1
Pl. à 3. 3
Vl. à 5. 5
X 1. à 34. 34
**
division intercalée a posteriori et en-tête rajouté sur un papier collé.
Y6. barré, devenu F 122. (2 Noix d'Acajou.).
Regne Animal. (Zoophytologie).
p. 69 1. Les Zoophytes. 7. le Gorgone.
p. 77 1. Les Zoophytes. 15. l'Eponge.
p. 82 3. Les Crustacées. (l'Entomologie). 1. De mer.
p. 92 A: Insectes. (l'Ichtyologie). 7. Aptères.
p. 93 5. Poissons. 1. vivipares de mer.
p. 95 5. Poissons. (Z, 'Amphibiologie). 2. ovipares de mer.
p. 103 6. Amphibies.
p. 105 6. Reptiles.
A 181. à 187. 7
/4 421. à 422. 2
Cl. à 10. 10
D 181. à 183. 3
El. à 9. 9
E 61. à 74. 14
Fl. à 20 20
F 61. à 65. 5
90
LE MÛRIER ETL'ÉPÉE
(L'Ornithologie).
p. 107 7. Oiseaux. 1. 2 doigts dev. point derrière.
p. 119 7. Oiseaux. 4. A 3 doigts dev.' et 1 derr.'
p. 123 7. Oiseaux. 5. Palmipedes à 3 doigts dev.1 et 1. dcrr.e
p. 127 7. Oiseaux. 6. Semipalmipedcs à 4 doigts unis.
p. 139 7. Divers Oiseaux.
p. 140 7. Nids d'Oiseaux.
p. 144 7. Oeufs d'Oiseaux
(La Tétrapodologie.)
p. 150 8. Quadrupèdes." 1. Solipedes.
p. 154-55 8. Quadrupèdes. 2. à pieds fourchus.
p. 158-59 8. Quadrupèdes. 3. Fissipedes.
p. 164 9. L'homme. (Anthropologie),
p. 165 Divers objets.
Cl. 1
G 361. à 372. \2
C 481. à ¦ 485. 5
G 601. 1
G 961. à 963. 3
Hl. à 4. 4
Jl. à 4. 4
K 1. à 7. 7
K 121. à 161. 40
K 242. à 297. 57
L 1. 1
Ml. à 6. 6
Conchyohgie.
p. 173 Univalves. 1. Lépas sans Trou. a 1. à 29. 29
p. 189 " 1. Lépas à trou. a 481. à 484. 4
p. 197 " 2. Oreilles de mer. bl. à 6. 6
p. 203 " 3. Vermisseaux. c 1. à 3. 3
p. 207 " 4. Nautilles. d 1. à 8. 8
p. 211 " 5. Limaçons à bouche ronde. el. à 22. 22
p. 267 " 9. Olives. il. 1
p. 301 " 11. Tonnes. k 1. 1
p. 313 n 12. Porcelaines. 1 1. à 3. 3
p. 369 2 Bivalves. 1. huitres. p]. à 6. 6
p. 381 . 2 " 2. Cames. ql. à 5. 5
p. 405 2 " 3. Moules. ri. à 14. 14
p. 467 3 Multïvalves. 6. Pholades. aa 1. à 2. 2
VI - L'INVENTAIRE MIRACULÉ ET L'INVENTAIRE FANTÔME
91
La dernière partie du registre (p. 489 à [515]) est consacrée aux livres7. Au
total, l'Inventaire ne comprend pas moins de 534 positions, englobant parfois
plusieurs spécimens - généralement en petit nombre - ou, pour les livres, plusieurs
volumes - dans un cas à double exemplaire. Les chiffres peuvent s'élever à 10, 13,
23, 28, voire 36 («K 4. 36 Diverses plantes colées sur du papier.») et même
exceptionnellement à un nombre non précisé («a 29. Lépas dits oeils de rubis (tout
le Tiroir).»). Un dixième seulement des pages du registre a été employé ou à peine
commencé: le secrétaire avait vu grand!
Sur les 534 positions relevées, 139 concernent le «Regne végétal», 315 le
«Regne Animal» (dont 104 sont occupées par les coquillages) et 80 les livres. Selon
Ia conception de l'époque, il n'y a pas de division spécifique pour les «artificialia»,
qui regroupent aussi bien des «exotica» que des objets européens et quelques rares
machines ou «scientifica». Les produits de l'industrie humaine figurent sous «Divers
objets» de l'un ou l'autre règne - non sans quelques incohérences dans la venti-
lation8 -, en fonction de la matière principale dont ils sont constitués. Quoi qu'il en
soit, aucune intention ne transparaît dans l'ordre des pièces et il n'est pas possible
de distinguer une ligne directrice dans leur choix.
La séduction de l'étrange, de l'insolite, de la monstruosité même ne saurait être
niée à relever dans l'ensemble du registre9 - comme dans de multiples cabinets
analogues - la présence d'un «Foetus de Négresse.» (L L, p. 164), d'un «Priape de
Baleine, de 7 pieds et demi, de Roi, de longueur.» (E 2., p. 93), d'un «Bésoire»
[bézoard10] (F 130, placé dans le règne végétal, p. 17), d'une «[Racine] de
mandragore» (A 1., p. 1), de «Nids d'oiseaus dont les chinois sont très friands.»
(//4 p. 140), d'un «Oeuf verd d'un oiseau qui porte du poile en place de plume»
(J 3, p. 144), d'un «Dragon voland» (F 15., p. 103), mystification à succès à
laquelle CDM n'avait pas plus échappé que nombre de ses contemporains11, ou
d'un «Canard à 4 pattes, dans un Bocal.» (G 485., p. 123) dont l'attrait térato-
logique le poursuivra puisque son envoi de Madras le 9 mai 1796 comprendra:
«[N°] 11 Canard a 2 têtes» (P - dos. 14.VI). Dans le Cabinet de CDM ne man-
quent non plus ni «E 1 /Corne de/ Licorne de Mer, ou defense de Baleine, de 6 p.
8 pouces de Roi, de long/», ni «[E] 6. Scie de l'Espadon.», ni «[£] 7. Morceau de
la corne du Nerva.», classiques incontournables.
Voir le cliapitre VU.
Par exemple [X] Il et [X] 15, deux objets en soie qui n'ont rien à voir avec le règne végétal.
g
Ce goût de CDM est manifeste aussi dans certains titres de sa bibliothèque.
Le «bézoard est une concrétion qui reste légèrement souple, formée en couches concentriques autour
d'un corps étranger dans l'appareil digestif de certains ruminants de la famille des chèvres» (Schnapper
1988:32-4).
H s'en trouvait un dans le cabinet d'Abraham Gagnebin qui savait qu'il s'agissait d'un animal
factice: «Draco ou dragon factice fait avec une raie. Jonst. t. 12, fig. 1.» (Gagnebin [1765]: 4), après
des raretés telles que «Un morceau de mumie d'Egypte.» (p. [I]), «Le squelette d'un agneau monstrueux
à six jambes.», «Un poulet à quatre jambes desséché.», «Des nids d'alcyons, manger délicieux à la
Chine.» (p. 2), «Un gros balena, ou priape de baleine de 5 pieds 9 pouces de roi de long, pese 10 livres
& demie.» (p. 3).
92
LE MÛRIER ET I 'EI1EE
A dire vrai, ce goût des bizarreries, qui prolonge la tendance ancienne - «en
deçà du scientifique» (Bredekamp 1996:12) - des cabinets de curiosités à présenter
des objets étonnants, est conforme au penchant de toute une époque. Non seulement
il en existe plusieurs recueils12 mais l'Encyclopédie de Paris elle-même est curieuse
tant de la nature dans toutes ses variétés que dans ses «dégradations»: l'arbre de la
connaissance présente sous Histoire naturelle une rubrique «Ecarts de la nature»
comprenant les minéraux, végétaux et animaux «monstrueux». Cette catégorie se
retrouve comme Etres «matériels non-uni formes, monstrueux» dans celle d'Yverdon
où l'article «Jeux de la Nature, & Monstres» n'occupe pas moins de 15 pages (1773:
XXIV: 197-212). Après la donation de CDM, le frisson continuera d'être alimenté
par des pièces analogues: le 19 juin 1804, un embryon signalé le 6 juillet (B), le 4
mars 1805, un fœtus monstrueux signalé le 8 novembre (B), en 1818, un autre
embryon signalé le 3 juillet (B), la collection se devant de présenter de tels spé-
cimens, aujourd'hui relégués dans les vitrines d'instituts d'anatomie.
Les indications sont en général peu détaillées et tiennent sur une ligne; rares
sont les dimensions, sauf par exemple à la page 173 où une série de coquillages sont
donnés avec mesures en pouces et lignes13, et toute référence à des ouvrages est
absente. Certaines inscriptions ont été faites objets en main (un reste de coquille a
subsisté entre les pages 210 et 211, de même qu'un fragment de plume entre les
pages 134 et 135), et dans plusieurs cas apparemment sous dictée.
L'existence de cette liste, même comparée à celle du naturaliste de La Ferrière
(Gagnebin [1765]), est remarquable pour un cabinet d'amateur, encore que !'«éti-
quetage» l'emporte sur un véritable souci de nomenclature. Cependant, au:delà des
approximations et des désignations fantaisistes, CDM pouvait difficilement com-
mettre certaines confusions: croiser un xylophone [X] 22, probablement recueilli
«sur le terrain», et un «angklung» [X] 21, voire un arc hottentot14 et un arc
amérindien EE 26, comme le montre l'étiquetage erroné. Il y a donc lieu de
supposer qu'il a fait faire le travail, peut-être en son absence - ce qui n'a rien pour
étonner vu ses nombreux déplacements à cette période -, et ne l'a pas contrôlé.
L'enregistrement n'a pas été réalisé d'un jet, quoique dans un temps relative-
ment court. Une étude attentive des inscriptions révèle non seulement des ratures -
hésitation sur la provenance géographique15 -, mais encore des ajouts tardifs16
d'une autre encre et des reprises17, comme si une désignation très courte avait seule
été inscrite d'abord puis complétée sommairement.
Par exemple Ecarts de la nature 1787.
A Neuchâtel, 1 pied = 12 pouces vaut 29,326 cm; 1 pouce =12 lignes vaut 2,443 cm; 1 ligne vaut
0,2036... cm.
Cet arc - qui pourrait aussi bien être fuégien et de section triangulaire (Kaepeler 1978a: 278-9)
- n'a pas été retrouvé.
«de Wnde» corrigé en «du Cap de Bonne Espérance.» page 27.
Les listes ont été complétées de quelques entrées et même, page 155, par deux fois.
17 Pages 17, 103, 119, 155, 159, 211 et 369.
VI - L'INVENTAIRE MIRACULÉ ET L'INVENTAIRE FANTÔME
93
Par ailleurs, le travail donne une impression d'inachèvement, la partie consacrée
aux Tableaux, Gravures, etc/in'ayant pas été remplie, «non plus que la Table18.
Parmi les insectes, il n'y a que trois entrées pour les aptères et il est étonnant de ne
rencontrer ni coléoptères ni lépidoptères, alors que CDM en possédait. Plus encore,
à considérer le peu d'enregistrements de coquilles dont CDM était pourtant entiché,
alors qu'un énorme espace leur avait été réservé (pages 173 à 472), le document
n'est manifestement qu'un début. En revanche, il n'y a aucune indication
d'aliénation de pièce.
Datant au plus tôt de l'automne 178919, le registre ne saurait être postérieur à
la donation, par le simple fait qu'il comporte une liste d'ouvrages n'ayant pas
accompagné le Cabinet20. Peut-être même ne devait-il pas être livré et est-il
parvenu à Neuchâtel par erreur, comme le «petit carton d'agathes»21 réclamé avant
le 9 novembre 1804 ?
En tout cas, il ne révèle pas d'interventions tardives et personne n'y fait
référence. Il est dans un remarquable état de fraîcheur, sans traces de consultation,
et il doit sans doute sa conservation à un oubli protecteur.
L'intention de CDM de faire abandon de son Cabinet était connue dès avant le
7 novembre 1794:
Mons.' le Colonel de Meuron ayant insinué à quelques Membres de la Commission le dessein où
il est de donner au public son cabinet d'histoire naturelle, dès qu'on aura un emplacement pour le mettre:
On a délibéré de nommer une délégation pour le choix de cet emplacement & pour en conférer avec
Mons/ de Meuron: les Membres nommés sont Mess-™ Meuron, Banneret, Dardel, Pasteur, de Pury ancien
22
Maitre des Clefs Sc Tcuchon, Inspecteur. (B)
L'Inventaire aurait ainsi pu être rédigé, dans un but non explicite, entre
l'automne 1789 et l'automne 1794. La liste des livres, la plupart achetés depuis son
retour en Europe, permet de cerner la période la plus plausible23. D'après leurs
dates de publication et leur succession, l'enregistrement se situe entre 1790/91 et le
début de 1792. De surcroît, l'intervalle correspond à l'engagement de M. Maugard
qui, reprenant le poste de M. Jacques Mauris, fut au service de CDM entre octobre
16 Voir le chapitre VII.
19
Parmi les «naturalia», certains spécimens provenant de Ceylan et de l'Inde sont enregistrés avant
ceux du Cap mais CDM a pu les y acquérir étant donné que les bateaux venant de l'Est y faisaient géné-
ralement relâche.
20 Voir le chapitre Vu.
21 Voir le chapitre X.
22 Les délégués sont Charles Joseph de Meuron (1738-1803), Henry de Pury (1742-1806) et Pierre
Frédéric Touchon (1751-1814) (renseignement de M. Jean-Pierre Jelmini le 18 avril 1997); en fonction
de leur présence à Neuchâtel, le quatrième peut être soit François Louis Dardel (1731-1797), pasteur du
mardi à Neuchâtel de 1790 à 1797, soit David Dardel (1740-1831), pasteur à Neuchâtel de 1778 à 1831
(renseignement de M. René Péter-Contesse le 1" avril 1997).
23 Voir le chapitre VD".
94
LE MÛRIER ET L1EPEE
1790 et fin février 1793 ainsi que le confirment les comptes (P - dos.28.I), et partit
parce qu'il «n'entendoit rien à la Comptabilité», selon la critique que Théodore
Abram formule à Renaud de Coquillard le 10 mars 1793 (P - dos.44.I), ce qui
pourrait expliquer l'arrêt du catalogage34.
En dépit des termes de l'Acte de donation (M), il est de prime abord impossible
de savoir si l'Inventaire (M) correspond à Ia donation: celle-ci peut en effet avoir
comporté des pièces qui ne figurent pas dans l'Inventaire ou, au contraire, être
privée de certaines ! Or l'hypothèse se trouve confirmée pour quatre pièces au moins
qui étaient abritées dans les vitrines d'angle de la Grande Rochette25. Et si CDM
n'a pas tout donné, la conséquence qui s'impose est qu'il est vain de vouloir
rechercher dans les fonds publics tous les objets mentionnés dans l'Inventaire.
A se fonder seulement sur une analyse du contenu du Tome II de l'Inventaire
(M)1 tout un pan du Cabinet de CDM échapperait à la connaissance: le règne miné-
ral, que l'étiquette incorrecte laisse pourtant espérer en vain et dont le manque
étonne d'autant plus que sa bibliothèque renfermait plusieurs ouvrages de minéra-
logie. Il est à craindre que le Tome I n'ait suivi le même sort qu'une partie de la
collection26; il devait répertorier non seulement le domaine strict de la minéralogie
mais aussi, par voie de conséquence, tous les objets fabriqués en métal, armes
notamment, dont les visiteurs de l'époque signalent la richesse et Ia diversité.
Mme de Gauthier (1790: II: 303) rapportait avoir vu, outre certaines pièces
figurant dans le Tome II, «des armes à l'usage des Indiens & des Chinois»,
témoignage que complète le conseiller de Diesbach27 qui, le mercredi 12 octobre
1803, découvre les collections installées et quelque peu développées à la Maison des
Orphelins à Neuchâtel. Il déclare dans son Journal (PURY 1918: 215-6): «Nous
vîmes une belle suite de médailles, [...] beaucoup de marbres, minéraux, cristaux,
pétrifications, [...] armes de différens pays».
Fort heureusement ont été retrouvés des objets manufacturés pouvant appartenir
au «Regne minéral», porteurs de leur cote - ce qui a permis de reconnaître leur
appartenance au fonds de CDM. C'est aussi cette cole providentielle qui autorise Ia
tentative de reconstituer partiellement, dans le domaine des objets de l'industrie
humaine tout au moins, ce que pouvait être le contenu du registre disparu et resté
introuvable malgré les appels lancés (Kaehr 1978: 122).
Le «Compte courant avec son frère [Théodore Abram]» déjà mentionné (P - dos.28.I) montre par
ailleurs des analogies d'écriture et de présentation.
25 Voir le chapitre X.
Les collections géologiques avaient été déposées en 1917 à l'Institut de géologie de l'Université
(HAENNI ri985]: 82), mais celle des fossiles d'Agassiz a connu une triste fin: «a successor [Frédéric-
Maurice de Tribolet], whose interest lay elsewhere, and who was ignorant of vertebrate palaeontology,
had them thrown into the nearby lake.» (ROBSON 1986: 40) et peut-être d'autres spécimens.
François Pierre Frédéric Victor Gaspard Melchior Balthazar, comte de Diesbach, prince de Sainte-
Agathe (1739-1811).
VJ - L'INVENTAIRE MIRACULÉ ETL 'INVENTAIRE FANTÔME
95
D'après ces objets, au moins 4 séries de cotes se dégagent, offrant un minimum
de 45 positions, sans préjudice du nombre de spécimens d'un même type. La subdi-
vision - ou les subdivisions - qu'occupaient les diverses roches (gemmes, cristaux,
marbres, etc.) reste impossible à préciser; en revanche, les parentés entre les artefacts
permettent d'imaginer des en-têtes, étant donné la préoccupation systématique qui
a présidé à l'enregistrement28:
AA > 8 retrouvé: 1
BB > 4 retrouvés: 2
CC non attesté
DD > 4 retrouvés: 229
EE >2[9] retrouvés: 7
-> [porcelaine, verre?]
-> [terre, poterie?]
[monnaies, médailles?]
-> [métal]
-> [armes]
Dans le Tome «II» ont été employées successivement pour les cotes les lettres
AaY («Regne végétal»), A à M («Regne Animal») et a à z («Conchyologie») avant
qu'apparaissent, tout à la fin pour les «m ulti valves», les séries aa et bb, cependant
que les livres sont cotés AaH. Par analogie avec le système de signatures des
feuilles imprimées alors en usage dans Ia typographie française, cette exploitation
des possibilités de l'alphabet conduit à imaginer que Ie doublement AA, BB, Dp,
EE est une ressource supplémentaire et que le Tome « I » est en fait le second
établi, donc qu'il a été dévolu après coup au règne minéral. L'ordre des règnes
finalement adopté - et dont la succession est contraignante - pourrait être dû à un
souci de mise à jour scientifique30. Le croisement rend alors compte de l'inexac-
titude du libellé de l'étiquette et la couleur plus foncée du chiffre romain s'explique
par une inscription en deux temps.
Pour suppléer à l'absence de ce Tome I, il sera nécessaire de prendre en
considération les apports ultérieurs et de tirer parti de la liste de Louis Coulon (L)
du 16 mai 183431.
Mais, d'ores et déjà, il faut faire un sort à une légende tenace résultant d'une
mauvaise lecture. Le «ta'unii» coté MEN V.1415 «Hausse-col, décoration de céré-
monie et de guerre des Tahitiens (Tahiti). XVIIIe siècle. 58 x 42 cm (fragment
d'étiquette avec F. proviendrait de Forster, pére naturaliste du 2ème voyage de
Cook)»32 (MEURON et Centlivres 1965: 44), cité quelques pages précédemment
II est à remarquer que le découpage y est plus poussé que dans Ie Tome IL
Le second figurait dans la vitrine est de la Grande Rochette (visites des 4 et 10 juillet 1995).
Voir le début du chapitre.
Voir la SECONDE PARTIE.
Ce même Johann Reinhold Forster (1729-1798), père de Georg, devient Weber sous la plume de
O'Reilly (1946: 121) ! Une partie de leurs collections furent vendues notamment en 1799 à Göttingen
(Kaeppler 1978a: 43; Krüger 1994: 32).
96
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
sous la désignation «un,hausse-col de fibres tressées garnies de dents de requin,
provenant d'Hawaï» (1965: 25), n'a jamais fait partie du Cabinet (KAEHR 1997:
153-;6). Selon le Rapport [annuel du Musée d'ethnographie] sur l'exercice 1931
rédigé par Théodore Delachaux (1932: 56-9), malgré les erreurs qu'il comporte, elle
a clairement été obtenue par échange avec Arthur'Speyer, de Berlin:
En échange de trois objets que nous pouvions envisager comme doublets, nous avons obtenu une
pièce remarquable de Tahiti. Il s'agit d'un plastron ou haussera)! en fibres tressées porté jadis par les
Tahitiens de qualité dans lés grandes cérémonies et à la guerre..En forme de fer à cheval, cet objet porte
trois rangs concentriques de dents de requin. Les plumes d'une sorte de pigeon et les poils de chien qui
ornaient cette décoration d'apparat ont en grande partie disparu; mais telle que cette pièce se présente,
elle possède pour nous une valeur indéniable, parce qu'elle complète la collection que nous possédons
de cette île, rapportée à Ia fin du XVCF siècle par le général de Meuron. Notre hausse-col date de la
même époque et l'étiquette fragmentaire qui s'y trouve serait celle des objets rapportés par Forster, pére,
le naturaliste allemand qui accompagna Cook dans son second voyage". Cet échange a été fait avec
le consentement du président de la Commission.
De même, l'affirmation que la collection «comprend en outre un costume de
danse des îles Ellice en fibre de coco» (Meuron et Centlivres 1965: 25) est
erronée, puisque cette pièce a été offerte par les frères Alfred et Antoine Borei en
1882; le «carquois de bambou provenant des Indes néerlandaises» (1965: 26) n'y
appartenait pas non plus.
En conclusion, l'inachèvement de l'Inventaire, le fait qu'il ait été réalisé
tardivement par un secrétaire et le quasi mutisme de CDM quant à ses intentions
empêche d'épiloguer sur Ie Cabinet, son projet et sa disposition détaillée, le
témoignage des visiteurs étant tout à fait insuffisant.
A part la passion déclarée de CDM à plusieurs reprises pour r«histoire natu-
relle», tout ne peut être qu'hypothèses. S'il a manifesté parfois un intérêt spécifique,
notamment pour tel minéral du Cap, voire pour pour telle espèce en raison de son
allégeance à la Gesellschaft Naturforschender Freunde à Berlin, il a sans doute
récolté de tout un peu, au gré des occasions, avec une certaine propension à la
diversification mais sans viser à la complétude pas plus qu'à la spécialisation.
Ceci apparaît clairement en ce qui concerne les «artificialia», à part le matériel
qu'il faut vraisemblablement attribuer aux voyages de Cook et dont la cohérence
peut ressortir à un accident, c'est-à-dire dépendre de l'acquisition d'un lot comme
semble le montrer la présence à la.fois d'échantillons de tapa (dont deux de Ia même
pièce, V.508 et V.509) et de matière première (V.937). De toute façon, le petit
nombre des spécimens d'autre provenance, même en tenant compte de ce qu'il est
possible de reconstituer, en particulier dans le domaine des armes, ne donne pas
L'étiquette pone effectivement un simple «j.» caractéristique des objets Forster, comme certaines
pièces des collections de Göttingen (examen du 13 septembre 1994) et il se peut même que ce «ta'umi»
en ait fait partie (Hauser-SchÂubun 1998: 80; 159-60). C'est par conséquent et pour l'instant, dans les
collections du MEN, Ia seule pièce provenant incontestablement d'un des voyages de Cook.
VI - L'INVENTAIRE MIRACULÉ ET L'INVENTAIRE FANTÔME
97
d'indication suffisante, ni quant aux régions, ni quant aux domaines privilégiés,
sachant que, de toute façon/nombre d'objets étaient soit inconnus, soit inaccessibles,
soit encore échappaient.à l'attention d'un collectionneur du XVIIIe siècle.
Quant aux sources, jamais mentionnées dans l'Inventaire, elles sont trop
ténues, malgré 1 ' assurance de contacts nombreux et variés dont témoigne l'abondante
correspondance de CDM, pour qu'il soit possible de dessiner sa politique d'enri-
chissement des collections.
Il est pourtant certain que les modes d'acquisitioh ont été variés, comprenant
tant l'héritage que le cadeau ou l'achat onéreux sinon l'échange.
Le premier cas est représenté par le fonds qu'il faut supposer provenir de son
père - des coquilles et probablement des fossiles - que très jeune il commence à
compléter. Même s'il en a malheureusement peu subsisté, quelques cadeaux sont
bien attestés, les derniers en date étant la momie d'ibis en 1795 et la maquette de
bateau en 1799. Mais le gros des enrichissements est dû aux apports de ses divers
rabatteurs, stipendiés ou non, qu'il relançait inlassablement et à des démarches
auprès de divers marchands.
VII
EX LIBRIS
/\ part les spécimens des règnes végétal et animal, le Tome II de l'Inventaire
(M) du Cabinet d'histoire naturelle de Charles Daniel de Meuron comporte une liste
de 80 titres de livres1, qui a déjà fait l'objet d'une publication brute (Gabus 1967:
II: 193-5) où «L'orthographe du registre du XVIIIe siècle a été respectée», non
sans infidélités, manques dans la transcription ou incompréhensions2. L'ensemble
représente plus de 200 volumes ou unités (les ouvrages en fascicules étant comptés
pour une unité); l'un des titres est même indiqué comme figurant à double (E 60
[131: «2 Ex.», soit 4 volumes)3.
Les différents titres sont pourvus d'une cote alphanumérique dont aucune
n'apparaît sur les quelques volumes retrouvés, au contraire des objets. La systémati-
que de ces 7 cotes allant de A à H (sans B) n'a pas été décryptée mais doit se rap-
porter à la place occupée par les ouvrages dans la bibliothèque de CDM et à leur
format4. Ainsi, à quelques exceptions près, les séries A et C regroupent des in-12,
D et E des in-8°, G des in-4°; la série F est réservée à l'Encyclopédie in-8° et in-4°
et la série H comprend deux in-folio. La numérotation est continue de 1 à 76: A 1
à 12; C 13 à 28; D 29 à AA; E 45 à 63; F 64 et 65; G 66 à 74; H 75 et 76, alors
que les numéros 77 à 80, tous des in-8°, viennent augmenter les séries E, G et H,
rompant l'ordonnance. Les six titres H 75 [17], H 76 [27], E 77 [6], G 78 [79],
G 79 [80], H 80 [18] ont été rajoutés par la suite et la reprise est visible dans le
manuscrit. De l'ouvrage de Bloch (H 76) en cours de parution depuis 1785, il ne
Ils ont été numérotés entre ( ] dans l'ordre de l'Inventaire (M).
Ce chapitre, pour lequel nous avons une dette particulière envers M. Michel Sclilup, alors directeur
adjoint de la BPUN, qui a bien voulu revoir la première version du texte, nous suggérer les corrections
nécessaires et, confirmant nos doutes, rassembler les preuves permettant de rétablir l'identité d'un auteur
en dépit d'une attribution bibliographique généralement acceptée, a été rédigé en 1988 et révisé en 1989
{Kaehr 1988). Diffusé confidentiellement à 25 exemplaires multigraphiês, il est repris ici, légèrement
raccourci, avec quelques corrections et données nouvelles, vu son apport crucial pour la datation des
objets (voir le chapitre XV).
Si l'inscription «id,» signifie la reprise de l'indication figurant plus haut dans la colonne, le sens
des guillemets est plutôt celui d'une réservation d'espace.
A cinq reprises les prix ont été indiqués dans la marge de gauche {H 75 [17]: 60.fc; G 71 [21]: 15.lb;
C 15 [22]: 2.*; G 67 [241: 18.lb le Cah.; G 69 [25]: 108.11), cependant que dans la marge de droite dix
titres (H 75 [17]; C 15 [22J; G 69 [25]; A 5. [31]; A 6 [32]; D 32 [47]; D 41 [55]; E 63 [74]; G 78
[79]; G 79 [80]) ont été très discrètement cochés.
Cette situation est exactement celte de la Grande Rochette où une lettre correspond à chaque corps
de bibliothèque (visite du 4 juillet 1995).
100
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
possédait encore que deux cahiers sans le texte, selon ses lettres du 2 décembre 1790
puis du 10 janvier 1793 à Ja[c]ques Louis DuPasquiër à Berlin (V). Quant aux
quatre derniers titres, ils ont paru entre 1790 et 1792, H 80 [18] étant le plus récent.
La cotation, préalable à l'enregistrement, étant forcément postérieure à la
parution du dernier ouvrage englobé dans cette opération, soit D 32 [47] publié en
1790 - ouvrage qui figure presque au début de la série des in-8° -, il est possible
d'en déduire que l'enregistrement a été entrepris dès 1790/91 et s'est poursuivi
jusqu'au début de 1792, les Papillons d'Europe d'Engramelle (G 67 [2A]) n'étant
visiblement pas au complet.
Cette conclusion: est d'une importance capitale puisqu'elle permet de dater
l'Inventaire (M) dansjson ensemble et conséquemment les objets qui y sont inscrits.
Pour l'origine de ceux issus des Mers du Sud, et spécifiquement des îles Sandwich,
cette inscription temporelle incite à pencher en faveur du troisième voyage de Cook
(communication orale de M. Stephan Augustin du 16 septembre 1994).
Les 80 titres de l'Inventaire (M) se trouvent ventilés, avec quelques
incohérences notamment en ce qui concerne les «Sciences», dans 8 rubriques très
inégalement fournies: histoire naturelle, en général (6 titres), oryctologie5 (12),
botanique (3), zoologie (6), médecine et chirurgie (12), voyages6 et géographie (23),
mœurs et coutumes (2), sciences (16).
Telle quelle, la liste est riche d'énigmes bibliographiques. Alors que plusieurs
ouvrages ne sont nullement anonymes, seule la moitié des titres sont accompagnés
d'un nom d'auteur, parfois avec une graphie incorrecte. Leur libellé, souvent abrégé,
n'est pas rigoureusement conforme7. Dans dix cas le lieu d'édition fait défaut; dans
dix, la date; le format - absent dans trois cas (2 cartes et 1 plan) - désigne plus le
format réel que le pliage. Une difficulté supplémentaire est représentée par le
nombre des volumes indiqués, qui peut varier en fonction de la reliure et ne pas cor-
respondre aux données bibliographiques si CDM n'a possédé qu'une partie de
l'ouvrage en question.
L'erreur sur l'orthographe du nom de l'auteur de la Lythologie Sicilienne G 68
[16], noté d'abord Borg au lieu de Borch, et divers flottements dans les inscriptions
(A 2 [281, G 72 [62], entre autres) donnent à penser qu'elles ont été faites sous
dictée.
L'inventaire manuscrit se présente comme suit:
«partie de l'histoire naturelle qui décrit les fossiles, & qui traite en général de leurs genres, de leurs
espèces, de leurs propriétés, de leur origine, de leur état naturel & de leurs usages.» (ENCYCLOPÉDIE
d'Yverdon 1774: XXXI: 510).
Les itinéraires ou relations des voyageurs font classiquement partie de la géographie.
Ainsi, pour l'ouvrage «formation des Jardins» (E 49 [20]), le faux-litre a été utilisé comme
référence bibliographique.
VII - EX LIBRIS
Livres.
hist, naturelle, en général.
489.
C 16. Curiosités d'hist. naturelle
17 Melange d'hist naturelle
par AUon Du lac
18. Etudes de la Mature par S.1 Pierre
D 37. hist, naturelle du Joral et de ses
Environs par M: le C de Razoumouski
E 56 Catalogue du Cabinet de M. Gallois
77. Diet, d'histoire naturelle de
ValmonC de Bomare
1. in 12. Paris
1763.
15. id. Lyon.
Ut
6. id. Lyon. 1765. 12]
4. id. Paris. 1786 [3]
2. in B* Lausanne 1789. N)
1. id. Paris 1780. [51
1791.
16)
[490]
Oryctologie.
C 13 Memoire sur les Mar ab
Salans d'Aunis et Sain longe
par M. Beaupied Dûmes nil
14 histoire abrégée de l'Antimoine
par M. Jacquet
19 Essais sur l'art d'imiter les
Eaux minérales p. Dudianoy
E 57. Lettres sur quelques objets de
Mineralogie
58. Suite des précédentes.
59 L'Art d'imiter tes pierres précieuses
60 Dictionnaire Mineralogiquc
et hydrologique de la trance,
61. Etanens d'Oryctologie
62 Diction a. d'Oryctologie de Bertrand.
G 68. Lythologie Sicilienne, ou connois-
sance des pierres de la Sicile par M.
Ic C." de Bor£h.
H 75. Oryctographie de Bruxelles
80 Manuel du Minéralogiste
par M. Torbem Bergman
in 12. Ia Rochelle 1765.
id. Paris
id. id.
1767.
1780.
[7]
[8]
[9]
in 8." La have. 1789. [io]
id. id. [H]
id. Paris. 1778. [12]
in 8." id. 1772. H3]
id. Neuchatel. 1773. [14]
id. la h aye. 1763. [15]
in 4." Rome. 1778. [16)
in fol. - 1784. [17]
8." Paris.
1792.
[18]
LE MÛRIER ETL'ÉPÉE
Botanique.
[491]
A 1. Principes d'Agriculture
E 49. fondation des Jardins
G 71 Dictionnaire de Botanique
par M. Bulliard.
1. in 12. Paris. 1761. (19]
1. id. id. 1775. ¦ [20]
1. iit fol. Paris. 1783. [21]
Zoologie.
[493]
C 15. Maniere d'Empailler &
Conserver les Animaux
G 66. Entomologie ou histoire naturelle
des Insectes par M. Olivier
67. Papillons d'Europe peint
d'après nature par M. Ernst.
69 Concfiyologie de Dargenville
70. Planches de Coquilles
H 76 histoire generale et particulière
des poissons par M Bloch
1. in 12 Paris. 1787 [22]
in 4* id. ( 1789. 123]
id. - • [24]
2 1. id. id. Paris. 1780 [25] [26]
in fol. Berlin.
1785.
[27]
VII - EX LIBRIS
103
Médecine & Chirurgie
[5011
A 2. Réflexions sur les préjuges qui
s'opposent aux progrès de l'inoculai ion
3 l'Onanisme par Tissol
4 Dissertation sur l'Effet des
Topiques dans les maladies
internes
5. Les Remèdes Charitables de
Madame fouquet
6 Instructions sur les acouchem.*
7. Traité des maladies les plus
fréquentes et des remèdes
Spécifiques pour les Guérir
par helvetiis
8 Traité des maladies vénériennes
d'As truc
9. Idées sur la cause et le Traite-
ment des maladies vénériennes
par M. Lafont
10 Manuel du jeune Chirurgien
11 Génération de l'homme ou
Tableau de l'Amour conjugal
par Vertette
E 52. Lettre de M. Valleton de Boissiere
à M. Thouret sur le magnétisme
53 Memoire Phisique et Medicinal
montrant des rapports evidens entre
les Phénomènes de la baguette divinatoire
du magnétisme et de l'Electricité
1. in 8.° Bruxelles 1764.
1. in 12. Lausanne 1776.
1. in 12. Paris.
1. id. id.
2. id. id.
1783.
[28]
129]
[30]
]. id. Lyon. 1688. (3U
1. id. Paris 1770. [32]
1707.
1743.
1. id. Madrid 1778.
2. in 8.* Paris. 1771.
2. in 12 Londres 1763
1. in 8° Philadelphie 1765.
2. id. Londres. 178I.
[33]
[341
[35]
[361
[37]
[381
[39]
104
LE MÛRIER ET L'ÉPÊE
Voyages St Geographie.
(505]
C 25. Recherches Philosophiques Sur
les Egyptiens et les Chinois
26 Dictionnaire Géographique
portatif de la Cranoc
27. Relation de la fiance Equinoxiale
28 Voyage Pittoresque des environs de
Paris
D 29. Etal de la Corse, suivi des mémoires
du Général Paoli par Boswel
30 Carte de la Suisse par Malici.
31 Plan de Londres
32 Tableau Pittoresque de la Suisse
33. Diet, ri is L politique et Geograph*
de la Suisse
34. Instructions pour les Voyageurs qui
vont voir les Glaciers et les Alpes du
Cardon de berne
35. Manuel pour les Savans qui
voyagent en Suisse par Bess on
36 Mémoires pour servir i l'hist.
phbique et naturelle de te Suisse
38 Voyage en Suisse par Coxe
39 Voyage au nord de l'Europe par le dit
40 Voyage en Allemagne par le
B." de Ricsbecfc
41 Voyageur Anglais en Allemagne,
en Suisse et en france
42 Carte d'Allemagne
43 Nouvelle description du Cap de
B. E. avec un voyage dans l'ûilerieur
de l'Afrique
44 Abregé de l'hist, g.**" des voyages
par M. de la harpe
2. in 12. Berlin
4. id Paris
1. id.
1. id. Paris.
1. in 8*
1.
1.
L in 8°
Londres
Paris
3. id. Geneve.
1. id. Berne.
2. id. Lausanne
1773.
1765.
1755.
1769.
1790
1788.
1787.
1786.
1. id. " 1788.
2. in 12. Paris 1788.
4, in 8.* Geneve. 1786.
2. id. Paris 1787.
3. id. Geneve. 1781
1.
1. in 8." Amsterdam 1778.
23. id. Paris
1780.
140]
HU
H2)
[43]
H4]
[45]
(47]
H8)
U9Ì
[50]
151]
152]
[53]
[54]
[55]
[56]
157]
[58]
VII - EX UBRIS
[506]
E 45 Voyage Hieraire de la Grece
par M. Guys
46 Loties sur la Grece par Savary
47 Description géographique de
17 Provinces des Pays bas
G 72 Voyage au Cap de Bonne Espérance
et autour du monde par Ie Cap.'
Cook
¦.*-
4. in 8.° Paris 1783. 1591
1. id. id. 1788. [601
1. id. Amsterdam.
in 4° Paris.
1787.
[611
[621
Moeurs & Coutumes.
1511]
A 12 L'homme moral par l'Evesque
E 48 Apologie de la Société naturelle
1. in 8* Amsterd. 1775. [631
1. id. Londres 1781. IM|
106
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Sciences.
[5151
C 20. Amusemens Phisiques de
Pinctli
21. Leçons de Phisique Expérimentale
de Nollet.
22. L'Art des Experiences ou avis
aux Amateure de Phisique
par l'Abbe Nollet
23. Observations Phisico-médicales
sur l'Electricilé par Veratti
24 Mémoires sur les Gas
E 50. Magie blanche dévoilée
51. Testameni de /erome Sharp
pour servir de suite à la magie
blanche dévoilée
54. Essais Sur l'hygrométrie
55. Defense de l'hygromètre à cheveux p/
servir de supplement au precedent
63 Precis h ys torique et expérimentale
des Phénomènes Electriques depuis
l'origine de cette découverte p. M.
Sigaud de la fend
F 64. Encyclopédie, ou Dictionnaire
raisonné des Sciences, des arts et
des metiers
65. Planches de l'Ency-
clopédie précédente
G 73 L'Art de la Marine, par
M. Romme
74 Origine du monde, manuscrit
78 Elemens d'hist. nalurerrelle et
de Chimie par M. fourcroy
79 Elemens de Chimie par Chap ta I
1. in 12. Lausanne 1785.
6. in 12. Paris.
3. id. id.
1. id. Geneve.
1. id. Paris.
36,
{,
1767.
1770.
1788.
1781.
Lausanne
& 1781.
Berne.
3. in 4.° "
1. id. la Rochelle 1787.
1. in fol. "
.5. 8." Paris. 1791.
3. id. Montpelier 1790.
165]
(66]
167]
1. id. Geneve. 1750. [68]
1. id. Lausanne 1752. [69]
1. in 8.° Paris. " 170]
1. id. id. 1786. 171)
L id. NeuchateL 1783. [72]
173]
174]
1751
[76]
[77]
178]
[79]
[80]
VII - EX UBRIS
107
En se fondant sur les ternies mêmes de l'Acte de donation de CDM (M) qui
précise: «son Cabinet rare et précieux d'histoire naturelle qu'il possède à S.1 Sulpice,
en quoi qu'il puisse consister et tel qu'il existe aujourd'hui», il serait plausible que
les livres, listés à la suite des autres éléments du Cabinet, aient suivi le même
chemin que les objets et ils devraient se retrouver dans les fonds de la BPUN.
Or aucun don de livre de CDM ne figure expressément dans les procès-verbaux de
la Bibliothèque (B), ni n'est inscrit dans le registre des dons (E). Par ailleurs, il eût
été curieux que la Bibliothèque décide de commander à nouveau des ouvrages
coûteux, tels Y Ichthyologie de Bloch en juillet 1805 ou les Papillons d'Europe par
Ernsten avril 1810 (B).
La réidentification de tous les titres a d'abord été tentée à l'aide des
grandes bibliographies8 internationales (NUC, BMGC) ou nationales (BNP,
WAEBER1 LONCHAMP), des index (PEDDIE, ClORANESCU), des ouvrages spécialisés
(Quérard, Manne, Barbier, Brunet, Dictionary of scientific biography,
Cohen, REYNAUD), des-«bulletins signalétiques» de l'époque (JOURNAL DE LA
Librairie), des bibliographies du XVIIIe siècle (Ersch, Hau.fr, Heinsius), des
catalogues imprimés de la BPUN, du fichier des anonymes de la Bibliothèque
Nationale à Paris, voire de catalogues de libraires (LA Nature). En dépit d'investiga-
tions poussées, à côté d'un manuscrit (G 74 [78]), d'un plan (D 31 [46]) et d'une
carte (D 42 [56]), un titre a gardé son mystère (E 47 [61]), tandis que l'identifi-
cation d'un second reste conjecturale (C 16 [I]). De plus, abstraction faite d'éven-
tuelles fautes dans le manuscrit, certaines éditions ne sont signalées nulle part - mais
tous les tirages et tous les états sont loin d'avoir été répertoriés9.
La recherche matérielle des livres, ensuite, a révélé que la BPUN ne possède de
manière indubitable (sous réserve des exemplaires disparus ou.remplacés) que quatre
ouvrages ayant fait partie de la bibliothèque de CDM et figurant dans l'Inventaire
(M): E 57 [10], E 60 [13], E 52 [38] et C 26 [41], soit 10 volumes au total10.
Cette absence confirme que l'Inventaire (M) est antérieur à Ia donation et qu'il n'a
pas été expressément prévu pour l'accompagner.
La réalisation à fin 1978 d'une salle permanente au MEN pour évoquer le
souvenir de CDM a fait surgir deux nouveaux ouvrages11 se trouvant en mains de
la famille. Il s'agit, d'une part, du volume correspondant au titre C 15 [22], Traité
sur la maniere d'empailler... de l'abbé Manesse et, d'autre part, du tome 2 du Traité
des maladies les plus fréquentes d'Helvétius, mais daté de 1756, alors que celui de
l'Inventaire (M), A 7 [33], est de 1707, en 1 volume.
Les titres des usuels bibliographiques ont été raccourcis.
Parallèlement à une édition de luxe în-4° illustrée, il peut exister une édition plus courante in-8° ou
in-12 et des tirages successifs plus ou moins inchangés, à des adresses parfois différentes, sans compter
les éditions pirates. Certains des ouvrages de la bibliothèque de CDM sont indiqués comme rare books
par le NUC. Les fonds de la BPUN, très riches en ce qui concerne le XVLT siècle, ont permis de
vérifier plusieurs titres mais souvent dans des éditions différentes. Quelques ouvrages, absents de toutes
les bibliographies consultées, n'ont pu être contrôlés ni par le prêt înter-bibliothèques ni à l'étranger.
En fait, d'autres pourraient en provenir mais sans présenter de signes d'identification.
Exposés en dépôt dans la grande vitrine nord jusqu'en 1999.
108
LE MÛRIER ET L1EPEE
Les livres retrouvés se présentent sous deux aspects très différents, soit reliés
pleine peau (veau marron), fleuronnés et dorés dans le plus pur style du temps, avec
gardes marbrées et tranches mouchetées ou marbrées, soit reliés demi-basane à coins,
reliure «amateur» beaucoup plus simple, solide, faite avec soin et même avec goût,
mais d'allure spartiate. Les cartonnages sont mouchetés dans le ton du cuir, les
tranches en général passées en jaune, plus rarement mouchetées; le dos brisé, coupé
de 7 filets droits dorés, comporte une pièce de titre sur fond rouge le plus souvent
et, cas échéant, une pièce de tomaison sous forme d'une pastille ovale d'une autre
couleur, soulignées par des filets minces ou un ovale, parfois agrémentés d'autres
ornements dorés; un signet de soie de couleur est collé dans chaque volume. Cette
reliure12 ressemble à celle de plusieurs bibliothèques neuchâteloises de l'époque -
dont, en plus luxueux, la Bibliothèque publique - et parfois des fers semblables ont
été employés pour la tomaison. Elle pourrait être l'œuvre de Jean Dutschek, à Saint-
Biaise (communication orale de M. Michel Schlup du 14 août 1986), relieur attitré
de l'institution. Leur seule particularité concerne les plats, qui se signalent par un
superlibros.
Dans le premier cas (ouvrages de Magnan, mais aussi de Bochat et de Pérau),
un ex-libris - répertorié dans le fichier ad hoc de la BPUN - est collé au verso du
plat supérieur. Entre un lion couché à dextre et un porte-drapeau à senestre, la
vignette représente la variante de ses armes que CDM a adoptées: «D'or, au mûrier
arraché au naturel, posé sur 3 monts de sinopie» où le cimier est surmonté d'un
dextrochère armé d'une épée (MEURON 1982: 28). Le tout repose sur un terrain
portant les deux lignes de légende: «M/ de Meuron de Mor veaux / Off/ aux Gardes
Suisses de S.M.T.C.»13 (GRELLET et Tripet 1894: 43, XLII, n° 8 et pi. XVIII, fig.
57; WEGMANN 1937: 19, n° 4762).
12 •
D'après une indication manuscrite repérée au passage dans un livre analogue, une telle reliure
pouvait représenter alors un cinquième du prix d'achat.
Le second nom est celui de sa femme, Anne Marie Fïlhon de Morveaux (1733-1809), qu'il avait
épousée le 3 décembre 1762; le ménage ne sera pas heureux, comme le confirme une lettre de Pierre
Henri de Meuron à Pierre Frédéric du 1" janvier 1780 (P - dos.52.I), et ils divorceront quarante ans plus
tard au terme de la procédure entamée en mars 1800.
VII - EX UBRIS
109
Quant aux reliures du second type, les plats supérieur et inférieur sont frappés
d'un ovale rouge (ou rosé) estampé aüx^armes de la famille de Meuron que le fichier
de la BPUN1 comme JÉQueer (1944: II: 70-1, ûg.'3¾/note 18) et Wegmann
(1937: 18, n° 4754), attribuent au neveu de CDM, Charles Gustave de Meuron
(1779-1830). Or la partie supérieure de la bordure porte une inscription en abrégé
qu'il convient de lire «Le Ch." C.1 C.e DE MEURON» et d'interpréter, non comme
elle a été publiée (WEGMANN 1937: 18, n° 4754; MEURON 1951: 17-8) ou republiée
(MEURON 1991: 163), mais comme: Le Chambellan Colonel Comte DE
MEURON1'.
Les deux présentations donnent des renseignements chronologiques situant
la constitution de la bibliothèque. Les premières acquisitions, qui consistent en
ouvrages déjà reliés, datent probablement de la période parisienne de CDM - ce que
corroborent les dates d'édition - durant son engagement au régiment des gardes
suisses, soit du 20 janvier 1765 jusque peu après le 7 mai 1781 (MEURON 1982: 39).
En raison du libellé qui indique «OfficieD>, l'ex-libris doit avoir été commandé au
début de son service, après qu'il avait été nommé premier sous-lieutenant, le 25 juin
1767 (JÉQUIER 1932: 54; MEURON 1982: 33).
Si CDM a pu se procurer à différents moments les ouvrages reliés à ses armes,
leur façonnage ne peut être intervenu que lors de son séjour neuchâtelois, postérieu-
rement au 29 octobre 1789 quand le titre de chambellan lui est conféré. Encore que
CDM ait pu se contenter d'éditions plus anciennes, l'étude des dates de publication
des ouvrages montre qu'il a constitué tardivement l'essentiel de sa bibliothèque,
achetant de préférence la parution la plus récente lorsqu'il en avait le choix'5.
Pour non négligeable que puisse être cette collection de livres, l'Inventaire (M)
ne donne pas une idée exacte de la bibliothèque de CDM puisqu'elle ne saurait se
limiter aux titres répertoriés. Le registre est manifestement incomplet, plusieurs des
sections préparées (Tableaux pp. 473 à 476, Desseins, pp. 477 à 480, Gravures.
pp. 481 à 488, Table p. [525]) n'ayant pas été remplies. L'existence hors liste d'un
ouvrage au moins (celui d'Helvétius) le confirme. Mais surtout, comment ne pas
s'étonner de l'absence de tout ouvrage littéraire ou historique16, sinon dans d'autres
Quoique appartenant à une branche annoblie en 1763, CDM s'était affublé lui-même du titre de
comte qui lui sera néanmoins reconnu par la suite.
CDM a pu s'inspirer d'annonces - celles paraissant dans Nouvelles de divers endroits {Gazette de
Berne) dont disposait la Société du Jardin (SCHLUP 1986a: 24) signalent en 1787 plusieurs titres faisant
partie de sa bibliothèque -, de l'une ou l'autre «liste des livres nouveaux» insérée dans quelques-uns des
livres qu'il avait acquis, ou se renseigner à la Société Typographique de Neuchâtel avec laquelle il fut
en rapport en 1770 et 1779 (BPUN Ms 1183 f 13-17), sinon par les périodiques qu'il recevait, ou
à la suggestion de divers correspondants. Il a même racheté cinq titres qu'il possédait au- Cap:
«N° 3 Description de la Guyanne 1 vol.; N° 7 histoire Générale des Voyages, par la harpe 21 vol.;
N° 9 Mélange d'histoire Naturelle par Dulac 6 vol.; N° 13 Leçons de Phisique par L'abbé Nollet 6 vol.
et N° 31 Lettres Sur la Suisse, traduites de L'anglais 2 vol.» (P - dos.14.VI).
16 Le 10 octobre 1804, François de Diesbach rend à CDM deux brochures politiques que celui-ci lui
avait prêtées quatre jours plus tôt et dont il fournit une référence bibliographique précise. «Le général
[lui] dit qu'il en attendoit de plus intéressantes encore d'Angleterre» (PURY 1920: 211).
110
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
domaines qui semblaient intéresser CDM, tels que l'art militaire - dont il avait
plusieurs au Cap -, le commerce, 1'equitation, les échecs17...?
Deux découvertes fortuites allaient en apporter la preuve irréfutable: dans l'ordre
où elles se sont produites, celle d'autres ouvrages à la reliure armoriée dans les
fonds de la BPUN et celle d'un ouvrage portant le premier ex-libris dans le
catalogue d'un marchand de livres anciens, révélant en même temps les limites d'une
tentative de reconstitution18.
Ainsi que le Journal de François de Diesbach l'a attesté (PURY 1920: 211), il
y avait tout lieu de supposer au surplus que, pour meubler les loisirs de sa retraite,
CDM avait continué d'enrichir sa bibliothèque, entre son retour de l'Inde en 1797
et sa mort en 180619. Un nouvel ex-libris (JÉQUIER 1932: 54-5, fig. 39; JÉQUIER
1944: 70-1, fig. 354; WEGMANN 1937:19, n0 4764) portant sur deux lignes l'inscrip-
tion «M f le Général / Comte de Meuron», dont la plaque de cuivre gravé (72 x
53 mm) est déposée au Musée de Colombier (Meuron 1982: 244, fig. 90), a du
reste été réalisé entre 1802 et 1806.
Afin de diminuer la part de l'aléatoire dans la recherche d'autres ouvrages ayant
appartenu à la bibliothèque de CDM et permettre une quête que les dimensions
matérielles et temporelles vouaient à l'insuccès, le premier registre d'entrée de la
BPUN a été dépouillé sur près d'un siècle20. L'enregistrement ne fut malheureuse-
ment pas entrepris immédiatement et ne suit pas l'ordre d'arrivée. Aucun repère
chronologique n'est ainsi assuré pour tout le XVIIIe siècle et le début du suivant: ni
les dates d'entrée21 ni les sources d'acquisition ne sont indiquées, à de rares excep-
tions près, et les procès-verbaux et minutes de lettres sont d'un maigre secours.
Compte tenu des numéros d'inventaire des ouvrages déjà retrouvés, des dates
de publication (antérieurement à 1806) et des intérêts supposés de CDM, les cotes
topographiques laissant espérer d'éventuelles trouvailles ont été relevées. En
François de Diesbach avait trouvé CDM jouant aux échecs avec Jeanneret de Beaufort à la Petite
Rochette ce 10 octobre 1804 (Pury 1920:210); d'après son Journal - fort sensible et souvent stylistiquc-
ment remarquable - Rosette de Bosset-de Luze, lors d'une soirée à une date non précisée, fait une partie
avec «le général Meuron» dans le salon de M™ Brandt (GODET 1895: 238).'
Un ouvrage supplémentaire avec superlibros acquis dans le commerce nous a été signalé fleure
de M. Guy de Meuron du 31 octobre 1989): «Lettres écossoises, traduites de l'angtois, [...] Par
M. Vincent, Avocat. A Amsterdam et à Paris, Chez la Veuve Duchesne, Libraire, rue St-Jacques, au
Temple du GoûL» 1777.
Des publications postérieures à 1795 et pourvues de superlibros se trouvent dans la bibliothèque
de la Grande Rochette (visite du 4 juillet 1995) qui mériterait une étude en soi. Un dépouillement
spécifique des sources manuscrites ferait surgir de nombreux titres nouveaux en relevant dans la
correspondance toutes les mentions d'ouvrages que CDM a commandés ou a pu lire, par exemple ces
«deux volumes de l'histoire de tipoosaibe» que M™ Duhamel, dans sa lettre du 15 octobre 1801
(P - dos.38.II), dit vouloir lui expédier.
Ce document ne porte pas de cote; nous avons parfois aussi recouru aux 4 volumes des Catalogues
par ordre 9 R 511.
Les annotations subséquentes se révèlent hasardeuses, les dates proposées étant contredites par
celles des publications.
VII - EX UBRIS
111
restreignant les risques de «silence», comme en diminuant le «bruit» inévitable, il
devint ainsi possible d'explorer assez systématiquement certaines zones définies des
rayonnages: sous les deux types de reliures22, non seulement se confirmèrent des
ouvrages potentiels mais encore y apparurent des titres insoupçonnables.
L'inventaire de la bibliothèque de CDM - en comptant les deux brochures
signalées par François de Diesbach - s'augmente ainsi d'au moins 27 nouveaux
titres, représentant 95 volumes23. Tant s'en faut pourtant que le relevé soit
exhaustif. Des ouvrages ont certainement échappé aux investigations ou ont passé
inaperçus, notamment par suite d'une reliure plus récente ou d'une suppression de
l'ex-libris, la simple substitution par un exemplaire dit «de remplacement» dans les
cas de disparition entraînant les mêmes effets.
S'en tenir aux critères adoptés, soit présence d'un ex-libris ou reliure armoriée,
nous condamne à rester en deçà du contenu global de la bibliothèque. Puisque
l'Inventaire (M) mentionne un manuscrit in-folio, pourquoi n'aurait-elle pas compris
des ouvrages n'offrant pas ces signes d'identification extérieurs, non personnalisés
voire pourvus d'autres marques de propriété, ou même non reliés2"' ? Mais comme
il semble que CDM ait pris grand soin du décorum25, il était préférable de se
montrer restrictif.
Seule une partie des livres de la bibliothèque de CDM a abouti à la BPUN et
il en est resté au sein de la famille26 - échappant par là à tout recensement. S'ils
Dans ta série des reliures armoriées, l'un des ouvrages ne porte pas de pièce de titre et une série
s'orne d'une dorure supplémentaire.
Le «Livre d'ordre du Regiment des GardesSuisses Commencé le [ ] Juin 1766» a été utilisé pour
un «Inventaire des actes, titres & autres» dressé, d'après l'écriture, par Daniel Henri Reymond, secrétaire
de CDM qui liste après 1801 «31. un ancien carnet contenant l'Etat des affaires de monsieur le Général
& le Catalogue de Ses Livres» malheureusement absent (P - dos.68.n), mais il ne doit pas s'agir d'une
liste des livres de sa bibliothèque.
24
Parmi les livres provenant de plusieurs membres des différentes brandies Mcuron, un recueil factice
de brochures (BPUN 8790**) ayant appartenu à Louis de Meuron, châtelain de Thielle, a un ex-libris de
Meuron de Morveaux, ce qui intrigue d'autant plus que le nom de «Mr. le Général Meuron, à Neufchat.»
est imprimé dans l'une d'elles en tant que souscripteur pour les fouilles d'Augst. D'autres ouvrages
présentent une telle similitude avec ceux de la série reliée aux armes de CDM qu'il était tentant de les
englober dans son fonds.
De même un volume de Ia bibliothèque d'Henriette de Pury (BPUN A 6116**) réunît deux oeuvres
de Madame Riccoboni portant annulée l'inscription «Meuron de Morv[e]aux».
Au verso de la dernière page de la quatrième pièce du premier de six volumes factices (BPUN
28.15.3) réunissant des «PIECES SUR LA REVOLITION DE FRANCE» est écrit «Madame la côtesse
/ Duhamel deprecourt» (examen du 5 juin 1997).
Par ailleurs, la bibliothèque de la Grande Rochette comprend notamment l'Histoire naturelle du
Jorat et de ses environs de Razumovskii en deux volumes in-4° reliés demi-basane à coins, sans
superiibros; en l'absence de toute marque, la propriété de CDM ne peut toutefois être assurée car cette
bibliothèque comprend des livres de toute provenance (visite du 4 juillet 1995).
Boy de la Tour (1921: 4) le qualifiait ainsi: «Très vite épris de tout ce qui touchait à la noblesse
et aux apparentes grandeurs».
Plusieurs se trouvent dans la bibliothèque de la Grande Rochette.
112
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
n'ont pas alimenté au XVIIP siècle les fonds de la Bibliothèque publique qui se
constituait alors, comment s'y trouvent-ils néanmoins, dispersés sur 18 160 numéros
d'inventaire (entre les numéros 5361 et 23 521) et catalogués entre 1850
(approximativement) et 1878?
La question n'est pas résolue. En tout cas, la Bibliothèque a acquis des ouvrages
appartenant au neveu de CDM, Charles Gustave. Après son suicide à Copenhague
le 8 janvier 1830, le domaine de Cottendart qu'il tenait de son père, Pierre Frédéric,
fut vendu en 1833 pour payer les créanciers, avec tout ce que contenait la maison.
A côté de porcelaine chinoise provenant de la Grande Rochette, les objets mobiliers
comportaient une importante collection de gravures et de cartes géographiques ainsi
que toute une bibliothèque, dont des livres en langue étrangère (SCHNEGG 1959:
79-80)27. Selon les procès-verbaux de Ia Bibliothèque en date du 29 juin 1833,
deux commissaires furent chargés d'acquérir certains titres «offerts à l'encan des
livres de M/ le C- Meuron» (B) et ils en ont étendu la liste, ainsi qu'ils y étaient
autorisés28. Bien que le testament29 de CDM ne fasse pas mention de sa biblio-
thèque (alors qu'il y est question d'un tableau, d'une montre en or, de bagues,
d'habits bourgeois, de chemises et même de mouchoirs) ni particulièrement de son
neveu (MEURON 1982: 296-8), il est possible que Charles Gustave l'ait héritée, ou
du moins ait reçu en partage nombre de livres et qu'ainsi la Bibliothèque de la Ville
ait pu s'en enrichir lors de ces «montes», comme étaient désignées les ventes aux
enchères, ce qui pourrait expliquer l'erreur d'attribution du superlibros dans les
fichiers de la BPWI. Pourtant, en raison de la longue durée séparant l'enregistrement
des ouvrages ayant appartenu à Charles Gustave et de ceux de CDM qui ont été
retrouvés, l'hypothèse reste fragile.
Onze des titres retrouvés au moins proviennent du don d'une série de 34
(représentant une centaine de volumes) par«lvrjames-[François] de Meuron [1811-
1871] de la [Petite] Rochette» (E) en août 1859.
Avec un total actuel de 107 titres représentant quelque trois cents volumes -
dont aucun,, semble-t-il, en langue étrangère -, il est possible de se faire une
meilleure idée de la bibliothèque de CDM dont la constitution s'est prolongée au
Les documents concernant la faillite conservés aux Archives de l'Etat n'ont pas livré l'inventaire
du mobilier terminé le 24 mai 1831 et qui comprenait 187 pages {SCHNEGG 1959: 80) mais une liste
partielle d'ouvrages s'y trouve néanmoins.
Dans les acquisitions figurent par exemple, d'une part les Lettres du Comte d'Estrade (BPUN
8 R 741 I N° 2597) et, d'autre part, hors liste, les Œuvres posthumes de Frédéric II, roi de Prusse
(BPUN 30.11.3 / N° 2605), enregistrés entre 1833 et 1838.
Dès le 22 mai 1806, François de Diesbach est renseigné fort en détail sur son contenu par
«M. Chaillet» [peut-être Jean Henri de Chaillet d'Amex (1735-1807)] (Pury 1921: 211).
Parmi d'autres bibliothèques privées, il est intéressant de comparer à la même époque et pour le
choix, la liste des achats de livres que fait Henri Paulin Panon Desbassayns en 1785 à Paris {1990: 393
sqq.) et, pour le nombre, avec ce que possédait le seigneur de Prangins dont «Les Livres de la
Bibliothèque consistent à / Cent & deux volumes in folio / Trois cent soixante sept volumes in Quarto
/ Cent huitante neufvolum in Octa™ / Mille & sept Cent - in Douzc.» selon l'inventaire salle par salle
VII - EX UBRIS
113
XIXe siècle, les dates d'éditibft lés plus'récentes relevées ,étant 1802 (Golberry) et
même mars 1804 (d'Ivernois). A travers elle se dessine aussi une plus juste image
du propriétaire, sans préjuger de ses lectures effectives qui furent assurément larges
et nombreuses31. «Esprit éclairé, doué d'une insatiable curiosité, il se passionnait
pour toutes les sciences; les ouvrages de sa bibliothèque témoignent de son
éclectisme et de l'ouverture de son esprit.» (MEURON 1982: 248): l'opinion est
susceptible de quelques nuances.
Esprit curieux certes, indubitablement cultivé à en juger par les références dont
sa correspondance est émaillée, CDM semble aussi avoir montré du goût pour une
littérature de divertissement. Le mystère ne lui déplaisait assurément pas, non plus
que la chronique mondaine ou l'anecdote. En revanche, il a pu consentir des acqui-
sitions de pur «standing», dépenses somptuaires ou commandées par un engouement
dû à la mode, d'autant que le livre était, à cette époque, un élément de prestige
social et un signe évident de la légitimité de son rang. Plus de deux cents ouvrages
n'ont-ils pas été vendus après son départ du Cap, les 21 et 22 mars 1786 (Meuron
1982: 65; P - dos.14.VI)? Sans doute a-t-il fait des achats utilitaires et a-t-il consulté
certains volumes - surtout ceux qu'il s'était procurés dans sa jeunesse - notamment
pour s'informer sur le service étranger, se renseigner sur la franc-maçonnerie32,
choisir un lieu de cure thermale (MEURON 1982: 76) ou installer son Cabinet.
Malgré la bienfacture de Ia reliure, d'autres ouvrages sont pourtant dans un état de
fraîcheur montrant qu'ils n'ont guère été ouverts.
N'eussent-ils servi au demeurant que de décor33 chez un militaire retiré du
service qui se montra toujours fort soucieux du prestige et des titres, la possession
même d'une telle bibliothèque le désigne comme un honnête homme du XVIIIe
siècle, ce siècle où régna l'illusion de pouvoir prendre possession du monde par les
armes de l'esprit.
de janvier 1787 {Archives cantonales vaudoises, BIM 2058, pp. 318-9; lettre de M™ Chantai de
Schoulepnikoff du 11 septembre 1990).
31 Reçu au Cercle du Jardin, dit aussi La Chambre, entre le 26 décembre 1766 et Ie 26 décembre 1768
- sans doute en 1767 et non en 1768 comme l'indique le tableau au Faubourg de l'Hôpital -, CDM .
Toutes ces tentatives ne furent en ' rien couronnées de succès puisque, le
14 février 1800, Jean Jacques Bolle informait CDM des malheurs qui avaient affecté
Voir le chapitre K; lettres de CDM et de ses correspondants des 22 juin (V), 16 juillet (V), 26
juillet (P - dos.38.n), 18 août (P - dos.47.II), 21 août (P - dos.52.II) et 4 octobre 1798 (V). ,
146
LE MÛRIER ET L tPÊE
son quartier-maître. Non seulement sa femme était décédée8 mais encore il avait
éprouvé des pertes regrettables:
M. Boyer à été volé 2. fois de l'armée à Madras, d'où ces effects qui étaient Sous la garde de
Domestiques ont aussi été enlevé de même qu'une Dizaines de petites Caisses que M.™ avait remplies
d'insectes pour vous envoïer, perte qu'il regrette infiniment, vous assurant d'un vif Sc Sincère
attachement pour votre Chère personne.» (P - dos.33).
CDM répercutera, en l'interprétant, cette mauvaise nouvelle au baron de Haagen
dans une lettre du 1CT février 1802, tout en révélant qu'il résistait à ces contrecoups,
puisque, point découragé, ni guéri, il avait, écrit-il, investi d'autres inconnus encore
de la même mission:
malheureusement M* le Cap.' de Boyer de mon Regiment que j'en avais etiargé, et qui y avait
travaillé avec autant de zèle que de goût & d'intelligence, a trouvé, au retour d'une Campagne Son
épouse morte & La Collection d'Insectes qu'il avait déjà faite, entièrement dégradée; il vient de me
l'annoncer. Ses Chagrins ne Lui permettent plus de recommencer, de sorte que {je} je suis pour le
présent dans l'impossibilité de satisfaire le désir que j'ai de Vous être utile et que je me vois
douloureusement privé du plaisir que j'espérai Vous faire. J'ai donné de nouveaux ordres et je me flatte
que dans quelque terns les personnes que j'en ai chargé à Ceylan & au Cap de bonne Espérance me
mettront dans le Cas d'augmenter Votre jolie Collection. (P - dos.45).
Quittant Londres au début du mois de septembre 1799 pour Berlin (MEURON
1982: 235), CDM se rend à Copenhague, puis passe par Ia Hollande et par
Hambourg d'où il informe son neveu, Ja[c]ques Louis DuPasquier, Ie 22 septembre
1799, de i'envoi de «4 Grandes Caisses dont deux Contenant des machines de
Phisique Sec. Je te prie de les faire mettre Sans les ouvrir en lieu de Sûreté &
qu'elles Soyent ménagées.». Le 3 décembre, il est l'hôte de la Gesellschaft Natur-
forschender Freunde9.
Le 13 décembre 1799, le capitaine Jean Jacques Bolle, qui expédie fidèlement
une missive tous les vendredis pour l'entretenir des affaires de son bureau de
Londres, lui marque l'arrivée, par l'entremise du marquis Charles Joseph de
Beaupoil Saint Aulaire10, d'«un Canot avec une famille sauvage qui est une parfaite
imitation de leur manière de Se transporter» (P - dos.33), cadeau de Mme Ve Jeanne
Elisabeth Gugy, née Teissier, dont l'époux était «mort d'apoplexie en Canada peu
de temps après Son arrivée» (P - dos.45), maquette qu'il mettra deux mois à
récupérer, les glaces interrompant toute communication.
Il avait épousé au début de 1795 la «Veuve Rebory», femme du chirurgien en second mort à
Colombo en 1794, selon une lettre de Pierre Frédéric du 20 février 1795 (P - dos.49).
9 Selon le «Tagebuch VI», p. 47 (lettre de M™ Hannelore Landsberg du 16 octobre 1994).
Dans une lettre du Ie* novembre 1798, il écrivait à CDM: «J'ai Eté Voir En passant Mad. de Gugy
qui, ainsi que la famille nous ont Comblé d'honêtetés.» (P - dos.32.II).
X - COLLECTION PASSION
147
Une lettre de M"* Gugy datée de «Machiche [Yamachiche] ce 10. Juillet 1799»
et adressée à CDM l'en avait prévenu et fournissait des ,précisions très importantes:
nous manquons de Société dans cette paroisse, mais Come, nous Sommes près du chemin de
quebec, et Montreal cela nous procure Souvent des visiles de voyageurs, nous sommes aussy à 6. Lieues
de La ville des trois Rivières, ce que l'on Compte pour rien icy [...]
adieu mon cher, et ancien amy, nous vous Envoyons, ce qu'on apele icy, une Canotée de petits
Sauvages, travaillés Sur de L'écorce de Boulau et habillés dans Leurs Costumes, vous aurés une idée
des ouvrages de ce pays, plusieurs jeunes personnes, s'entretiennent avec cette petite ressource;
(P - dos.40.0.
C'est le don reçu à Neuchâtel le 24 mars 1802 et signalé par le bibliolhécaire
le 9 juillet 1802 (B) [MEN IV.A.30 et ex-IV.C.243].
Dans l'intervalle, l'ancien aide de camp de CDM en Inde, le chevalier Charles
Moreau de Beauregard" alors à Ceylan - et chargé d'une mission scientifique pour
Berlin mais qui collectait sans doute aussi pour le général - avait l'occasion de
participer à une ambassade à la cour du roi de Kandy, ce qui était très prometteur,
comme il l'écrivait le 9 mars 1800 de Colombo à Pierre Frédéric:
Je disais tout à l'heure à mon retour de Candie. Je suis effectivement au moment d'y aller. Le G.1
[Major général Hay] MacDowall y est envoyé comme ambassadeur [...] pour moi. J'y vais comme
Badaut, gobe mouche, chasseur d'insectes, &.* - J'espère à mon retour pouvoir vous donner, Mon
Général, quelques détails intéressants Sur ce Pays, que nous verrons à cequedit Le Public, avec moins
de Gêne queles Européens ne l'ont vu Jusqu'ici. Mon intention est de faire un Journal exact de ce que
je verrai, de prendre des vues du Pays, et dans mes moments de Loisir au Reg.' Je pourrai m'occuper
de mériter un Jour une escabeile aux pieds du Tasse ou de L'auteur du charmant voyage dont vous me
parlez. Quant à La premiere partie de mon voyage, elle n'aurait pu m'inspirer que quelque Langoureuse
complainte Sur ma Séparation de mes malles, demes paperasses et de mon crocodtlle enBouteille,» (V).
En vérité, Moreau se rend bien compte que les occasions d'obtenir des objets
sont minimes, mais du moins ses récits, tel celui qu'il envoie de «Ganorouvé près
Candie. 8. avril 1800» et qui porte tant sur ses faits et gestes que sur les paysages
ou les coutumes des «Candiens», peuvent compenser en partie cette absence de
récoltés:
Au reste Cette partie duRoy.' de Candie que nous avons traversée est bien le plus charmant Pays
qu'on puisse voir II n'offre pas ces Points devue Si grands, Sî imposants de la Suisse ou de L'Italie,
Charles Moreau de Beauregard, naturalisé Suisse après avoir fonctionné à l'ambassade de France
à Soleure, devint aide de camp de CDM; ÌI se noya en juin 1800 au voisinage de Colombo, alors qu'il
se rendait de Ceylan à Madras, d'après des correspondances des 1° mars 1799 (P - dos.45), 14 février
(P - dos.33), 8 septembre (P - dos.45) et 9 octobre 1800 (P - dos.50.1). Seules trois lettres de lui à Pierre
Frédéric semblent avoir subsisté; Gabus, lorsqu'il en cite quelques extraits (1967: I: 22-4), confond leur
destinataire avec CDM.
148
LE MÛRIER ET L'ÉPÊE
il n'y a point cette extrême variété, et ces Contrastes piquants d'une Nature Sublime et de Belles
horreurs, avec des Sites agréables, et des Vallons ou plaines cultivées;
[...] Combien de Sites J'ai remarqués ou il ne manque qu'une petite Maison et une demi douzaine
d'Individus de notre Caste pour en faire un Lieu de délices: le Coteau p.' la Maison, au bas une belle
riviere, derrière, un Bois, et quel bois... dans Le bois des rochers, entre ces rochers un filet d'eau digne
par sa limpidité de Couler dans le Val Travers, et pour horizon un amphithéâtre de Colincs boisées, qui
Servent de gradins à une chaîne de hautes montagnes.- Ce qui prouve quel'homme a besoin delà Société
de Ses Semblables, quelque inconvénient qu'il yrencontre Souvent, c'est qu'en contemplant Ces vallées
Si riantes, ces points de vue Si Romantiques, à peine Se Sent on laplus légère envie d'y habiter, ce n'est
qu'un magnifique Désert, et qui aurait bientôt tous les désagrémens d'une Prison.
J'ai pris quelques vues lelong de La route, [...] J'augmenterai ma Collection en y Joignant des
Costumes; Ce Sera Août/ ce que Je rapporterai de mon voyage, et Je crains fort que mes Illustres
Confreres delà Société deBerlin n'en retirentpeu de morceaux p.' leur Museum,- (...)
au milieu duJour La chaleur est insupportable, de Sorte que LorsqueLa marche est finie. Le
déjeuner la Sieste, le tiff ire [?], leJoumal et le diner employent toute la Journée, et adieu la mineralogie,
ou ta chasse aux Insectes. L'ami Jouville qui est Interprete de L'ambassade, et dans la Politique Jusqu'au
Cou avec L'Adigar & Co. n'a pas encore pris un papillon, ni cassé gros comme le pouce de pierres
quelconques, mais Comme il a le projet, Si c'est possible, de Séjourner quelques mois dans cePays, il
Sera à même deréparer letems perdu p/ L'histoire naturelle.- [...J
Ondit que La premiere audience del'Ambassad' aura lieu dans trois Jouis, et de nuit Suivant
l'usage, qu'après cela, il y en aura d'autres de Jour; Je ferai, des détails qu'elles me fourniront, le Sujet
d'une autre Lettre dont le seul mérite Sera l'exactitude; c'est toujours quelque chose. - Au reste la
profonde ignorance de cette Nation, les préjugés nombreux et absurdes qui obstruent les facultés
intellectuelles qu'ils ont sans doute reçues de la Nature, préjugés qui aveuglent les premieres comme les
plus basses Castes, l'extrême méfiance qu'ils ont des Européens, et qui leur fait regarder nos questions
les plus indifferentes Comme des pièges qu'on leur tend. Sont autant d'obstacles aux renseignemens
qu'on pourrait désirer acquérir sur leurs mœurs, leur Gouvememen, leur Religion, et leurPàys.
Nous n'avons pas rencontré d'Eléphants Sauvages, ni d'autres Animaux dangereux, - quelques
serpens et des Gouannas de Sept pieds de long Sont les Seuls reptiles que nous ayons vus: mais nous
avons étéattaqués par les Sang-Sues d'une maniere cruelle. (V).
De même, lé rapport qu'il envoie de Colombo le 23 mai 1800:
Nous avons quitté Candy àlafin du mois dernier, après avoir été Comblés de présents de S: M^.
C'est la Seule manière dont nous ayons pu avoir quelques curiosités du Pays: Nous avons tenté tous les
moyens possibles pour nous procurer en payant I-argement, Soit des ouvrages en cristal, ou en yvoire,
Soit des Arcs et des flèches & nous n'avons pas réussi, Le Commerce avec les Etrangers étant interdit
Sous peine de mort aux Sujets du Roy".- du reste nous avons fait un voyage très intéressant, nous avons
fait une carte exacte de Laroute, pris les bearings des Montagnes, et des points lesplus remarquables, ce
qui Servira à rectifier les nombreuses erreurs des Cartes faites Jusqu'ici parles Hollandais: mais
malheureusement Ce n'est qu'une très petite partie deL'interieurdeL'Isle.- (V).
X - COLLECTION PASSION
149
La malchance est, hélas! de la partie et une lettre de Pierre Frédéric du 9
octobre 1800 apprend à CDM que Mòreau a péri corps et biens lors d'un naufrage,
à Colombo, en juin 1800, alors qu'il se rendait à Madras:
Vous serez bien affligé de la Mort de Moreau qui a dû être bien Cruelle. Je vous ai annoncé qu'à
la demande de Monsieur North, il etoit allé à Ceylon. Il étoît persuadé que c'etoit pour lui faire un Sort,
mais arrivé à Ceylon il fut détrompé, c'etoit pour lui faire des Politesses Seulement, et lui parler de
quelques anciennes Connoissances - il eut une lueur d'espérance, ayant eu la permission d'accompagner
l'Ambassade à Candie, qui ne lui produisit que l'occasion de faire de très Jolies Nottes qu'il vous
destinoit ainsi que plusieurs desseins, rien N'existe. - Il s'embarqua à Colombo avec le Lieutenant Porter
du IT Regiment le 10 Juin sur un Bâtiment maté; le 15 l'on eut le rapport que cette Embarcation avoit
peri en-mer devant Calpetty, que quatre lascars S'etoient sauvés sur un petit Balan.
[...] Je regrette Moreau qui etoit dune agréable Société: la perte de ses Papiers est fâcheuse. Je vois par
ses lettres qu'il avoit un bon Jugement. Ses Bijoux tout est perdu (P - dos.50.I).
CDM est ainsi obligé de décevoir ses collègues de la Société des scrutateurs de
la nature à Berlin auxquels il avait sans doute fait miroiter quelque enrichissement
sensationnel. Il s'en excusera le 14 août 1801 par la plume de son nouveau secré-
taire, M. Bigot12:
Flatté de l'honneur que m'a fait la Société royale des Scrutateurs de la Nature de me recevoir parmi
Ses Menbres, il m'était bien doux de penser que Si mes infirmités m'empêchent de me livrer à mon goût
en Coopérant à Ses utiles Travaux, je le fesais au moins indirectement En Conséquence, Monsieur, Vous
Vous rapellerez que j'avais porté M* Moreau Officier dans mon Régiment à faire une Collection
Compiette & raisonnée de tous les objets de l'Inde qui pourraient intéresser la Société. Mon frère l'avait
pour cet effet nommé de l'Ambassade que la Cour envoyait au Roi de Candie; il avait eu occasion de
visiter tout l'intérieur de l'Isle de Ceylan; il avait travaillé avec tout le succès que me promettaient Ses
Lumières, Son zèle & Son amour pour la Suisse. Jugez de ma douleur en apprenant qu'il a fait Naufrage
&. que tous les objets de Ses Travaux ont péri avec Lui. Cette perte m'est doublement douloureuse,
puisqu'on m'enlevant un homme que j'aimais que j'estimais infiniment elle m'ôte le doux espoir de faire
part de Ses découvertes à la Société. J'ai chargé de la même Commission un autre de mes officiers,
Puisse t'il s'en acquitter aussi bien que Son Prédécesseur et être plus heureux ! J'ai' crû devoir Vous faire
part de ce triste accident Vous priant de Communiquer mes regrets à la Société. (P - dos.45).
L'autre officier non nommé qui reprend le flambeau est Laurent Boyer, quartier-
maître au premier bataillon, avec l'insuccès qui vient d'être signalé.
CDM a rencontré P. Bigot de Morogues à Berlin dans les premiers mois de 1800. Connu de
Jearmeret de Beaufort, ce Français venu du Canada est un polyglotte sensible à la musique (clavecin),
qui restera au service de CDM jusqu'en 1804. Il est absent de fin novembre 1800 à mi-mars 1801,
chargé de commission à Berlin où il se trouve en janvier (P - dos 32.ni). Il accompagne CDM, ainsi que
Samuel Monvert, châtelain du Val-de-Travers, et un domestique aux bains de Loècne du 21 juillet au
2 septembre 1801. Francois de Diesbach, qui l'a vu plusieurs fois chez CDM, le'désigne, en date du 12
octobre 1803, comme «Prussien, aide-de-camp du comte Meuron» (Pury 1919: 107). Les raisons de son
départ semblent liées à une mésentente et à un sous-emploi de ses compétences 0? - dos.45).
150
LE MURIER ET L'ÉPÉE
Vers la fin de son long séjour à Berlin où il est arrivé à la fin d'octobre
précédent, CDM avait annoncé, le 18 juin 1800, à Jafcjques Louis DuPasquier:
Tarlimene avec moy un M". Bigot de la Colonie que je m'afache come Secretaire, c'est une honnête
creature, possédant l'anglois, l'Italien, le Russe ou il à Elevé les Princes de Courlande [Pologne], il est
plain de talaris utils & agréables, tes Enfans S'en trouveront bien a ce que j'espère, il est icy
generalem'. bien famé. (V).
CDM prends les eaux à «Töpplitz [Teplicel en Bohême», à «Wilhelms Baad»
près de Hanau, et précise de là, le 7 août 1800, ses intentions concernant son
«adjudant» M. Bigot:
J'aurais de quoy l'occuper [«le jeune Reymond»]11, de même que M. Bigot, lequel Je tacherais
de faire agréer a la Ville corne Professeur de Chimie & Phisique corne elle S'y est Engagée, il Sera très
Capable, il ne lui manque que de l'Exercice d'ailleurs il pourra t'aider pour l'Education de tes Enfans.
Surtout dans les langues Allemandes & Angloises qu'il Entend parfaitem.' (V).
Dans son projet de chaire de chimie et physique, pourtant condition de la
donation de sa collection, CDM ne rencontrera pas Ie succès attendu auprès des
autorités14, au contraire de son initiative pour le Cabinet où il fait des émules.
A considérer la liste des premiers donateurs, les mêmes noms se retrouvent dans sa
correspondance, ce qui n'est sans doute pas un hasard.
Après son retour définitif à Neuchâtel le 15 août 1800, CDM enrichira encore
le fonds à quelques reprises, de sa part ou de celle de son frère, qui y contribuera
aussi directement.
Le 7 novembre 1800 est portée une entrée de «plusieurs objets pour Ie Cabinet
d'histoire naturelle» (B) sans le moindre détail, laconisme d'autant plus regrettable
qu'il est justement à interpréter comme le don d'un ensemble assez considérable,
aussi bien dans le domaine des «naturalia» que des «artificialia».
Le 15 mai 1801, CDM remet «une grande caisse de coquillages des Indes de la
part de M. le Brigadier Général», c'est-à-dire son frère Pierre Frédéric, don signalé
le 3 juillet 1801 (B) - elle pourrait bien être la «petite caisse N0 2» partie de Madras
Daniel Henri Reymond (1777-1848), deSaint-Sulpice, fils de Abraham Henri, qui fut son secrétaire
dès juillet 1800, puis administra la fortune du comte de Pourtaiès avant de se lancer dans le notariat et
les affaires (Quartier-la-Tente 1893: UJ: 641-2).
Il tient particulièrement à cet enseignement, souhaité lors de la donation du Cabinet, ainsi que Ie
soulignent ses lettres du 7 août 1800 (V), 12 janvier 1802 (P - dos.45). Celle du 20 mai 1783 à son frère
Pierre Frédéric (P - dos.25.II) montre que cet intérêt pour la cliimie se manifestait déjà au Cap et une
autre au baron de Reck du 1° février 1802 que, même anecdotiquement, il se prolongera (P -dos.45). Son
vceu ne se réalisera que dans le cadre de la première Académie avec les cours de Henri Ladame dès juin
1844, puis la création de la chaire de chimie de Frédéric Sacc, Ie 8 septembre 1845 (Histoire de
l'Université de Neuchâtel 1988: 238).
X ¦ COLLECTION PASSION
151
le 9 mai 179615 -, puis, après le 6 novembre 1801, un «H arie male»16, don
signalé le 26 février 1802 (B).
Le 27 août 1801, Denis François Scipion Jeanneret de Beaufort (1745-1819),
gouverneur de l'Académie militaire et correspondant de CDM à Berlin, note une
dépense de port pour une lettre à la Société des scrutateurs (P - dos.28.II),
probablement celle qui, le 14 août, annonçait la mort de Moreau de Beauregard
(P - dos.45) et révélait que CDM était toujours à l'affût d'enrichir ses collections.
Le 17 octobre, il renonce toutefois à acquérir la collection de M. Jean Chrétien
Geming à Francfort (P - dos.45), avec lequel il devait être en contact depuis
plusieurs années.
Le 9 juillet 1802, le Bibliothécaire annonce que le Cabinet a reçu le 24 mars
1802 «un modele de canot des sauvages du Canada, fait de la même écorce qu'on
emploie pour les grands Canots, & accompagné de figures en bois, représentant leurs
vêtemens, leurs armes, &a.» (B) [MEN IV.A.30; berceau MEN ex-lV.C.243]. Le
procès-verbal indique comme donateur «m/ le Général Meuron», tandis que Louis
Coulon écrit de son côté dans sa chronologie «M/ le Général Major de Meuron»,
titre auquel Pierre Frédéric a été promu le 1er janvier 1798 (MEURON 1982: 320).
L'ambiguïté pouvant subsister sur la personne est annulée par la correspondance qui
a révélé que cette «Canotée» avait été envoyée à CDM du Canada par la Ve Gugy
le 10 juillet 1799 (P - dos.40.I).
Indubitablement, les deux dons suivants ne sont pas de CDM mais de son frère
Pierre Frédéric17 qui, rentré au pays, s'installera le 3 juin 1802 à Cottendart: en
septembre 1802, «trois oeufs de crocodile & quelques morceaux de mine de plomb
d'Angleterre.», don annoncé le 5 novembre 1802 (B), et, le 15 décembre 1802, «une
paire de lunettes de cristal, taillée et montée à Ceylan.»18, don annoncé le 18
février suivant (B).
En se fondant sur la lettre de CDM du 29 janvier 178619, il n'est pas
impossible qu'une partie du don consigné par le Bibliothécaire en date du 8 juin et
annoncé Ie 6 juillet 1804: «l'hoirie de feu M/ le Chevalier de Marval a fait remettre
Le 26 septembre 1801, Théodore Abram marque dans ses débours pour CDM: «Payé a Ch. L."
DuBois, Par J. L. Bovet (...1 Une autre Caisse Contenant Sa Porcelaine & Coquillage 1...]» (P - dos.28.1),
qui semble à distinguer.
Il complétait la donation puisque l'Inventaire (M) liste déjà (p. 123) sous la cote «G 481» un «harle
femelle, Grand destructeur de Poissons.»
«Libéré de ses fonctions à Ceylan en février 1799, Pierre-Frédéric de Meuron quitte les Indes en
1801, fait un court séjour à Londres, puis rentre au pays pour rétablir sa santé fortement altérée par des
fièvres et des maux de tête. H séjourne principalement à Cotiendan, l'ancienne propriété de I^ord
Wemyss, au-dessus de Colombier. A Neuchâtel il habitait Grand'Rue N° A; c'est là qu'il mourut le 30
mars 1813, âgé de soixante-sept ans.» (Meuron 1982: 115).
Pierre Frédéric, qui était myope, avait reçu «en cadeau du premier ministre, Ie grand adigar Pillemy
Thellaw à Citawaha en janvier 1798» ces besicles en «cristal taillées et montées à Candie [Kandy]»,
selon le carton explicatif, de sa main et signé par lui, qui les accompagne.
Voir le chapitre IV.
152
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
une grande feuille de Tulipier de l'Inde, avec un arc, 5 flèches empoisonnées & un
casse-tête en bois de fer.» (B) ait eu un cadeau de CDM pour origine.
La dernière mention à propos de CDM avant sa mort, selon le procès-verbal de
la Bibliothèque du 9 novembre 1804 (B), concerne l'«échange» en 1804/05 de deux
tableaux de pierres fines20 contre le «petit carton d'agathes» que Théodore Abram
avait fourni par erreur lors de la remise du Cabinet en automne 1795:
M/ le Comte de Meuron a fait représenter qu'il S'étoit commis une erreurdans la remise des objets
qui composent la Collection d'histoire naturelle dont il a fait présent à la ville; M/ Son frere [Théodore
Abram] ayant livre par mégaixle, un peut carton d'agathes qui ne devoit pas en faire partie. En échange
de ce carton. M/ de Meuron offre de remettre deux Tableaux de pierres fines, rangées dans un ordre
Systématique: Sur quoi délibéré, il a été dit, que la Commission ne voulant point profiter d'une erreur,
charge le Bibliothécaire de remettre le Carton en question, comme une restitution & non point comme
un troc. (B).
CDM avait conservé par devers lui quelques souvenirs, malgré de nombreux
cadeaux, notamment à Berlin mais aussi à divers membres de sa famille et en dépit
du glissement de sa passion de collectionneur en intérêt pour les fleurs, dont il fait
état à Jaldques Louis DuPasquier dans une lettre de Londres du 26 mars 1799:
Je Suis bien aise d'apprendre que les graines aient levé, cela me donne l'espérance que la réserve
que vous avés fait réussiraSi on a Soin de donner & conserver un degré de chaleur Suffisant aux haricots
quarrés & Sans fil les plus précieux des 4, les autres peuvent après être levés rester plus exposés à l'air,
mais garranti des gellées, même des vents du nord, les arbustes doivent être très abrités, surtout ceux des
Indes jusqu'à ce qu'ils Soient naturalisés. Corne tu connnais ma passion pour les fleurs la seule à
laqu'elle je me laisserai entraîner désormais, m'engage à te prier d'en multiplier toutes les plus belles
espèces, & le plus de variétés possibles, renoncules, anémones, tulipes oreilles d'ours. A tu multiplié les
roses par la Greffe J'en avais de plus/ coul." Sur le même rosier, ont-elles réussi? j'aurais désiré d'en
greffer des jaunes & des blanches Sur du houx ce qui donne diverses Couleurs vertes multiplie les
Crocus de toutes couleurs en groupe contre les murailles. (P - dos.45).
Après sa visite21 Ie mercredi 9 septembre 1801 à CDM à la Rochette du
Faubourg (ou Petite Rochette), François de Diesbach remarquait ainsi dans son
Journal:
Dans sa petite chambre à manger, il y a de belles gravures; nous y dînâmes gaiement [...].
0 L'opération sera effective le 22 février 1805 mais ils ne semblent pas avoir subsisté, alors que
deux autres tableaux sont restés dans la famille. Il n'est pas possible de savoir lesquels avait découverts
François de Diesbach à la Petite Rochette le vendredi 7 octobre 1803: «Je revis avec plaisir, dans la
chambre à coucher du général, les deux tableaux de [Félix-Marie] Diogg, et pour la première fois, son
portrait peint à Londres par le fameux Josuah Reynolds [1723-17921; j'y remarquai aussi une collection
de toutes les pierres précieuses en deux tableaux, et un petit portrait d'un vieux duc de Bourgogne, à ce
que je crois.» (Pury 1918: 212).
La citation telle qu'elle est rapportée par Guy de Meuron (1982: 240) pourrait laisser croire qu'elle
a eu lieu à la Grande Rochette.
X ¦ COLLECTION PASSION
153
Son salon est magnifique; il y avoit sur la cheminée des bracelets et grelots en argent massif des
Indiens, par curiosité. (Pury 1917:63}. ' "' " *; ' '"' " "*•-*;
Ces bijoux font penser aux achats consignés par Choppin au début de Tannée
1797 (P - dos.30)22.
Selon ce que Théodore Abram écrit le 7 février 1797 à Pierre Frédéric,
«nombres de Personnes avoient formés [un projet] pour lui faire acheter a Son
arrivée l'hotel DuPeyrou, en flattant Son amour propre qu'il ny avoit que lui dans
le Pais a qui cette aquisition pu convenir & qui put le faire par Son grade & par Sa
fortune &C: Il est vrai quelle ne Serait pas chère en comparaison de ce quelle avoit
coûté puîsquon pouvoit lacheter pour £ 170. M/» (P - dos.53.II). Le 29 novembre
1800, CDM acquit toutefois la Grande Röchelte de Jean Henri de Chaillet d'Amex
(1735-1807), allié Bosset (P - dos.29.1I). En raison des importantes transformations
effectuées - dont François de Diesbach rendra compte entre 1801 et 1803 (Pury
1917: 230; 1918: 165-6; 1919: 107-8) -, il ne s'y installera vraiment qu'en 1805,
une année avant son décès.
Surmontées d'un grand vase chinois avec couvercle, deux armoires d'angle à
vitrine (COURVOISIER 1955: 410; 413, fig. 401; Quartier-la-Tente 1898: II: 584
ill.), peintes d'un décor de coquillages, occupent toujours, au premier étage de la
Grande Rochette et du côté sud, les angles du vestibule qui précède le grand salon
tendu de rouge. Remaniées et sans doute privées de divers spécimens mais heureu-
sement préservées depuis des dizaines d'années, elles renferment non seulement des
«curieux» que CDM devait avoir continué à collectionner mais encore des objets qui
avaient fait partie du Cabinet à Saint-Sulpice; très peu portent une cote et les «artifi-
cialia» ne représentent que la plus petite partie. En revanche, le «petit carton
d'agathes» et plus encore l'«arc» signalés par Guy de Meuron (MEURON et
Centlivres 1965: 14) font défaut. L'analyse de l'ensemble est délicate, l'arrange-
ment ayant été modifié et plusieurs objets étant d'introduction récente (visite des 4
et 10 juillet 1995).
La corniche de la vitrine est supporte deux machelières d'éléphant, un bloc de
cristal et une pétrification. Les cinq rayons de bois peint accueillent surtout
des minéraux, concrétions, fossiles, cristaux, métaux, des fragments de mosaïque
romaine, des végétaux, graines, noix de coco, pomme de pin, des oiseaux empaillés,
des figurines et objets variés. Quelques échantillons portent des étiquettes collées,
plusieurs avec des cotes qui ne peuvent être rattachées à aucune systématique: «mine
verte des osages», pyrite (?) «R 141.», «U 118. Mine de plomb / deSibérie», disque
lenticulaire avec anneau «D 32». Sur le troisième rayon depuis le bas figure un
spécimen étiqueté s'intégrant dans une série du Tome I de l'Inventaire (M): «DD
4 // Poire à poudre de / l'Empereur deCandie». A cet objet indubitable il serait
tentant d'ajouter un fragment de tapa blanc dépourvu de toute marque et une relique,
petit morceau de bois marqué à la plume: «sang d'invalide / Bois de / la Bastille 7^
Voir le chapitre IX.
154
LE MÛRIER ET L1EPEE
11789», éventuellement ajoutée à la collection par CDM après 1795, tandis que le
lien d'aucun autre avec quelque collectionneur que ce soit ne peut être assuré.
Le soubassement, fermé par une porte et pourvu de deux rayons, abrite, outre
des productions des trois règnes, une série de 60 jetons, copies de médailles
romaines et divers objets manufacturés, dont seule la pointe en papier d'un
«PareSfol] / Chino[is]. N° [82]?» correspond probablement à l'une des entrées du
Tome II de l'Inventaire (M): «[X] 13. 5. Parapluies chinois».
La corniche de la vitrine ouest supporte trois machelières d'éléphant, une noix
des Seychelles et un fragment minéralogique. Les cinq rayons, de même que le sou-
bassement, sont principalement occupés par des coquillages et autres productions
marines, des fossiles et des minéraux, dont quelques rares spécimens peuvent être
rapportés sans conteste à des entrées du Tome II de l'Inventaire (M): «b 2. Oreille
de mer / delà Chine», l'une des deux qui y sont listées et une coquille «b 4», qui
correspond à l'une des «6. Idem [Oreilles de mer, del'Inde] à 7 trous». Sur Ie
dernier rayon figure un objet étiqueté «Oeuf d'autruche // NV 1», l'un des 6 enre-
gistrés (page 144) dans ce même Tome.
Après la mort de CDM, d'autres dons de tiers-viendront compléter Ie fonds
public, dons qu'il convient de ne pas passer sous silence dans la mesure où ils
appartiennent à l'épopée du régiment. Ce sont notamment, en décembre 1812, celui,
annoncé le 26 février 1813 (B), de M. Jean Jacques Gaechter-Meuron23, ancien
capitaine au service d'Angleterre, «d'un paquet de 22 bandes de feuilles de palmier,
formant un cahier manuscrit en langue Malabare.» [MEN II.A.278] (KaEHR 1996a)
et celui (L) - plus tardif - en mai 1841 du L1 C1 F° Matthey24, autre officier du
régiment, qui concerne le Canada (57 pièces, dont beaucoup de flèches)25.
L'essentiel des collections de la Ville a longtemps été représenté par le Cabinet
même de CDM. L'ensemble n'eût-il été que d'une richesse relative - et non
monnayable, malgré la commercialisation existante - qu'il eût déjà représenté un
don très généreux à côté duquel les apports ultérieurs font piètre figure. Il y a lieu
de rappeler que dans la brèche ouverte par l'initiative du 22 août 1796 (B), la toute
première entrée recensée le 21 février 1800 avait été celle de M. Meuron de
Corcelles, c'est-à-dire Pierre Henri, cousin de CDM, un don qui concernait la
minéralogie (B). Lui succéderont une sculpture, un appareil orthopédique, des
médailles, des coquillages, des animaux, des œufs, des pétrifications et fossiles, des
végétaux, des embryons et formes tératologiques, un modèle de frégate, une gravure,
etc. et fort peu d'objets manufacturés exotiques.
Jean-Jacques Gaechter, né le 17 août 1770 à Rorschach, entré notamment au service d'Angleterre
au régiment Meuron de 1796 à 1812, décédé le 17 mai 1849 à Yverdon. H avait épousé le 26 février
1806 à Colombo Louise Charlotte de Meuron, fille de Henri David de Meuron Métiers, petite-cousine
de CDM {F - dos.D; MEURON 1982: 308; 290).
(Jacques) Frédéric Matthey-CIonais), né le 27 septembre 1777 à Neuchâtel, entré le 24.septembre
1797 au Régiment, capitaine le 25 avril 1808, resté de 1816 à 1824 au Canada, dès 1827 lieutenant-
colonel, dirigeant la milice de Neuchâtel, décédé le 7 juillet 1850 à Yverdon (BOVAY 1976: 34; 37; 180).
25
Quelques-uns de ces objets sont présentés depuis 1999 dans l'évocation du Cabinet au MEN.
XI
L'OUVERTURE AU PUBLIC
ö ITUÉ au premier étage de la Maison de Charité (appelée plus tard Maison des
Orphelins), le Cabinet est accessible au public sans discrimination et gratuitement
dès l'automne 17981. Cette première installation allait durer une quarantaine
d'années.
Le 7 novembre 1800 toutefois, l'ouverture à jour fixe est abandonnée; le
Bibliothécaire se contentera de répondre à la demande. A lire François de Diesbach
(PURY 1918: 215), ce rôle pouvait incomber à l'huissier, voire à sa femme, comme
cela sera aussi le cas par la suite. En dépit du fait que les locaux ne sont pas
contigus (ce qui ressort du procès-verbal du 26 février 1802 où il est dit que les
commissaires «se sont transportés»), le système a fonctionné jusqu'à fin 1813.
Le Règlement adopté le 25 février 1814 lors de la succession de Henri de
Meuron laisse entrevoir, par la précision des articles, que la gestion du Cabinet
laissait peut-être à désirer. Y avait-il eu des négligences et des abus pour que soit
restreinte la manipulation des objets, rendu conditionnel leur emprunt et spécifiés les
nettoyages nécessaires? Ces instructions seront également confirmées le 2 novembre
1814 pour l'huissier.
L'ouverture pose quelques problèmes au successeur, Ie ministre Penneveyre qui
travaillait chez lui, et il demande le 2 novembre 1814 à être déchargé de la responsa-
bilité du Cabinet, ne pouvant sans scrupule «en confier la clé». Le règlement n'est
toutefois pas modifié mais à l'assemblée du 9 juillet 1824 la fonction de l'huissier
gagne en importance. Sous Louis Coulon, le système d'ouverture à jour fixe,
2 heures chaque semaine le jeudi2, est rétabli dès le 11 mars 1829.
A cette époque se prépare un important déménagement. Les installations
scolaires «étaient une grande pitié» (JEANNERET 1936: 84) et le 26 août 1816, le
secrétaire Georges Frédéric Gaïlot (1782-1855), par une motion présentée au Conseil
de Ville, proposa la construction d'un gymnase englobant la Bibliothèque et le
Cabinet, pour lequel fut choisie «la place occupée par le Bassin» (Guyot 1978:
226).
Tôt informé, David Guillaume Huguenin (1765-1841), maire de La Brévine,
apporte un témoignage sur le sort qui attend le Cabinet dans la vingt-quatrième de
ses Lettres d'un buveur d'eau, datée de «Neuchâtel, 17 octobre 1816.»:
Sauf mention contraire, toutes les références et citations de ce chapitre sont tirées du registre des
procès-verbaux (B) de la Bibliothèque,
Aucun exemplaire de la Feuille d'Avis de Neuchâtel de cette période de l'armée n'a été conservé,
ni au bureau du journal, ni à ta BPUN, ni aux AEN (Candaux 1979).
«de dix heures â midi», précise Louis de Meuron ([1829]).
156
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Messieurs Meuron y [à Saint-Sulpîce] avoient réuni un joli cabinet d'histoire naturelle qui êtoit
ouvert aux amateurs des coquillages et des minéraux, mais depuis quelques années, ils en ont fait
hommage à la ville de Neuchâtel, on peut maintenant le voir dans une des salles de la maison de Charité,
où il est déposé en attendant qu'on puisse le placer dans le Gymnase que cette ville se propose de bâtir
et pour lequel on dit que les fonds sont assignés (Huguenin 1937: 172-3).
Les choses traînèrent en vérité jusqu'en 1823. L'architecte soleurois Anton
Frölicher (1790-après 1865) établi à Paris fut choisi et les travaux commencèrent
dans la seconde moitié de 1825. Du côté de la Bibliothèque, le transfert est envisagé
dès le 9 novembre 1827, avant la pose de la première pierre, le 21 mai 1828. En
1828, c'est au tour du Cabinet de s'y préparer lors des assemblées des 4 juillet et
7 novembre par la construction de meubles, probablement accompagnée de rema-
niements. L'inauguration du bâtiment n'eut lieu que le lundi 17 août 1835 (Guyot
1978: 226-7; JEANNERET 1936: 81-102; COURVOISŒR 1955: 195), mais «les instal-
lations de l'étage et des combles sont loin d'être achevées.» (Jeanneret 1936: 97;
101).
En se référant à la décision consignée en date du 6 novembre 1835, peut-être
un déplacement temporaire est-il intervenu concernant les objets ethnographiques,
placés sous la responsabilité du bibliothécaire, M. César Henri Monvert (MEURON
1982: 294)? Quoi qu'il en soit, contrairement à ce qui est généralement affirmé
(Dufour et Haenni 1985: 6, 9), la date de 1835 ne saurait être retenue pour
l'inauguration des deux musées. La mise en place des objets d'histoire naturelle fut
sans doute précipitée en vue de l'assemblée de la Société helvétique des Sciences
naturelles du 24 juillet 1837, à l'occasion de laquelle Agassiz énonça pour la
première fois sa fameuse «Théorie glaciaire» qui fit tant de bruit dans le monde
scientifique.
Un brouillon de remerciements autographe de Louis Coulon à un donateur
covasson, M. Edouard Borei à Batavia, datable du 3 mars 1838, donne des préci-
sions à la fois sur la chronologie et la topographie de l'installation:
i
Notre Musée est actuellement terminé et cette été [1837] nous avons eu une reunion de naturaliste
qui ont fort admiré la salle ou était placé les oiseaux la seule qui fut alors rangé Ielle est complettement
plaine et je serai /obligé/ d employer une partie de la suivante pour cette classe d animauxl [passage
barré en croix] [...]
Nous avons trois salles qui sont disposées a la suite les unes des autres elles ont chacune des
galleries on Les monte par un escalier centrale dans la première salle sont les oiseaux, sur une table au
milieu les coquilles et les papillons et sur la gallerìe les reptiles dans la 2* la suite des oiseaux les
squelettes les poissons empailles sur des tables au milieu la suite des coquilles les crustacés oursins et
insectes, sur la gallerìe les poissons dans les bocaux. Dans ta 3™ les quadrupèdes au milieu les fossiles
et les suites géologiques et dans le haut les minéraux, nous avons en outre dans une autre salle un musée
Ethnographique cad les productions humaines médailles armes instruments vêtements Je me rejouis de
vous faire voir tout cela (S • dos.91).
Officiellement, le Musée d'histoire naturelle, qui occupait, au palier supérieur,
la partie occidentale du bâtiment et pour lequel un croquis de la main de Louis
Coulon existe aux AEN, ne fut accessible qu'à partir de l'été (T - dos.179.3), selon
XI • L 'OUVERTÜRE AU PUBUC
157
l'annonce parue dans les «Avis divers.» de la Feuille d'Avis de Neuchâtel N* 32 du
9 août 1838 et reprise le jeudi, suivant:
49. Les salles du Musée d'histoire naturelle, seront ouvertes au public deux fois par semaine, à
dater du jeudi 23 Août; savoir le jeudi matin de 9 heures à midi, et dimanche après le sermon du
matin, sauf les dimanches de communion.
La Bibliothèque, fermée dès le 16 mars 1838, ne s'ouvrit, suivant la décision
du 21 décembre 1838 annoncée aussi dans la Feuille d'Avis, que le 3 janvier 1839.
Puisque le comité administratif, dans sa troisième séance, le mardi 26 février
1839, acceptait l'insertion d'un «article» -jamais paru- dans la Feuille d'Avis pour
solliciter les dons en faveur du «Musée ethnographique» dont avaient été chargés
MM. «Fritz DuBois et Zod[e]» et qui «va s'organisen> (T - dos.179.3), celui-ci ne
dut accueillir le public que plus tardivement encore.
Ensuite de la séparation d'avec la Bibliothèque et après la nouvelle répartition
en 1834, il a donc existé momentanément une double administration, comme le sous-
entend le premier rapport de la Société des Sciences naturelles de Neuchâtel où
Louis A gassi z ajoute, non sans erreurs et imprécisions, «quelques notes sur l'état du
Musée, d'après les renseignemens qui lui ont été communiqués par M. L. Coulon
fils, qui en est le directeur»:
M. Ie comte Ch. D. de Meuron, général au service d'Angleterre, fonde le Musée en 1790 avec des
collections achetées dans les Indes et au Cap, consistant en mammifères, oiseaux, reptiles, poissons, un
très-grand nombre de coquilles et beaucoup de zoophytes, sans parler d'une collection de curiosités
ethnographiques qui ont été transférées au Cabinet de la Bibliothèque publique. (1835: 30).
Cette existence de deux musées sous le même toit sera attestée par le récit un
peu postérieur et très minutieux de la visite du roi de Prusse et prince de Neuchâtel,
Frédéric-Guillaume rv en 1842, dû au pasteur Alphonse Guillebert (1842: 9).
Les procès-verbaux ne fournissent aucun renseignement sur la fréquentation
et les visiteurs, à part l'insistance à propos des «étrangers» reparaissant dans le
règlement du Bibliothécaire du 25 février 1814 où il est spécifié qu'«Il y conduira
les Etrangers qui demanderont à le voir», charge précisée le 2 novembre 1814 de
«montrer ce Cabinet aux Etrangers qui demandent à le voir; bien entendu que ce
soient des personnes faites pour cela» - par quoi il faut sans doute comprendre des
gens de qualité. Faut-il croire néanmoins au succès lorsque, le 9 juillet 1824,
l'huissier se plaint «qu'il perd beaucoup de tems à faire voir le Cabinet d'Histoire
naturelle à la foule de curieux qui le demandent»?
Si la visite est gratuite, un tronc des pauvres existe où verser quelque obole pour
respecter la volonté de CDM. Mais les procès-verbaux sont lacunaires: il se peut que
l'ouverture de la cassette ait été irrégulière ou bien qu'elle n'ait pas toujours été
consignée. Ainsi, le tronc sera vidé la première fois le 13 février 1801 et livrera
«2 louis», puis le 26 février 1802, où il contient «10 Ecus-neufs», le 6 juillet 1804,
«4 Louis», enfin le 8 juillet 1808 «trois Ecus-neufs & demi». En dépit du règlement
158
LE MÛRIER ET L'ÊPÉE
du 25 février 1814 précisant à l'article 8 «Le tronc des Pauvres se vuidera deux fois
l'an.», la mention suivante n'apparaît que le 4 juillet 1817, avec une entrée de «42
fr* 15e de Neufchâtel», puis le 7 novembre 1828, «btz 146 3/U: sinon généreux, les
curieux semblent avoir été assez nombreux. Au nouveau Gymnase, le relevé est
oublié malgré le règlement de 1838.
Quant aux témoignages des visiteurs, ils sont malheureusement fort rares3. Fin
novembre ou début décembre 1799, le cabinet reçut la visite très intéressée du futur
botaniste genevois Augustin Pyramus de Candolle (1778-1841), dont rend compte
le récit de Ja[c]ques Louis DuPasquier à son oncle Théodore Abram Ie 2 décembre:
M.' de Candolle arriva ici vendredy à mîdy, avec son fils Pirame; Us passèrent U journée de samedy
avec nous, et repartirent hier dans la matinée pour diner en passant chez Ch. DuP[asquîer] où je les
accompagnai. Le principal but de leur course à Neuchâtel était le désir du fils de voir le Cabinet
d'histoire naturelle et l'herbier du Cap. Chaîllet Mais pour examiner cela en détail il aurait fallu y mettre
plus de tems qu'ils ne s'en étaient accordé. Os l'ont bien senti, au moins le jeune, & peutétre reviendra-t-
il passer ici quelques jours avant son départ pour Paris, où il compte retourner dans peu pour continuer
ses études & ses travaux littéraires (P - dos.38.ID.
Apparemment intéressée aux cabinets d'histoire naturelle en Suisse (1798: II: 85), Helen Maria
Williams ne réserve que 28 lignes à Neuchâtel dans son Nouveau voyage en Suisse (1798: II: 101), sans
signaler qu'il s'en trouve un. Parti de PontarUer huit heures plus tôt et arrivé le mardi V septembre 1812
(Guyot 1933:54) parmi les «Neufchâtelais», le Westphalien de Paris Georges-Bernard Depping consacre
le reste de sa journée et une partie de celle du lendemain à une visite de la ville et à une promenade sur
le lac. S'ir fait état de plusieurs curiosités; il ne parle pas du Cabinet (1813: 163-83). Shelley, Mary
Godwin et Mary Jane Clairmont «ne passèrent qu'une journée à Neuchâtel, celle du 20 août [1814]»
(Guyot 1933: 68) et ne se soucièrent pas plus du Cabinet que Lamartine en juin 1815 (Guyot 1933:
80). Il en va de même pour Louis Simond, auteur déjà d'un Voyage en Angleterre (1817), débarqué le
mardi 17 juin 1817 en vue de préparer son Voyage en Suisse (1822) et pour l'archéologue Désiré Raoul-
Rochette, venu pour deux jours le lundi 2 août 1819: tous deux se bornent à des indications sommaires
(GUYOT 1933: 85-93).
En' 1824, Chateaubriand demeure un mois et demi à Neuchâtel (Guyot 1933: 101) et Richard
publie à Paris une description du canton de Neuchâtel, qui reparaît la même année (1824a: II: 1-25;
1824b: 359-83) et «reproduit des passages entiers» du Voyage en Suisse (1822) «de Simond (et d'Ebel
aussi) avec une désinvolture presque désarmante» (Guyot 1933: 23, 102), mais l'un et l'autre négligent
le Cabinet. Vers 1840, Richard récidive et édite un Manuel du voyageur en Suisse, très technique, qui,
à Neuchâtel, signale la Bibliothèque mais ne dit pas un mot non plus sur son annexe. James Fenîmore
Cooper reste un jour à Neuchâtel avec sa famille, Ie dimanche 20 juillet 1828 (Guyot 1933: 110-1),
n'ayant que le temps d'apercevoir la ville. (GUYOT 1933: 108-111). Peu de traces ont subsisté du plus
ou moins long séjour d'autres visiteurs: Pierre-Joseph Proudhon, de Pâques à novembre 1831, Alexandre
Dumas, l'année suivante, Hans Christian Andersen, d'août à septembre 1833, Honoré de Balzac, du 25
septembre au V octobre 1833, Jules Michelet, le jeudi 12 juillet 1838, Adolphe-Laurent Joanne, en 1841
(GUYOT 1933).
XI - L'OUVERTURE AU PUBLIC
159
François de Diesbach raconte de même sa visite du mercredi 12 octobre 1803:
Nous arrivâmes à 11 heures et 1I1 à Neuchâtel, et ayant descendu chez le général, il nous reçut à
merveille, ainsi que M™ du Hamel, qui se prépara d'abord à mener mes trois nièces voir les raretés de
Neuchâtel; il fallut, avant de commencer, boire un coup de vin d'absynthe, avec du pain délicieux, pétri
au lait. M™ du Hamel mena d'abord mes nièces à la Maison des Orphelins, pour nous faire voir le
cabinet d'histoire naturelle, donné par le général Meuron à la ville; la femme de celui qui le montre et
l'explique fit de son mieux, en l'absence de son mari. Nous vîmes une belle suite de médailles,
coquillages placés méthodiquement dans des tiroirs étiquetés en dehors, beaucoup de marbres, minéraux,
cristaux, pétrifications, plantes marines, coraux, calebasses, côtes de baleines, mâchoires d'éléphants,
armes de différens pays, zèbres et léopards empaillés, ainsi que des oiseaux. (Pury 1918: 215-6).
Mention très sommaire est faite du Cabinet (page 107) dans le manuscrit'' de
la Description Topographique & Economique de Ja Mairie de Neuchâtel que Samuel
baron de Chambrier a commencée vers 1806 et mise en circulation dès le «8e Juillet
[1808]» avant de présenter ce mémoire en 1809 à la Société d'émulation patriotique.
Un premier état avait paru en 1795 dans les Mémoires de la Société d'Emulation
patriotique, Neuchâtel, mais la nouvelle version ne sera imprimée qu'en 1840.
Le Cabinet fut présenté le 22 juillet 1819 au futur Frédéric-Guillaume IV, âgé
de 24 ans, venu surprendre les Neuchâtelois5: «La matinée du jeudi fut employée
à parcourir la ville et à visiter les principaux édifices publics qu'elle renferme, tels
que l'Eglise Collégiale avec le singulier monument, formé par le groupe des figures
de nos anciens princes, l'Hôtel de Ville, la Maison des Orphelins, le Cabinet
d'Histoire naturelle, la Bibliothèque, etc.» (cité par Jelmini 1980: 59).
A la même époque Friedrich Meisner, professeur d'histoire naturelle à Berne,
effectue sa «course d'école» dans le canton de Neuchâtel. Il avait l'habitude
d'entreprendre de petites excursions avec ses classes aux environs de Berne et,
chaque été, un plus grand voyage de 8 à 14 jours, agrémenté d!observations natura-
listes. Depuis longtemps, il était en contact avec les responsables de la Bibliothèque
et du Cabinet, ayant proposé dans la seconde moitié de l'année 1810 un échange
signalé le 9 novembre 1810 dont le résultat n'est pas connu; il avait renouvelé son
ouverture dans la seconde moitié de l'année 1814, mais le 2 novembre 1814 il fut
«décidé qu'on ne vendra aucun objet».
Avec 3 compagnies de 6 enfants de 12 à 14 ans et 2 amis déjà grands, il se met
en route un 24 juillet. La première étape les conduit de Berne à Aarberg et celle du
lendemain à Cerlier en passant par Gerolfingen. Partis à 4 heures du matin, ils sont
à 7 heures à Neuchâtel qu'ils visitent le 26 juillet, avant de continuer en fin d'après-
La BPUN en possède l'original (Ms A 563) daté de 1808 qui comporte 280 pages, reçu de Louis
de Meuron en décembre 1836, ainsi qu'une copie plus tardive de 1811 (Ms A 561) riche de 561 pages,
reçue de l'auteur déjà le 29 juin et annoncée le 3 juillet 1812 (B); celle-ci, non réactualisée, a servi pour
l'impression de 1840.
Il rachetait Ie passage éclair de son père, Frédéric-Guillaume III, cinq ans plus tôt, du 12 au 15
juillet 1814.
160
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
midi sur Rochefort. De là ils poursuivront leur excursion dans le Jura pour être de
retour à Berne le 1er août.
Le récit que Meisner en tire. Reise von. Bern nach der Peters-Insel und in die
Thäler und Gebirge des Cantons Neuenburg. Für. die Jugend beschrieben, et qu'il
achève de rédiger en 1819 (l'avant-propos est daté du 1er décembre) est publié tout
au début de 18206 chez Burgdorfer comme premier volume d'une série de quatre
«Petits voyages en Suisse». Un très long passage est consacré au Cabinet, incomplet
pourtant puisque seuls quelques spécimens zoologiques ont droit à des commentaires
détaillés et que les spécimens ethnographiques sont négligés:
In dem obersten Stockwerke des Waisenhauses ist in einem geräumigen Saale das Natura -
Iten-Cabinet aufgestellt, welches der Stadt durch einen Direr Mitbürger, den General C. Dan.
M e u r o n geschenkt worden ist. Dieser Mann hatte sich viele Jahre in Ostindien aufgehalten und dort
eine Menge Gegenstände aus allen drei Reichen der Natur gesammelt, so dass also bei weitem das
meiste, was hier zu sehen ist, aus Indischen Merkwürdigkeiten besteht [...1
Zwei Schädel von ungeheurer Grösse standen mitten im Zimmer auf einem Tische neben einander,
und zogen die Augen meiner jungen Freunde zuerst auf sich. An den hervorstehenden Stosszähnen des
einen erkannten sie dieselben sogleich für Elephanten-Schädel. [...]
Ein anderes merkwürdiges Stück, das wir hier sahen, war der ausgestopfte Kopf des S ü d -
afrikanischen Büffels (Bos capensis) mit seinen ungeheuren breiten und herabgebogenen
Hörnern. [...1
Mehrere Säugethiere, als Löwe, Panther, Zebra u. a., die meine jungen Gefährten schon längst aus
Beschreibungen und Abbildungen kannten, wurden hier in ausgestopften Exemplaren sogleich wieder
erkannt. Ein Paar Schuppenthiere iManis) wurden besonders lange und genau betrachtet. [.„]
Auch ein Paar merkwürdige Vögel sahen wir in diesem Cabinet Der eine war der sogennante
S e e r e t a i r (falco serpentarius), den ersten Nahmen haben ihm die Holländer am Vorgebirge der
guten Hoffnung gegeben, weil er hinten am Kopfe einige lange Federn hat, die ihm das Ansehn eines
Schreibers geben, der seine Schreibfeder hinter das Ohr gesteckt hat. [...]
Ein anderer sonderbarer Vogel, den wir hier ausgestopft sahen, war eine Art der sogenannten
P e n g u i n e oder F e 11 g ä n s e iAptenodytes.) [...]
Der vorzüglichste Schatz, den das Naturalien-Cabinet in Neuenburg besitzt, ist unstreitig eine sehr
schöne und vollständige Sammlung von Meer-Conchylien, in welcher viele der
schönsten und seltensten Arten aus den Indischen Meere enthalten sind. Um aber alle die Schubladen,
worin sie systematisch geordnet liegen, durchzusehen, hätten wir längere Zeit nöthig gehabt, als wir uns
diessmal hier verweilen" durften. Wir hatten uns ohnehin schon so lange bei der Betrachtung so mancher
meikwürdiger Gegenstände aufgehalten, dass wir uns endlich mit Gewalt von diesem Orte losreissen
mussteh, wo unsere Wissbegierde so viel Nahrung gefunden hatte. (1820: 92-100).
A n'en pas douter, l'ouvrage connut le succès, une seconde édition révisée
paraissant en 1827; pour le Cabinet, les changements ne sont que stylistiques et
orthographiques. Il sera même traduit en français, augmenté et publié en 1838, sous
le titre Voyage d'un instituteur avec ses élèves, de Berne à l'Ile de Saint-Pierre et
L'exemplaire de la Bibliothèque Nationale à Berne (A 12975. Bd I Reserve Exemplar) porte une
dédicace datée du 25 février 1820.
Xl ¦ L'OUVERTURE AU PUBUC
161
dans le Canton de Neuchatei, d'après Frédéric Meissner, par Frédéric Caumont
(1838: 140-55), instituteur à'Bâle7. Tout en gardantles.quantièmes de l'original, il
réactualisa en partie le récit: l'anachronisme eût été flagrant à propos du Cabinet qui
venait de quitter la Maison des Orphelins. Comme les collections étaient en cours
d'installation, il s'adressa le 19 mars 1838 à Louis Coulon qui lui fournit des
précisions8 pour ce passage conservant le schéma de Meisner qui ignore la section
ethnographique:
Nous entrâmes par la porte du milieu, et la femme du concierge nous mena dam toutes les
chambres, nous expliquant avec politesse leur destination [...] Du milieu du corridor partent deux rampes
d'escaliers, bordées d'une balustrade en pierre, et ornées de colonnes. Nous les montâmes lestement, et,
tournant à gauche, on nous ouvrit le cabinet d'histoire naturelle, composé de trois chambres, dont une
seule était garnie; mais elle l'était si bien que le coup d'oeil en était délicieux. Tout autour des parois
il y avait des armoires vitrées remplies d'oiseaux, et au milieu de la chambre deux longues tables aussi
vitrées, avec des compartiments pour les coquillages et pour les insectes. Sous ces tables étaient épars,
en attendant une autre destination, quelques débris de quadrupèdes, et d'énormes pétrifications. Je laissai
d'abord mes jeunes amis de rassasier d'une première vue, et faire les uns après les autres leurs
exclamations.
[...] Menure Porte-lyre, de la Nouvelle Hollande (...] Puis venaient des coqs de bruyère, des aigles,
des vautours, des cygnes, des ibis rouges, des couroucous, une quantité de colibris et d'autres oiseaux
étrangers des plus belles couleurs qu'on puisse voir. J'aurais bien à faire, si je voulais vous décrire tout
ce qui mériterait une attention particulière. Je ne vous parlerai donc que des objets qui nous arrêtèrent
[...] le plus [...], crânes d'éléphant et défense [...], tête d'un buffle [,..], couple de pangolins (...], Ie
secrétaire ou faucon mangeur de serpents (falco serpentarius) [...], pingouins, oies de Magellan [...]
Le cabinet d'histoire naturelle de Neucliâtel est un des premiers musées de second ordre que
possède l'Europe. C'est peut-être beaucoup dire; mais que des connaisseurs aillent le visiter, lorsqu'il
sera complètement arrangé, et je ne pense pas qu'ils retranchent beaucoup de cette expression. Il fut
fondé par le compte Charles Daniel de Meuron, général au service d'Angleterre, lequel à son retour dans
sa patrie, ramena des Indes et du Cap une collection consistant en quadrupèdes, en oiseaux, en reptiles,
en poisons, et en un grand nombre de coquilles et de zoophytes. Dès lors une quantité de particuliers en
séjour ou en voyage dans les pays étrangers, ont prouvé leur patriotisme par leur générosité: militaires,
négociants, rentiers, savants, étudiants, jusqu'à des femmes même, ont rivalisé de zèle pour contribuer
à augmenter et à enrichir ce beau trésor de leur patrie.
I...J Après la salle des oiseaux on nous en fit voir deux autres encore vides, où doivent être placés
les quadrupèdes et les minéraux; puis nous entrâmes dans celles de la bibliothèque, où on travaillait
encore.
[...] Le cabinet des antiquités, celui des tableaux et celui de l'herbier étaient encore vides: [...]
La Description topographique de la Juridiction de Neuchâtel du chancelier
Charles-Godefroi de Tribolet parue en 1827, rappelle dans la partie consacrée à Ia
Bibliothèque publique qu'«On doit au général Ch'-Dan. de Meuron, un commencé-
La souscription est lancée dans la Feuille d'Avis de Neuchâtel N° 35 du 30 août 1838 (no 15, p. 2)
et la parution annoncée pour octobre.
n
Le brouillon de sa réponse est conservé (S - dos.92).
162
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
ment de Cabinet d'histoire naturelle: à une belle suite de coquillages des mers des
Indes, dont il a fait don, ainsi que de divers autres objets, on a joint dès-lors une
collection des roches calcaires et des pierres roulées qui se rencontrent sur le Jura,
accompagnée d'un catalogue raisonné, rédigé par le savant naturaliste Leopold de
Buch9.» (1827: 58). Elle indique plus loin qu'à la maison des orphelins «on a
disposé d'une salle au premier étage, pour le cabinet d'histoire naturelle» (1827:
105).
Au début d'octobre 1829, un médecin français accompagné de sa femme,
Antoine-Laurent-Apol lin aire Fée séjourne quelque trois jours à Neuchâtel, d'un
vendredi à un dimanche, «juste le temps de visiter la ville et ses environs, et de faire
une excursion à l'île de Saint-Pierre.» (GUYOT 1933: 113). Le deuxième jour «Notre
botaniste, après avoir visité la bibliothèque de la Ville et celle des pasteurs, "bien
tenues, mais peu remarquables" (n'a-t-il donc rien su des manuscrits Rousseau?), fit
visite encore au conservateur du cabinet d'histoire naturelle, M. Cfhaillet]. "Je me
rendis chez ce savant, et vis un vieillard sourd et goutteux, avec lequel il me fut
difficile d'échanger quelques phrases; il se survivait à lui-même; mieux vaut la mort
dans l'âge mûr que la mort après la décrépitude et l'affaissement des facultés intel-
lectuelles."»10 (GUYOT 1933: 117).
Vingt-trois ans après sa visite comme prince héritier, Frédéric-Guillaume IV,
accompagné de la reine Elisabeth Louise, eut l'occasion de revoir les deux musées
dans leur nouvelle installation, lors de son séjour dans sa Principauté du .24 au 28
septembre 1842. La deuxième journée, qui était un dimanche, avait commencé par
le service divin:
Peu de temps après être sorties de notre église collégiale, LL. MM. sont allées visiter l'édifice le
plus remarquable de notre ville après celui-là, le gymnase. (...] Après avoir traversé deux autres salles
où l'oii avait réuni d'autres jeunes gens encore, LL. MM. sont montées au musée d'histoire naturelle,
Allusion a un don enregistré le 10 février 1804. CDM annonce la venue de ce spécialiste des
volcans (1774-1853) (ROBSON 1986: 28-9) dans deux lettres adressées de Berlin à son neveu à
Neuchâtel, la première datée du 5 février 1800:
«Il vas partir d'icy M/de Bouch frère du Chambellan (te la Reyne avec des Mineurs pour Examiner
les moyens d'Exploîtter Le Charbon de terre, y en découvrir &c Je désire que tu l'acceuil. Si tupouvois
le loger cela me ferais plaisir. Confie lui Sous le secret mon projet pour l'Eau, & S'il pouvoit l'Indiquer
les moyens & un devis. M/ d'Hinnitz m'a offert un Mineur.» (V),
la seconde du 18 février
«Il part d'icy pour N.1 !Neuchâtel] un off.' des mines, protégés de M/ de heinitz, /nomé/ M/ de
Bouch, frère du Chambellan de la Reyne Reignante, c'est un jeune home piain de talants, qui ne paye
pas de mine il m'est très recomandé. Je te recomande de faire pour lui tout ce que tu pourras. Si tu peux
lui donner une Chambre au lion d'or, tant mieux, c'est particulièrement pour le Charbon de Piere, qu'est
Sa mission.» (V).
François de Diesbach mange avec lui à Voëns le samedi 9 août 1800 (Pury 1916: 180). Leopold
de Buch se trouvera à Neuchâtel jusqu'en 1802.
Il y a manifestement confusion entre le cabinet privé de Jean Frédéric de Chaiilet (1747-1839) et
l'institution publique.
XI - L'OUVERTURE AU PUBUC
163
où M. Coulon a accompagné le Roi comme démonstrateur, et M. Agassi?, la Reine. LL. MM. paraissaient
prendre un grand intérêt aux objets qui leur étaient montrés. Du musée elles ont passé dans la salle de
la bibliothèque. Les bas-reliefs de M. Ibbetson ont paru surtout attirer leur attention. M. Monvert,
bibliothécaire, ayant parlé au Roi, à l'occasion du village de Serrières, figuré sur l'un de ces bas-reliefs,
de la Bible imprimée dans ce village quelques années après la réformation, et dite Bible de Serrières,
le Roi a demandé à la voir et l'a examinée quelques instants. Le cornile de la société des amis des arts,
et en particulier son président, M. Maximilien de Meuron, se faisaient une fêle d'avoir LL. MM. au
nombre des visiteurs de notre première exposition de tableaux. La satisfaction qu'elles ont exprimée a
dû leur montrer combien l'idée était heureuse d'avoir fait coïncider l'exposition avec l'arrivée du Roi.
Il ne restait plus à visiter dans le gymnase que le musée etluiographique que le directeur, M. Dubois de
Montperreux, a fait voir à LL. MM. Tous ces Messieurs que nous venons de nommer, savants, artistes
ou littérateurs, ont dû trouver dans cette visite de LL. MM. un puissant encouragement à poursuivre leur
œuvre avec un nouveau zèle. Plus d'une fois, pendant qu'elles étaient au gymnase, on est venu les
prévenir que le moment était venu de visiter d'autres établissements. «Vous le voyez, Messieurs, a dit
le Roi, on m'arrache d'ici.» {GuiLLEBERT 1842: 8-9).
Dans la version anonyme de cette visite développée en 166 pages, des détails
sont fournis sur la collection de l'Inde qui venait d'être reçue en 1842 du mission-
naire Alphonse François Lacroix (1799-1859), sur le célèbre hausse-col légué en
1840 par M. Denis de Rougemont de Loewenberg (1759-1839) et sur des monnaies
et médailles. Les noms de plusieurs autres donateurs de collections ethnographiques
sont également mentionnés, mais il en est un totalement absent: celui de Charles
Daniel de Meuron ([FAVARGER] 1842: 42-4).
XlI
LES LUMIÈRES SUR LA VILLE
JLlONNEURS militaires et fidélité à l'histoire naturelle sont les deux pôles suscep-
tibles de résumer le parcours de CDM, dont la formation première - il convient de
ne pas l'oublier - était commerciale. Les figures emblématiques du mûrier et de
l'épée qui peuvent les traduire ornent, avec une coïncidence remarquable, les armes
qu'il s'était choisies.
Mais si, dans sa jeunesse, il s'était distingué par sa bravoure, méritant pension
et décoration, il ne couronna jamais sa carrière en s'illustrant par un fait d'armes.
Il fut essentiellement officier de garnison et, comme colonel propriétaire du régiment
suisse neuchâtelois de son nom, gestionnaire avisé, attentif à la présentation de son
corps de troupes. Il lui importait ainsi que les recrues, dont la taille est indiquée sur
les rôles, fussent belles.
Même portés par la passion et assagis par un scrupule class ificatoire, ses efforts
pour développer ses collections d'histoire naturelle sont marqués par le formalisme,
un certain goût de Taccumulation, l'attrait pour la bizarrerie et l'amateurisme. Les
quelques documents dont il gratifie la Gesellschaft Naturforschender Freunde à
Berlin n'ont manifestement aucune prétention savante. La démarche de CDM est à
la science - car la curiosité ne fait pas toujours bon ménage avec elle - ce que
r«herborisme» est à la botanique; après avoir donné son Cabinet, l'homme vieillis-
sant et souffrant se réfugiera du reste dans le jardinage.
A part les raisons très pragmatiques que révèle sa lettre à Jurine (P - dos.45) et
l'éventuelle renommée qu'il peut en attendre, les mobiles de la donation par CDM
de ses collections à une communauté publique sont d'ordre didactique. La démarche
auprès du Magistrat associe le geste à une demande d'enseignement, non reprise du
reste dans l'Acte de donation:
Priant de plus le magistrat de décréter l'érection d'une Chaire de Chimie et qu'il solde un
Proffesseur aussitôt que ses facultés pourront le lui permettre (G).
La correspondance ultérieure montre tout l'enjeu utilitariste de cette proposition,
en quoi CDM se conforme à la mentalité régnante:
Sans doutte qu'il [Henri de Meuron] aura Conjointem'. avec les membres de la Sossietès literaire
fais dès règlern". qui puissent Stimuler l'Emulation à l'augmenter [le Cabinet], corne aussi à Etendre les
lumières dans cette partie, ainsi que dans la Phisique & la Chemie objets plus utiles a l'éducation de
ceux qui par Etat doivent en avoir, que le latin, a ceux qui doivent travailler nos vignes, nous Chausser
& nous vêtir (V).
Ce Cabinet d'histoire naturelle pourrait sembler une création unique et récente.
Il n'en est rien. Elle s'inscrit non seulement dans un grand courant européen mais
166
LE MÛRIER ET L'ÊPÊE
aussi dans une tradition à la fois régionale et familiale. Echo différé peut-être d'une
mode étrangère, l'épanouissement des collections particulières dans la principauté
de Neuchâtel date au moins du début du XVIIIe siècle, même s'il n'est presque rien
resté matériellement des curiosités de l'époque.
Au moment où naissent ce qu'il faut malgré tout appeler les débuts du tourisme
culturel accompagnés d'une floraison de guides, il est frappant de constater que le
prétexte aux déplacements est souvent la visite de cabinets qui, eux aussi, éclosent
comme œufs d'autruche mis au four1.
Malgré l'attestation tardive du pasteur Frêne en 1787, l'entreprise de CDM
semble avoir commencé avant qu'il n'ait atteint ses vingt ans, en prolongement de
l'œuvre de son père. L'Inventaire partiel remis au jour en 1967 a donné Ia possibilité
de se faire une meilleure idée du contenu «ethnographique» car le peu de pièces
alors connues pouvait laisser penser à tort à un ensemble restreint.
La datation de cet Inventaire n'était pas évidente et il était possible d'imaginer
que ce document correspondît à la donation du Cabinet à la Commune bourgeoise
de Neuchâtel, soit qu'il l'ait précédée, soit qu'il l'ait suivie. Une étude attentive a
révélé qu'il était en réalité antérieur et apparemment sans rapport avec le geste de
CDM; surtout elle a autorisé des estimations sur le nombre de pièces, considérable
par rapport à la première approche chiffrée, bien que toutes n'aient pas encore été
retrouvées ni même identifiées.
En particulier, certaines évoquent irrésistiblement les spécimens du troisième
voyage de Cook. Il convenait de ne céder ni à la fascination du héros ni à Ia pre-
mière éventualité qui se présenterait. Encore qu'une source unique soit indubitable
et que l'hypothèse d'une acquisition londonienne en automne 1791 semble plausible,
aucune attestation n'est malheureusement venue l'étayer.
En revanche, plus d'une autre pièce a pu être suivie depuis sa collecte «sur le
terrain». Comme les sollicitations aux bonnes volontés non compétentes étaient sui-
vies d'effets peu satisfaisants ou se soldaient même par une absence de résultats,
pour se procurer des objets, CDM recourut à des rabatteurs naturalistes introduits
sous couvert de médecins de son régiment.
La.quête insatiable de CDM met enfin en évidence une partie du réseau des
naturalistes, spécialistes ou amateurs fortunés, qui se connaissent et s'entraident à
travers toute l'Europe, sinon même au-delà, en prolongement du cosmopolitisme du
siècle précédent.
Il importe de s'interroger une dernière fois sur l'accueil de ce Cabinet désormais
ouvert au public le plus large et de relativiser cette initiative. Alors qu'elle donne
l'impression d'innover, la petite cité ne fait-elle, en réalité, que suivre une mode
d'importation, non sans décalage ni gaucherie provinciale - encore que la province
française ait fait montre de dynamisme (POMMIER 1997) ? Bien qu'ayant débouché
sur une continuité qui dépasse l'aventure individuelle, l'institutionnalisation ne
Dès le début, les collections publiques auront vocation de satisfaire le plaisir des étrangers de
passage.
XII - LES LUMIÈRES SUR LA VILLE
167
semble être précédée ou accompagnée ~ voire suivie-dj aucune réflexion théorique,
ne s'inscrire dans aucun projet global et concerté, à la différence de ce qui se passe
en France à la même époque et plus encore pendant la période révolutionnaire.
Ce n'est point dire que Neuchâtel, à des «journées-carioles» de la constellation
parisienne (STUDENY 1995: 24), se situe hors du mouvement des idées et demeure
étrangère à l'évolution de la technique. Il serait inconcevable qu'elle n'en fût pas,
malgré tout, imprégnée car les innovations peuvent apparaître de manière très
différenciée. Des contacts nombreux existent, sur les plans commercial et intel-
lectuel, de grands esprits y rayonnent aussi mais il est symptomatique que la
fondation d'une Bibliothèque publique - même si elle représente un relatif affran-
chissement par rapport au monde de l'Eglise - soit contingente et son inspiration
exogène. Qui plus est, le principe de la constitution d'un Cabinet d'histoire naturelle
va tout bonnement de soi puisqu'il n'est envisagé que comme une «Suite de
l'établissement de la Bibliothèque». Sa naissance est discrètement préparée mais sa
conception est abandonnée au hasard d'une bonne occasion.
Pour que surgisse quelque débat - autre que théologique ou plus précisément
de théologiens - ne sont apparemment absents ni interlocuteurs ni lieux où s'affron-
ter, comme l'aristocratique Société du Jardin ou d'autres cercles moins fermés. Créée
le 9 décembre 1759, «La Chambre» est certes une amicale mais elle réunit les plus
notables des concitoyens, une élite qui ne devait pas se borner aux gazettes et aux
parties de cartes ou de billard, quoique l'esprit de la société n'eût aucunement été
révolutionnaire2.
Ce qui manquait, c'était une véritable stimulation, une volonté de changer le
monde en s'assumant, enfin et surtout l'aspiration à la liberté qui caractérise le mou-
vement des Lumières3, ainsi qu'une structure adéquate. L'enseignement est limité
à quelques régents dépendant de la classe des Pasteurs; si, depuis le XVIIe siècle,
un projet d'académie a été caressé et si le roi de Prusse a fait des promesses à son
avènement, il faudra attendre le XIXe siècle pour qu'elles se concrétisent; dans
l'intervalle, seuls quelques cours sont dispensés à partir des années 1730. Le climat
n'est donc pas favorable et l'absence d'un établissement d'instruction supérieure
freine tout développement. A défaut d'une véritable académie locale et de sujets à
disputer ou pour lesquels concourir, seules existent une «Société littéraire», une
éphémère «Société du Jeudi» et une «Société patriotique d'émulation» fondée par
le pasteur Henri David de Chaillet (1751-1823) en 1791, qui conduit des projets
«Il se trouve que la Révolution française a provoqué de nombreux débats sur Ie rôle du musée et,
là où il n'y avait encore qu'hésitations, elle a fait aboutir des projets de transformation d'établissements
privés en établissements publics» (DESVALLÉES [inédit]). L'auteur met en évidence quatre fondions alors
débattues: réceptacle pour les œuvres menacées; mémorial de Ia nation, voire musée d'histoire; Heu
d'inspiration, autrement dit lieu d'enseignement; et enfin simple lieu d'agrément, de divertissement ou
de délectation, et il souligne l'éclatement en plusieurs musées.
Pour les premières décennies du XVIIP siècle, Pierre Barthel, présentant le «correspondancier»
d'Abram Bourgeois, parie d'«un monde neuchâtelois qui se voulait éclairé et se disait philosophe.»
(1997: 10).
168
LE MÛRIER ET L 'EPEE
d'utilité publique à l'égal d'autres groupements «ceconomiques», mais «très réduite,
d'essence aristocratique et tout à fait "ancien régime"» (JEANNERET 1956: 8). Les
intérêts étaient ailleurs. Alors, Lumières ou lueurs ?
Après en avoir révélé les charmes, Sinner, qui a passé quelques jours à
Neuchâtel, sans doute en 1779, dépeint bien le climat peu propice au développement
des idées qui y règne:
Il est vrai qu'au milieu de tant d'avantages les études paraissent languir; le commerce &. l'état
militaire absorbent presque tout. La magistrature offre peu d'avantages à l'ambition & à la fortune. Le
clergé est mal payé, il n'est pas dédommagé par le rang qu'on lui accorde sur l'état séculier (1781: I:
183).
Quelques années plus tard, Jean Bernoulli, résume et complète les pages qui
suivaient ce constat de Sinner.
Indessen hat diese Stadt in verschiedenen Fächern Gelehrte hervorgebracht. Den durch seine
vortreflichen Andachtsbtìcher, bekannten [Jean Frédéricî Osterwald (1663-1747], Pfarrer dieser Stadt,
hm. lEmer] von VaUeI (1714-1767J den Verfasser des Werkes du Droit des Gens und einiger
literarischen Schriften, [...] und den in ganz Europa bekannten Professor (Louis] Bourguet [1678-1742].
(1783: 299-300).
Sinner, qui poursuivait en évoquant une activité très dynamique, terminait par
une remarque sans complaisance pour la cité:
Si Neuchâtel n'est pas le siege des études, ses imprimeurs y ont établi une fabrique d'érudition et
de philosophie. La société typographique a ouvert une nouvelle branche d'exportation. [.„1
Il n'est guère question aujourd'hui dé sciences à Ncucliatel; on songe à gagner de l'argent ou à le
dépenser. (1781: I: 184; 190).
Sur un ton plus piquant, ce constat se retrouve dans la remarque que NT* de
Charrière ( 1740-1805), presque contemporaine de CDM, prête au Caustique dans Les
Lettres neuchâteloises (L97Ì: 37 - 10e lettre): «Mais, Monsieur le comte, [...]
comment a-t-on pu vous envoyer à Neuchâtel pour les choses que vous aviez envie
d'apprendre? Nous avons des talents; mais pas les moindres lumières [...].»
La réplique n'étonne pas à suivre Roulet (1994: 248) qui, s'appuyant sur Guyot
(1946) et Eigeldinger (1992), écrit qu'en «s'installant à Colombier, [Mme de
Charrière] se loge à l'enseigne d'une société perméable au vent nouveau certes, et
pourtant pour l'essentiel, politiquement, institutionnellement et surtout confession-
nellement demeurée fidèle à elle-même, donc d'une société qui emprisonne et
rassure à la fois.»
Aux vers dont la dame du Pontet aggrave la deuxième édition de ses Lettres
neuchâteloises peut faire écho la critique de Mme de Gauthier:
On accuse les Neuchâtelois d'aimer un peu l'argent; mais comme on n'est pas parfait, autant vaut
ce défaut qu'un autre. (1790: II: 340).
XlI - LES LUMIÈRES SUR LA VILLE
169
Neuchâtel, centre de diffusion de la philosophie des Lumières et fief d'une
tradition religieuse rétrogradé: le paradoxe se résout-il par dès motifs commerciaux ?
Tout en s'efforçant de nuancer, Guyot (1955: 7) cite Voltaire qui avait constaté
qu'hors de France on s'était empressé de contrefaire ou de gâter 1Encyclopédie par
la raison qu'il y avait quelque argent à gagner.
Neuchâtel peut bien avoir une Société typographique, un Mercure helvétique et
manquer de toute émulation, éviter toute remise en question quand l'activité
d'édition se révèle trompeuse et que, bons protestants, les pseudo-propagandistes
dégagent surtout un profit commercial: Non olet ! Pis encore, clandestins heureux
de l'être, les éditeurs neuchâtelois n'ont que bénéfice à attendre d'une activité placée
sous le regard de Dieu, au point de se sentir dégagés si leur main droite ignore ce
que fait leur gauche. La phrase d'Ostervald, probablement de 1770, au banquier
Denis de Rougemont à Paris que cite Guyot résonne comme une absolution: «J'ai
la satisfaction de voir notre Typographie, dirigée vers son véritable but, prospérer
et fleurir par la grâce de Dieu.» (1946: 115)
S'ils n'étaient que sous le regard de Dieu, les Neuchâtelois seraient plus ou
moins au niveau de la province française quant à la culture, à la science même - la
connaissance «littéraire» se distinguant encore mal du savoir scientifique - et aux
idées nouvelles, c'est-à-dire pareillement en retrait et menacés par leur projet même.
La pratique des amateurs provinciaux et leur dessein fondamentalement utilitaire pourraient éloigner
autant que rapprocher de l'idéal rationnel d'une science fondée plus sur la rupture que sur
l'accumulation. {ROCHE 1988: 206).
A l'instar de leurs voisins, ils observent, rassemblent, inventorient et se satisfont
d'applications pratiques, de la seule technique. Mais il y a pis: peu capables
d'audace intellectuelle, les Neuchâtelois, encore «mineurs», restent de surcroît sous
là coupe de Ia Vénérable Classe qui usurpe ses droits (EiGELDrNGER 1992: 38-42;
407-34; KaNT 1991: 79-81) et freine toute évolution.
La petite étincelle jaillie de la donation de CDM ne s'éteindra pas. Aristo-
cratiquement, la donation se prolonge par des apports de membres de la famille ou
par des connaissances, jusqu'au moment où, déménagé et placé sous la férule de
Louis Coulon, ce qui commence à s'appeler Musée cesse d'être un album de souve-
nirs parfumé d'exotisme pour devenir un centre d'études scientifiques, le reste du
fonds en étant détaché. Et c'est le propre filleul de CDM, Maximilien de Meuron
(1785-1868) qui, abandonnant ses tableaux et se lançant dans la défense des artistes,
sera la cheville ouvrière de la fondation du Musée de peinture. Dans la seconde
moitié du XIXe siècle, le mouvement continue par le surgissement dans tout l'arc
jurassien de musées issus du courant naturaliste: c'est toute l'épopée des sociétés de
musées commencée à Fleurier dans l'enthousiasme de la fondation du Club jurassien.
Ces musées du terroir, musées de l'identité, se justifiant par des activités d'utilité
publique, poursuivent une vocation sociale.
170
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Mais toutes ces institutions, comme le résume André Desvallées (1985: x)
préfaçant Bernard Deloche, au lieu de remplir le projet «dont l'Encyclopédie avait
donné le modèle, visant à créer une science de l'art, sans fragmentation des connais-
sances, dans le but d'étudier, en recourant à des exemples, et d'instruire, en diffusant
des connaissances.», se contentent de recueillir, de collecter et finalement de
thésauriser.
SECONDE PARTIE
XIII
LES «CURIOSITÉS ARTIFICIELLES»
H/N préalable au catalogue, la recherche des objets ayant constitué le Cabinet
de CDM n'a pris en compte que ceux dont le Tome II de l'Inventaire (M) révèle
expressément qu'ils portent la marque d'une intervention humaine, c'est-à-dire tous
les objets manufacturés, non seulement ceux figurant dans les deux listes de «Divers
objets» des règnes végétal (p. 51-52) et animal (p. 165), mais encore ceux qui
se dissimulent dans d'autres subdivisions1.
S'y ajoutent les 79 modèles réduits d'animaux appelés «factice[s] en petit»
(p. 103, 150, 154 et 155, 158 et 159) et réalisés avec de la peau originale à
Strasbourg, à en croire Madame de Gauthier (1790: 303), d'entre lesquels nous
avons seulement reconnu un chien dans les dépôts du MAH. Peut-être les autres ont-
ils été vendus - s'il faut interpréter ainsi la mention de l'aliénation de «petits
animaux en papier mâché» par Louis Coulon en 1834 (T) - ou détruits.
N'ont pas été considérés en revanche les spécimens apparemment bruts mais
susceptibles d'une utilisation humaine, tels que «[C] 2. Feuille de Talipot de l'Isle
de Ceylan.» (p. 5), «[F] 123. 1. Noix de Coco, qui fournit à boire, manger, habiller,
et a faire des ustenciles de menage.» (p. 17), «[F] 124. 5 Noix de Coco, deux
moyenne et 3 petites et rondes.» (p. 17), «F 151. Callebasse en forme de massue.»
(p. 18), «[F] 152. Calebasse en forme de vessie allongée» (p. 18), les peaux de
divers animaux ou «H 4 Nids d'oiseaux dont les chinois sont très friands.» (p. 140),
au demeurant impossibles à repérer de manière certaine à moins que n'ait subsisté
un signe d'identification:
Regne végétal. 5.
Feuilles.
[C] 3. 4. Les mêmes2 Travaillées, servant de Parasol aux habitans de Ceylm
[C] 4 Contrai de vente d'un negre sur un morceau de feuille de Talipot
[C] 5 Morceau de feuille de Palmier de l'Isle de Ceylan, sur laquelle on a écrit
[...]
Voir le chapitre VI.
[C] 2. Feuille de Talipot de l'Isle de Ceylan.
174
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Reg. vegetal. 17.
Fruits et semences. 5." Fruit à noyau.
[F] 125, 6. Divers ustenciles faits avec la noix de coco.
U
[F] 129 Noix d'arec travaillée.
Reg. végétal. 51.
Divers objets.
Morceau de sculpture de la chambre du C." Rodolphe d'Apsbourg.
Cassette d'un bots précieux de l'Inde.
Espece de Grue avec laquelle 2 hommes lèvent un canon de 36.
Petit Tonneau de Cannelle.
Petit tonneau en bois blanc
Modele d'une cage en bois de chêne de hollande.
Ecrain en bois noir.
Divinité Indienne' en bois d'Ebenne.
Modele d'un compte chinois, sur un petit morceau de bois.
Livret chinois.
Paire de souliers chinois, en étoffe de soie.
Papier de Chine fait avec l'ecorce d'un arbrisseau, p.' envelopper les étoffes de soie.
Parapluies chinois
Petit panier en paille qui sert de sac à ouvrage aux D.™* du Japon.
Ajustemens en soie et or, des Dames du Japon, quand elles sortent.
Morceaux d'amadou des hottentots proven.1 d'une plante, imitant un bas.
Peignes /en boisV de sauvages des mers du Sud.
Tabatière en bois et garnie en écaille, faite par Louis XV Roi de france.
Eventail de l'Isle de Madegascar.
Amecons /en bois5/ des Sauvages d'Ota-ity.
Instrument de musique des indiens, /de l'Isle de6/ Java, en bois.
Idem, des hottentots.
Etoffes7 d'Ota-ity, faites avec de l'Ecorce d'arbre.
Metier dont se servent les habitans d'Ota-ity p.* leurs étoffes.
3 Le secrétaire avait commencé à écrire: «ch[inoise]».
SuscriL
SuscriL II avait d'abord été écrit 3. Amecons, corrigé en 2. (peut-être en raison de la matière, ce
qui a pu conduire à une ventilation différente).
Suscrit et remplaçant «en bois».
Le «s» dans un second mouvement de plume.
X 1.
[X] 2.
[X] 3.
[X] 4.
IX] 5.
[X] 6.
[X] 7.
[X] 8.
[X] 9.
[X] 10.
[X] 11.
[X] 12.
[X] 13. 5,
[X] 14
[X] 15.
[X] 16. 5.
[X] 17. 2.
[X] 18
[X] 19
[X] 20. 2,
[X] 21.
[X] 22.
[X] 23
[X] 24
XIII ¦ LES «CURIOSITÉS ARTIFICIELLES»
175
[X] 25 Ecorce d'arbres, dont les habitans d'Ota-Ity font leurs étoffes.
[X] 26 Pirogue Indienne.
[X] 27. Bateau d'Ecorce d'arbre, fait par les Souvages Caraïbes.
[X] 28. Panier dont les hottentots se servent pour traire le Lait.
[X] 29 2. Sacs natés, où tes chinois tiennent leur Riz.
(X] 30 Natte dont se servent les Princes indiens pour s'assoîr.
52. Reg. végétal.
Divers objets.
X 31. Hamac Indien.
[X] 32. Buste de Tipoo-Saïb, en bois.
[X] 33 Un vieillard en bois, habillé en coquilles et en nacre.
[X] 34 5. Morceaux de bois p/ montrer comm.1 on peut rapporter différentes pieces ensemble.'
Reg. animal. 103.
(L'Amphibiologie) 6. Amphibies
F 1. Le Castor factice en petit.
[F] 2. Le Morel, id.
[F] 3 Le Lyon marin, id.
[F] 4. L'Ours marin, id.
[...]
[F] 15. 1 Dragon voland.
144. Reg. animal.
7 Oeufs d'Oiseaux.
Jl. 6 Oeufs d'Autruche9.
[J] 2. 1 Dit gravé. [...]
150 Regne animal.
(La Tétmpodologie). Quadrupèdes.
1. Solipedes.
KX Le Cheval, factice en petit
D'une autre plume.
Pourvu de son étiquette collée, l'un de ces œufs, non décorés, est toujours visible sur le dernier
rayon de la vitrine de droite de la Grande Ruchette (visite du 4 juillet 1995); un autre existe encore au
MHN (visite du 16 août 1995).
176
LE MÛRIER ET L EPEE
[K] 2 Le Cuvaga, id.
m 3 Le Zebre male, id.
m 4 Le Zebre femelle, id.
m s. L'Ane, id.
154. Reg. animal.
8. Quadrupèdes. Z. à pieds fourchus.
[K] 122. 3 . Cerfs factices en petit
[K] 123. Le Chevreuil, id.
[K] 124. La Biche, id.
[K] 125. Le Dain, id.
[K] 126. Le Condoma, ou Kondom, ou Koedoé, id.
[K] 127. l'Elan, id.
[K] 128. Le Pupale, id.
[K] 129. Le Pasan, espece de Gazelle, id.
IK] 130. La Renne, id.
[K] 131. Le Cana, id.
[/H 132. La Giraffe, id.
[K\ 133. 3 Vaches, id.
[K] 134. 1 veau, id.
[K] 135. Le Boeuf, id.
[K] 136. 2 Taureaux, id.
[K] 137. Le Bufle, id.
[K] 138. Le Bisson, id.
[K] 139. Le Nilcaut, id.
[K] 140. La vache croniant, id.
[K] 141. Le Gnou, id.
[K] 142. Le Sanglier, id.
[K] 143. Le Porc, id.
[K] 144. Le Papirousa, id.
[K] 145. Le Cebu, id.
[K] 146. Le Musc, id.
[K] 147. Le Bouc d'Afrique, id.
[K] 148. Le Bouc de Juda, id.
[K] 149. Le Bouc, id.
[K] 150. La chèvre, id.
Reg. animal. 155.
8. Quadrupèdes. 2. à pieds fourchus.
[K] 151. La Brebis, factice en petit.
[K] 152. Le Bellier, id.
[...]
XIII ¦ LES »CURIOSITÉS ARTIFICIELLES»
ill
158. Reg. animal.
8. Quadrupèdes. 3. Fîssipedes.
[K] 247 Elephant factice, en petit.
[K] 253 Petite hyppopotame factice.
[K] 256. Pangolin factice. (C'est le fourmillier).
[K] 257 Rhinoceros à une corne, factice en petit.
[K] 258. Idem, à deux cornes, de même.
[K] 261 Le Lama factice en petit.
[K\ 262. Le Lion, De même.
[Kl 263 La lionne. De même.
[K] 264 Le Loup, De même.
[K] 265. Le Chien, De même.
[K] 266. Le Chien courant, de même
[K] 267. Le Chien d'Arrêt, de même.
[K] 268. Le Chien Danois, de même.
[K] 269 Le Chien de chasse, de même.
[K] 270 L'hienne, de même,
Reg. animal. 159.
8. Quadrupèdes. 3. Fîssipedes.
K 271. Chien Lévrier, factice en petit
[K] 272. Le Tigre Royal factice en petit
[K] 273 Le Linx du Canada, id.
[K] 274 La Penthero, id.
[Kl 275. Le Léopard, id.
[K] 276 Le Jaguar, id.
[K] 277. L'Ocelot, id.
[K] 278 L'Once, id.
[K] 279 Le Chat sauvage, id.
[K] 280 Le Porc-épic, id.
[K] 281. Le Guguare id.
[K\ 282 Le paresseux, id.
"W 283. Le Cungaru, id.
IK] 284 Le Mandril, id.
[Kl 285. Tapir, ou Manipouris, id.
[Kl 286 L'Ours noir, id.
[Al 287 L'Ours blanc, id.
[K] 288 Le Dromadaire, id.
[KI 289. Le Chameau, id.
178
LE MURIER ET L EPEE
Reg. animal. 165.
Divers objets.
M 1. 2. Ameçonsen os, des Sauvages d'Ota-ity.
[M] 2. Ligne des habitans des Isles du Sud.
[AYl 3. Bracelet, en dents, dont le10 parent les femmes des Isles du Sud.
[M] A 4. Pommes de canne faite avec la Dent macheliere de l'Eléphant.
[M] 5 Cappe antique de Suisse, faite avec des plumes noires.
[A/] 6. Nerfs faits avec la peau du col du Rhinoceros, dont on donne la correction aux Nègres.
Pour les productions appartenant au règne minéral, recensées dans le Tome I de
l'Inventaire manquant, la recherche doit partir de la structure que, par leurs cotes,
les objets déjà retrouvés permettent d'esquisser
[Règne minéral]
[ 1 [Porcelaine, verre?]
I—J AA. 8. [2] Magots chinois. [Terre, poterie?]
[-]
BB. 2. Vase fabriqué dans l'Inde.
[~]
BB. 4. [4] Tasses [Métal]
[..J
DD. 3. Tabatière faite aux Indes.
DD. 4. Poire à poudre de l'Empereur deCandie" [Armes]
[-I
[E]E A Ecu en cuir
[...]
EE 16 Lance (pointe sculptée)
U
EE 22 Carquois
EE 23 Carquois en cuir des Chinois
[-.]
10 Lire: «se» parent.
Reconnue le 4 juillet 1995, dans la vitrine est de la Grande Rochette.
XJJJ ¦ LES «CURIOSITÉS ARTIFICIELLES»
179
EE 26 Arc hottentot
[EE 27 idi
[..J
EE 2(9] [Flèche à poisson eskimo]
Des 45 cotes au moins (en incluant la poire à poudre de la Grande Rochette et
sans préjudice du nombre de spécimens pouvant y être répertoriés) qui devaient
figurer dans ce Tome I, seules 12 sont assurées de manière incontestable.
Il est toutefois possible de compléter ce canevas en prenant en considération un
document postérieur, la «Liste des objets ethnographiques» de Louis Coulon du 16
mai 1834 (L), qui remplit 4 pages in-folio (P* 5 et 6) et se trouve reliée dans
le Catalogue du Musée Ethnographique conservé au MAH (médaillier). Elle ne
comprend donc pas de «naturalia» au sens strict ni, en principe, de monnaies ou de
médailles. Consultée par Frédéric de Bosset pour ses carnets d'assurances (N) en
[mai-juin] 189012, la liste a été pointée et annotée, probablement au début de ce
siècle (à l'époque de la préparation du transfert du fonds ethnographique du bord du
lac à Saint-Nicolas entre 1902 et 1904). Alfred Godet (1898: 150), suivi par d'autres
(Michel [1913]: 1; 1927: 35), y comptait:
256 objets concernant l'ethnographie (Amérique, Inde, Malaisie); 29 objets neuchâtelois; 3 objets
romains; 33 monnaies d'Europe {Suède, principalement). Total 321 objets.
Il poursuivait14:
L'inventaire des objets déjà déposés à Ia bibliothèque, entre les mains de M. Diacon, donne 251
pièces, principalement des monnaies et médailles, et 7 objets neuchâtelois, entre autres 2 médaillons
peints d'Abram Girardet, l'un représentant une réunion de saints en adoration, l'autre le duc de
Wellington à Waterloo.1*
En tout donc, [...], 572 objets divers, se rapportant en majeure partie à la numismatique et à
l'ethnographie.
Sur les 29 objets «neuchâtelois» relevés dans la liste de 1834 (L), Godet en
signalait 25:
Cependant nous trouvons déjà, parmi les objets neuchâtelois, remis en 1834 au bibliothécaire: Une
armure de fer, une cuirasse, deux fusils anciens, 6 pistolets divers, une épée flamboyante, une dite à deux
mains, 4 épées diverses, trois rapières, 5 poires à poudre, un boulet trouvé sur lé champ de bataille de
«Inventaire estimatif de la Collection ethnographique, fait en 1890 pr l'assurance contre
l'incendie.»: deux carnets (parfois objet après objet ou vitrines et panoplies en bloc).
Il indique par erreur «11 mai»; si le total est juste, la ventilation, elle, est partiellement sujette à
caution.
La source de ces renseignements n'est qu'imparfaitement précisée et la liste citée semble avoir
disparu.
Don des Quatre Ministraux en novembre 1821 (B).
180
LE MÛRIER ET L'ÉPÉE
Grandson et quelques autres menus objets sans importance. Toutes ces pièces, qui forment le premier
fonds de notre collection historique, sont actuellement dans les vitrines du musée. {1898: 151).
Avec une bonne approximation, la liste des 256 objets de Louis Coulon (L) doit
logiquement permettre dé.découvrir les apports non attestés de CDM, une fois
déduites les entrées nouvelles connues par le dépouillement des procès-verbaux de
la Bibliothèque et repérés les spécimens du Tome II de l'Inventaire (M) comme
ceux du Tome I reconstitué.
[folio 5]
Liste des objets ethnographiques du Cabinet d'histoire = naturelle
remis par Nf. Louis Coulon Directeur à IVT Diacon Bibliothécaire
le 16 may 1834.
nombre des pièces
3. Arcs de Botocudes. (Brésiliens)
10. Flèches de Botocudes. - - - -
1. Arc de Hottentots.
2. Arcs de Canadiens
3. -— de divers peuples.
3 Sagayes d'espèces différentes
1. Carquois en cuir dit des Chinois contenant
15. flèches.
1. Carquois en bois, contenant
38. Flèches empoisonnées, et une pointe de Sagayes.
8. Flèches en faisceau.
5 Armes diverses telles que massues assomoirs etc
1. Armure compiette en fer
1. Cuirasse de rempart
1 Armure en cotte-de-mailles, d'un chef indien avec bonnet etc
2. Fusils anciens.
6. Pistolets divers.
2. bateries
1. Epée flamboyante
1. dite à deux mains
4' Epées diverses
3. Rapières
3 Cris malais dont un donné par NT: Edouard Borei
5. Poires à poudre 1. en os avec dessins, 3. en corne, et 1 en bois ferrée
1. Carquois en bambou
3 Carquois? petits avec dessins aux points
2. Ecus 1. gami en acier 1. en cuir uniquement
1.. Boulet trouvé sur le champ de Bataille de Grançon
1. Hache en pierre des Brésiliens donnée par NT: Léo Du Pasquier
1. .Morceau de la cliambre des comtes de Habsbourg.
1. Hamac.
1 Modèle d'une cage en bois de Chêne
XIII ¦ LES «CURIOSITÉS ARTIFICIELLES»
181
[folio 5 verso]
2 Violons? et archets
1 Castagnettes avec des sabots de Ruminans Brésil NT: W Borei
1. Flûte de Brésiliens. W W: Borei
1. instrument de musique fait avec des Bambous
2 batons surmontés à une de leurs extrémités d'une boule pr. jouer d'un des instruments
1 instrument de musique fait avec des Calebasses.1*
1. Couvercle? de pipe en terre
1. dit en cuivre
3 Tuyaux de pipes turques
2 extrémités ou bases des dites pipes
1. machine en métal servant aux dites Pipes
2 . embouchures de Pipes des Brésiliens. Nf: W Borei.
1 tête de Pipe en terre rouge
1. bourse à Tabac
1. Tabatière faite aux Indes
1. Chalumeau en roseaux
1. Malle chinoise
1. Vase fabriqué aux indes, en terre ouvragée
1. Alcaraza dt: les Indiens se servent pour rafraîchir l'eau.
I. Grand vase en porcelaine pr. conserver le Gingembre? I7
3 Tasses en porcelaine de l'inde.
1. Vase en noix de coco ciselée, Brésil M1 Leo DuPasquier
1 Ecritoire en cuivre
1 Boîte chinoise pour les couleurs?