UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL Faculté des Sciences Institut de Zoologie Professeur: Jean G. Baer Application de méthodes d'analyse biochimique à un problème taxonomique: Les Corégonés du lac de Neuchâtel THÈSE présentée à la Faculté des Sciences de l'Université de Neuchâtel pour obtenir le grade de Docteur es Sciences Par JEAN-PIERRE BARGETZl Licencié es Sciences Imprimerie Birkhäuser S. A., Bàie i960 La Faculté des Sciences de l'Université de Neuchâtel, sur Ie rapport de MM. les professeurs Baer, Florkin et Islikcr, autorise l'impression de la présente thèse sans exprimer d'opinion sur les propositions qui y sont contenues. Neuchâtel, 18 juin 1959. Le Doyen: Prof. Dr. Jean Clerc SEPARATUM Schweizerische Zeitschrift für Hydrologie Revue Suisse d'Hydrologie Redaktion - Rédaction: Otto Jaag, Zürich Vol. XXII (i960), Fase. 2 BIRKHÄUSER VERLAG BASEL Sonderabdruck aus SCHWEIZERISCHE ZEITSCHRIET FÜR HYDROLOGIE BIRKHÂUSÈR VKRLAG BASEL Vol. XXII I960 Ease. 2 Application de méthodes d'analyse biochimique à un problème taxonomique: les Corégones du lac de Neuchâtel1, V) Par Jean-Pierre Bargetzi5) (institut de Zoologie, Université de Neuchâtel) TABLE DIiS MATIÈRES Préambule............................. 642 1. Introduction et plan général.................... 644 2. Aperçu historique........................ 648 3. Le biotope........................... 652 Première partie: Taxotiomie classique................. 658 4. Isolement et spéciation...................... 65S 4.1 L'isolement géographique...................• Ö58 4.2 La ségrégation écologique.................... 659 4.3 Les critères éthologiques................... óói 5. Taxonomie morphologique.................... 663 5.L La signification des caractères méristiques et leurs incidences embryo- logiques .......................... 663 3.2 Les caractères ostéologiques et les otolitlies............ 676 5.3 L'hématologie comparée................... 679 6. Cytotaxonomie......................... 694 6.T La formule chromosomialc................... Ó94 6.2 L'évolution phylogénétique des corégones............ 701 Ó.3 L'hybridation expérimentale.................. 704 ') Travail réalisé avec l'appui du Fonds national suisse de la Recherche. 2) La rédaction du présent travail est antérieure au mémoire de Dotthiîns [254]3). La paru- tion du texte de cet auteur a très exactement coïncidé avec la présentation de notre those. Ces deux recherches ont été accomplies indépendamment. D'après les conclusions de Dottrens, les Corégones du lac de Neuchâtel doivent désormais être désignés par PaUe Coregonus lavaretus L. Bandelle Coregonus warlmanni Bloch 3) Les chiffres entre crochets renvoient a la bibliographie, page 751. 4) Lc mot «ichtyologie» et les termes de la même famille sont orthographiés avec un seul«hs en accord avec une décision récente de l'Académie. h) Adresse actuelle: University of Washington. School of Medicine, Department of Bio- chemistry. Seattle 5 (Wash.) U.S.A. 642 Jean-l'iene Bargclzi Mydrol. 7. Taxonomicontogéniquc..................... 713 7.1 Quelques observations d'cmbrvologic comparée......... 713 [Deuxième partie: Aspects biochimiques................ 717 8. Constantes de DNA....................... 722 S.:i Le dosage cliimiqucdu DN Admis les noyaux soma tiques (erythrocytes) et les gamètes (spermatozoïdes)................ 722 8.2 Le dosage mîcro-spcctrophotométrique des novaux d'érythrocytes 727 9. L'immunologie systématique................... 734 9.1 Les réactions spécifiques des protéines plasmariques par immuno- élcctrophorèse........................ 734 9.2 Les réactions croisées des y-globulines par diffusion en gels d'agnr (méthode d'OucHTKRLONv)................. 740 10. La notion biochimique de l'espèce.................. 74.8 Bibliographie.......................... 75 t Préambule C'est avec des sentiments de vive admiration et d'estime que nous ren- dons hommage au professeur Jean G. Baer, dont l'érudition et h longue maîtrise scientifique n'ont cessé d'éclairer nos recherches et d'enrichir nos entretiens. Dira-t-on combien ils sont créateurs, et à quel point ils sti- mulent le sens critique? Nous lut savons gré surtout d'avoir su instaurer, dans la conduite de notre recherche, ce climat de confiance réciproque et d'exigeante liberté qui en firent une œuvre si aventureuse et si attachante à la fois. D'un commun accord, nous avions formé le dessein de doter cet institut d'un centre de physiologie expérimentale, qui aurait pu rallier les étudiants en biologie moins férus de disciplines pédagogiques que rompus à l'exer- cice de l'analyse et de la déduction. Lc présent travail en fut le prétexte, sans plus. Terme de transition indispensable entre la zoologie classique et la biochimie moderne, il ne pouvait, par la force des choses et la pénurie des moyens, être qu'une figuration mineure et lointaine de ce vaste mouve- ment d'investigation biologique. La biochimie, science jeune et conqué- rante, sans passé pour se justifier, ne peut vivre que d'apports nouveaux. Mais réprouvée souvent, condamnée d'autorité à n'être jamais plus que ce qu'elle est, notre entreprise n'aura vécu que d'aspirations inutiles. Que le professeur Baer ait, en dépit des obstacles, gardé foi dans sa valeur, et l'ait soutenue constamment de sa vigoureuse combativité, at- teste de la hauteur de ses vues. Nous lui en exprimons ici notre fervente reconnaissance. XXIT, 19C0 Les Corégones du lac de Neuchâtel . 643 Qu'il nous soit permis aussi de décerner une preuve de déférente estime et de gratitude à M. le professeur R. Matthey, recteur de l'Université de Lausanne, et au Dr H. A. GuENlN, chargé de cours, qui nous ont fait l'honneur de nous recevoir fréquemment au Laboratoire de zoologie et d'anatomie comparée de cette haute école, et qui dirigèrent avec une par- faite autorité et une chaleureuse sympathie nos travaux cytologiques. Aux Drs Roger et Colette Vendrely, qui nous ont fait l'amitié de nous inviter en deux occasions à leur laboratoire du Centre de recherches sur les Macromolécules à Strasbourg, pour des mises au point et des con- frontations méthodologiques, nous adressons nos sentiments de cordiale reconnaissance. Nos remerciements iront aussi à tous les savants qui ont bien voulu nous recevoir et accepter de débattre avec nous de sujets particuliers: le professeur P. Grabar, à l'Institut Pasteur à Paris, les Drs E. Undritz à Bale, K. DOTTRENS à Genève, W. Mosimann à Berne et Bale, Drs Pfätterli, Weber et Gutmann à Bâle, ainsi qu'à nos éminents corres- pondants, les Prof, et Drs M. Alfert, Berkeley; Z. M. BACQ0 Liège; von Euler, Stockholm; M. Florkin, Liège; Lovern, Aberdeen; Lord Rothschild, Cambridge. Il m'est infiniment agréable de manifester ici ma gratitude à diverses institutions dont le concours ou la libéralité nous furent un appui majeur: au Fonds national suisse de la Recherche, et à la commission neuchâteloise de cette fondation, sans l'aide desquelles ce travail n'aurait jamais pu s'ac- complir, et à qui nous sommes redevables de la presque totalité de nos instruments de laboratoire; à Y inspectorat cantonal de la chasse et de la pêche, M. A. Quartier, inspec- teur cantonal et ses collaborateurs toujours dévoués, Mlle M. Wuthrich, assistante, et M. R. Maumary, pisciculteur, qui ont très obligeamment mis à notre disposition les bateaux, les engins de pêche et les installations fixes de la station de la Saunerie, à Auvernier; à l'Institut de Physique de l'Université, pour le concours qui nous fut ap- porté à maintes reprises dans la construction et la mise au point de nom- breux appareils; au laboratoire suisse de Recherches horlogères et à VObservatoire cantonal, pour leur collaboration scientifique et technique; au laboratoire cantonal de bactériologie et à l'Office vétérinaire qui nous ont cédé, en prêt, plusieurs instruments d'analyse; au Laboratoire cantonal de chimie, pour ses informations inédites sur les récentes études limnologiques du lac de Neuchâtel; 42 644 . Jean-Pierre Bargetzi Hydro). au Med'vzimsch-ckemiscbes Institut de l'Université de Berne, où nous avons eu accès librement à la vaste collection d'ouvrages et de périodiques bio- chimiques qu'il détient; à VInstitut séroîhêrapiqtte et vaccinal suisse à Grafenried, qui s'est chargé d'exécuter bénévolement nos premières séries de lyophilisations. Nous savons gré à M. B. Lauener, président de la Commune de Chez- le-Bart, de son bienveillant intérêt et de son concours et remercions le Conseil d'Etat du Canton de Neuchâtel pour sa participation aux frais de publication de cette thèse. Nous ne pouvons omettre de dire tout ce que nous devons aux pêcheurs professionnels, MM. Arm frères et fils, à Chez-le-Bart, L. Widmer et R. DÉCHANEZ à Neuchâtel, qui nous rendirent l'inestimable service d'ef- fectuer pour nous des pêches de corégones et de nous autoriser à prendre place à bord de leurs embarcations, malgré l'embarras qu'étaient pour eux notre présence et celle presque aussi encombrante, d'un matériel souvent volumineux et délicat. Enfin, que les entreprises industrielles neuchâteloises et biennoises, qui eurent la générosité de participer en commun à l'achat d'un spectrophoto- mètre et de divers autres instruments destinés à équiper nos laboratoires, agréent nos sincères remerciements. Cette libéralité et l'égard qu'elles portent à notre activité nous furent d'autant plus précieux que paraît s'étendre davantage le régiment de ceux qui ne veulent voir dans la re- cherche désintéressée pour l'avancement de notre connaissance de la vie et des rapports des êtres qui l'expriment et la diversifient, qu'élucubra- tions futiles d'intellectuel en mal d'apologie. 1. Introduction et plan général Il est peu de sujets qui aient suscité autant d'âpres controverses que celui de l'apparentement systématique des corégones. Berg [14] rattache ces poissons à la famille des Salmonidae, qui comprend deux sous-familles, celle des Salmonini et celle des Coregonini, que disjoignent des carac- tères relevant de l'osteologie crânienne. A l'instar de leurs proches parents, les truites et les saumons, les corégones actuels seraient issus d'ancêtres reculés qui colonisaient les mers froides de l'hémisphère boréal, et dont les troupes anadromes remontaient les cours d'eau pour frayer en eau douce [35, 195]. Vers Ia fin de l'époque wurmienne, la lente régression des glaces aurait entraîné les migrateurs vers des bassins toujours plus éloignés de la mer et certains groupes de corégones, nés au cceur des XXII, 1900 Les Corégoncs du lac de NeucMtel 645 continents, auraient cessé d'y retourner. Ainsi s'expliquerait la présente distribution, pareille à une" mosaïque de formes disséminées dans les lacs de l'Europe subalpine, centrale et scandinave, de l'Asie sibérienne et du continent nord-américain. L'isolement géographique, s'exerçant sur une si longue période, serait la cause de l'actuelle diversité des groupes. Le problème que pose cette distribution se résume en ceci: Ordonner les formes en un système cohérent qui rende compte de leur évolution dans le temps et dans l'espace, puis assigner aux groupes contemporains une dénomination conforme au rang qu'ils occupent dans Ia hiérarchie taxonomique. L'analyse se complique singulièrement parce que des hybridations entre populations voisines ont dû se produire à diverses reprises au cours de leur histoire. Certaines hybridations ont une origine naturelle, une dévia- tion climatique par exemple; les plus récentes, par contre, sont le fait d'in- terventions humaines. Dans nos régions tout au moins, les corégones présentent un intérêt considérable en économie piscicole, et la pratique intensive de la féconda- tion artificielle et des repeuplements a faussé l'équilibre naturel des popu- lations. Leurs caractères génétiques semblent bien refléter la complexité instaurée par ces hybridations répétées, et l'on en vient à se demander si certaines formes pourront jamais être rattachées à une catégorie systéma- tique valable. C'est par centaines que se comptent les travaux consacrés à la taxonomie des corégones, mais s'ils ont mis en relief la sagacité des systématiciens, et largement contribué à faire des salmonidés un des groupes les mieux connus de l'ichtyologie, il n'ont pas, pour autant, résolu Ie dilemme taxo- nomique et les opinions les mieux fondées sont aujourd'hui encore incon- ciliables. Le travail dont nous livrons ici les résultats a été conçu dès le début comme une enquête expérimentale destinée à fournir aux systématiciens une information aussi complète que possible sur les caractères censément «spécifiques» des populations de corégones du lac de Neuchâtel et à par- achever ainsi l'étude biométrique de Dottrens et Quartier. La situation de ce laboratoire, l'insuffisance de ses installations et de ses moyens, comme aussi la nécessité d'avoir à travailler seul, imposaient des limites à cette recherche. Elle n'illustre qu'un cas particulier, celui d'un biotope donné, et toute tentative de généralisation ne saurait être, de notre part, qu'un objet de spéculations. Nous nous abstenons donc de prendre position dans Ie débat ouvert sur la phylogénie des corégones. 646 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. Que ceux qui pourraient espérer trouver dans cette étude une réponse à cette énigme se détrompent. Nous n'opterons pas pour la théorie mono- phylétique, ni pour la thèse polyphylétique, pas plus que nous n'essaierons d'élucider les positions systématiques comparées de toutes les formes de la zone subalpine. D'autres travaux, entrepris de longue date, sont dévolus à ce sujet [254]. En revanche, cette recherche fait une large place aux méthodes nouvelles capables d'élargir le domaine conceptuel de l'espèce, en proposant des caractères différentiels d'ordre physiologique et surtout biochimique. On pourra objecter qu'une telle extension va à Pencontre du but visé, puisqu'elle ajoute à l'expression déjà composite de l'espèce des éléments inusités. A vouloir la charger de trop d'informations, on risque de rendre cette définition toujours plus malaisée et confuse, au détriment de l'uni- versalité qu'elle devrait représenter. Sans doute, une formulation idéale et généralisée de la notion d'espèce impose un choix et des limites, en partie arbitraires. Mais pour être équi- librée, elle ne peut ignorer les arguments physiologiques et biochimiques, pas plus que les déterminants génétiques et les caractères embryologiques ou cellulaires. Nous inclinons à croire que les indices biochimiques ont, dans cet ordre d'idées, un rôle important à jouer, car certaines structures macromoléculaires, sinon la plupart d'entre elles, semblent détenir des informations relatives à l'espèce, sous la forme de séquences différemment ordonnées. Ces dissemblances pourraient matérialiser, à l'échelon de l'unité moléculaire, une parcelle de cette «personnalité» qu'exprime le génome d'un noyau cellulaire. Les réactions d'immunité, de précipitation spéci- fique ou d'agglutination, les incompatibilités sérologiques, celles aussi des hetérogreffes, n'ont apparemment pas d'autre signification. Cc thème sera développé dans la deuxième partie de cette publication. Bornons-nous à constater pour l'instant que ces disparités sont immédiates et constantes. Elles s'énoncent en termes qualitatifs et non quantitatifs, et ne sont en aucune façon sujettes à des fluctuations. L'enzymologie et l'immunologie ont révélé la notion capitale de la spé- cificité dans les réactions qu'assument les macromolécules biologiques au cours des phénomènes vitaux. Or, cette spécificité n'est compatible qu'avec une duplication rigoureuse de leurs structures chimiques et de leurs con- figurations spatiales. L'idée d'une filiation directe entre types macromolé- culaires semble devoir s'imposer, si bien qu'une variabilité procédant d'une origine autre qu'une mutation paraît inadmissible. Le recours aux arguments biochimiques pourrait ainsi revêtir une signi- XXII, 1900 Les Corégones du lac de Neuchâtel 647 fication singulière. I7IX)RKiKCt Brächet, pour ne citer que quelques pré- curseurs, ont institué une taxonomie biochimique. Nul doute qu'elle soit féconde et qu'elle ouvre à la systématique des horizons inconnus. Le pré- sent travail ne va pas aussi loin, car l'analyse des structures macromolé- culaires dépassait largement nos possibilités. Seul restait le recours à des voies indirectes, à des prospections partielles. L'application de telles tech- niques au cas des corégones offre un autre intérêt. Les deux formes, qu'hé- berge le lac de Neuchâtel sont si étroitement apparentées, et les dissem- blances qu'elles présentent si réduites, qu'on a pu souvent les confondre. Il semblait donc judicieux d'éprouver les méthodes sur un matériel biolo- gique qui soit à la limite de la spécification. Leur aptitude à déceler, entre ces formes alliées, des divergences structurales ou physiologiques véritable- ment significatives, devient alors une mesure de leur efficacité, de leur pouvoir de «résolution». De telles qualités imposent une condition préa- lable: les techniques doivent être conduites avec le souci permanent de la plus grande exactitude. Nous n'avons rien négligé pour l'obtenir. Ces suggestions ne sont nullement limitatives. Elles ne tendent pas à déprécier la taxonomie traditionnelle, qui fonde ses jugements sur des ar- guments plus apparents, morphologiques et an atomiques, et sur l'écologie. Dans une première partie, ils sont passés en revue et complétés par des examens ostéologiques et hématologiques comparés. La cytogénétique et ses incidences sur le problème de l'évolution des salmonidés, les essais d'hybridation expérimentale, puis Ia description de quelques aspects em- bryologiques terminent cette première partie. La deuxième partie est ex- clusivement dévolue aux résultats des analyses biochimiques. Le rythme si rapide de l'évolution méthodologique en biochimie déprécie certaine- ment l'intérêt des recherches que nous avons effectuées il y a quelques années déjà. Relatées dans cette thèse, elles ont quelque peu perdu de leur actualité. Nous nous en excusons, et nous indiquerons brièvement les re- touches qu'il conviendrait d'apporter à de semblables démonstrations, et les voies dans lesquelles nous orienterions aujourd'hui ces essais si nous avions à les compléter. Dans l'expérimentation biologique et biochimique des corégones, il est une servitude à laquelle on n'échappe pas et qui en limite considérablement le champ d'application. C'est l'extrême fragilité de ces poissons, où la vie semble extérioriser un équilibre labile qui contraste étonnamment avec la vivacité de leur comportement à certaines époques de l'année, à l'occasion notamment de leurs longues pérégrinations estivales à la recherche du plancton. Les quantités de corégones péchés chaque année dans le lac de 648 Jean-Pierre Bargetzi Hydro!. Neuchâtel sont enormes, mais la grande majorité des individus captures sont morts ou moribonds à !'emersion des filets, sauf lors des pèches de palées dîtes «pêches aux grands filets» où les engins sont relevés sitôt mis en place, et au moment des prises en eau très froide sur les frayères, quand l'activité métabolique est intense. Pourtant dans les conditions les plus favorables, et lorsque l'animal est immédiatement transféré en cuve à eau courante, la survie demeure brève, quelques minutes en été, quelques heures, parfois quelques jours, pendant la saison froide. Toutes nos ten- tatives destinées à prolonger ce délai ont abouti à un échec: aération ou oxygénation directe des bacs, abaissement de la température de l'eau, ponctions de gaz vésiculaire afin d'équilibrer les pressions, rien ne réussit. La survie la plus longue que nous ayons constatée fut de huit jours pour une palée de cinq ans, mais il s'agit là encore d'une exception. Une autre voie théoriquement réalisable réside dans l'élevage à partir de l'œuf. Outre qu'elle est longue et dispendieuse par les installations qu'elle exige, elle a le défaut d'être astreignante par les quantités énormes de nourriture planctonique vivante qu'elle réclame. Il faut compter aussi avec les risques d'insuccès, et les déchets sont toujours importants. Nos essais l'ont prouvé- su ffisammen t. Par souci de commodité, nous désignons généralement les formes de coré- gones dans leurs dénominations vcrnaculaircs. Sans être toujours l'expres- sion authentique de cette réalité que nous nous efforçons de cerner, elles ont l'avantage de la fixité, alors que les désignations bi, tri ou tétrano- mînales des publications scientifiques offrent l'image d'une déplorable confusion. Nous écrirons donc «palée de bord», «palée de fond» et «bon- delle»pour lescorégonesdu lac de Neuchâtel,« Gangfisch»,«Blaufelchen», «Sandfelchen» et «Kilch» pour les formes du lac de Constance, regar- dées par W AGLER comme les normes des corégones actuels de la région subalpine. Le terme de palée, sans apposition, s'applique uniquement à Ia forme «palée de bord». 2. Aperçu historique Le lac de Neuchâtel est un lac à corégones. Autant qu'on en puisse juger, ces poissons excèdent en nombre tous les autres, à l'exception des espèces de petite taille. Parmi les corégones, on reconnaît aujourd'hui deux formes, abstraction faite des «palées de fond» que rien ne distinge explicitement de l'ensemble des palées, si ce n'est une tendance à frayer un peu plus tardivement. La grande forme est une «palée» qui fraie ordinairement XXII, I960 Les Corégones du lac de Neuchâtel 649 dans la seconde moitié de'novembre. La petite est appelée «bondelle»; elle fraie entre mi-janvier et le début février. DOTTRENS [55, 52] s'inspi- rant des conclusions de WAGLtR [240] désigne l'une et l'autre comme «bonnes espèces», et leur attribue les appellations proposées par ce der- nier auteur: bondelle (= Gangfisch): Coregonus macropbtbalmus Nussl. palée (—Sandfelchen) : Core'garnis fera Jur. Nous nous tenons à cette nomenclature et adoptons provisoirement ce statut d'espèce, mais en soulignant aussitôt qu'en parallèle à cette classi- fication, un autre ichtyologiste suisse, Steinmann [194] a proposé vers la même époque une systématique très différente : dérivés d'un ancêtre pri- mitif hypothétique se rattachant au type Coregonus lavaretus L., les corégones subalpins sont subdivisés par régions géographiques en races locales ou natio \ chaque natio possède, en outre, des types biologiques ou écotypes dis- tincts, mais souvent homologues d'une aire géographique à l'autre. Dans cette nomenclature: bondelle Coregonm lavaretus L., natio jurassica, ecot. nanus; palée: Coregonus lavaretus L., natio jurassica, ccot. primi genius. 'La palée, par son appartenance à l'écotype le plus primitif, serait l'an- cêtre direct des bondelles, comme la fera du Léman, celui des gravenches. « Die Gravcnche erweist sich in ihrer ursprünglichen Form als eine kleine Fera und dürfte sich ähnlich verhalten wie die Bondelle des Neuenburger- sees, die wir als eine verzwergte Palée auffassen können.» De nos jours, les pêcheurs professionnels reconnaissent aisément les deux formes j les plus experts d'en tre eux les, désignent sans hésiter, et semble-t-Ü, sans commettre d'erreur. On constate, à les interroger individuellement, que leur avis résume confusément une somme de notions où sont assortis des éléments morphologiques et aussi des indications plus subtiles, rela- tives aux lieux de capture, à l'orientation des filets, aux qualités de l'eau ou aux itinéraires de migrations. Pour une large part internent dans ces estimations cet ensemble indéfinissable de traits, de nuances de coloration et de rapports de formes et de volumes qui ressortissent à la physionomie. Il est possible qu'à certaines époques les pêcheurs aient confondu les deux formes, en regardant les bondelles comme déjeunes palées. A l'en croire, FATiO en aurait révélé la dualité aux pêcheurs ncuchâtelois, vers la fin du siècle dernier. Pourtant, dans un manuscrit beaucoup plus ancien portant la date de 1811, Pekrot JacQUET-Droz relate une enquête qu'il fit dans tous les ports de pêche du lac et y cite très correctement les bondelles, les 650 Jean-Pierre Bärget si H vd roi. palées de bord (ou de pierre) et les palées de fond, qu'il désigne déjà par ces dénominations, et qu'il décrit en se servant de caractères différentiels encore en vigueur de nos jours. En 1876, au cours d'une séance de la Société neuchâteloise des Sciences naturelles, Desor exprime le vœu de voir élucider la question de l'iden- tité ou de la non-identité de la bondelle et de la palée. «Si Ia bondelle est réellement une jeune palée, pourquoi y a-t-il une différence dans le temps du frai de ces deux poissons, tandis que le Gangfisch du lac de Constance, considéré comme une jeune palée, fraie à la même époque que cette der- nière? M. le président (L. Coulon) fait une distinction bien tranchée entre ces deux poissons, tandis que M. de Rougemont, s'appuyant sur l'opinion de M. de SrEBOLD, les regarde comme appartenant à une seule et même espèce.» On le voit, le problème était déjà formulé il y a plus d'un siècle! Von Siebold (1863) n'avait effectivement dénombré, parmi les corégoncs d'Lurope centrale et subalpine, que les trois espèces C. wartmaum Bloch (Blaufelchen), C. fera ]ur. (Sandfclchcn, palée) et C.hiemalis Jur. (Kilch), réunissant implicitement palée et bondelle. C'est en 1882 que NUSSUTs' proposa de relever la petite forme au rang d'espèce autonome; il ajouta donc deux espèces nouvelles. C. macrophthalmmNüssl. (Gangfisch, bondelle) et C. sulzeri Nüssl. (Albeli) à celles que von Siebold avait déjà catalo- guées. Deux ans plus tard, Klunzinger va susciter la première confusion en désignant, à son tour, le Gangfisch par C. cxiguus Klunz.; cette déno- mination est, par conséquent, en synonyme avec C. macrophthalmm Nüssl. Fatio [63], ignorant de propos délibéré les acquisitions antérieures, com- mence par rassembler tous les corégones en deux espèces qu'il nomme C. dispersus Fatio et C. balletti Fatio, auxquelles il adjoint deux «espèces composites», C. smdteri Fatio et C. biemalis ]ur. Il démembre ensuite C. dis- persus et C. balleus en groupes, puis chaque groupe en sous-espèces, et celles- ci en variétés et « bâtards ». Nous renvoyons le lecteur à la monographie de Steinmann [194] pour les détails de cette classification. Dans une note parue en 1890, Fatio élève ses unités d'un échelon dans la hiérarchie sys- tématique; les groupes prennent le rang d'espèces et les espèces primitives celui de types-y après avoir supprimé Pun des précédents groupes, promu espèce, il propose finalement la répartition suivante (que nous complétons en fixant les priorités): Fatio: priorités: C. suidteri Fatio C. sitidteri Fatio XXII, 1900 Les Corégones du lac de Ncuchâtcl 651 C. wartmannì Bloch 1V''* C. wartmanm Bloch C. amiectus Fatio C. amiectus Fatio C. crassirostris Fatio C. macropbtbalmus Niissl. (= C. exigtws Klunz.) C. biemalisjuv. C. biema!is]ur. C. asperi Fatio C. sulzeri Niissl. C. scbhizii Fatio C. /en? Jur. C. aertmius Rapp. C. œcrottius Rapp. La représentation que Fatio s'est faite du problème systématique des corégones annonce deux tendances qu'il s'est efforcé de coordonner, l'une optant pour une pluralité d'espèces indépendantes, l'autre visant à assimi- ler ces unités à l'un des courants évolutifs qu'illustrent les deux types dis- persus et balieus. Cependant, la complexité de son système, la multiplication des subdivisions et des appellations ont aussi concouru à propager les méprises. Beaucoup plus tard, WaGLER [240] préconise un dispositif taxonomique simple, à quatre entrées, correspondant aux Blaufelchcn, Gangfisch, Sand- felchen et Kilch, avec un statut d'espèce pour chacune de ces formes, res- pectivement C. wartmanm Bloch, C. exigttus Klunz. (= C. ma er ophtha!mus Niissl.), C. fera Jur. et C. acromus Rapp. Le problème des corégones sem- blait résolu, au moins temporairement, quand les premières publications de Steinmann vinrent tout remettre en question. La maîtrise de cet auteur appelle sur son œuvre plus que de la curiosité, même si les conclu- sions de son exhaustive monographie [194] paraissent quelque peu dé- concertantes. Suivant en cela l'exemple de Fatto, il fait table rase des idées reçues et des dénominations antécédentes. D'après lui, le découpage des formes actuelles doit extérioriser la variabilité d'une espèce souche commune, C. lavantus L. Far l'action conjointe d'un fond de préadaptation génoty- pique et de la sélection, cette espèce polytypique se serait fragmentée dans chaque bassin lacustre en deux à cinq unités écologiques, ouécotypes. Entre ces différents biotopes, Ia même transformation évolutive opéra synchro- niquement sur des précurseurs au moins potentiellement dissemblables, et aurait induit des populations homologues au point de vue écologique, mais morphologiquement différenciées par suite de l'isolement géogra- phique. Chaque population, ou « natio», doit donc être qualifiée par deux attributs, l'un se rapportant à l'écotype, et l'autre à l'aire géographique considérée. Steinmann fait ainsi du Wcissfelchcn du lac de Constance la forme la plus représentative de son type primigenius, celle qui se rapproche- 652 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. rait idéalement du coregone originel, hauteur russe Berg [14] avait d'ail- leurs adopté un principe analogue dans sa classification en scindant, pour les corégones d'Europe centrale, l'unique espèce C. lavaretus L. en sous- espèces et natio. A l'époque où Steinmann énonce son système, DOTTRENS [53], à la faveur d'une nouvelle étude morphometrique des branchicténies du Weiss- fclchen, démontre que Ic groupe sur lequel Stetnmann étaie son hypo- thèse est en réalité hétérogène. La courbe de distribution du caractère est Hr bimodale, et le groupe comporte, en plus de Weissfelchcn authentiques, un lot de Gangfische. Pour l'auteur genevois, le Weissfelchen ne diti ère pas du Sandfelchen de l'Obersee, par l'indice des branchicténies tout au moins, et cette constatation met en doute l'authenticité d'un écotype primi genius. DOTTRENS maintient, au Lnoins provisoirement, une taxonomie fondée sur les principes de Wagler. Au terme de ce bref exposé rétrospectif, on retiendra que la marche des idées a progressé au cours des cinquante dernières années en deux direc- tions apparemment contradictoires : l'une admet que l'évolution intervenue depuis la fin de la dernière glaciation serait du type monophylétique, alors que l'autre stipule une genèse polyphylétique. Aucune des deux tendances ne semble aujourd'hui prévaloir; le problème reste donc ouvert. Il est d'ailleurs d'une portée plus générale, car il dépasse le dilemme restreint des corégones. Sa résolution, s'il en est une, devrait avoir des incidences sur le concept même de l'espèce, et la valeur conférée aux divers arguments dont il est supposé traduire l'intégration harmonieuse revêt une impor- tance singulière. 3. Le biotope Le lac de Neuchâtel est situé en bordure du Jura, au pied des contreforts de son versant méridional. Il a la forme d'un rectangle allongé, dirigé SW-Nlì, et voici ses coordonnées géographiques et ses particularités Hm- nologiques: coordonnées du centre de surface: 46°55' lat. N, 6°50' E Greenwich. altitude du niveau moyen [163] : 429,29 m, surface A 217,2 km2, longueur max. / 37,7 km, largeur max. hmax 8,1 km, largeur moyenne h = A\\ 5,7 km, XXIl, 1960 Les Corógones du lac de Ncuchâtcl 653 profondeur max. %max 153 m, profondeur moyenne z = V\A 65,4 m, périmètre h 89 km, volume V= f Aj-z 14,2 km3. Figure 1 Le relief submerge est caractérisé par la présence d'un monticule situé vers le milieu du lac, et dont le sommet n'est recouvert que par quelques mètres d'eau. Oe chaque côté du mont, une vallée court parallèlement au grand axe du lac. Le sillon septentrional est le plus profondément creusé, et son niveau s'abaisse jusqu'à 153 m de la surface des eaux. La rive nord est assez abrupte; le littoral y forme une courte beine peu avancée, cail- louteuse ou graveleuse, frayere de prédilection des palées. Au sud, par contre, la déclivité est moindre, et des roselières étendues investissent le rivage. La genèse de ce lac est encore mal connue. Apparu lors du retrait des glaciers alpins, ou relique d'un vaste bassin préglaciaire couvrant le plateau suisse sur une distance de plus de 100 km, et englobant les lacs actuels de 654 Jean-Pierre Bargelli Hvdrol. Morat, Neuchâtcl et Bienne, il fut de toute évidence recouvert par Fune des branches septentrionales des glaciers de l'Aar. Il se distingue néan- moins de la plupart des autres lacs glaciaires du réseau hydrographique rhénan par son orientation inhabituelle, et par l'absence d'affluents fluviaux directs issus du massif alpin. Son bassin d'alimentation est, par conséquent, assez restreint, composé uniquement d'un système local de cours d'eau de faible extension. En surface, la température de l'eau fluctue durant l'année entre 4 et 250C environ, autour d'une moyenne égale à 11,70C. Aux profondeurs dépassant 100 m, l'eau demeure à une température assez constante de 4,6 ±0,5° C ¦ Au cours de l'été, le réchauffement des couches de surface les amène à se stratifier en ordre de densité. C'est une disposition stable et les deux couches superposées, isolées par In zone de saut thermique, deviennent plus ou moins autonomes. A moins de tempêtes violentes et prolongées qui altèrent cette sériation, l'épihmnion réagit seul'aux contraintes phy- siques de l'atmosphère. L'axe du lac coïncide justement avec celui des vents dominants, et cette disposition ne va pas sans provoquer de fré- quentes perturbations dans l'équilibre des eaux et sans répercussions sur la faune. La révolution des courants horizontaux causés par une élévation d'eau sous le vent et un flux de retour dans les couches inférieures de l'épilim- nion, ou encore par d'inégales distributions de pression barométrique, intéresse souvent des zones limitées du lac, mais peut parfois se propager à toute l'étendue des eaux et se prolonger longtemps au lendemain d'une bourrasque. Le renouvellement de l'oxygène des nappes abyssales dépend donc, pour beaucoup, des conditions météorologiques locales et momen- tanées. Ixs autres déplacements sont sans influence notable sur les condi- tions de la vie animale. Les seiches, courtes oscillations périodiques de toute la masse d'eau, sont de très faible amplitude et le courant d'écoule- ment du lac est si lent qu'il est pratiquement négligeable: l'eau séjourne dans le lac pendant huit ans en moyenne. Jusqu'au milieu du siècle dernier, le régime du lac était assurément dimîc- tique, car la surface gelait fréquemment, et six ou sept fois par siècle en entier, durant plusieurs semaines. On verra quelles ont pu être les consé- quences de ces inversions de stratification sur les populations de corégones. Au point de vue biologique, ce lac est encore oligotrophe en pleine eau et dans les grandes dépressions. Il devient toutefois de plus en plus eu- trophe dans les zones littorales, et le dépôt des détritus organiques en XX]I1IOOO Les Corégoiiûs dit Jac de Ncuchfitcl 655 putréfaction y augmente sans cesse. Il s'agit là d'un phénomène récent, dont les biologistes ont pu mesurer la progression au'Cours des quinze dernières années, depuis que le lac, dépotoir des cités riveraines et exutoire de tous les rebuts des activités humaines, ne parvient plus à les dégrader au rythme de leur accumulation. Ce lac, assez pauvre en phytoplancton, fut toujours d'une incomparable richesse par la variété de sa microfaune. Robert [166] en a effectué un recensement qui, en dépit de quelques erreurs inhérentes à des défauts techniques, restitue néanmoins une image assez vraisemblable de la répar- tition horizontale et verticale des principales espèces et de leurs fluctua- tions saisonnières. Le mémoire de Robert récapitule des dénombrements effectués chaque mois durant les années 1919 et 1920, en plusieurs endroits du lac, et par tranches successives de 10 m d'eau; ces résultats sont aug- mentés de ceux de Fuhrmann se rapportant à des pêches exécutées entre 1898 et 1917.N0US y avons incorporé les estimations annoncées par le Ser- vice de la pêche pour les années 1944-1955. La compilation d'une centaine de tables et de diagrammes des ouvrages originaux est une tâche fastidieuse. Aussi nous hasardons-nous à les rassembler en un tableau synoptique, con- densé au prix de quelques simplifications dans la chronologie ou les varia- tions numériques éphémères de certaines espèces au cours d'une saison, et sans tenir compte non plus des déplacements verticaux journaliers ou des inégalités dues aux entraînements par les courants. Grâce à un sym- bolisme conventionnel, où chaque signe illustre un nombre fixe de cor- puscules planctoniques, cette figuration donne une idée de la densité com- parée des peuplements et de leur étagement diurne, en hiver et en été. Les espèces qui y sont représentées sont numériquement les plus impor- tantes du zooplancton; ce sont celles aussi dont les corégones se nour- rissent ordinairement. La dimension des symboles est très approximative- ment proportionnelle à la taille des individus adultes, tandis que les mi- grations verticales périodiques qu'effectuent certaines espèces au cours d'une saison sont exprimées par des flèches pointillées. C'est un récent travail de Quartier [165] qui sert de référence aux évaluations quantita- tives, rapportées à une même colonne d'eau, des principaux cladocères, Dapbnia, Leptodora et Bytbotrepbes. Quartier a démontré, en effet, que son prédécesseur Robert avait minimisé les peuplements de cladocères en utilisant des filets à mailles trop fines, d'où les meilleurs nageurs parve- naient à s'échapper. Cette même note confirme l'existence de cycles an- nuels à deux maximums pour les-cladocères, et situe en mars le minimum absolu. Ce phénomène est assez général pour toute la faune planctonique 656 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. et Ic phytoplancton; le maximum principal se produit en mai ou juin, peu après l'instauration de la stratification thermique, le second maximum, moins accentué, se place en septembre-octobre, sauf pour Dapbtiia, où il est reporté à décembre. Le premier maximum coïncide surtout avec l'éclo- sion du plancton végétal, des rotateurs et des nauplii de crustacés. Le '!0. 130. ItD. un I I I I I I 1___I___I___I-----------------1-----1-----1-----1-----1----- Figure 2 Répartition estivale du plancton animal. Ktagcment vertical moyen; chaque symbole représente un nombre determinò d'individus, constant d'une espèce à l'autre; sa dimension est proportionnelle à la taille. second est surtout la conséquence d'une multiplication accrue des clado- cercs et des copépodes. Quartier estime à 3,5 ml par mètre cube Ia den- sité du plancton (animal et végétal) lors du maximum du cycle annuel de prolifération, dans la couche comprise entre 5 et 1.0 m; il est, par contre, quasi inexistant lors du minimum. De l'ensemble des résultats de Robert émane une autre conclusion, que confirment les pêches effectuées en di- verses occasions par notre laboratoire: dans l'ensemble, la répartition ho- rizontale du plancton est assez uniforme dans tout le lac, à l'exception de quelques zones marginales abritées. Les diverses espèces animales s'en- XXII, 1960 Les Corégones du lac de Neuchàtel 657 tremêlent dans les eaux de même niveau; seuls certains crustacés, Lepto- dora, Bytbotrepbes et Dapbrtia constituent parfois des essaims sporadiques dans Pépilimnion ou le m.étalimnion. Nous renvoyons à la description de Wuthrich [252] pour les nauplii des Diaptomm. Signalons encore que la faune de fond, étudiée par MONARD [138] reste très prolifique et corn- I ! 1 I 1 f 1 r 5 I ! I ! i s e 2 £ Î ! i 1 s ! I li a ! î i ï I ! I 3 ¦.;':: '0. ', - n f \ 10 •_• ';' -, < *0. ,' * ¦ ta. :'i ¦'. '. ¦ • '0I ;.;• , • I». • ID. • 100. ¦ 110. / 1». •'• 1J0. IW. IW. J Figure 3 Répartition hivernale du plancton animal. posite. Parmi les groupes les plus ubiquistes figurent, outre les espèces eurybathes mentionnées dans notre tableau, des ostracodes (Cypria et.Cati- dona), des copépodes benthiques {Cyclops fimbriattts), et des limicoles, chi- ronomides (Tanytanus et Orthocladms\ Tubifex, turbellaires et mollusques (Pisidtumfordï). Cette faune abyssale doit d'après Steinmann, fournir une subsistance d'appoint aux corégones de fond pendant les saisons déficientes en plancton pélagique. L'exploitation halieutique a certainement une influence considérable sur l'évolution des populations lacustres/celles des salmonidés en particulier. Leurs effectifs, Fâge moyen des individus, sont dans une large mesure con- 658 Jean-Pierre Bargetzì Hvdrol. ditionnés par l'intervention humaine. Entre ces populations diverses, ré- unies dans un même biotope, s'établit un équilibre apparent, en partie arti- ficiel. En grande majorité, les corégones qui colonisent le lac ne dépassent pas six à sept ans, alors que la longévité moyenne de ces mêmes espèces doit atteindre ou dépasser dix ans. Bon an mal an, les pêches retirent du lac près de 50000 kg de palées, et 120000 kg de bondelles. En 1957 et 1958,1e rendement de la pêche a doublé, livrant près de 400000 kg de coré- gones, si bien que le nombre des individus capturés annuellement excède deux millions. Une pisciculture intensive parvient, semble-t-il, à main- tenir dans ses limites antérieures les populations de palées. Elle est mal- heureusement impraticable pour les bondelles, qui fraient à de trop grandes profondeurs pour qu'on parvienne encore à les en retirer sans les vider de leurs produits génitaux. Première partie TAXONOMIE CLASSIQUE 4. Isolement et spéciation 4.1 IJ'isolement géographique Depuis les temps reculés où les corégones se sont fixés dans presque tous les lacs d'origine glaciaire, les générations s'y sont relayées et progressive- ment différenciées jusqu'aux formes que nous connaissons aujourd'hui. Leur survivance et leur diversification entre bassins hydrographiques sup- posent la perte de la rhéophilie primitive et de l'atavisme anadrome. De- puis longtemps sans doute, les corégones subalpins ne doivent plus migrer hors des lacs, et les cours d'eau qui joignent les divers étages d'un réseau hydrologique constituent, de toute évidence, un obstacle infranchissable pour eux.-L'isolement géographique est donc strict, et les groupes régio- naux n'ont pu se rencontrer ou se mêler, sauf par la pratique récente de l'acclimatation et du repeuplement. La diversité des formes que l'on constate actuellement entre corégones de régions géographiques même voisines atteste des effets, parfois décon- certants, de cet isolement territorial. Ces formes polytypiques à l'extrême, espèces authentiques ou sous-espèces, selon qu'on opte pour l'une ou l'autre hypothèse, posent le problème des causes de Ia variabilité. Nous allons tenter de dégager, sur l'exemple des corégones du lac de Neuchâtel, XXII1 19GO Les Coregones du lac de Neuchâtel 659 les misons de cette instabilité et de préciser, dans là mesure du possible, les parts respectives des déterminismes génotypique et phénotypique. Le choix de ce biotope nous paraissait favorable, car de l'avis des ichtyolo- gistes les mieux informés [164], le lac de Neuchâtel est l'un des très rares en Suisse où aucun coregone allodi tone n'ait jamais été introduit [55]. Cette ségrégation géographique et le confinement dans des aires nom- breuses et restreintes est-elle intervenue avant ou après la diversification génotypique des coregones ? En commentant les résultats de ses examens cytologiques, SvARDSON a été conduit à suspecter que des formes génétiquement différenciées ont dû se rencontrer jadis, à une époque incertaine, et donner naissance à une descendance hybride. Les théories polyphylétiques plaident en faveur d'une ségrégation simultanée d'espèces préalablement émancipées, et même Stkinmann, partisan du monophylétisme, n'infirme pas l'idée d'une ascendance déjà composite, génétiquement, des coregones actuels. Si, à certaines saisons au moins, les palées se rassemblent en bancs et se déplacent en compagnie à la quête des nappes de plancton, il est d'autres périodes où elles rôdent en ordre dispersé; les bondelles ne s'attroupent généralement pas, et nos propres observations sur le comportement des populations de .coregones nous ont convaincu qu'elles doivent occuper virtuellement tout l'espace des eaux. Les deux populations se déploient dans le même espace lacustre; elles sont parfaitement sympatriques, au sens que Mayr [134] attribue à ce vocable, et les voies de Ia spéciation doivent être examinées en fonction de ce cadre biologique particulier. 4.2 Jm ségrégation écologique L'argument le plus convaincant en faveur d'un statut d'espèce pour nos deux formes de coregones réside incontestablement dans leur isolement sexuel et des différences d'ordre écologique. C'est pourquoi nous ne sau- rions éluder l'examen d'un tel sujet, si éloigné fût-il de nos perspectives biochimiques. Les très nombreuses pêches auxquelles nous avons pris part - plus de cent cinquante - nous permirent un grand nombre d'observations, complétées parles indices recueillis au cours des propos échangés par les pêcheurs dans l'émulation du travail commun. L'isolement sexuel des palées et des bondelles est effectif, aussi bien dans le temps que dans l'espace. Les palées, dites «de bord» fraient au début de l'hiver, dès mi-novembre [164]. Le début et la durée de la fraie varient quelque peu suivant les conditions climatiques saisonnières et les fluctuations météorologiques locales. Un sensible refroidissement de l'eau 43 660 Jean-Pierre Bargetzi Hvdrol. de surface, un lac agité, une eau fortement aèree stimulent les reproduc- teurs qui se rassemblent en grand nombre sur les frayères; la fraie est alors un peu avancée par rapport à la date moyenne annuelle qui se situe aux environs du 29 novembre. Elle dure généralement trois semaines, par- fois quatre. La période paraît dans Pcnsemble un peu plus courte pour les femelles que pour les mâles, car les mâles sont proportionnellement plus nombreux au début et à la fin de la fraie, et bien que le sex-ratio soit nor- mal en dehors des périodes de reproduction, c'est en majorité des mâles qu'on capture sur les frayères. La remarque vaut aussi pour les bondelles et pourrait s'expliquer par une maturation précoce des gonades chez cer- tains mâles. Tl se peut aussi que les mâles restent plus longtemps groupés sur les frayères que ne le sont les femelles. La fraie des bondelles est plus tardive. Elle débute peu avant mi-janvier et se prolongedurant une trentaine de jours, pour s'achever subitement, en l'intervalle d'un jour ou deux, par une dispersion générale des attroupe- ments de reproducteurs. lin rapport avec les lieux de fraie, on remarquera que les palées se ré- unissent un peu partout sur la beine, où elles choisissent de préférence les endroits sablonneux semés de galets. Au début de la saison, elles re- montent vers le littoral et fraient très près des rives, rarement en rivière. lìlles déposent les œufs sous quelques décimètres à trois mètres d'eau seulement, puis à mesure que la saison s'avance, leur zone d'activité se déplace vers le large, et la profondeur s'accroît peu à peu, jusqu'à dix m environ pour les palées de bord. Les emplacements de fraie des bondelles semblent aussi s'étaler sur une aire assez étendue, au fond des dépressions et des vallées submergées. Elle se situe entre 70 et 140 m de profondeur. Les modalités de ces fraies pourraient faire supposer une ségrégation presque parfaite, si n'intervenait pas une population intermédiaire, celle des palées de fond. Elles méritent, certes, l'appellation de palées, puis- qu'elles sont morphologiquement indiscernables des palées de bord. Elles ne s'en distinguent que par les seuls caractères relatifs à la reproduction. Leur période de ponte se place entre celle des autres formes, en décembre, et leurs frayères prolongent en direction du fond celles des palées de bord, entre 10 et 60 m, partout où un talus assez abrupt n'isole pas les territoires. On a mis en doute l'existence objective de cette troisième forme; il se pourrait qu'elle ne soit composée que de palées à maturation quelque peu retardée. Bornons-nous à constater que l'existence de discontinuités bien tran- chées entre palées et bondelles ne peut être démontrée en toute rigueur XXH, I960 I.cs Condones (Ui lac; (lu Neucliâtel 66] et que l'éventualité d'une hybridation naturelle ne peut être absolument écartée. Nous inclinons pourtant à croire efficace, dans l'ensemble, cette ségrégation écologique. A cela nous alléguons deux raisons: l'une émane du fait que la grande majorité des effectifs de palées fraie avant le io dé- cembre sur le bord, et cette proportion ne s'est pas sensiblement modifiée au cours des ans; l'autre réside dans l'apparente permanence des types de corégones depuis 150 ans au moins, puisque la description de Perrot JaQUET-DrOZ [150] semble accréditer cette assertion en démontrant la conservation des mêmes caractères, des mêmes habitudes et à peu de choses près, des mêmes périodes de fraie. Tout au plus, celles-ci paraissent- elles se détacher mieux qu'autrefois, puisque la palée de bord devait frayer depuis le début de décembre seulement, et la bondelle en janvier déjà. Ajoutons que cet isolement sexuel, pour imparfait qu'il soit, n'est en au- cune manière conditionné par un obstacle anatomique, ni par des barrières territoriales infranchissables. C'est une ségrégation d'ordre physiologique; elle tient pour l'essentiel à des inégalités de maturation des gonades au cours des cycles annuels, et aussi, croyons-nous, à des facteurs éthologiqucs. 4.3 Lei critères éthohgiqueî Les corégones ont probablement hérité de leurs ancêtres marins des habitudes grégaires et migratrices, aujourd'hui encore vivaces, niais à des degrés différents suivant les groupes. Une spécialisation un peu diffé- rente pour la nourriture et peut-être une accommodation préférentielle aux plus faibles pressions hydrostatiques expliquent en partie les diver- gences éthologiques. Les palées ont un régime quasi monophagique et plus strictement in- féodé à quelques espèces planctoniques (Bytbotrephes, l^eptodora^ Diaptomus, Daphtiia) que les bondelles. Une exception cependant: chaque année,-en période de déficience planctonique, les palées font une énorme consomma- tion de larves de diptères, mais durant quelques jours seulement. A l'ou- verture de la cavité abdominale, l'estomac des poissons apparaît coloré en brun foncé, presque noir. Il s'agit de larves de Chironomidae - on sait qu'elles possèdent un «sang» riche en hémoglobine dissoute - et à cette saison, ces larves doivent vraisemblablement abandonner en grand nombre leurs tubes et leurs galeries des limons abyssaux pour remonter, de nuit surtout, à proximité de la surface. Les bondelles ont, elles aussi, une alimentation où prédomine le zoo- plancton. Steinmann [192] a toutefois fait remarquer que les corégones du type Bodenfelchcn sont tous plus ou moins polyphages et qu'au cours 662 Jeaii-I'ierrc Bargetzì Hydrol. du printemps, des oligochetes, des larves d'insectes et de petits mol- lusques seraient des proies fréquemment ingérées et feraient même, pour certaines populations, la base de leur alimentation ordinaire. Nous n'avons pratiqué que peu d'examens de contenus stomacaux, mais à l'égal de ceux qui furent exécutés en plus grand nombre au laboratoire du Service can- tonal de la pêche, ils n'ont jamais révélé la présence de semblables espèces (sauf quelques ostracodes benthiques) aussi longtemps que la faune plane- tonique lacustre n'était pas evanescente. Par contre, dès la fin de l'hiver, on y décelait régulièrement des Tubifex. Groupées pour la plupart durant toute la saison d'intense animation tro- phique, de janvier à juillet, les palées commencent à se disséminer vers la fin de l'été et à redescendre vers des couches un peu plus profondes, avant que la fraie les ramène vers les côtes. Toutefois, elles ne quittent jamais les zones supérieures et durant toute l'année s'étagent entre 5 et 40 m de profondeur environ, à l'exception de quelques individus qu'on pêche parfois vers de plus grands fonds. A de très rares occasions - les pêcheurs du lac prétendent.ne l'avoir observé que deux fois en trente ans - les palées remontent jusqu'à la surface, par troupes nombreuses, pour chasser en s'ébattant bruyamment dans les vagues. Il semble que ces as- censions massives aient coïncidé avec une brusque chute de pression baro- métrique, annonciatrice d'un orage de début d'été. Nous n'avons pu mal- heureusement obtenir aucun renseignement sur la nature de la faune plane- tonique de surface en Foccurence. Les palées doivent cesser de s'alimenter un mois environ avant la fraie, et durant cette phase d'intense activité physiologique, elles consument leurs réserves adipeuses, car la fraie passée, on ne retrouve plus ces accumulations de matières grasses abondantes deux mois seulement auparavant. Il est assez singulier de constater que cette anorexie n'est pas la conséquence d'un appauvrissement du lac en cladocères et copépodes, encore densément répartis à cette saison. Elle paraît traduire plutôt la survivance d'une habitude ancestrale que les sal- monidés anadromes actuels, proches alliés des corégones, ont manifeste- ment retenue. Moins exigeantes dans le choix de leur nourriture, les bondelles le sont aussi dans celui de leur entourage immédiat. On les trouve à tous les niveaux, sur les fonds élevés aussi bien qu'aux extrêmes dépressions, et scmble-t-il, partout disséminées, et assez uniformément. Leur nombre est tel qu'un pêcheur peut tendre ses filets tous les jours exactement au même endroit durant une bonne partie de l'année, sans jamais avoir l'impression de dé- peupler localement la tribu. Dès le début de l'hiver, les bondelles désertent XXII, 19G0 J-cs Corégoncs du lac de Ncnchâtcl 663 peu à peu les couches supérieures du lac et une fois la fraie passée, elles se dispersent en remontant probablement vers le niveau moyen des eaux. Elles semblent d'ailleurs passer par un stade de relative stabulation en mars et ne retrouver leur pleine activitéqu'avec la régénération du plancton. On ignore à peu près tout de leur comportement collectif. Qu'il suffise de dire que la tendance grégaire et les habitudes erratiques paraissent chez elles beaucoup plus effacées que chez les palées. Ces quelques commentaires attestent de l'importance des facteurs éco- logiques, et peut-être éthologiques, dans l'isolement des deux formes. Les palées, poissons de surface, extériorisent des instincts nomades et gré- gaires plus accusés que les bondelles. Celles-ci, plutôt benthiques et moins vagabondes, témoigneraient, selon Quartier [164] d'une propension centripète, tandis que les palées seraient centrifuges. Une dernière remarque concerne les idées de Steinmann [192] sur l'apparition des essaims (Sippenschwà'rmc), troupes de corégones consan- guins, nés le même jour aux mêmes lieux, de quelques couples parentaux seulement, et qui manifesteraient des alliances d'ordre sociologique. Ces groupes grégaires d'individus très semblables maintiendraient longtemps leur autonomie, et reviendraient frayer ensemble sur le même emplacement. Les populations de palées et de bondelles seraient ainsi la somme de telles colonies dispersées dans le biotope. Cette hypothèse ne nous convainc pas, car la capture de tels essaims par des filets barrant le lac sur plusieurs kilomètres dans les couches profondes devrait montrer des lots de pois- sons de même taille et de caractères identiques. Ce n'est jamais le cas. Bien que la répartition des poissons dans les filets soit toujours inégale, sauf en cas d'exceptionnelle abondance, les individus de chaque groupe sont rarement de même âge, de même taille et de même conformation. Aucun pêcheur de ma connaissance ne paraît d'ailleurs accepter ce point de vue. Il semblerait bien au contraire que les rassemblements se font au hasard des rencontres, fortuitement, et qu'ils n'ont qu'une durée passagère. 5. Taxonomie morphologique 5.1 La signification des caractères niéristiques et leurs incidences embryologiques 5.11 definitions: La description d'un caractère différentiel, morpholo- gique ou anatomique, peut s'apparenter à l'une des trois catégories suivantes: 664 Jean-Pinrrc Bargetzi Hvdrol. i°Le caractère est qualitatif s'il indique simplement la présence ou l'ab- sence d'un élément; 2° il est quantitatif, s'il établit une gradation dans la difference; 3° il est tnéristique, s'il désigne un intervalle de variation numérique. Les structures morphologiques sont les arguments traditionnels de la taxonomic. Nul ne songe à en contester l'utilité, mais il est permis de s'interroger sur leur valeur signalétique, lorsqu'elles servent à définir des formes aussi variables que celles qu'extériorisent les corégones. La plasti- cité, chez ces poissons, affecte presque tous les organes, autant que les con- tours extérieurs, et pose la question de leurs rapports de causalité avec les déterminants génétiques et d'éventuelles influences du milieu. 5.12 Caractères mèristiques des corégones du lac de Neucbatel: Les caractères métriques et numériques de nombreux corégones subalpins ont été bien étudiés. Les anciens auteurs avaient déjà établi le compte des vertèbres, des branchicténies, des écailles de la ligne latérale, des rayons des nageoires. Ils ont cité des mensurations, diamètre de l'ail, longueur du corps, de-la tête, base et hauteur des nageoires. Plus récemment, Dottrens et QyAR- nER, puis Dottrens seul, on fait une vaste enquête biométrique de ces caractères pour la plupart des corégones subalpins. Leur première étude, qui portait sur les palces et les bondellcs du lac de Neuchâtel [55], fit date dans la progression des idées sur la systématique des corégones, et fut à l'origine du présent travail. Ces auteurs ont dressé les courbes de variation d'une vingtaine de structures méristiques, établi leurs corrélations respec- tives avec l'âge, le sexe, la vitesse de croissance, et 1'« espèce», pour pro- poser finalement six d'entre eux comme critères différentiels de diagnose des corégones, en leur assignant un ordre de valeur. Ces caractères com- prennent: le nombre des branchicténies du premier arc branchial, celui des écailles de la ligne latérale et divers rapports de longueurs entre l'œil, la tête et les nageoires. Deux « nombres-indices» récapitulent, plus ou moins arbitrairement, cet ensemble de données morphométriques. Dottrens [51 ] a complété la publication de ces résultats en fournissant les valeurs des écarts-type et des coefficients de variation des moyennes méristiques. A notre avis, l'intérêt majeur de cette enquête réside dans le fait que ces courbes, illustrant la variabilité de quelques caractères les mieux tranchés, le nombre des branchicténies notamment, paraissent se conformer à deux distributions normales indépendantes et symétriques, au moins en ce qui concerne ce dernier critère. Sur la base d'un nombre restreint de carac- tères, on ne saurait conclure en toute certitude à l'homogénéité et à l'isole- ment parfait des populations de palées et de bondelles, et bien que rien ne XXII, 1060 Les Corègoni:? du lac do Ncucliatcl 665 certifie mathématiquement la signification des différences de moyennes, nous tenons ces propositions1 pour assez vraisemblables:^Notons toutefois que les amplitudes de variation de ces éléments, y compris l'indice des branchicténies, sont telles que les intervalles propres à chaque groupe se recouvrent en partie et que l'aire commune aux deux courbes n'est pas négligeable. Ceci suppose une marge d'incertitude assez étendue dans les diagnoses individuelles. Nous utilisions au début de notre travail plusieurs caractères différen- tiels. Assez vite, ils nous ont conduit à des contradictions, plus souvent que nous ne l'attendions. Par la suite, nous n'avons plus retenu que le seul facteur du nombre et de la forme des branchicténies et finalement, pour tous les travaux biochimiques, nous avons pu limiter les prélèvements aux seuls individus sexuellement mûrs péchés sur les frayères, dans les deux premières semaines de la fraie pour les palées, et en pleine fraie pour les bondelles. L'uniformité taxonomique des populations réunies sur ces emplacements avait été contestée par Dottrens et Steinmann, et leur opinion nous inclinait à une certaine méfiance. Or, dans la mesure oli nous avons pu les détecter, nous n'avons rencontré de semblables irrégularités que deux fois sur près d'un millier de corégones capturés dans ces condi- tions. Nous avons toutefois poussé le souci de l'exactitude jusqu'à rebuter, pour les palées, tous les individus de moins de 38 cm, et pour les bondelles, ceux qui possédaient moins de 33 branchicténies. En nous familiarisant peu à peu avec les méthodes de pêche, nous avons acquis la conviction que les risques de confusion varient beaucoup suivant les saisons er les engins employés. Il nous fut loisible, dès lors, de choisir les époques et les pro- cédés de capture les plus sûrs. Au reste, nous avons toujours tenu compte pour le tri des corégones, de l'avis de nos pêcheurs et éliminé tous les pois- sons d'affinités douteuses, pour lesquels nos identifications et les leurs étaient en désaccord. Quoi qu'il en soit, on ne parvient jamais à se défaire d'un doute insidieux sur la qualité de tels arguments de diagnose, en raison de l'amplitude des variations individuelles, et de l'absence d'indices qualitatifs. Plus encore, le fait que la grande mai ori té des poissons que nous avons retenus aient été âgés de 3 à 7 ans dissimule une incertitude, car n'y aurait-il pas aussi une variation dans le temps, à plus ou moins longue échéance? Combien y a-t-il de variables, et quelles sont-elles? 5.13 Acclimatation et variabilité: Nos recherches étaient déjà très avan- cées quand nous furent communiqués les travaux de Svärdson [202-207] 666 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. relatant les essais d'acclimatation qu'il fit en Suède en introduisant dans des lacs dépourvus de corégones aborigènes des formes apparemment sta- bilisées d'une autre origine. Il a pu constater que ces populations pouvaient subir, sous l'influence du nouveau biotope, des variations surprenantes qui auraient pleinement justifié leur attribution à une catégorie taxonomique différente, à en juger par les seuls traits signalétiques reconnus jusqu'alors, (exception faite du critère des branchicténics). Ainsi, des alevins d'une population parfaitement équilibrée, transportés dans un lac autre que leur bassin natif et originel, ont atteint à leur maturité sexuelle une taille moyenne supérieure au double de la norme parentale. Cette extraordinaire plasticité affecte non seulement les dimensions, mais encore la plupart des indices méristiques de diagnose, tels que le nombre des vertèbres, des écailles et des rayons aux nageoires ainsi que les caractères physiologiques : vitesse de croissance, délais d'accession à l'âge adulte,durée dévie moyenne. !D'après cet ichtyologiste, le seul facteur valable serait celui des branebic- ténies. Il serait l'unique caractère capable de traduire, dans l'acquisition d'un phénotype, l'influence directe et non perturbée des déterminants géno- typiques. Il serait donc seul significatif en taxonomie, encore qu'une varia- tion soit fréquente entre populations allopatriqucs d'une même «espèce». Ces données expérimentales tendent à supporter les vues de Hi.le [90] qui avait déjà fait des observations semblables sur des populations appa- rentées du continent nord-américain, Letttichthus artedi Le Sueur et mis en relief l'étroite subordination des structures phénotypiques aux variations des facteurs micro-cosmiques environnants: dimensions, thermique et chimico-physique des bassins lacustres. 5.14 Rôle de F alimentation et du facteur spatial: Svärdson insiste avant tout sur le rôle de l'alimentation, car l'abondance ou la raréfaction de cer- taines espèces planctoniques et benthiques accélère ou freine la croissance d'une manière très spectaculaire et démonstrative. La monophagie des corégones est en général assez stricte pour que de brusques et durables inégalités de répartition de la fàune puissent avoir des répercussions sé- vères sur les colonies de corégones et l'aspect des individus qui les com- posent. Cette relation est fonction, pour un lac donné, de ses effectifs en corégones et de la densité de son peuplement planctonique. Ces constatations évoquent une notion similaire, bien qu'ayant trait aux seuls facteurs physiques, celle du « space factor» introduite en ichtyologie par VlADYKOV [239]. Ce savant a dressé l'inventaire des modifications somatiques exercées sur les populations de plusieurs espèces de poissons XXlI, 1960 Les Corégoncs du lac de Xcucbâtel 667 marins et dulçaquicoles par la variation de divers facteurs externes, no- tamment la température, la salinité, et Ie facteur spatial. Par des compa- raisons entre espèces d'un même genre, ou entre genres étroitement alliés, il conclut à un rapport de causalité entre les facteurs extrinsèques et la plupart des caractères méristiques. A un «space factor» extensif, par exemple, correspond un plus grand nombre de métamères, et partant, un nombre accru de vertèbres, d'écaillés, de rayons aux nageoires dorsales ou anales, et bien évidemment, une modification de Ia taille et des rapports morphométriques. Les autres facteurs externes semblent corrélatifs les uns des autres, et capables d'induire une action conjugée. 5.15 Im travaux de TAning: Plus convaincant encore à notre avis est le rapport de TAning [214] qui rend compte d'une pertinente analyse expérimentale sur le déterminisme des structures méristiques chez Salmo trutta trutta., L. Au terme d'une série d'observations couvrant plusieurs années, l'auteur danois présente une confrontation fort instructive entre l'écologie expérimentale et l'embryologie causale. Ses expériences con- sistent en incubations simultanées de lots d'œufs fécondés fournis par un même couple de truites, et au cours desquelles les conditions physiques et chimiques du milieu sont rigoureusement contrôlées et demeurent cons- tantes, à l'exception d'une unique variable, artificiellement modifiée à un moment précis de l'ontogenèse. Sauf changement provoqué, la tempé- rature, qui est le facteur primordial, est maintenue dans des limites étroites ; elle est enregistrée continuellement pendant toute la durée de l'incubation, en vue de l'intégration exacte du nombre de degrés X jours (D°). Cette opération est justifiée par une démonstration préalable: a un stade donné de l'ontogenèse correspond toujours un même D°, pour au- tant que la température ambiante n'excède pas l'intervalle biologique com- pris entre 3 et 14e C. Ainsi, les phases du développement embryologique peuvent être rapportées à une échelle numérique; pour Ia truite de mer, l'éclosion a lieu à 400 D0, et l'alevin perd son autonomie végétative Vers 800 à 850 D°, sa vésicule vitelline étant alors totalement résorbée. (Signa- lons que les alevins de paléeéelosent à 318 D°et ceux debondelle à 285 D° approximativement.) Les résultats de TAning sont d'ordre statistique et leur signification est mathématiquement vérifiée. 10En incubation isotherme, la moyenne des nombres de vertèbres dépend de la température. Elle est minimum à 60C, et s'accroît aussi bien aux températures inférieures qu'aux valeurs plus élevées. Pour des incuba- 668 Jean-Pierre Barge txi Hvdrol. rions à 3,6 et 12°, l'écart relatif sur les moyennes est d'environ 1,5 vertèbre. Or, de telles différences excédent celles qui sont reconnues comme in- dice systématique pour distinguer les races de harengs, par exemple, où l'écart maximum est de 1,1 vertèbre seulement. 20On sait qu'au terme de la segmentation de l'a?uf, de vastes remanie- ments topographiques des champs niorphogénétiques réalisent la mise en place des feuillets et préparent l'émancipation des ébauches présomp- tives des futurs organes. Cette étape débute avec la gastrulation, au cours de laquelle ces territoires acquièrent leur destinée définitive et leur autonomie. Chez les salmonidés, les somites deviennent identi- fiables à ce stade déjà, si bien que la métamérisation concorde avec cette phase du développement embryonnaire. Pour la truite de mer, elle se place approximativement entre 70 et 160 D0. En provoquant des per- turbations thermiques à différentes étapes de l'embryogenèse, TAning a pu déceler deux périodes critiques, la première entre la fécondation et 50 D°, la seconde entre 145 et 165 D°. Au terme de la première période, la sensibilité du germe aux déviations de température décroît peu à peu. La détermination doit donc s'instaurer dès le début de la gastrulation. Après une phase indifférente se place la très courte période d'hyper- sensibilité, et au-delà de 165 .D0, le nombre des vertèbres reste immu- ablement fixé. Durant Ia très courte seconde phase critique, un écart de 6" C suffit à engendrer, en sens inverse, une variation de 1,5 vertèbre sur la moyenne dans une population consanguine. Mieux encore, une ex- citation thermique de courte durée, 20 D° par exemple, mais d'une am- plitude atteignant g" C, peut entraîner dans les embryons nés d'un seul couple parental, une déviation de la moyenne de 3,2 vertèbres, de sorte qu'entre embryons frères du même lot, les différences individuelles peuvent porter sur 5 a 6 vertèbres. 30 Les autres caractères méristiques font preuve d'une égale instabilité; en même temps que les nombres de vertèbres varient aussi ceux des écailles, des rayons aux nageoires, et apparemment, tous les éléments issus de- là métamérisation, y compris la taille et les rapports morphométriques. C'est ainsi que TAning a pu obtenir en laboratoire des phénocopies de truites de la mer Baltique et de truites méditerranéennes en incubant les ceufs à des températures qui reproduisent celles des milieux naturels correspondants. 40La température n'est pas seule efficace. D'autres facteurs extrinsèques peuvent perturber la détermination des champs. L'expérimentation a révélé, par exemple, qu'une chute du degré de saturation en oxygène XXII, i960 Les Coregone« du lac de Ncuchâtel 669 dissous de 90 à 65% dévie la moyenne du nombre des vertèbres de 0,3 unî- tes, tandis que d'un abaissement "de pression partielle du gaz carbonique libre dissous, passant de 1,2 • io~2 à 0,06 ¦ io~2 atm., résulte une aug- mentation 0,9 vertèbre. Le germe reste, par contre, indifférent aux fluc- tuations quantitatives des sels dissous, nitrates et phosphates. Cette inertie est compréhensible, car le chorion rendu turgescent par la pres- sion interne due à une absorption d'eau au moment de la constitution de la zone périvitelline est devenu impénétrable aux sels. Seuls les gaz diffusent, et cette observation, autant que Ia sensibilité élective du germe aux agressions physiques, tend à assigner aux fonctions respiratoires et aux systèmes enzymatiques qui leur sont associés une prééminence dans ces phénomènes de déviation phénotypique. De l'exposé des faits émerge l'idée que les caractères méristiques sont altérables à un stade précis de la morphogenèse par l'effet de facteurs ex- ternes qui activent ou ralentissent le métabolisme de l'embryon. Pour autant, le déterminisme génotypique n'est certainement pas absolu, soit qu'il manifeste un caractère plurifactoricl, soit que son action ne s'impose que durant un temps très court au début de la segmentation et cesse aussi- tôt d'être impérative. Que SvÄRüSON [205] en soit venu à mettre en doute, un an avant Tàning, la valeur taxonomique des caractères méris- tiques traditionnels (nombre des branchîcténies excepté) n'a rien de sur- prenant (voir aussi Oliphan [142])- Il serait souhaitable qu'une analyse expérimentale sur le modèle des travaux de TAning définisse la mesure dans laquelle le nombre des bran- chicténies demeure assujetti aux variations du milieu et que soit spécifié le crédit qu'il convient d'accorder à cet Ìndice taxonomique. Une telle re- cherche, par sa durée et Ic conditionnement des techniques qu'elle re- quiert, excédait largement les limites qui nous étaient imparties. Au demeurant, le rapprochement des faits qui viennent d'etre exposés avec les conditions d'existence des corégones dans les lacs subalpins ap- pellent quelques réflexions d'ordre conjectural. 5.16 Les relations tropbiques entre !es corégones et le milieu: Pour expliquer la variabilité morphologique, SvARJ)SON fait intervenir, ajuste titre, l'in- fluence prédominante, qualitative et quantitative, de la faune planctoniquc. On peut saisir comment les particularités physiques de lacs mêmes voisins, leur altitude, leur situation topographique, leur exposition aux vents, leur relief immergé ou leurs caractéristiques thermiques peuvent conditionner le développement de microfaunes différentes. L'étroite spécialisation tro- 670 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. phique des corégones, duc en partie à la conformation de leurs branchi- cténies, explique qu'un équilibre s'établisse entre le zooplancton et ses con- sommateurs, et que chaque lac réalise ainsi sa propre individualité biolo- gique. La sélection peut éliminer rapidement les variants ou les phéno- types dont le filtre branchial serait mal adapté, car la forme des branchic- ténies, leur longueur, leur ecartement et leur spincscencc, varient chez les corégones autant que leur nombre. De toute évidence, une telle suppo- sition est insuffisante puisqu'elle ne peut rendre compte entièrement de- là différenciation phylogénique des groupes coexistant dans un même bio- tope, surtout quand ces formes sont au nombre de quatre ou cinq et assez- peu dissemblables par leur filtre branchial. Elle peut néanmoins avoir une certaine valeur interprétative dans les cas de transferts et d'acclima- tation expérimentés par SvArdson, ou décrits par Surbeck [199] et par DOTTRENS [54]. Ces considérations ramènent à la question de l'acuité de la détermina- tion embryologique du nombre des branchicténies et de l'amplitude de de leur variabilité. Svärdson admet cette instabilité et la persistance de préadaptés dans son interprétation de la spéciation allopatrique. !/Organo- genese de ces protubérances n'est apparemment pas décrite dans le détail, mais il ressort du commentaire de Bertin [15] que les travaux histolo- giques font suspecter une origine tardive, postérieure à la formation des arcs branchiaux, et sans rapport direct avec eux, puisque ces éléments ne sont pas des dents mais de simples papilles de la muqueuse pharyngienne. Si cette évolution suppose une épigenèse tardive, associée à d'éventuels phénomènes de régulation, on peut se demander jusqu'à quel point des états physiologiques, ou un rythme métabolique particulier, peuvent in- fléchir secondairement leur édification. Dans cet ordre d'idées, relevons la proposition que Bertjn formule: «Tout se passe comme si chacune des étendues lacustres avait, par le de- gré de pureté de ses eaux, ou par la nature de ses crustacés planctoniques, une action déterminante sur le filtre branchial des poissons qui l'habitent.» 5.17 Corégones et physique du lac de Neuchâtef: Les corégones possèdent trop de traits communs avec les truites, par leur physiologie ou les mo- dalités de leur embryogenèse et par l'instabilité de leurs caractères mor- phologiques, pour que ne s'impose pas l'idée d'une réceptivité semblable envers les stimulations du milieu. On en vient tout naturellement à se demander quel a pu être le rôle des facteurs physiques, ajoutés aux particularités trophiques, dans l'apparition XXII, IPCO Les Corégoncs du lac de Neuchâtcl 671 des multiples formes actuelles entre corégones de biotopes géographique- nient distincts, de natio au sens de Steinmann, et quelle est la part de telles variations dans la différenciation des écotypes d'un même lac. Rap- pelons qu'il suffit d'un écart de température de 30 C ou de changements du taux de saturation en oxygène de 15% pour infléchir valablement le déterminisme morphogénétique du germe, et que les périodes durant les- quelles ces impulsions exercent leur effet de promotion peuvent être de courte durée, 40 à 50 D° au début, 20 D° au stade d'hypersensibilité. Pour apprécier en connaissance de cause le rôle de ces facteurs, il conviendrait d'examiner au préalable les modalités des phénomènes respiratoires em- bryonnaires. Mais les informations sur ce sujet sont à peu près inexistantes, au moins en ce qui concerne la phase du développement précédant l'cry- thropoïèse et durant laquelle les liquides périvitellin et vésiculaire ab- sorbent l'oxygène rétrocédé ensuite aux cellules. L'absorption est fonction de la teneur ambiante en gaz dissous et s'accroît proportionnellement. On sait que la demande d'oxygène est considérablement accrue durant la gastrulation. Expérimentalement, on démontre aussi que le chorion peut avoir un effet limitant sur le volume du gaz diffusé, mais pour les œufs démersaux des salmonidés, incubés dans leur milieu naturel, cette action est très secondaire par rapport aux inégalités de distribution de l'oxygène dans l'eau des lacs, surtout dans les couches abyssales. Il est coutume, en physiologie, d'exprimer l'influence de l'oxygène et du gaz carbonique dans l'hématose en termes de pressions partielles. Mais pour les organismes aquatiques, cette représentation est inadéquate, en raison des limites de la solubilité de l'oxygène dans l'eau et de l'étroite subordination du phé- nomène à la température. Fry [76] estime que dans ce cas, la mesure de l'oxygène en pression partielles conduit à des conclusions erronnées. Pour le lac de Neuchâtel, le désaccord entre la pression virtuelle d'oxygène dans l'eau et sa concentration effective se calcule aisément. Une opération pré- alable pennet d'estimer Ia pression atmosphérique ph au niveau moyen du lac /':433 m, par référence à la pression relevée à l'Observatoire, Ij1 :487 m, pour la moyenne des cinquante dernières années : 273 (h-lu) logfr-logfr- 18421(j.ft + r;)0>5 -715.0 mm HS, pour 7~s: (273 + ^1) où I1: temperature moyenne à la surface du lac, 11° C. Les pressions partielles d'oxygène à ce niveau s'élèvent à Pq^ = 0,2095 (Ph-Pn2O) = 147>9 mm - 672 Jean-Pierre Bargctzi Hydrol. où pnto est la valeur de saturation de l'air en vapeur d'eau à I0Û C (9,12 mm Hg). Dans les mêmes conditions d'altitude et de température, la pression par- tielle d'oxygène dans l'air saturé de vapeur d'eau est de 0,25 g. I-1. (Poids de l'air saturé calculé pour /":284°; /W^1S mm Hg. Le rapport /ot/(os) vaut 5,9 • io2.) Dans des conditions identiques, il y a saturation à l'interface air-liquide quand l'eau renferme 7,15 ml d'02 par ütre, soit 10,2 • io~3 gl"1, tandis que l'air en contient 8,4 ml par litre, ou 12,0 mgl-1 à 4° C. La pression de l'oxy- gène dissous est si faible relativement à sa teneur dans l'atmosphère qu'on peut ici la négliger, si bien que Ic rapport ^0' ^ vaut 145-102. (O2) On le voit, l'effet de la pression d'oxygène dans l'eau est vingt-cinq fois plus faible que dans l'air, et c'est la solubilité qui devient facteur limitant pour les phénomènes respiratoires. Le débat va donc se limiter à trois facteurs: température, pour-cent de saturation en oxygène, et pression partielle du gaz carbonique. Une telle prospection ne va pas sans une large somme d'informations limnologiqucs couvrant plusieurs décennies. Pour le lac de Neuchâtel, les renseignements font presque complètement défaut. Une enquête expéri- mentale est en cours depuis deux ans, niais les données réunies sont en- core trop fragmentaires pour autoriser des conclusions de caractère géné- ral. Fondées sur des mesures effectuées en pleine eau, à deux mois d'inter- valle, elles n'autorisent que des déductions très approximatives sur les conditions physiques qui régnent au niveau de la microzonc formant fron- tière entre l'élément liquide et le sous-sol immergé, aux lieux où fraient les corégones. De nos jours, et dans les années normales, la température de l'eau en surface ne s'abaisse que rarement au-dessous de 4,50C, sauf parfois durant quelques jours en février. Pour ce mois, le plus froid de l'année, la moyenne des températures est d'environ 4,70 C, et les fluctuations sont de très faible amplitude. On ne saurait donc faire état d'un renversement de la stratification, ni de bouleversements extensifs dans l'ordonnance des eaux. On en jugera d'après les moyennes thermiques mensuelles de l'eau en surface : Septembre Octobre Novembre Décembre Janvier 16,9° 13,6° 9,3° 6,6° 5,3° XXII, 19G0 Les Coregones du Ine da Neiichâtcl 673 Alors qu'un régime dimictique provoque, en automne, une intense cir- culation verticale, par suite du basculement de nappes d'inégale densité, et occasionne un rapide renouvellement des couches abyssales, l'allure du phénomène est ici sensiblement différente et ses conséquences bien affai- blies. Aux approches de l'hiver, la couche de saut thermique commence par s'abaisser, puis la démarcation entre l'épilimnion et l'hypolimnion s'es- tompe progressivement. Les différences de densité s'amenuisent et cessent d'être un facteur de turbulence. Finalement, le lac tend à devenir isotherme et à demeurer en équilibre statique dans toute sa masse. Cet effacement graduel de la stratification est très lent; il exige plusieurs mois et l'unifor- misation n'est atteinte que vers la fin de l'année. L'époque à laquelle elle s'établit dépend essentiellement de la fréquence et de la violence des vents et des tempêtes. Si l'automne est assez froid et le lac très agité, la turbu- lence de surface se communique de proche en proche aux nappes sous- jacentes; l'équilibre est moins stable qu'en période de sériation. Au con- traire, si la belle saison se prolonge jusque tard dans l'année, une stratifi- cation atténuée, avec ses inévitables déficits d'oxvçrénation au niveau du sol immergé, peut persister longtemps. Survenant à mi-novembre, le dé- but de la fraie des palées peut coïncider suivant les années avec l'un ou l'autre de ces états et la transition s'opère souvent pendant la période de reproduction. On conçoit alors que les conditions thermiques peuvent varier dans des limites assez larges et le diagramme que nous publions, avec l'agrément du service cantonal de la pêche, illustre cette situation mieux que tout commentaire. Lc climat de l'année 1944 ne fut pas excep- tionnel. D'après les rapports communiqués par ce même département, la stratification du lac deNeuchâtel serait encore très nette en octobre. Ln novembre, le refroidissement de l'épilimnion s'accentue nettement et sa limite inférieure s'abaisse jusqu'à 30 m environ. La présence de nappes chaudes flottant entre deux couches froides a été constatée à plusieurs re- prises en décembre. Enfin, ce même rapport atteste que les températures de l'eau sur les frayères de palées peuvent varier entre 10,50 et 5,40C, mais ces valeurs extrêmes ne sont fondées que sur les observations de trois années consé- cutives. Au niveau de la beine, sous quelques décimètres d'eau, les écarts ther- miques s'exerçant simultanément en divers points du lac ne doivent pas excéder i°, même si l'on tient compte d'inégalités d'insolation, de chutes de pluie, d'activité des courants, d'exposition aux vents ou aux vagues. Ces différences locales n'auront apparemment pas d'effet significatif sur 674 Jean-Pierre Bargctzi Hydrol. Figure 'i Courbes de sondages thermiques du lac en novembre 19-13 mesures effectuées par le Service cantonal de la Pèche (50 metres au large du port de Neuchâtc!). les œufs de palces en incubation. Par contre, si l'on considère les fluctua- tions journalières de temperature, et surtout celles qui régnent entre le début et la fin de la fraie, ou entre le premier mètre d'eau et les 40 ou 50 m où les palées de fond achèvent de frayer, elles deviennent effectives de toute évidence. Elles le sont plus encore d'une année à l'autre. Que sur- vienne, en pleine fraie, au terme d'une période de stagnation et de stratifi- cation persistantes, une intense circulation consécutive à une tempête hivernale, les conditions physiques de la microzone aqueuse en contact avec le fond pourront alors différer suffisamment pour que leurs effets sur l'ensemble des œufs fécondés induisent des divergences notables des in- dices phénotypiques. Mêmes faibles sur la moyenne d'une population, elles auront néanmoins singularisé quelques individus par des variations bien apparentes. Si les frayeres des bondelles sont, dans l'ensemble, peu exposées à des écarts thermiques, elles subissent par contre les méfaits de l'intense pullu- lation des bactéries benthiques qui, dans la vase, dégradent les détritus organiques et fossilisent les sédiments. Leur activité est à l'origine d'un déficit quasi permanent d'oxygène et d'un excédent corrélatif, mais très XXlI, 1900 Les Corégones du lac de Neuchätel 675 variable, de gaz carbonique au niveau du limon, si bien qu'un gradient décroissant d'oxygène et de potentiel d'oxydo-réduction, et croissant de gaz carbonique, s'instaure à la limite des deux phases. GrOTE, cite par Hutchinson [255], estime à 9,2 mg d'oxygène par centimètre carré la consommation journalière moyenne du sédiment vaseux: d'un lac, pour Ia seule activité respiratoire de ses bactéries. Le fer inclus dans la vase pos- sède, en outre, le pouvoir de s'oxyder spontanément et réversiblement de la forme réduite Fe+2 qui prédomine habituellement à l'état d'hydroxyde ferrique. Il y a donc compétition permanente pour l'oxygène entre les bactéries, les êtres organisés animaux, et les dépôts minéraux; ordinaire- ment, l'apport d'oxygène demeure nettement insuffisant. Il ne cesse de l'être qu'à l'occasion d'une intense circulation d'origine thermique ou d'une vive tempête en surface, mais probablement aux seuls endroits ex- posés aux courants de retour du vent. Notons aussi que les ceufs peuvent parfois s'enliser plus ou moins et rencontrer dans le limon des conditions encore moins favorables. Le lac de Neuchâtel peut présenter, en période de stratification estivale, des déficits de saturation en oxygène atteignant 50% ; ils sont en grande partie compensés en janvier-février, encore que des différences locales ou temporaires au fond des dépressions ne doivent pas être exclues. Combinées à l'action éventuelle d'une surcharge en gaz carbonique libre à la surface de la vase, ces propriétés pourraient aussi in- fléchir l'embryogenèse d'une manière significative, puisqu'un abaissement de 15% du seuil de saturation en oxygène suffit déjà. Il ne faut pas oublier non plus qu'au cours de leur histoire nos corégones aborigènes ont été exposés à des conditions plus sévères. Depuis le recul des glaciers, les climats ont été souvent rudes et les saisons plus accentuées qu'aujourd'hui. A certaines époques, même pas très lointaines, le lac ge- lait fréquemment en hiver sur toute sa surface, ce qui suppose une stratifi- cation inverse et durant les fraies, une totale stagnation des eaux, accom- pagnée d'un défaut prononcé d'oxygène. Si la variabilité a, comme nous Ie supposons, des causes internes auxquelles les facteurs externes ne font que s'ajouter, ces conditions ont pu vraisemblablement favoriser la diversi- fication. * Une dernière remarque concerne l'analyse morphométrique statistique des corégones. L'importance des facteurs externes dans la concrétisation des phénotypes est suffisante pour introduire des variations annuelles: il conviendrait d'en tenir compte dans l'établissement des courbes de fré- ¦14 676 J e an-Pi erre Bärget zi Hydro!. quence en examinant des lots appartenant à de nombreuses generations. Peut-être l'étude des formes de 3 ou 4 générations successives n'est-elle pas suffisante pour que la distribution de ces nouvelles variables soit par- faitement aléatoire. 5.2 Les caractères ostéologiques et les oîolithes Comme les traités de systématique des poissons prêtent une importance capitale aux caractères ostéologiques, nous ne pouvions les ignorer. Nous ne revenons pas aux formations squelettiques, vertèbres et rayons des nageoires, et nous nous limitons ici à l'osteologie crânienne, jointe à la des- cription des otolithes. 5.21 l^es os du crâne: Mieux que des commentaires, une figuration des types que nous tenons pour norme de chacun des groupes nous paraît ré- pondre au but que nous nous proposons. Cette étude ne prétend pas à être complète, mais autant qu'on en puisse juger d'après les huit crânes de palée 1 i.op Figure 5 CrAnc de paléc, Corcgomis fera Jur. Les caractères ostéologiques des boiidcllcs ne different pas sensiblement, sinon par une réduction de taille dans le rapport 3 à 2 approximativement. XXII, I960 Les Coregone* du lac de Neuchâtel 677 Figure 6 Otolithes de corégones. 1 et 3: palée Coregonus fera Jur.; 2 et 4: bondelle Corcgonus tnacro- phthalmus Xussl.; 1 et 2: sagitta, astérisque et lapillus, faces internes; jet 4: sagitta, face ex- terne; 5: comparaison des sagitta de palée (en haut) et de bondelle. et les six crânes de bondelle examinés, la comparaison des structures osseu- ses n'accuse pas de dissemblance assez caractérisée pour fournir un bon élément de détermination. Nos illustrations n'ont donc qu'une valeur documentaire. 678 Jean-Pierre BargctKÌ Hydro!. 5.22 Les otolìthes: La même remarque vaut aussi pour les otolithes, Ia sagitta en particulier qui, de l'avis des spécialistes, possède pourtant la propriété de différer sensiblement d'une espèce à l'autre, avec des varia- tions individuelles trop peu accentuées pour altérer ce que Chaîne [31] appelle le «galbe spécifique». Cette qualité fait de la sagitta un précieux objet de diagnose en paléontologie, et fournit en général une indication univoque [31, 32]. Nous signalons sommairement les caractères de la sagitta des palées du lac de Neuchâtcl, en renvoyant Ie lecteur à nos documents photogra- phiques pour les descriptions comparatives de la sagitta, du lapillus et de l'astérisque de deux corégones. Sagitta des palées, C. fera]u\: Dimensions de la sagitta de la figure 6: longueur 6,3 mm; largeur max. 3,2 mm; taille du poisson: 39 cm; âge 5½ ans. Les examens ont porté sur une dizaine de sagitta de chacune des deux «formes» de corégones. Le contour général est celui d'un trapèze à base inférieure allongée, rectangle par le côté coïncidant avec le bord antérieur. Lc côté opposé est très oblique et délimite avec le bord ventral un éperon ensiforme. L'élément n'est pas arqué. Si le bord ventral est presque rectifigne, le bord dorsal est au contraire doublement incurvé, avec une partie postéro- dorsale concave et une partie convexe un peu plus longue et légèrement festonnée. L'excisure dessine une courte échancrure entre un antirostre à peine discernable et un rostre peu accentué, à sommet émoussé. La face interne, fortement convexe, est creusée par un sulcus submédian et recti- lignc qui travesre la sagitta longitudinalement de part en part. L'ostium est très large, triangulaire, obstrué en son milieu par une large lame exci- surale se profilant au bord antérieur en une pointe obtuse, plus avancée que le rostre et l'antirostre. Lc collum, profondément tracé et rétréci, forme par sa lèvre dorsale surtout une arête vive; quant à la cauda, elle s'écarte en un vaste éventail, aussi large que !'ostium et de même longueur. Son plancher est marqué par des rainures latérales peu profondes jouxtant les arrêtes. La face externe est peu déprimée, creusée d'un sillon radial dans le pro- longuement de l'échancrure exdsurale. L'umbo est minuscule. Le pourtour de la sagitta varie assez peu d'un individu à l'autre et la même variation paraît affecter l'otolithe correspondant des bondcllcs. Elle XXII1IOCO Les Corégones du lac de Nciichâtel 679 porte essentiellement sur l'ouverture de l'anglepostéro-dorsal, qui peut être plus ou moins saillant. Globalement, il y a une parfaite uniformité entre la sagitta des bondelles et celle des palées d'âge approximativement égal. Dans son mémoire le plus récent,Chaîne [31] décrit très minutieusement la sagitta de quelques corégones, C. lavaretus, C. bicmalis, C. clupeiformis, C. albuiâj dont il n'indique malheureusement pas la provenance. C'est cer- tainement de la première espèce citée, C. lavaretus, que nos figures de sagitta se rapprochent le plus. 5.3 Vhématologie comparée Le rapprochement de deux disciplines aussi éloignées, en apparence, que l'hématologie et la taxonomie peut paraître inopportun quand, par sur- croît, la parenté zoologique est si évidente qu'elle rend improbable la dé- couverte de quelque discordance imperative et univoque. Cette critique, à notre avis, n'est pas absolument persuasive. Elle réclame davantage de preuves pour s'imposer et appelle une plus large information. Notre curiosité nous portait d'ailleurs vers plusieurs aspects de l'hématologie. Grâce à la relative fixité de sa composition et à la pérennité de ses éléments cellulaires, en vertu aussi de ses propriétés immunitaires, le sang est un tissu qui se prête admirablement à l'étude physiologique et biochimique de l'espèce. Dc là, l'importance que ce travail attache à l'analyse sanguine, plasmatique et cellulaire. 5.31 Anoxémie et conditions du prélèvement de sang: Rien n'est plus simple, en théorie, qu'une prise de sang. Pourtant, appliquée aux corégones, l'opé- ration présente des difficultés que nous avons pu croire insurmontables au début de nos essais. Le sang des poissons est, en effet, d'une altérabilité extrême. Sa coagulation, lorsqu'il est extravasé, peut être instantanée ou au contraire très lente, et en dépit des plus strictes précautions, on ne peut éviter tout à fait l'hémolyse durant la rétraction du caillot et l'exsudation du sérum. La fragilité des erythrocytes d'un sang héparine est telle que la seule agitation due au transport sur le lac et jusqu'au laboratoire lui est néfaste. Les dommages sont plus graves encore avec d'autres anticoagu- lants, et l'on sait aujourd'hui [76] que la plupart d'entre eux et plusieurs inhibiteurs d'enzymes, en particulier les oxalates et les fluorures, ont un effet secondaire hémolytique. On éprouve des difficultés identiques, sinon accrues, quand le sang doit être recueilli sous paraffine liquide et doit sé- journer à l'abri de l'air pendant plusieurs heures. * 680 Jean-Pierre Bargctzì H vd roi. La gravité de ces détériorations dépend surtout de la température am- biante. A 25° C, par exemple, on risque une coagulation immédiate et de profonds changements dans l'équilibre physico-chimique. Les dégradations enzymatiques y sont aussi plus actives. Sì l'on parvient à éviter tout con- tact avec l'eau, les dangers sont moindresj le sang reste fluide plus long- temps et se conserve mieux, à condition de le préserver de toute variation thermique. La labilité des erythrocytes s'explique aisément, car ces cellules sont nuclées; elles ont un métabolisme très actif et développent une grande surface pour un petit volume de stroma. A ces défauts cellulaires, le sang des poissons ajoute sa haute viscosité et sa quantité minime. Pour les corégones, où l'expérimentation en aqua- rium est irréalisable, nous n'avons pu mesurer le volume sanguin total par les méthodes usuelles. Mais d'après les saignées de plusieurs centaines de palées vivantes, nous l'estimons à 7-9 ml par kg; exceptionnellement, nous avons pu retirer de grandes palées de 7 ans jusqu'à 12 ml de sang. On conçoit qu'avec une proportion de sang aussi réduite et si peu de plasma, les moindres déficiences ou exagérations du métabolisme tissulairc aient un retentissement immédiat et sévère sur l'équilibre général, et que les mécanismes de régulation homéostasique soient à l'occasion aisément dé- bordés. Est-ce la raison pour laquelle les corégones ne parviennent pas à se réacclimater en bacs d'élevage? Il ne fait aucun doute que la crise dont ces poissons ont à pâtir dès leur capture soit due, en partie au moins, à des troubles respiratoires et san- guins. Elle s'accompagne de perturbations des centres moteurs et de l'équilibration. Avant de se renverser le ventre en l'air, les palées encore capables de demeurer immergées passent alternativement d'un comporte- ment normal à des phases de prostration, durant lesquelles elles adoptent une posture inhabituelle, le museau hors de l'eau, la queue orientée oblique- ment vers le bas. Ce sont les premiers symptômes d'anoxémie. Ix rythme operali ai re devient .irrégulier, c'est l'issue fatale à brève échéance! Cette mortalité, générale chez nos corégones, pose des problèmes qui sont loin d'être tous résolus. Les uns ont trait aux circonstances de la cap- ture et sont les mêmes pour toutes les profondeurs; les autres traduisent les méfaits de la chute de pression hydrostatique lors de la remontée des engins. Saufen cas de pêche aux « grand filets» - qui ressemblent à une seine - les poissons sont toujours pris en s emmaillant dans le réseau. Dès qu'ils sont entravés, ils se débattent frénétiquement, et ces efforts soutenus durant plusieurs heures ne peuvent probablement pas être surmontés par une XXlI, 1960 Les Corégoiics du lac de Neuchàtel 681 hématose amplifiée ou par un déversement dans les vaisseaux d'une réserve importante de globules rouges. Cette première atteinte est sans doute ag- gravée par un fléchissement de l'équilibre homéos tasi que. Le volume san- guin est si faible relativement à la masse musculaire que toute exacerbation métabolique s'exprime par des fluctuations excessives dans la composition du plasma. Divers auteurs [16, S3186] ont démontré qu'une stimulation ou un intense exercice physique produisaient chez les poissons une dé- charge d'acide lactique dans le sang qui n'était résorbée que lentement. Les salmonidés présentent, en outre, un effet « Root» [169] assez marqué, déclenché par une acidification sanguine et un excès de gaz carbonique musculaire. Cette attaque, à l'égal de l'effet Bohr, empêche la saturation en oxygène de l'hémoglobine. Comme ces accidents surviennent, chez les corégones, chaque fois que l'animal est empêché de se déplacer, on en vient à se demander si la nage n'est pas pour eux la condition d'une «ventilation» efficace des branchies dès que la saturation de l'eau en oxygène s'abaisse au-dessous d'une limite critique, qui doit s'inscrire vers 7 à 8° C. Chez ces poissons, les mouvements respiratoires sont essentiellement operculaires. Il se pourrait que la circu- lation hydraulique, entretenue par le seul battement des opercules, de- vienne insuffisante. Cette lacune vient-elle d'une surface branchiale trop réduite, ou d'une capacité insuffisante d'oxygénation sanguine? Remar- quons que si le séjour des palées dans l'épilimnion s'explique, durant l'été, par des nécessités trophiques, ces poissons ont cependant la ressource d'échapper à l'anoxémie qui les guette en s'enfonçant dans des eaux plus froides, au-dessous du métalimnion, pour y recouvrer leur équilibre phy- siologique. Lorsque les pêches sont faites aux grandes profondeurs, la rapide dé- compression à laquelle les poissons sont soumis influe sur leur équilibre physiologique de diverses manières, que Baudin [13] a analysées dans le cas de la perche, Percaßuviatilu. Elle occasionne non seulement une expan- sion de la vessie gazeuse [97], niais encore une diffusion et un dégagement des gaz dissous dans Ie sang, cependant que la chute de la pression san- guine tend à se combler par un emprunt aux humeurs tissulaircs. Cet ap- port de liquide dilue le sang et contribue à l'instauration d'une hypoglo- bulic plus ou moins prononcée, en dépit d'une libération d'érythroblastes. Le coefficient d'utilisation de l'oxygène s'en trouve amoindri. Les bondelles qu'on pêche ordinairement vers 80 m de profondeur, et rarement à moins de 40 ni, manifestent souvent de tels troubles, à des degrés de gravité variant suivant les individus. La stase vasculaire au moment de !'emersion 682 Jeaii-l'icrre Bargctzi Hvdrol. fait que l'extraction se ramène à une ou deux gouttes d'un sang déjà par- tiellement hémolyse. On parvient à limiter les dégâts en choisissant une période où l'eau est froide et en remontant lentement les filets. D'ailleurs, pour les deux types de corégones, tous nos essais de ponc- tion intraventricular ou dans l'aorte ventrale se sont révélés fâcheux, aussi bien avec une aiguille de métal qu'avec une canule en matière plas- tique ou en verre paraffiné ou hydrofugé aux silicones. SÌ la moindre pol- lution par l'eau compromet leur succès, il importe aussi d'éviter dans la mesure dit possible que le sang en s'écoulant entre en contact avec les tissus lésés. La méthode préconisée par UNDRlTZ pour les examens hema- tologiques s'est imposée incontestablement; elle est celle qui respecte l'in- tégrité du sang. On procède à une ablation de l'extrémité caudale, juste en arrière de la nageoire adipeuse; l'aorte dorsale demeure béante, et si le poisson respire encore par intermittence, le sang jaillit à chaque pulsion opcrculaire. Il faut tout d'abord essuyer soigneusement l'animal à la hau- teur de la partie précaudalc. Cette opération a l'avantage de faire tomber toutes les écailles. Sitôt l'amputation faite, il est maintenu fermement en position verticale, tête en haut. S'il le faut, une légère compression exercée sur les flancs, dès que l'écoulement spontané a pris fin, fournit un supplé- ment de sang peu hémolyse. Pour les préparations hématologiques, le mode de prélèvement est identique et exécuté dans les mêmes conditions. Ix sang destiné aux étalements est prélevé dès que le premier jet s'est échappé de l'aorte. 5.32 Hématologie cellulaire: L'hématologie comparée des éléments figurés est un domaine encore mal exploré. La remarquable contribution expéri- mentale et descriptive qu'y apporte Undritz [220, 222], comme aussi certains travaux récents sur la cytochimic des leucocytes [20] tendent à en faire un moyen d'investigation taxonomique de valeur. Dans la mesure où elles sont représentées, chez les invertébrés et jus- qu'aux vertébrés les plus évolués, les lignées des cellules sanguines donnent, dans l'ensemble, une impression de grande uniformité. Un examen moins superficiel révèle pourtant des retouches de détail d'un groupe zoologique à l'autre. Les catégories cellulaires se particularisent; elles sont des forma- tions homologues plutôt qu'identiques, mais conservent à l'intérieur de chaque espèce une conformation et une adaptation fonctionnelle bien défi- nies. Leur filiation ontogénique, à partir d'un mesenchyme initial disséminé dans l'embryon sous l'aspect d'un réticulo-endothélium a suscité des hypo- XXIJ, 1960 Les Corégones du lac de Ncuchâtel 683 thèses nombreuses et de vives,controverses entre protagonistes des idées unitaires et partisans des conceptions dualistes. Cette discorde a malheu- reusement concouru à jeter la confusion dans la nomenclature, si bien que les formules sanguines publiées par des auteurs se rattachant à des opinions opposées sont rarement concordantes. Au cours des deux dernières décen- nies, quatre classifications ont été proposées pour révolution des cellules sanguines pour le seul groupe des poissons: Duthie [62], Catton [30], Topf [219] et Fontaine {75]. Nous nous abstiendrons de nous prononcer sur le fond de ce débat, qui excède nos prérogatives, mais nous convenons d'adopter pour le présent travail la théorie polyphylétique généralisée d'UNDRiTZ [223] et la terminologie de cet hématologiste. Nous reconnais- sons donc neuf lignées pour l'ensemble des animaux dotés de cellules san- guines ; deux d'entre elles se rapportent au système des erythrocytes. Dans cette interprétation, les lignées sont autonomes depuis les cellules souches des centrès d'hématopoïèsc,chez les adultes. Les« formes de transition»,dont la réalité est affirmée par plusieurs investigateurs, notamment Stolz [197], n'ont dans cette perspective aucune signification histogénétique, et ne re- flètent qu'une coïncidence morphologique. En quoi consistent les différences hématologiques existant entre les unités systématiques dans la série animale, et dans quelle mesure ont-elles une signification taxonomique? On peut les récapituler de la manière sui- vante: i° Des dissemblances se manifestent dans la localisation des centres d'héma- topoïèse. Myelogenes et lymphogènes chez les vertébrés plus avancés, ils sont rassemblés dans les mêmes organes chez les poissons, qui sont pour la plupart à peu près dépourvus de moelle osseuse [86]. 2° Dans l'absence complète de certaines lignées cellulaires. On sait que tous les animaux dotes de sang ou de lymphe possèdent au moins des mono- cytes et des plasmocytes, qui sont parmi les cellules les plus ubiquistes et les plus fondamentales, puisqu'elles participent à la phagocytose et à l'élaboration du sérum. Trois espèces de poissons n'ont aucune cellule identifiable avec des erythrocytes [141,174]. Ils parviennent à vivre sans hémoglobine, ont un métabolisme très ralenti, et sont confinés aux eaux froides des mers polaires [75]. Si les mammifères se singularisent par la présence dans leur sang périphérique de normocytes, nucléés dans quel- ques espèces seulement, tous les autres vertébrés ont des hématies déri- vant de la lignée parallèle des mégalocytes, pourvus de noyaux à tous les stades, et qui assument un rôle identique aux normocytes mammaliens. 3° Parfois, la disparité peut tenir à des degrés inégaux de maturation des 684 jean-Pierre Jîargetzi Hvdrol. lignées liomologucs, au moment de l'évasion des cellules hors des centres formateurs. Rappelons que chez les mammifères, les éléments de la coa- gulation sont des cellules devenues polyploïdes par une succession d'en- domitoses (mégacaryocytes) tandis que les thrombocytes des poissons parviennent dans la circulation à l'état de cellules normales diploïdes. 4° Les distinctions sont d'ordre numérique; l'argument n'a toutefois de va- leur que dans la mesure où elles surpassent l'intervalle de variabilité in- dividuelle ou physiologique. Chez les poissons, les différences peuvent être assez marquées entre espèces. C'est surtout le nombre des globules rouges qui revêt une grande importance, en raison de ses incidences sur le métabolisme respiratoire. Les auteurs s'accordent à admettre que les espèces pélagiques et d'habitudes vagabondes ou anadromes présentent ordinairement des chiffres plus élevés que les espèces à tendances séden- taires et benthiques, et que leurs hématies sont de taille plus réduite. Baudin [13] a noté, pour le nombre de hématies, des variations diurnes et saisonnières; les écarts extrêmes des deux variations combinées peuvent atteindre 30% chez Perca finviatilis. Ces oscillations sont à mettre en rapport avec des échanges humoraux entre le sang et le tissus, et à une vaso-dilatation liée à une intensification du travail musculaire. On sait également que les hormones sexuelles peuvent modifier cette répartition. IVIais c'est en définitive a la température de l'ambiance aqueuse, dont dépend dans une large mesure l'activité de l'animal, et secondairement à la pression et au rôle de la vessie gazeuse qu'il convient de rapporter les phénomènes de régulation de l'équilibre sanguin. Le tableau leucocytaire- doit être obligatoirement soumis aux mêmes impératifs, si l'on exclut les cas accidentels d'origine pathologique. 5° Oe toute évidence, les inégalités les plus pertinentes sous le rapport de la taxonomie sont celles qui intéressent les caractères morphologiques et structuraux. Encore que la conformation ou la taille de certaines cel- lules à caractère amocbotde soient sujettes à des variations, l'organisation interne et la forme sont presque toujours remarquablement fixes. Des divergences entre globules d'espèces étroitement alliées ont été maintes fois décrites par Undritz notamment [221]. Nombre d'entre elles se raccordent à des singularités découvertes dans le sang humain, où elles constituent de réelles anomalies, parfois associées à des syndromes mor- bides ou létaux. Elles se rattachent: i° à la morphologie des hématies: elliptocytosc, drépanocytose; 2°aux noyaux des granulocytes: anomalie de Pelger, hypersegmenta- tion nucléaire; XXJI, 19(10 Les Coregone? du lac de Nenchâtci 685 3° au cytoplasme des granulocytes: anomalie de May-Hegglin. L'intérêt de ces caractères réside dans la stricte obédience de la majorité d'entre eux au génome. Ils sont constitutionnels et leur ségrégation est soumise aux lois de l'hérédité mendelienne, comme Font prouvé des expériences sur les animaux de laboratoire. Or, ces «anomalies» ont tou- jours été retrouvées chez de nombreux vertébrés, où elles paraissent beaucoup plus fréquentes, au point de devenir souvent la norme d'une espèce, en perdant toute corrélation pathologique. Même si l'on tient compte du peu d'espèces examinées, tout se passe comme si l'altération factorielle avait frappé au hasard, souvent sans correspondance systé- matique, en épargnant des groupes zoologiquement voisins, et il n'est pas rare que l'on détecte des divergences à l'intérieur du même genre [224]. Si l'on pouvait invoquer pareille déviation pour certains corégoncs, on voit immédiatement l'avantage que pourrait procurer l'existence de ces jalons à travers les populations et les générations futures. 6° Enfin, les distinctions peuvent avoir un caractère cytochimique et déno- ter des spécialisations biochimiques un peu différentes, ou des déviations de certaines voies enzymatiques. Nous avons exploré comparativement quelques-unes de ces substances, entre palée et bondelle, où toute dis- tinction caractérisée pouvait ouvrir la voie à une analyse biochimique ultérieure. Voici l'ensemble de nos résultats: PARTJE DESCRIPTIVE Mégalocytes L'elliptocytose est de règle chez les poissons. Les dimensions moyennes des hématies de palée sont de i6,o> X 10,2 ^, celles de bondelle sont sensi- blement de même grandeur. Lorsqu'ils sont en suspension dans le plasma, les globules rouges des deux formes montrent à l'examen microscopique une ceinture péri-nucléaire de granules qui s'identifient aux corpuscules primaires de Dawson [40] et doivent erre regardés comme des éléments du chondriome affectés à l'élaboration de l'hémoglobine (voir le dessin). Ces organites n'apparaissent pas dans les préparations fixées et colorées par les méthodes panoptiques (Pappenheim) ou au Giemsa, du moins pas sous la forme de spherules. On trouve par contre, dans le stroma de nombreux globules mûrs, des bâtonnets fortement chromophiles (voir microphoto- graphies), qui font entièrement défaut chez les érythroblastes et les formes seniles. Ces éléments rectilignes et allongés ne correspondent pas à ceux US(, Jean-Pierre Hargetzi Hydrol. Erythrocytes et leucocytes de palées. ; basophile (Pappenheim); .' m uiiopliili pi: (Pappen hei in); S neiitrophile et lyin j»hcK-yte (I'app<'nheiiii) ; 4 inittr<»]>liili segmenté pelyeri-r (Pappenheim); J 1 eosinophile, 1 neutrophil!-. 1 monocyte, '-' lymphocyte» (peCOXydase); '. 8 monocytes (Pappenheim) ; ? M im>i ' I lymphocyte (peroxydase) ; ,s I monocyte avei vacuole digestive (Pappenheim); o cellule pigmentée = monocyte; u 8 lymphocytes et l monocyte vacnolisé (Peroxydase; riptasmocyta (Pappenheim); U thrombocytes (Peroxydase). des frottis desséchés traites aux colorants vitaux, et figurés par Dawson. De plus, les réactions histochimiques de détection du fer sont constam- ment négatives, tandis que la réaction signalé-tique des lipides au noir XXII, 1900 Les Corégones du lac de Neuchâtcl 687 Figure 8 Erythrocytes et leucocytes de bondelles. 1. érythroblaste et lymphocyte (Lepehne) ; 2 basophile (Pappenheim); 3 neutrophile pelgerisé (Pappenheim); 4 neutrophile et 2 lymphocytes (Peroxy- dase); S eosinophile (peroxydase) ; 6 monocyte avec corps de Doehle (Pappenheim) ; 7 mono- cyte (Lepehne); 8 thrombocytes (Pappenheim). Soudan B [115] est positive. Seuls, les erythrocytes peuvent renfermer ces organites, et la permanence de cette localisation - ils ont été retrouvés régu- lièrement chez tous les corégones examinés en 4 ans - nous incline à croire qu'il s'agit encore de formes mitochondriales. Nous hésitons toutefois à les homologuer aussi avec les granules primaires de Dawson. La présence d'érythroblastes est normale dans le sang des corégones. Toutefois, leur proportion n'est jamais très élevée et ne dépasse pas 5%, alors que Baudin comptait 20% de « globules neufs» dans le sang de Perca fluviatili!. La réaction peroxydasique de l'hémoglobine (Lepehne) est toujours positive pour toutes ces cellules. On découvre aussi, dans les 688 Jean-Pierre lìargetzì Hydro!. étalements, quelques erythrocytes en dégénérescence, totalement dédifTé- renciés et uniformément acidophiles. Ce fait n'a rien d'aberrant. Granulocytes Bien des auteurs ont fait état d'une grande rareté des basophiles et des eosinophiles dans le sang des poissons et mis leur présence en doute. Ainsi Lanine [i io] n'a pas pu découvrir de leucocytes eosinophiles dans le sang des feras du Léman. Nos premières observations de préparations hématolo- giques colorées au Pappenheim semblaient confirmer cette assertion, mais le recours à des réactions d'identification plus sélectives nous a fait réviser notre opinion et reconnaître leur existence. Certes, l'erreur d'interpréta- tion se comprend, car ces cellules ont presque toujours un noyau rond, insegmenté et volumineux, et un cytoplasme à réaction plutôt basophile, comme les formes juvéniles qu'on rencontre parfois dans le sang périphé- rique des vertébrés supérieurs. C'est l'emploi de la réaction métachroma- tiqu eau bleu de toluïdine, proposée parLlSON et adaptée à l'hématologie par Undritz [223] qui permit de détecter ces éléments, et la réaction peroxy- dasique de Graham-Knoll, recommandée par Undritz, Lang et van Oye [225] qui rendit possible la différenciation des eosinophiles et des neutrophils. Grâce à ces deux colorations, il nous fut aisé de poser un diagnostic parfaitement net. Basophiles Ils sont identiques chez les deux corégones, sauf peut-être sous le rapport du nombre des granulations métachromatiques, un peu plus élevé dans le sang de bondelle. Ces leucocytes sont de la taille d'un lymphocyte et comme lui, à pourtour arrondi. Lc cytoplasme est basophile et forme un anneau assez étroit à la périphérie d'un gros noyau globuleux, légèrement décentré, entier. Les corégones ont des basophiles contenant 2 à 6 granula- tions métachromatiques seulement, qui ont l'aspect de petites ponctuations sphérique de diamètre variable. Elles sont entièrement insolubles dans les fixateurs à alcool méthylique, à l'égal de celles des « basophiles tîssulaires» des mammifères, et doivent être regardées comme des organites à héparine. Neutrophils De taille nettement supérieure aux basophiles, ils s'en distinguent, tout comme les eosinophiles d'ailleurs, par plusieurs autres caractères. Le noyau est très multiforme; tantôt découpé en 2 ou 3 lobes flabcllés, tantôt nette- ment segmenté. Les segments sont au nombre de 2 à 5, et toujours globu- XXIJ, 1960 Les Corégones du Ine de Ncnchâtel 689 leux. Le nombre des noyaux lobés surpasse nettement celui des formes seg- mentées. Tous ces caractères répondent à un aspect «pelgerisé» typique (par analogie aux formes de l'anomalie Pelger chez l'homme), mais associé à une plus grande marge de variation dans le nombre des segments. Le cyto- plasme est assez hétérogène, sans granulations nettement distinctes au Pappenheim, plus ou moins basophile, avec des plages plus foncées qui signalent la présence, permanente à l'état normal de «corps de Doehle» identiques à ceux de l'anomalie humaine de May-Hegglin. Mais le carac- tère le plus concluant est celui de la colorabilité par la réaction peroxyda- sique de Graham-Knoll; les granulations deviennent intensément faunes et ont un aspect diffus, au contraire des granulations des eosinophiles. Eosinophiles Ils sont de dimensions identiques à celles des neutrophiles, mais avec un noyau ordinairement entier et rond, parfois réellement bisegmenté, tou- jours pelgerisé. Les granulations cytoplasmiques, invisibles au Pappenheim, sont parfaitement discernables et bien contrastées à la réaction peroxy- dasique. Colorées en jaune pâle, elles sont surtout rendues apparentes par une réfrigence très accentuée. Les noyaux ont d'ailleurs une structure plus dense que ceux des neutrophiles. Ces indices sont les mêmes dans les deux formes de corégones, aussi bien pour les neutrophiles que pour les eosinophiles. Monocytes Les monocytes des corégones sont les cellules les plus faciles à identifier avec toutes les colorations usuelles. Ils sont aussi les plus grands éléments figurés du sang. Les formes et les dimensions varient beaucoup. Le noyau, presque toujours encoche, possède une très fine structure interne, alors que Ie cytoplasme, souvent vacuolisé, présente parfois des nappes irrégulières de débris cellulaires d'origine exogène, qui peuvent donner une réaction positive à la peroxydase. Des granules brun-noir de pigment mclanique y sont aussi fréquents (cellules pigmentai res). Pias moey tes Ce sont les cellules de type lymphoïde les plus fugaces chez les palées; elles sont, par contre, beaucoup mieux représentées dans le sang de bon- delie. Les plasmocytes de palée ont un noyau à peu près rond, occupant habi- tuellement une position excentrique dans la cellule. Le cytoplasme, bleu 690 Jean-l'i erre Bargctzi Hydrol. intense sans vacuoles visibles et souvent étiré, prend une large extension, sans toutefois atteindre le format d'un monocyte. Les leucocytes équiva- lents des bondelles ont un noyau plus petit, mais ce caractère est assez fluc- tuant. Lymphocytes Ils sont de beaucoup les plus nombreux parmi les leucocytes de palée et de bondelle et se distinguent d'un groupe à l'autrepar une inégalité de taille, étant nettement plus petits chez la bondelle. Dans les deux cas, ils sont parfaitements ronds, denses et homogènes à l'examen microscopique. Lc cytoplasme, souvent frangé, forme une bordure assez étroite, nettement basophile. On les discerne aisément chez les palées, mais la différenciation devient très difficile chez les bondelles, en raison de leur ressemblance avec les thrombocytes. Thrombocytes C'est à leur sujet que la disparité hématologique entre palées et bondelles est la plus évidente. Nettement elliptiques, et presque toujours privés de cytoplasmes, ces éléments s'agglutinent par amas de 5 à 20 unités chez les palées. Par contre, chez les bondelles, ils sont souvent isolés, exceptionnel- lement juxtaposés en grand nombre et toujours arrondis, pourvus de petits lambeaux de cytoplasme fortement basophile. Aux photographies illustrant ces catégories cellulaires, nous adjoignons quelques images de préparations par apposition d'organes hématopoïé tiques. Les reins, la rate, le foie, et accessoirement l'intestin, ont été ainsi prospectés. De ces figures, on re- tiendra que la rate est essentiellement un organe de dégradation des cellules sanguines, tandis que les reins représentent le centre le plus actif de l'histo- genèse sanguine, aussi bien pour le système leucocytaire que pour les Myelogramme moyen relatif Paléc Bondelle C. fera Jur. C. macroph. Niissl. Basophiles 1.5% 2% Eosinophiles 2.5% 2% Neutrophils 5% 4% Monocytes 17,5% 14% Monocytes mécaniques 0,5% 0,5% Plasmocytcs 2% 7,5% Lymphocytes 70% 69% Autres cellules 1% 1% XXII1 I960 Les Corégones du lac de Neuchàtel OMI Figure 9 Centres d'hématopoïèsc des corégones. 1 et 2 rate; 3 rein; 4 foie. erythrocytes. Quant au foie, il paraît jouer un rôle supplétif dans la forma- tion des erythrocytes. Les palées ont approximativement autant de thrombocytes que d'autres leucocytes, tandis que chez la bondelle, ils sont en nombre double du total i:> 692 Jean-Pierre Bärget zi H y timi. des autres globules blancs. Ces valeurs ont etc calculées sur 5 ou 6 individus de chaque type et sont capables de varier de quelques pourcents. L'inégalité du taux relatif des plasmocytes paraît se confirmer, mais les différences les plus manifestes sont certainement celles de la forme des thrombocytes et de la taille des lymphocytes. PARTIE PHYSIOLOGIQUE 5.33 Teneur en hémoglobine: Si l'idée d'une relation entre les aptitudes à la nage et un titre élevé d'hématies, joint à une réduction de taille de ces cel- lules, est de caractère général pour les poissons pélagiques et migrateurs, on doit s'attendre à Ia vérifier chez des salmonidés, et peut-être chez les corégones, descendants présumés d'ancêtres anadromes. A titre documen- taire, nous donnons les résultats de nos mesures, mais pour les palées seulement. Une confrontation entre nos deux formes de corégones eût été incertaine, en raison de la dilution probable du sang de bondelle au mo- ment de la lève des filets. Dimensions des erythrocytes de palées: Comme nos précédentes valeurs se rapportaient aux hématies séchées et fixées après étalement sur lame, nous avons répété les mensurations sur des globules en suspension dans leur propre sérum. Une goutte de sang frais héparine a donc été diluée dans 0,5 ml de plasma prélevé sur une seconde fraction du même échantillon, puis déposée dans une microcellule. Ix relevé des dimensions a été opéré immédiatement, avant la sédimentation cellulaire, et nos indications sont les moyennes de 6 poissons âgés de 4 à 7 ans. Examinés dans ces conditions, les globules rouges ont la forme d'un ellipsoïde aplati, à 3 axes inégaux. Le noyau est, par contre, un ellipsoïde parfait, et comme son petit axe est à peine inférieur à l'axe le plus court de la cellule, il fait très légèrement saillir la membrane stromatique sur les deux faces de l'hématie. Ce soulève- ment est plus aisément perceptible chez les bondelles, où les globules ont un noyau un peu plus gros. ERVTHROCYTES de palée Figure 10 Face Profit XXU, 1960 Les Corégones du lac de Ncuchâtel 693 a) Nombre d'érythrocytes: 664000 par millilitre de sang; b) dimensions des erythrocytes mûrs: ' grand axe: 18,9//, N axe médian: 11,6//, axe court: 4,3 /à, ellipticité grand axe-axe médian: c = 0,79, ellipticité grand axe-axe,court: e = 0,97; c) volume moyen: ^ = 4/331«^ = 484 /Is (les paramètres a, b et c sont les demi-axes) ; d) aire de la surface: calculée par estimation, entre les limites des volumes de révolution A si 2 Jt x1.+ ------------arc sin e m 350 u' e pour x successivement égal à & et à c. L'aire peut aussi être déterminée en homologuant le volume à un cylindre à base elliptique, d'épaisseur nulle ^ ^ 2 ti «t s 346/i2; e) Taux d'hémoglobine : à l'hématimctre 10,6 g Hb dans 100 ml de sang; /) coefficient de coloration (quantité de Hb par hématie): 10,6-10 0,664 s 160/ig x 10-'; g Jhémoglobine par unité de surface d'érythrocyte: 45,6 /ig- IO"8 -/a"2; h) dimensions du noyau: grand axe: 8,7 //, petit axe: 4,2 ft, volume : 4 n a b2/3 = 80 /f3. En comparant ces indications à celles inventoriées par Timet [217, 218] pour une quarantaine d'espèces marines, et les chiffres épars dans la litté- rature pour les poissons dulçaquicoles [253, 47], on ne peut que marquer son étonnement. Le nombre des globules rouges de palée est très bas, à peine la moitié du chiffre de ia plupart des téléostéens connus. Inversement, la taille est très grande, presque égale à celle des sélaciens. Quant au titre en hémoglobine, il est un peu au-dessous de la norme conférée aux télé- ostéens. Ces caractères vont à Rencontre de ceux des grands nageurs marins, tels que Clupea pilebardus, qui est aussi un isospondyle. Ainsi les palées suppléent à une faiblesse numérique des globules rouges par une taille plus grande de ces cellules. Doit-on voir dans cette « hypoglobulie» permanente et une plus longue durée de maturation des érythroblastcs, dotés seulement d'une quantité infinie d'hémoglobine quand ils parviennent dans le sang, l'une des causes de l'inadaptation des corégones aux accès soudains d'exal- tation métabolique? L'hypothèse nous paraît assez plausible. 694 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. 6. Cytotaxonomie 6.1 La formule chromosomiaie Puisque les structures morphologiques et anatomiques, modelées par un concours d'influences diverses dont il est souvent difficile d'évaluer l'im- portance, offrent l'image d'une plasticité inéluctable, on en vient tout natu- rellement à prêter attention à des unités plus stables, celles-là même qui assument la pérennité et l'universalité des caractères d'une espèce: les dé- terminants génétiques. Dans cette recherche, appliquée à nos corégones, toutes les voies ne sont pas accessibles à l'expérimentation. Force fut pour nous d'en limiter le choix à celles qui paraissaient justiciables de techniques à la mesure de nos moyens, mais cependant assez exactes pour qu'une diffé- rence entre palées et bondclles soit clairement significative. L'établissement de la formule chromosomique est le préambule indispensable à un tel exa- men. lille revêt d'autant plus de signification qu'une disharmonie évidente doit, d'après Kupka [io8] être à l'origine de la coexistence dans le lac de Zurich de deux espèces distinctes, quoique sympatriques : l'une, C. sdmizii duplex Fat. possède 72 chromosomes, l'autre C. asperi maranaeoïdes Fat. en détient 36 dans ses cellules diploïdes. La première est un Sandfelchcn, ho- mologue de la palée, la seconde un Albeli, se rattachant au même «type» ballern de Fatio que C. sebinzii. Il était assez séduisant de présager une dif- férence de même ordre entre corégones d'autres lacs du nord des Alpes, en particulier entre palées et bondelles. C'est en 1945 que Svärdson a publié sa monographie [201] sur les attri- buts chromosomiques des salmonidés, complétant ainsi'les informations antérieures et très fragmentaires de Makino [127, 128] sur Onwrhynchus keta, et celles de PROKOFIEV A [162] relatives à Salmo salar, Salmo fario et C. Ia- vareius baerì. L'investigateur suédois a conféré une notoriété particulière à la phylogénie chromosomique de cette famille en examinant de nombreuses espèces et hybrides interspécifiques et en décrivant leur morphologie chromosomique. Comme matériel d'étude, il a eu recours à des blastodisques d'embryons, détachés de la vésicule vitelline, et fixés à l'acide acétique dilué ou au carmin acétique 48 heures environ après la fécondation. Ce délai ré- pond, pour C. lavaretus et C. albula, au stade de segmentation le plus favo- rable à l'étude cytologique. Cette analyse donne à SvARJ)SON l'occasion d'annoncer, pour Coregotius lavaretus L. et pour Coregomts albula L. 2 N = 80 chromosomes, et de confirmer ainsi la valeur proposée par Prokofœva [162] pour Coregotius lavaretus baeri Kessler. Il révèle, en outre, l'occurrence XXII1 1960 Les coregoncs du lac de Neuchâtcl 695 de modalités mitotiques très inhabituelles et d'une fréquence élevée d'aberrations: I0Il observe dans des figures d'un même embryon une mosaïque de cellules contenant 20, 40 ou Oo chromosomes, ou parfois 4 chromosomes seule- ment; elles serait consécutive, pense-t-il, à une sorte de réduction soma- tique [200, 248]. 20Il discerne des variations volumétriqucs et structurales du noyau d'une part, des chromosomes d'autre part, et pour ceux-ci, des anomalies dans le cycle de leur contraction qui, au lieu d'atteindre son plein effet à la fin de Ia prophase, n'interviendrait qu'à !'anaphase. Tous les chromosomes subissent une réduction de longueur, mais elle n'est pas proportionnelle entre les bras; elle n'est pas constante non plus, varie d'une cellule à l'autre, et s'accentue d'une mitose aux suivantes. Le nombre des cons- trictions secondaires se modifie lui aussi considérablement à travers les diverses phases mitotiques; très élevé à la prophase, il tend vers zéro à Panaphase, avec des différences de chronologie bien marquées d'une image à l'autre. 30Il signale encore des défauts de synchronisme et des écarts de phase dans la cinétique des mitoses. 40Il constate une tendance marquée à Paccolement terminal des chromo- somes acrocen triques. 50 Tl décrit des phénomènes fréquents de non-disjonction, entraînant une variation des nombres chromosomiques d'une cellule à l'autre. 60Il affirme l'existence, dans la moitié des embryons de C. lavaretm L. d'un très petit fragment, qui aurait la valeur d'un hétérochromosome sexuel. Ces phénomènes traduiraient une instabilité fondamentale du cycle de de distribution des chromosomes chez les corégones; cette thèse s'accom- mode aisément, de l'avis de son auteur, à la variabilité des formes exté- rieures de ces poissons, et à leur état d'hybrides présumés, plus ou moins bien «balancés» au point de vue génomique. Des examens de cinèses méiotiques, on pourrait attendre des signes qui corroborent ces conclusions. Malheureusement, - les illustrations de SvARDSON l'attestent - ces images semblent être très petites chez les sal- monidés, et leurs éléments si condensés que toute discrimination devient très difficile. Ici encore, Ie comportement s'écarte de Ia norme car apparem- ment, les métaphases méiotiques ne sont accompagnées d'aucune extension spatiale, et la répartition des éléments semble perturbée. SvÄRDSON admet la présence, à côté de bivalents normaux, de quelques univalents. Ceci sup- poserait une asyndèse [78] au moins partielle. » 696 Jean-Pierre Bargctzi Hydrol. Par une contribution plus récente au problème chromosomique des core- gones, Ambühl [4] a souligné l'importance que revêt, selon lui, la variabi- lité du nombre chromosomique entre embryons d'une seule et même forme de coregones. Sa technique, pourtant, ne diffère pas de celle des ses prédé- cesseurs; elle s'applique aussi à des blastodisques d'embryons âgés de 1 à 4 jours, nés de coregones provenant des lacs de Zurich et de Constance (Untcrsce et Obersee). D'après les valeurs qu'il cite, les fluctuations sont considérables, pouvant passer de 4 à 590 i IO pour les Schwebfelchen du lac de Zurich, ou de 21 à 165 ± I0 pour les Blaufelchen de l'Untersec. L'auteur les interprète comme le signe d'une déficience de la balance chro- mosomique des embryons; il approuve les représentations faites par ses devanciers de métaphases à cinétique asynchrone et à figures anaphasiques multipolaires, le plus souvent trifusoriales. Leur fréquence pourrait être plus élevée qu'il ne paraît, et de la conjugaison des deux phénomènes pro- céderaient des noyaux à nombres aberrants, inférieurs au nombre diploide dominant. Partisan des idées de Steinmann, il regarde d'ailleurs les six formes qu'il a étudiées comme partenaires de l'unique espèce C. lava- retus pour laquelle le nombre diploide Ie plus probable serait de 84 chro- mosomes. C'est par l'analyse cytologique des palées et des bondelles qu'a débuté Je présent travail et à l'époque, nous l'avions entrepris sans nous soucier des contributions antérieures. Méthode: La technique adoptée a été préco- nisée par Maïthey; elle comporte, avant la fixation dans du carmin acé- tique ou de l'acide acétique de même concentration, un traitement prélimi- naire par l'eau. Nos investigations ont porté aussi sur des disques germina- rifs : les oeufs sont disséqués vivants, un par un, dans une solution de chlorure de sodium à 0,2% (le sel maintient dissous le contenu vesiculate et permet d'éviter une opacification du milieu en cas de rupture) et les blastodisques aussitôt reportés dans de l'eau. La dissection n'exige que quelques secondes. Le séjour dans l'eau est de 15 minutes environ; à l'eau distillée, on peut subs- tituer un tampon très dilué à pH voisin de 7, ou du liquide de NiU et Twitty [67] étendu d'eau 1:5 avec des résultats équivalents. Les fixateurs, carmin ou orcéine acétiques [111] ont pu, par contre, être avantageusement dilués 2:1. Le fragment y est immergé, et le squash exécuté 20 minutes plus tard. Un rapide examen microscopique permet alors de juger de la qualité de la fixation et de l'état du matériel, les meilleures préparations étant seules retenues et immergées dans l'alcool 70% v/v jusqu'à décolle- ment des couvre-objets, puis rincés à l'eau, et aussitôt rccolorés, soit au Feulgen, soit à l'hématoxylinede Heidenhain. Ces préparations ont l'avan- XXII, 1960 Les Corégones du lac de Neuchätel 697 tage d'être plus lisibles et plus durables que les squashes colorés par le seul carmin acétique. Quelques essais nous ont incité à choisir des embryons de IO à 20 D°. Des 20 D°, les préparations perdent en clarté ce qu'elles gagnent par une fréquence accrue de mitoses, mais celies-ci deviennent plus contractées et se diversifient morphologiquement. Dans un même embryon, on rencontre des zones où la fixation est de qualité assez inégale, où les chromosomes peuvent être tantôt trapus, tantôt grêles, et le squash semble provoquer à* I, Mitose de. paleo 2 -Y = ~S±2 Mitose de bondelle 2 Ar = 78±3 Figure L 1 Cinèses de segmentation. Mêtaphascs mitotiques de blastomeres, embryons de 10 à 20 D". Prétraitement: 15 minutes, eau distillée, Fixation: 20 inimités, carmin acétique squash, recoloré par la méthode rie Feulgcn. des superpositions et des désordres dans l'arrangement des cellules et la dis- position des figures métaphasiques. Dans nos préparations, les bonnes images mitotiques, bien fixées et assez étalées pour que les chromosomes soient dénombrables avec un degré suffisant d'exactitude sont peu fré- quentes, si bien qu'il nous fallut exécuter quelques centaines de prépara- tions comprenant 3 à 4 blastodisques chacune. Nos valeurs pour les palées et les bondelles procèdent des 4 ou 5 meilleures cinèses que nous ayons découvertes pour chaque forme; nous en donnons les dessins et des micro- photographies. Ces valeurs rassortissent à quelques conventions, nécessaires pensons- nous, car avec un matériel si peu favorable et des cinèses qui comptent près de 80 chromosomes, dont plusieurs assez longs, les chances sont très faibles 698 J can-Pierre Bargetfci Hydro!. de trouver des figures d'où soit rigoureusement exclue toute équivoque de dénombrement. i°Nous comptons une marge d'incertitude pour les points où apparaît une superposition douteuse, en particulier quand trois bras semblent abou- tés, quel que soit l'angle qu'ils forment et même si une interprétation est plus plausible que l'autre à l'examen microscopique. 20La valeur diploide que nous assignons à chacune des formes est l'expres- sion du nombre le plus probable, compte tenu des présomptions que suggèrent la morphologie âes chromosomes et l'image microscopique directe. Nos résultats sont les suivants: PalcCj Core go/ms fera Jur. 2 AT= 78 ± 2 Bondelle, Corego/ius macrophthahnm Niissl. 2 Àr= 78 ± 3 Dans la mesure où les cinescs étaient lisibles, nous n'avons rencontré, par ailleurs, que de très rares images dont le décompte approximatif s'écartait nettement de ces valeurs. Lc nombre 80, qui serait conforme aux thèses de SvARDSCXK, nous paraît très improbable pour nos corégoncs. Nos observa- tions ne concordent pas toujours avec celles des précédents auteurs. Les inégalités de raccourcissement des chromosomes nous paraissent incontes- tables, de même que la réduction progressive du nombre des constrictions secondaires. Par contre, et pour autant qu'on en puisse juger, les phéno- mènes de non-disjonction, de deletion, d'asynchronisme métapbasique ou de formations fusoriales multipolaires nous semblent exceptionnelles. La difficulté très réelle d'obtenir de bonnes images, l'absence d'uniformité dans la fixation, le fait surtout que toutes ces assertions reposent exclusivement sur l'examen du seul matériel embryologique nous incitent à une certaine réserve. Il n'est pas exclu qu'avec un objet aussi fragile que des blasto- tnères en début de segmentation, des parcelles mal fixées soient par- tiellement désorganisées par l'écrasement et que ces altérations puissent parfois brouiller la conformation initiale des métaphases autant que l'or- donnance des cellules. Nous nous sommes demandé s'il ne convenait pas de prêter plus d'atten- tion à la nature des ébauches soumises à l'examen et à leur destination embryologique. Au début de la segmentation, chez les salmonidés, la couche inférieure des blastomètres en contact avec la vésicule vitelline s'individualise en un syncytium, par effacement des cloisons cellulaires. Ce syncytium est de formation précoce, puisqu'il commence à se différencier dès la 5° division de segmentation. !Les divisions ultérieures se déroulent WII. 1!Hi(J 1 irégones du lac de Neuchâtel 699 Figure rs Cinèses dr si'Kiiii-iitatioii. Métaphases niitoti(|iies de Masti »nèn-s. /il ¦>' Iminlelli-; 2 e I 4 palèi ; i, J? et 4 coloration de Feulgen; 3 coloré à l'héniatoxyline de Heideuhain. au sein d'une masse syncytialc homogène, fonctionnellement trophique, où il n'est pas impossible que la cinétique mitotique devienne plus ou moins aberrante. Même si la fissuration qui prélude au creusement de la cavité de segmentation est déjà marquée, une portion de ce tissu syncytial peut rester adhérente au blastodisquc exéré, surtout dans la zone marginale, et les anomalies rencontrées pourraient dériver de cette partie seulement des tissus. 700 Jean-Pierre llargctzi Hydrol, C'est pourquoi une confrontation avec des cellules d'un coregone adulte ou d'un alevin nous a semblé utile. L'absence d'une moelle osseuse chez ces poissons restreint cependant le domaine des investigations, d'autant plus qu'il est avéré, depuis qu'on pratique des dosages de DNA, que les noyaux somatiques de certains tissus peuvent être normalement polyploïdes. Une autre méthode, recourant à du tissu conjonctival, a été mise à l'essai sans succès, aussi bien avec des corégones adultes qu'avec des «pré-estivaux». Cette technique, par ailleurs excellente, et qui a parfaitement réussi pour d'autres espèces de poissons, ne paraît pas propice pour les salmonidés. Apparemment, on ne parvient pas à expliquer la raison de cette déficience. Même résultat négatifde notre étude cytologique de la méiose. L'époque de la réduction chromatique dans la Spermatogenese des palées et des bondclles n'étant pas connue, nous avons prélevé durant deux années consécutives des testicules des deux formes, de quinzaine en quinzaine, à partir de juillet et jusqu'à fin octobre. Des fragments d'organes ont été fixés simultanément dans du Flemming sans acide acétique, et dans du lïouin. La seconde série était destinée à suivre l'évolution hìstologique de la Spermatogenese, la première était réservée aux examens cytologiques. Dans ces préparations, il nous fut possible de suivre les phénomènes caryo- logîques jusqu'au début du pachytene de première division des spermato- cytes; le champ nucléaire, encore étendu à ce stade, paraît ensuite se ré- trécir brusquement en même temps que se contractent les chromosomes prophasiques et donner des images assez semblables à celles de Svärdson pour la métaphasc I, très compactes et à peu près indéchiffrables. Il est pos- sible toutefois que nous ayons manqué le stade favorable, nos examens ayant été quelquefois différés par des conditions météorologiques rendant les pêches impossibles. D'après ce que nous avons observé, le processus s'es- pace dans le temps au lieu d'avoir un caractère explosif, car il n'est pas rare de trouver, à côté de spermatocytes primaires, des spermatides déjà très évoluées. C'est pourquoi ce travail va être repris avec l'aide de la micro- spectrophotométrie du DNA, afin de suivre plus aisément la cadence des méioses et leur étagement dans l'organe. Il nous paraît illusoire de tenter une homologation précise des chromo- somes et d'en donner un idiogramme. Le nombre élevé de ces unités et leur instabilité morphologique rend, à notre avis, une telle opération trop arbitraire, et il serait aventuré d'en tirer des conclusions. Pour C. ïavant us y et C. alhula, Svärdson indique 8 paires de métacentriques et subméta- centriques, et 32 paires d'acrocentriques. Nos estimations concordent, ce qui situe le N. F. à 94, approximativement. Nous avons reconnu également, XXH, 1900 Les Coregone? du lac de NeuchâteJ 701 chez les palées, la présence d'un petit élément, un microchromosome, qui doit correspondre au fragment hétérochromatique de C. lavaretus. Un élé- ment semblable n'a pu être mis en évidence chez les bondelles, mais cette constatation n'est en aucune façon démonstrative, le nombre de bonnes cinèses étant trop limité. La question d'un hétérochromosome sexuel reste ouverte. 6.2 Evolution phylogénétique des coregone* Kn proposant d'allouer aux salmonidés actuels un statut polyploïde, SvARDSON s'est fait le promoteur d'une hypothèse qui connaît encore un large retentissement. L'intérêt de cette proposition réside dans le fait que jusqu'alors la polyploïdie n'avait jamais été considérée comme un facteur probant de l'évolution des nombres chromosomiques et de la spéciation des Vertébrés; clic aurait donc un caractère exceptionnel dans ce groups, où ce mécanisme évolutif, suggéré à maintes reprises, n'a cependant jamais été vérifié. Il fonde cette assertion sur les arguments suivants: I0La plupart des nombres connus chez les salmonidés paraissent s'échelon- ner entre 60 et 100, en une suite de multiples de IO. 2°Dans les embryons qui offrent l'aspect d'une mosaïque de nombres chromosomiques, les nombres 20, 40 et 60 sont plus fréquents que les autres. 30 L'absence d'espèces à nombre diploide intermédiaire. 4° L'accroissement du nombre des métacentriques suivrait, proportionnel- lement, celui du nombre total des chromosomes, à !'encontre de la règle de Robertson. 50 Les espèces à 80 chromosomes possèdent un assortiment qui semble devoir s'homologuer par groupes de 4; il y aurait ainsi quatre garnitures semblables de 20 chromosomes chacune. 6° Pour n'être pas létales, les déficiences mi to tiques, non-disjonctions, dele- tions, écarts de phase, et aberrations méiotiques, supposent un équi- libre compensatoire dont le concept de la polyploïdie pourrait seul livrer l'explication. 70La présence d'un chromosome sexuel unique n'exclut pas l'éventualité d'une spéciation par polyploïde, et l'hypothèse de Muixek ne peut être absolument restrictive en un tel cas. Une théorie sur la phylogénie des salmonidés complète cette interpréta- tion : Issue d'une forme ancestrale à 2 N = 20 chromosomes, cette popula- tion originelle se serait scindée en groupes génétiquement distincts par 702 J afin-l'i (irre Bargctzì Hydrol. l'effet de l'isolement géographique ou climatologique. Dc nouvelles condi- tions cosmiques ayant rendu possible un rapprochement subséquent des deux formes, il en serait résulté des hybrides, et les perturbations méio- tiques auraient été surmontées par l'instauration de formes triploïdes, puis tétraploïdes, devancières des covégones actuels. La sélection aurait éliminé les diploïdes primitifs et seuls subsisteraient les polyploïdcs, mieux adaptés aux conditions nouvelles. Dans cette perspective, les espèces à 60 chromo- somes seraient hexaploïdes et les corégones notamment, octoploïdes. Kupka a lui aussi opté pour une thèse polyploïde dans ses conjectures sur la spéciation des deux formes du lac de Zurich et des embryons d'un coregone de l'Attersee autrichien, Coregot/us wartmamn Bloch. Mais il an- nonce une série à nombre basai 18. Plus récemment LlEDEK [114] assigne à Salmo irideus Gibb. 2 N = 60, et confirme pour Salino trutta farm L. 2 N= So. L'hybride interspécifique artificiel S. trutta farin S X S. irideus $ présente 2 A7 = 70 chromosomes, ce qui procure à cet auteur une argumentation en faveur des vues de SvARDSON, qu'il accepte sans réserve. Des cytologistcs des Vertébrés, Matthey [132] et White [245, 247] ont, au contraire, exprimé des doutes quant à l'opportunité d'une hypo- thèse polyploïde appliquée à la phylogénie des Salmonidae. L'absence d'espèces à 10 ou 20 chromosomes, évoquée par White, n'est pas retenue par SvARi)SON comme une objection décisive. Matthey rapporte une critique plus convaincante, en faisant valoir que les N. F. déterminés chez les salmonidés, 68, 72, 96,100 et 130 se laissent difficilement ranger en une série polyploïde et qu'en tout cas, des chiffres multiples de 6 seraient plus probables que des multiples de 30. Relevons encore la contradiction des thèses énoncées par I es pro ta goni s tes de la polyploïdic: d'accord sur le principe, ils ne le sont plus sur le nombre •de base, car si Svärdson er Lieder optent pour 10, Kupka retient des multiples de 9 ou de 6. Nos propres résultats exprimés avec une imprécision de 2 à 3 unités pourraient inciter le lecteur à admettre une assimilation de C. fera et C. macrophthahnus aux formes nordiques à 80 chromosomes et à tenir cette présomption comme une nouvelle preuve à l'appui des perspectives poly- ploïdes. Semblable interprétation est inopportune. L'erreur relative affectée à chaque groupe tient aux indéterminations objectives de dénombrement de plusieurs cinèses, et considéré globalement, le nombre de 78 est nettement le plus pertinent. Il l'est d'autant plus que les microphoto- graphies de LiEi)ER nous inclinent à croire que nos propres décomptes X-XJI, 1960 !,es Corégones da lac de Neuchâlcl 703 clans l'appréciation de la valeur la plus probable sont plutôt surestimés que minimisés. Nous reconnaissons bien volontiers que l'exemple de ces deux corégones n'est pas déterminant et qu'une critique des thèses de SvARDSON réclame des preuves plus circonstanciées, il y a néanmoins quelques autres objec- tions: l°A notre connaissance, SvARDSON n'a pas discuté la réfutation de Mat- they sur l'incompatibilité entre N. F. et séries polyploïdes. Il est vrai que l'auteur suédois récuse par avance l'intervention de processus de «fusion cen trique» de type robertsonien dans la spéciation des salmo- nidés. Or, cette notion postule évidemment une certaine stabilité du i\T. F- dans les lignées phylétiques. Svà'rdson affirme qu'entre les deux espèces à 58 et 60, et celles à 80 chromosomes, le nombre des métacen- triques s'accroît et que la règle de Robertson n'est pas suivie. Nous ferons alors remarquer que Lieder, en comptant 2N— 60 chez Salmo irhieus, y dénombre près de 40 métacentriques et submétacentriques, contre 20 acroeentriques seulement Dans ces conditions, le N. F. est de 100 et concorde parfaitement avec les N. F. des espèces à 78 et 80 chromosomes, si bien que la généralisation invoquée par SVARDSON est con trouvée, au moins dans ce cas. 2° De nombreux salmonidés n'ont pas encore été étudiés cytologiquement. Mais le nombre des espèces auxquelles une valeur diploide a pu être attribuée paraît actuellement suffisant pour que l'argument que nous avançons ait une signification statistique. En dressant le bilan des nombres chromosomiques connus, et en séparant le groupe des multiples de 10 et celui des espèces qui sont regardées par les partisans de la polyploïdîe comme étant ancuploïdes, on obtient la répartition dans le tableau à la page 704. La part d'arbitraire que suppose l'établissement de ce tableau ne nous échappe pas, non plus que celle des erreurs qui ont pu s'insinuer dans l'esti- mation des nombres diploïdesj mais avec un tel matériel d'étude, les pro- babilités d'estimation fautive sont sans doute assez également réparties. Or, même en admettant que les 6 groupes de corégones examinés par AiMBUHL n'appartiennent véritablement qu'à l'espèce unique C. lavaretus, on doit constater que sur 17 salmonidés décrits, 9 au moins devraient être aneuploïdes, et 8 seulement d'authentiques polyploïdes. Tenant compte du caractère unique d'une hypothèse polyploïde des corégones dans le cadre phylogénique des Vertébrés, cette théorie nous paraît peu concluante. Une spéciation sans incidences polyploïdes n'exclut pas, à priori, l'éven- 704 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. Espèces «polypliïdesn 2 JV Auteur Salmo salar Salmo tri deus S. trutta fario Salmo alpìntts C. lavaretus boeri C. albula C. exiguus albellus C. lavaretus 60 60 SO 80 SO 80 70 80 Prokofieva J-IEDER LlEDER SvÄRDSON Prokofieva SvÄRDSON KU PKA SVÄRDSON Espèces ancuploïdes 2 N Auteur Osmerus eperlantts Salmo fonlinalis Salmo fario Tkymallus thymallus Oncorhynchus keta C. schimii duplex C'aspcri maraenoides C. warimanni coerul. C. lavaretus L, \ 3 formes lac Zurich 1 3 formes lac Constance J 58 84 84 102 74 72 36 72 84 SVÄRDSON SvÄRDSON Prokofieva SvÄrdson Makino KUPKA KUPKA KUPKA AMBÜHL tualité d'hybridations anciennes ou récentes. C'est la question que nous allons explorer dans le.cas des coregones des lacs jurassiens. 6.3 V hybridation expérimentai e Les tentatives d'hybridations expérimentales ont été nombreuses et ont prouvé dans l'ensemble que les salmonidés s'hybrident aisément, pour au- tant qu'entre espèces ou formes soumises au croisement des liens de parente héréditaire soient assez étroits [60, 173]. La plupart des générations F1 ne montrent aucune diminution notable de vitalité; au contraire, elles exté- riorisent souvent un heterosis assez marqué. Des espèces a nombres chro- mosomiques dissemblables, S. irideus et S. trutta fario, ont même pu être hybridées [114], mais leur ontogenèse ne va pas au delà de l'éclosion, à de rares exceptions près. Dans ce cas, la survie des alevins est de très courte durée. Etudiés cytologiquement par LlEDER, ces hybrides ont révélé détenir 2N= 70 chromosomes, valeur intermédiaire entre celle des es- pèces parentes. SvAiU)SON a obtenu plusieurs hybrides et back-crosses de Salmo. Il est vrai que la plupart des individus de la génération F1 étaient stériles. XXII1 1060 Les Corègono* du l;i<; ck Nciuchiitcl 705 Encore que la preuve n'en ait jamais été fondée en toute certitude, il semble que l'hybridation entre corégones sympatriques puisse se produire dans les conditions naturelles, surtout entre les espèces dont les périodes de fraie ne sont pas nettement disjointes et dont les aires de reproduction ne sont pas discontinues. C'est le cas probablement des palées et des bondelles du lac de Neuchâtcl. Mais la fréquence de ces hybridations paraît épisodique. Tous les pêcheurs du lac affirment avoir capturé des bâtards en diverses occasions et les naturalistes n'ont pas récusé cette opinion. Aucun-fait expérimental indubitable ne pouvait cependant être avancé à l'appui de- cette supposition. Ó.31 Hybridation artificielle palée x bandelle: Sur le plan expérimental, le croisement entre palée et bondclle offrait de sérieuses difficultés, le délai de survie des corégones transportés en bassin d'élevage étant toujours très court, même si les bacs sont irrigués par de l'eau pompée dans Ie lac et si les poissons sont normalement alimentés au plancton. La plupart d'entre eux ne parviennent jamais à récupérer leur équilibre statique, et ceux qui ont physiologiquement surmonté l'épreuve de In capture sont régulièrement atteints de mycoses et d'hémorragies cutanées. Ils meurent tous après quelques jours, 8 à io au plus. C'est la raison pour laquelle nos premiers essais furent sans lendemain; ils avaient pour objet: i°Des injections d'extrait d'hypophyse de truite à des bondelles, en vue d'accélérer la maturation testiculaire et de Ia faire coïncider avec l'époque de fraie des palées. 2° D'acclimater des palées mâles pêchées sur les frayères en espérant par- venir à différer de quelques jours la stimulation sexuelle par l'absence de femelles et de gamones dissoutes. Ce procédé s'est révélé inapplicable, car les palées déchargent spontanément leur laitance, dès leur installation dans les bacs. Nous avons essayé trois autres méthodes: 30Du sperme de palée prélevé stérilement de testicules exérés a été dilué dans un égal volume de Ringer (ou de Ringer glucose) additionné de 100 mg de sulfamide et conservé à I0 C. Après une semaine, le sperme avait complètement perdu son pouvoir fécondant (voir aussi DoRlER [49= 50]). 40Au cours de trois saisons consécutives (1953 à 1956) nous avons procédé à des essais de conservation de laitance de palée par congélation brusque à basse température, suivant une méthode analogue à celle pratiquée couramment pour le sperme de mammifères. Nous ne disposions que de 706 Jean-Pierre Bargcizi Hydrol. deux semaines par an pour mettre les technique à l'épreuve, aussi ces tentatives ne furent-elles pas très concluantes. Nous les avons abandon- nées dès que le résultat final que nous recherchions fut acquis par un autre moyen. Toutefois, à l'époque, le problème était d'actualité, et comme l'usage de ces méthodes serait d'un grand avantage en pisci- culture, à supposer qu'on parvienne à les mettre au point, nous rendons corfipte ici brièvement de nos recherches dans ce domaine. Afin d'évaluer le degré de survie des spermatozoïdes dans les dilucurs et la conservation du pouvoir fécondant des échantillons congelés, nous avons pratiqué concurremment: a) Des essais de fécondation directe sur des ceufs de même « espèce» ; fi) des contrôles de la motilité au microscope (contraste de phase); c) l'emploi de colorants vitaux différentiels, en particulier à l'éosine-nigro- sine [133,208, 187, 19]. Ces contrôles présument une relation entre la conservation de la motilité et le maintien des facultés fécondantes des spermatozoïdes. Cette corréla- tion, démontrée dans le cas de nombreux mammifères, ne saurait être géné- ralisée, à priori, et étendue sans vérification expérimentale aux poissons. Seule la première épreuve est déterminante, les deux autres n'ayant qu'une valeur présomptive. Le rôle protecteur du glycerol dans la conservation prolongée du sperme, pressenti par Rostand, a fait accomplir de grands progrès à la pratique de l'insémination artificielle des animaux domestiques et les travaux les plus significatifs à cet égard, ceux de Polge, Smith et Parkes [157], puis de Poi^ge et Smith [156], préconisant un dilueur constitué par Ringer addi- tionné de 4.Oy0 de glycerol, nous ont fait espérer le succès d'une adaptation à la fécondation des salmonidés. De la laitance de palée diluée à diverses concentrations dans des milieux physiologiques (Tyrodc, Ringer, Locke, Ringer glucose) renfermant 40, 20, 10 et 5% de glycerol furent répartis dans des tubes capillaires ou congelés en coquille dans des ampoules scel- lées. La solidification est obtenue très rapidement par immersion dans un mélange acétone-glace carbonique à — 79° C. Les contrôles opérés dans un délai de 2 à 8 jours, par les méthodes indiquées, furent tous négatifs. L'eftèt protecteur du glycerol se révèle donc inefficace sur le sperme de poissons, tout comme l'emploi de milieux à base de jaune d'œuf [152]. La différence de comportement du glycerol provient sans doute de ce qu'il ne peut diffuser à travers la tête spermatique, en raison des propriétés très dissemblables de perméabilité sélective des spermatozoïdes de mammifères et de poissons. XXM, 1900 Les Corégoues du tac de Neuchàtcl 707 Ce fait peut être mis en rapport avec les modalités particulières de la fé- condation, interne chez les premiers, externe chez les seconds. L'eau possède un pouvoir stimulant sur les spermatozoïdes de poissons et cette exaltation cinétique entraîne une mort rapide. D'après nos observations, du sperme de palée dilué dans l'eau perd samotilitédans un délai de 40 à 180 secondes, selon les échantillons, tandis que la laitance non diluée, séjournant à une température voisine de 0° C, ne perd ses facultés motrices qu'au bout de 15 à 25 heures. L'inaptitude du glycerol à protéger efficacement le sperme de poisson au cours de la congélation (ou de la fusion) nous fut confirmée par Rothschild et Lovelock en 1955. On ignore le mode d'action du glycerol dans ce phénomène. Il est à supposer qu'il prévient la dénaturation des macromolécules spermatiques aux basses températures, ou qu'il exerce une action protectrice à l'égard de certains ions minéraux du milieu, ou encore qu'il retarde l'apparition de cristaux. On sait que la congélation brusque engendre un solide « vitreux» non cristallin, mais que cette forme est généralement métastable et tend, durant sa conservation, à cristalliser autour de germes préexistants. Le glycerol pourrait retarder ces cristallisa- tions intraspermatiques ou externes, et limiter les dégâts qu'elles en- traînent inévitablement. Tenant compte de ces hypothèses, nous avons repris les essais (1955) en recourant à des substances censées détenir une certaine parenté chimique et physique avec Ie glycerol et capables de dif- fuser plus aisément à travers la cloison : autant que possible, elles devaient être de dimensions moléculaires plus réduites, être polaires, avoir un point de fusion assez bas, être totalement hydrophiles, ou peut-être Hpophiles et hydrophiles à la fois. Par ailleurs, nous nous sommes efforcé de réaliser des milieux aussi équilibrés que possible avec le plasma séminal, en ce qui concerne le pH, la pression osmotique (abaissement cryoscopique), la pres- sion oncotique, la viscosité. Un examen préalable du plasma séminal de palée et de bondelle a fourni les valeurs suivantes: Plasma sdminal Nombre d'échantillons Valeur moyenne PaUe pH à cryométrique 11 6 0,498° C Bandelle pH â cryométrique 8 6 8,2 0,49a° C 40 708 Jean-Pierre lìargetzi Hydro!. Les mesures cryométriqués ont été effectuées sur du plasma séminal dia- lyse sous pression. Les valeurs de Ia pression oncotique, très faibles par rapport à la pression osmotique mesurée par cryornétrie, ont été négligées, sous réserve d'un ajustement de la viscosité. Instruments: Pour les mesures cryométriques, nous avons employé un appareil de notre conception, construit pour des volumes réduits (2 à 3 m!) de plasma. Le dispositif consiste en un élément de mesure en forme d'ai- guille de verre (micro-thermistor Philips) monté en pont avec un poten- tiomètre décadique de précision. Mise à zéro au galvanomètre à cadre mo- bile (Multiflcx MG 2). Tension de travail: 0,5 à 1,5 V. Les pressions oncotiques ont été mesurées avec l'appareil de Scatchard [179] et des membranes ultrafiltrantcs graduées [180]. Les dilueurs que nous avons mis à l'épreuve ont été conçus en tenant compte dans Ie choix des tampons et des sels minéraux, du pH, des actions toxiques ou stimulantes de ces ions et de leur antagonisme physiologique [181] et les concentrations ont été prévues de manière à correspondre, au total, à un â cryoscopique de 0,50 C environ. La viscosité a été ajustée par des adjonctions de dextrane. Comme protecteurs chimiques, nous avons essayé les substances suivantes: glucose, glycol, aldéhyde glycérique, pyru- vate de sodium, i32-propancdiol, glycine, a-chlorliydrîne. Avec l'un des milieux (mélange glycose-glycol) conservé pendant 2 jours à une tempéra- ture inférieure à — 500 C, nous avons pu obtenir 4% d'ecufs fécondés sur un lot de 250. Ce rapport est trop faible pour que nous puissions le consi- dérer comme démonstratif. Depuis l'achèvement de cette partie expéri- mentale, des monographies et des recherches importantes ont été consa- crées à ces sujets [129,216,135], mais à notre connaissance, aucun procédé de conservation prolongée du sperme de poissons n'a encore été décrit. 5° C'est en partie au hasard que nous devons d'avoir réussi une fécondation croisée. En janvier 195Ó, alors que s'ouvrait la fraie des bondelles, nous avions demandé à tous les pêcheurs et au Service cantonal de la pêche de nous signaler les palées capturées qui posséderaient encore du sperme. Contre toute attente, une palée nous parvint le jour même de l'unique pêche de bondelles du mois. La palée était un mâle de 39 cm, comptant 27 branchicténies au premier arc. Il a été possible d'extraire un reste de laitance et de féconder les œufs d'une bondellc. L'incubation n'a pas fait apparaître des déficiences, sinon une augmen- tation de la mortalité par rapport aux témoins (bondelle); la létalité fut de 55% environ (5 à 10% pour les témoins) mais elle doit vraisemblable- XXII1 1060 Les Corégones du lac de Ncuchâtel 709 ment être attribuée à la rareté de la laitance du çéniteur et à une «sur- maturation» spermatique. Dès l'éclosion, les alevins ont été installés en bassins d'élevage, en même temps que deux lots d'alevins de bondelle. La phase critique de la croissance, celle de la résorption de Ia vésicule vitelline et de l'instaura- tion du régime alimentaire planctonique (nauplii de crustacés) a eu, comme il était de règle, des conséquences désastreuses, aussi bien sur les hybrides que sur les témoins; une dizaine d'alevins seulement ont sur- vécu. Le groupe des hybrides n'a manifesté aucune diminution de résis- tance physiologique à cette occasion. Dans les mois qui suivirent, tous les témoins sont morts. Trois hybrides sont, par contre, demeurés en vie assez longtemps, et Ie dernier survivant est mort à l'âge de 16 mois. Il s'agit d'un individu mesurant 10,5 cm et de sexe non encore reconnais- sable; le premier arc branchial possède 25 branchicténies, ce qui rend très vraisemblable la réussite de l'hybridation et valorise l'hypothèse d'une congruence des génomes. Nous renvoyons au prochain chapitre la description des indices taxonomiques embryonnaires qui caractérisent ce bâtard. Le croisement inverse paléc S X bondelle ? semble être pratique- ment irréalisable, aussi longtemps que Ia question de la conservation prolongée de la laitance n'aura pas été résolue. 6.32 Hybridation spontanée entre populations de corégones: Nous avons ainsi voulu aborder utilement Ie problème de l'hybridation par une voie expéri- mentale, car il est indéniable qu'il adûjoucr-ou qu'il exerce encore de nos jours - un rôle important dans Ia spéciation et l'équilibre des populations sympatriques de corégones. Certes, les informations que nous avons re- cueillies sont très incomplètes et la discussion reste, malgré tout, affaire d'intuition plus que de démonstration. Quelques faits introduiront le débat: I0SvARDSON admet que certaines populations locales de corégones pour- raient être des hybrides, par exemple l'«albask» serait issu d'un croise- ment entre l'«asp» et le «large white-fish». 20La « palée de fond» du lac de Ncuchâtel, qui marque écologiqucmcnt la transition entre la palée de bord et la bondelle, mais qui s'identifie mor- phologiquement aux palées de bord, évoque d'emblée l'idée d'un croise- ment. 3°Lac voisin de celui deNeuchâtel avec lequel il communique par un canal, le lac de Bienne est peuplé de corégones qui sont certainement nés des 7.10 Jean-Pierre Bärget zi H yd roi. mêmes précurseurs autochtones que les palées et les bondelles, puisque les deux lacs ont fait partie, à l'époque des glaciations, d'un vaste et unique bassin originel. Semblablement orienté, de relief presque identique, traversé par les mêmes cours d'eau, le lac de Bienne ne se distingue que par des dimensions plus réduites, et une profondeur moindre. Ces inéga- lités en font pourtant un biotope assez différent pour que ses corégones ne soient, écologiquement, pas assimilables aux formes des eaux ncuchâte- loises. Wuthrich [251] et Dottrens, qui connaissent comme nous les populations des deux lacs, n'hésitent pas à affirmer la coexistence de Sand- felchen et de Schwebfelchen dans le lac de Bienne, bien que la fraie des corégones n'y soit interrompue ni dans l'espace, ni dans Ic temps. Elle est simplement prolongée de quelques semaines. Ces deux formes peu- vent être naturellement masquées par le chevauchement de leurs périodes de reproduction, et c'est ainsi que la pisciculture fut pratiquée pendant longtemps sans aucune discrimination, mais aussi sans inconvénient apparent^ ni accroissement significatif de la létalité. On pourra multiplier de tels exemples, et si de la propagation de ces types de transition interféconds -on ne peut conclure en toute certitude à Ia réa- lité du phénomène, l'idée d'une hybridation naturelle paraît s'imposer. Notons qu'il est évidemment difficile de supputer la fréquence de l'appari- tion des présumés hybrides, car la plupart d'entre eux ne sont pas mutuelle- ment rcconnaissables, ou ne se différencient pas visiblement de la forme parentale. L'expérience accumulée par la pisciculture intensive et les pêches effectuées dans les semaines qui suivent la fraie confirment en outre que dans leur presque totalité ces corégones sont sexuellement fonction- nels à l'état adulte; la fécondité des hybrides serait donc indéfinie, au moins théoriquement. Pour ne bien connaître que ceux-là, nous ne pouvons envisager que les corégones des lacs subjurassiens. Au point de vue cytologiquCj l'identité des nombres et en première approximation, celle de la forme des chromosomes, suppose une relative uniformité des deux patrimoines héréditaires associés dans l'hybride. Les differences factorielles sont vraisemblablement limitées à d'éventuels remaniements segmentai res, translocations ou autres, sinon à des mutations géniques ou à l'existence d'un hétérochromosome [106J. La congruence approximative des génomes doit rendre, semble-t-il, l'appa- riement méiotique assez aisé. On conçoit qu'une telle hybridation, normale et diploide, n'altère pas sensiblement la vitalité ni la fertilité. Les conceptions actuelles sur les phénomènes d'hybridation entre espèces XXII, iaCO Les Çorégones du Ine di; NcuchâUil 711 ou sous-espèces paraissent trouver dans l'exemple des çorégones un champ d'application idéal et' plaider en faveur de leur intervention dans l'histoire évolutive, ancienne et récente, de ces poissons. La plus grande uniformité physique du milieu aquatique, comparée à l'entourage terrestre, accroît considérablement les chances d'hybridation spontanée, et le confinement dans un espace limité de populations alliées et potentiellement interfé- condes doit agir dans le même sens. Que surviennent fortuitement ou à intervalles plus ou moins éloignés des événements climatologiques qui rapprochent les époques de fraie et les amènent à coïncider durant quelques jours ou quelques semaines, des croi- sements auront pu se produire entre les deux groupes frayant sur des aires contiguës. Avec une évidence grandissante, il semble actuellement que les gènes qui conditionnent la réalisation des caractères externes soient assez nombreux, surtout dans les espèces très diversifiées. Si tel est le cas des çorégones, et pour autant que les génotypes des formes parentales ne soient pas déjà très hétérozygotes, les prévisions mathématiques de recombinai- sons devraient se concrétiser par une extrême multiformité des individus issus de la génération F1 et contraster avec la monotonie morphologique de cette première population hybride. Or, dans les conditions" naturelles, cette variété ne s'observe qu'exceptionnellement, car de nombreux facteurs en limitent l'extension. Deux d'entre eux vont retenir un instant notre attention. L'un est d'ordre interne: le linkage génique. Pour des biotopes isolés, les deux populations en présence et qui s'affrontent dans l'hybride sont numériquement « finies» ; l'effet du linkage se traduit alors par une réduction sensible du nombre et de la fréquence des phénotypes nouveaux. La dispersion des caractères est d'autant plus faible que le linkage est plus étendu. Cette restriction ne se fait pas au hasard; seuls apparaîtront les types les plus ressemblants aux parents d'une part, et ceux qui se rapprochent de la configuration la plus hétérozygote, représentée par les individus F1, d'autre part. D'autres phé- nomènes cytologiques ajoutent leur effet au linkage. La fragmentation du génome en un grand nombre de chromosomes, si elle va de pair avec une dispersion des alleles sur plusieurs couples d'homologues, comme aussi une plus étroite localisation des chiasmas dans chaque bivalent, contribuent à resserrer le champ des réalisations phénotypiques. Si, dans un complexe depopulations partiellement hybridées, ces mêmes facteurs sont très agissants et s'exercent constamment à travers plusieurs générations successives, on doit s'attendre à une lente régression vers les types parentaux, au détriment, cette fois, des intermédiaires de modèle F1, 712 Jcan-Picrrc Bargetzi Hydrol. comme s'il y avait ségrégation permanente des caractères allélomorphes et refonte en génotypes initiaux. Considéré sous cet aspect, le linkage est une force cohesive entre popula- tions sympatriques et les croisements reviennent, en fin de compte, à une introgression [5], c'est-à-dire à l'intégration limitée du patrimoine hérédi- taire d'une population par des gènes d'une autre forme apparentée. Le back-crossing, sans doute à l'œuvre dans ces croisements entre corégones, n'a pu qu'accélérer cette évolution. ¦ TJn second facteur capable de limiter efficacement la diversification des phénotypes est le milieu. Il doit certainement éliminer un grand nombre d'individus dont les préadaptations physiologiques et anatomîques sont défavorables, à l'égard de la nourriture planctonique notamment. Dans le cas des corégones du lac de NeucMtel, on peut comprendre l'existence et ks particularités de la population des palées de fond par une hybridation introgressive; il reste à savoir si elle est plus ou moins perma- nente, se répétant chaque année sur un nombre restreint d'individus, ou si, au contraire, elle n'est plus qu'une relique d'une hybridation ancienne qui tend à s'effacer. Il est intéressant de constater que cette forme a pu faire re- tour morphologiquement au type palce de bord, tandis que les corégones du lac de Bienne, dans leur état actuel, illustrent plutôt une sorte d'équi- libre de populations, entre lesquelles l'hybridation serait de date plus ré- cente ou se poursuivrait encore de nos jours. En rapport avec le problème qui nous occupe, la signification de ces no- tions est manifeste. Elles rendent compte à la fois, si on les adopte, de la diversité des formes sympatriques locales et de leur polymorphisme, de leur étroit assujetissement au milieu, de leur interfécondité, de l'effacement progressif des populations intermédiaires et de l'éloignement des limites chronologiques de la fraie des palées et des bondelles. Certes, pour être d'une portée décisive, elles demandent confirmation. Nous avons lieu de croire que l'enquête biométrique à laquelle Dottrems se livre présentement fixera la part de l'hybridation et de !'introgression dans les processus de spéciation des corégones. Sur ce qu'il advint aux salmonidés originels, précurseurs des corégones, nous ne sommes guère renseignés, et il est hasardeux de prendre position sur l'hypothèse d'hybridations aussi anciennes. SYÄrdson, rappelons-le, les fait intervenir dans son abrégé généalogique. Notons, en terminant, que même si elles ont effectivement eu lieu, la polyploïde n'est pas le seul méca- nisme .régulateur de la méiose. Lorsqu'on parviendra à découvrir, sous les apparences déroutantes de la cinétique méiotique, les modalités précises de XXlI, tOCO Les Corégoncs du lac de Nouchâtcl 713 Ia syndèse - ou de l'allosyndèse - on sera sans doute conduit à des apprécia- tions moins problématiques. 7. Taxonomie ontogénique 7.1 (Quelques aspects (Pembryologie comparée. Les sujets dont nous abordons ici l'examen n'ont pas, de toute évidence, l'ampleur qu'ils méritent, et nos observations dans cette voie sont limitées à deux indices qui nous ont permis de confronter des embryons de palée et de bondelle et de reconnaître leur qualité d'hybrides aux produits du croi- sement palée S X bondelle ?. Le sort de nos tentatives d'élever ces alevins ne faisant aucun doute dès le début, il importait de choisir des critères différentiels d'apparition pré- coce. Durant plusieurs saisons, nous avons pu suivre les élevages de coré- goncs en pisciculture et comparer dans ses grandes lignes l'évolution onto- génique des palées et des bondclles, et celle des bâtards jusqu'à un an. Le chapitre réservé aux caractères méristiques a déjà fait part de !'Organo- genese des structures métamérisées, et défini les conditions expérimentales dans lesquelles devrait se dérouler l'incubation pour que ces éléments signa- létiques aient une valeur taxonomique irréfragable. Or, les installations piscicoles ordinaires ne s'y conforment jamais, si bien que le recours à des indices tels que la morphométrie doit inciter à une certaine réserve [192]. Macroscopiquementj l'évolution des corégones entre la fécondation de l'œuf et l'éclosion de l'alevin reproduit assez exactement celle décrite poul- ies truites, S.fario et S. irideus, par Pasteels [149], sous réserve d'inégalité des vitesses de croissance. L'observation est même plus aisée, car le chorion demeure parfaitement transparent et la pigmentation beaucoup plus limitée et tardive. La durée d'incubation diffère par contre sensiblement entre truites et corégoncs. En accord avec les observations de TAning, on n'enregistre d'éclosions simultanées d'ecufs de palées et de bondellcs que dans les pontes d'une même femelle et pour un seul et même couple de géniteurs. Exposés à des conditions en tout point identiques, les germes provenant de couples différents ne progressent pas exactement de la même manière, et peuvent éclore à quelques jours d'intervalle. La durée d'incubation des embryons de palée mesurée sur 6 séries de 100 œufs «consanguins», correspond à 318 i 32 Dc. Pour les bondellcs, deux lots de 100 œufs sont éclos après 2S5 ± 32 .0" d'incubation (valeurs calculées d'après les relevés quotidiens de température du Service cantonal de la pêche). 714 Jean-Pierre Bargctr.i Hvdroì. Il existe entre les oeufs de paléc et ceux de bondelle une différence de taille reconnaissable au premier coup d'oeil- Dans les cas des salmonidés, on a démontré qu'un rapport pouvait être établi entre la grosseur des œufs et leur nombre (voir Svärdson [203]: d'une manière générale, chez les es- pèces qui en pondent beaucoup, les ceufs sont de petite taille, et inversement. On peut invoquer cette particularité comme caractère d'identification, mais il ne saurait tendre à l'universalité. Le caractère semble d'ailleurs être d'ap- plication difficile si Ic nombre des formes sympatriques d'un même lac se chiffre par plus de 2 ou 3. Il doit, en outre, répondre à certains impératifs, et c'est à ce sujet que Wuthrich a amorcé une étude biométrique com- parée, aujourd'hui incomplète malheureusement puisqu'elle n'intéresse que les palées. Une première indication fondamentale réside dans le fait que le volume de l'oeuf est indépendant de l'âge de la femelle; une autre, que la variabilité entre les œufs de femelles différentes est assez restreinte. Diamètre des œufs Paléc Bondelle (lots de 100 œufs) 75 2Çj Non fécondes m: 2,24 m: 1,83 (san? eau) a: 0.07 a: 0,10 S.c: 0,003 — Fécondés m : 2.65 m : 2,09 (à l'éclosion) a: O1U a: 0,15 S. c.: 0,004 — Augmentation diamètre 11-23% 12-17% Augmentation volume 36-85% 35-59%, Valeurs calculées d'après les mensurations fail es par 'WuTH1KiCH et partiel le ment publiées 251]. Assurément, les mesures préliminaires faites pour les bondelles n'ont pas de valeur statistique; elles n'expriment qu'un ordre de grandeur. Mais pour autant, l'écart entre les ceufs des deux populations est assez net pour qu'on puisse présumer une différence significative, notamment pour les œufs cali- brés avant l'éclosion, quand Ie volume s'est bien stabilisé. S'agissant de sa validité biologique, il convient de souligner que le déter- minisme de ce caractère reste assez incertain et que son expressivité et liée à un grand nombre de facteurs, histogénériques d'abord, puis relevant de la dynamique de la fécondation. Dans la cavité abdominale des corégoncs, les oeufs mûrs, avant leur évacuation, ont un chorion mou; ils ne sont pas tur- XXI], lflfiO Les Corégones du lac de Ncuchâtel 715 gcscents. Ejectés dans l'eau,- ils gonflent un peu, mais cette extension volu- niétrique reste limitée. C'est l'excitation produite par l'intrusion du sper- matozoïde fécondant qui déclenche les mécanismes d'i inhibition et les pro- cessus concomittants de la distension de la capsule externe, de son durcis- sement et de sa relative imperméabilisation. Cette absorption d'eau et l'espacement périvitellin qui en est la consé- quence, s'expliquent par une décharge massive de mucoprotéines dans la lame d'affrontement intervésiculaire [190]. Devjllieks etRoSENBERG [42] ont montré que chez Salmo irideus les œufs immergés dans de l'eau distillée s'imprégnaient davantage avant de durcir et devenaient plus volumineux, ce qui suppose une certaine marge d'adaptation. Sur ce point, les idées et les faits dont elles procèdent sont encore contradictoires. On a relevé d'autres cas d'accomodation dans une même espèce (ou une même forme), au gré des conditions dominantes de biotopes différents [92]. Au contraire, Scott [184], après avoir examiné le nombre et la taille d'oeufs de Salmo gairditeri kamloops exposés à des conditions expérimentales variées, conclut à un contrôle génétique de la taille, mais à une variation du nombre en fonc- tion du milieu et des conditions physiologiques du moment. Plus péremptoire est à notre avis l'argument de la pigmentation. Il re- présente peut-être le meilleur argument de désignation immédiate pour des embryons parvenus au terme de leur ontogenèse //; ovo, au moins pour les corégones de ce lac. Dans les derniers jours d'incubation, les alevins de palée sont constellés de chromatophores de grandes dimensions, bien visibles à l'œil nu, à digitation ramifiée, alors que-les embryons de bondelle d'âge équivalent n'ont que de rares ponctuations très diffuses et voilées, jamais ramifiées (voir iconographie Wuthrich [251]. Ce caractère, associé à l'élaboration plus ou moins tardive du pigment mélanique n'a pas fair encore, à ce qu'il paraît, l'objet d'une expérimentation histologique et histochimique approfondie, ni d'une étude comparée chez les corégones. I Je à des phénomènes de différenciation chimique de systèmes enzymatiques spécifiques, il préfigure les considérations qui seront exposées dans la se- conde partie de ce travail. Far les clichés que nous publions, où sont juxtaposés un embryon de bon- delle et un embryon hybride palée S X bondelle ?, on jugera de la dis- semblance de la pigmentation. Nos hybrides ont, à l'éclosion, une mélani- sation de type palée, mais avec chromatophores un peu moins nombreux. Les œufs, par leur taille, se rattachent nettement au type bondelle, et les modifications volumétriques qu'ils ont subi confirment cette ascendance. Si les conditions de la réorganisation de l'œuf après l'irruption du sperma- 716 Jean-Pierre Harçetzi Ilvdml. Figure 13 embryonnaire. i embryon liyhride (palée ) 2,18 mm 2,20 mm 0,05 0,04 Taxonomie et parasitisme: La spécificité d'adaptation anatomique et physio- logique de nombreux parasites internes à l'égard de leur hôte, de cestodes XXIl, I960 Les Corégoncs du lac de Neuchâtcl 717 en particulier, autorise souvent des conclusions sur la parente systématique des espèces parasitées. Dans je cas des corégones des lacs subalpins, une telle corrélation n'a jamais pu être établi, car les helminthes qu'hébergent par- fois ces poissons appartiennent tous à des groupes très ubiquistes; cette conjonction est donc sans signification évolutive. Deuxième partie ASPECTS BIOCHIMIQUES Le choix des méthodes ' La biochimie ouvre au chercheur un champ d'étude quasi illimité. A l'échelon des molécules et des ultrastructures cellulaires, elle a pris le relais de Ia physiologie classique, et c'est en imaginant les moyens de sa propre investigation et en créant les instruments les mieux ajustés à ses analyses qu'elle s'est ouvert la voie d'une destinée prometteuse. Certes, elle a hérité beaucoup des disciplines physiologiques et raffinement des techniques microchimiques favorisa son essor. Mais par l'originalité de ses conceptions, par le rebondissement de ses découvertes dans les domaines d'application les plus divers, par le fait aussi que sa dépendance à l'endroit de la biologie est beaucoup plus qu'une simple coïncidence de matériaux, elle s'est acquis une option à l'autonomie. La diversité des sujets qu'elle aborde est telle que les correspondances fonctionnelles et physico-chimiques entre les êtres vivants appartenant à des catégories systématiques différentes n'a retenu l'attention que d'un petit cénacle d'expérimentateurs; en Europe, Baldwin et I7LOIiKiN, qui firent œuvre de précurseurs, et des embryo logis tes, parmi lesquels lî rächet, NEEDHAMet Weiss. La différenciation biochimique est d'ailleurs, implicite- ment, au centre du courant actuel de recherches sur les acides nucléiques et sur la duplication des molécules protéiques. L'évolution de ce vaste projet fait bien augurer des prolongements que plus tard, la systématique animale en pourra tirer. La biochimie des poissons, en particulier, n'a suscité qu'un petit nombre de travaux originaux, dont la plupart relèvent de la physiologie respiratoire et des phénomènes d'osmoregulation. Le sujet des amines biogènes, des phases ultimes de la dégradation des protéines et de la libération rénale des déchets azotés a été bien exploré. On sait depuis longtemps que les séla- 718. Joaii-Picrrc Bargctzi Hydro!. ciens se singularisent par une distribution de l'urée à l'ensemble de leurs tissus et organes et par le taux élevé qu'y atteint cette substance, 2,4% pour les espèces marines et 1% environ pour les formes dulçaquicoles, alors que chez tous les autres vertébrés uréotéliques, la fonction est strictement hépatique. Une même extension caractérise la répartition de l'arginase, ainsi que Fa démontré Baldwin plus récemment [10], et ce parallélisme confirme l'ubiquité de la fonction uréogénique, car on sait quel rôle primor- dial joue cet enzyme dans le cycle de l'orni thine. Le métabolisme des purines a fait l'objet de nombreux examens d'un grand intérêt. Si Shewan [188] a analysé, en chimiste, les dérivés azotés présents dans la musculature de plusieurs espèces de poissons, oxyde de triméthylamine, creatine, carnosine, anserine, urée, acides aminés et dérivés des purines, sans faire ressortir aucune subordination à la classification zoologique, Florkin et DuchÂ- TEAU [68] ainsi que Brunel [27] ont, en revanche, prouvé l'existence d'un tel rapport pour l'uricolyse, et leur démonstration illustre de manière très convaincante un phénomène d'évolution biochimique régressive, par perte d'enzymes et partant, de l'aptitude que possèdent certains Invertébrés de fragmenter le noyau purique jusqu'à l'ammoniaque. La présence fréquente des deux dipeptides anserine et carnosine dans le muscle de certains pois- sons avait déjà été signalée en 1921 dans une note de CuiTORD, qui soup- çonnait des concordances avec l'espèce. L'exposé de Hamoir [84] enri- chit nos notions sur les protéines musculaires de la carpe et de plusieurs espèces marines. Après Agren [1] et quelques autres chimistes, Florkin [72], Duchâteau et Florkin [61] ont repris cette étude par les méthodes de dosage microbiologique et établi une corrélation entre le «pool» des acides aminés non protéiques et l'espèce, pour le sang et le muscle de carpe. Du même auteur [71], une communication sur les pigments rétiniens met en évidence une dualité entre poissons marins et d'eau douce, résultant de- là substitution de la rhodopsinc des espèces océaniques par la porphyrop- sine chez les seconds. Lc travail de Goodwin [79] sur les caroténoïdes, ^-carotène, lutei ne, astaxanthine et taraxanthine a permis de déceler quelques inégalités de distribution, mais sans faire apparaître de disconti- nuité évidente entre les poissons colonisant l'un et l'autre biotope. Lovern [122-126] s'est appliqué à doser les constituants des réserves lipidiques chez les poissons, qui représentent à cet égard un haut degré de complexité. Il est parvenu à justifier quelques discriminations d'ordre quantitatif entre espèces pour les acides gras à longues chaînes, C12 à C24, saturés et non saturés. C'est à Dodd [46] que revient le mérite d'avoir prospecté la nature et le rôle des hormones sexuelles, tandis qu'en enzymologie, AUGUSTiNS- XXII, 1S60 Les Corégones du lac de Neuchâtcl 7J 9 son [7] a mis en valeur l'importance des systèmes à esterases et cholinesté- rases dans le plasma sanguin et les leucocytes circulants. Cette brève revue serait incomplète sans la mention des travaux de Drilhon sur les acides aminés libres [56] et sur les protéines plasmatiques ; il en sera question dans un prochain chapitre. Quelles conclusions ces enquêtes suggèrent-elles, et dans quelle mesure font-elles pressentir une déviation biochimique entre les deux formes de corégones que nous étudions? Certains résultats sont l'expression d'une parfaite similitude d'organisation chez les vertébrés inférieurs. D'autres valorisent les dysharmonies qui s'y manifestent, mais à l'exception peut- être du bilan des acides aminés libres, elles sont plutôt liées aux grandes unités systématiques, ou tout au moins aux catégories supérieures à l'espèce. Des divergences plus subtiles ont été notées parfois, mais qui dissimulent souvent des inégalités écologiques ou des fluctuations d'origine alimentaire. Après quelques tâtonnements initiaux, notre intérêt s'est tourné vers un autre aspect de la biochimie comparée, apparemment capable dé révéler les caractères « spécifiques» d'un individu. Ces caractères sont l'émanation des particularités constitutionnelles de certains composants, dont en pre- mier lieu l'acide desoxyribonucléique, dépositaire des déterminants géné- tiques et véritable mémoire cellulaire, puisqu'aussi bien le DNA total d'un blastomère d'embryon, par exemple, récapitule et coordonne une somme énorme d'informations, celles entre autres qui émergent du passé généalo- gique de l'animal et de ses liens de parenté systématique avec, en surim- pression, les indices individuels. Cc que nous avons tenté de saisir à travers nos expériences biochimiques, c'est une parcelle de l'originalité de l'espèce, traduite en code physico-chimique et inscrite dans ses macromoléculcs. Dans cette interprétation, une différence taxonomique devrait se traduire par une dissemblance de structure moléculaire, une hétéromorphie [73]. A ce propos, signalons que tous les processus de différenciation biochi- mique peuvent être ordonnés en deux catégories: ii) Ceux qui se matérialisent dans des systèmes qui président à une même fonction, mais qui diffèrent par l'acquisition, la perte ou la permutation d'Un composant dans une chaîne de réactions, tel qu'un cycle enzyma- tique. C'est l'expression dynamique, et dans une certaine mesure consé- quente, de la différenciation. F) Ceux qui s'expriment par une hétéromorphie constitutive des macro- molécules. Si l'on excepte les cas de mutations géniques, la transmission des facteurs qui conditionnent la réalisation d'un phénotype implique, dans la lignée germinale au moins et au début de l'ontogenèse, la péren- 720 Jcan-Picrrc lìargctzi H yd roi. nité du plan d'organisation de chacune des macromolécules, quel que soit leur turn-over particulier. C'est l'aspect intrinsèque et permanent de la différenciation biochimique. Dans l'état actuel des techniques, percevoir une hétéromorphic des acides nucléiques ou des nucléoprotéincs est une entreprise presque irréalisable. Il n'est ainsi d'autre voie d'investigation que les travaux d'approche, les prospections générales: dosages comparatifs de JDNA3 détermination des rapports molaires des nucleotides ou des bases puriques et pyrimidiques [38]. L'étude qualitative de leurs compléments naturels, les protamines et les histories, remarquablement illustrée par les travaux de Vend rely et collaborateurs [237], suggère une large uniformité de composition en acides aminés, et rend hasardeuse toute identification par ce moyen. L'hydrolyse des nucleotides et leur fractionnement par les méthodes chro- matographiques n'ont pas été envisagés non plus, car les écarts probables entre animaux génétiquement très semblables ont toutes les chances de passer inaperçus. Nous avons retenu le dosage du DNA; depuis que se sont multiples les travaux expérimentaux à ce sujet, cette mesure apparaît comme une «constante d'espèce». Nos autres recherches se situent dans une même orientation. Elles reposent sur une interprétation que nous avions adoptée dès le début à titre d'hypothèse de travail, et qui tendait à admettre l'exis- tence d'un transfert limité d'informations spécifiques, dont certaines seraient inhérentes à l'espèce, entre le DNA chromosomique et les pro- téines des cellules et partant, du plasma. A l'époque, cette opinion n'avait suscité autour de nous que des réserves. Toutefois, la pratique déjà longue des enquêtes dites «sérologiques», ou la détection de populations physio- logiques telles que les groupes sanguins dans l'espèce humaine, paraissent fonder valablement cette conception. Dans une certaine mesure, les phéno- mènes d'immunisation sont l'expression d'une défense antixénique de l'organisme. Dans cette perspective, il est assez séduisant d'admettre que d'une façon ou d'une autre, certaines macromolécules de synthèse biolo- gique sinon toutes, prennent «la mesure» de la contexture élective du DNA et réfléchissent, par leur propre configuration chimique et physique, une parcelle de son individualité. La part de spéculation est évidemment très grande dans ces propositions, mais nos travaux expérimentaux peuvent se justifier sans leur intervention. La notion de spécificité doit d'ailleurs être précisée car elle admet, suivant sa destination, une quantité de nuances interprétatives. Les zoologistes uti- XXII, 1960 Les Corégones du lac do Neuchâtel 721 Ii sent couramment ce mot comme adjectif d'espèce; afin d'éviter toute confu- sion, nous ne l'avons jamais introduit dans ce texte avec cette acception. En biochimie, où il exprime Ic caractère non équivoque d'une relation de causa- lité, il n'a pas exactement le même sens suivant qu'il s'applique à l'embryo- logie causale/à l'cnzymologie, à l'immunologie ou à des rapports de struc- ture spatiale. En immunochimie même, la notion de spécificité n'est pas uni- voque. Est spécifique, l'anticorps capable de précipiter in vitro l'antigène qui en a provoqué l'élaboration, ou capable de le lyser, s'il est cellulaire. A cet anticorps, on peut opposer aussi un antigène « hétérologue», c'est-à-dire un constituant chimique du même nom, maïs provenant d'un animal d'une autre espèce. Si aucune réaction ne se produit, on conclut à la disparité des deux espèces, mais si elle est positive, la réaction «croisée » démontre un degré élevé d'isologîe chimique et une parenté zoologique avec l'espèce témoin d'autant plus étroite que la réaction sera plus prononcée. C'est une spéci fi té «d'espèce», On a noté aussi, plus exceptionnellement, des réac- tions positives entre antigènes extraits d'organes ou de tissus appartenant à des espèces sans aucun lien systématique immédiat. Elles dénotent une spécificité d'organe. Enfin, des antigènes hérérogénétiques auraient été dé- celés dans certains cas, et l'on peut se demander si cette diversité des po- tentialités spécifiques est due à la prépondérance d'une détermination, ou à un défaut réel de prestations de cet ordre. La différenciation histologique pourrait-elle être à l'origine de la perte de certains déterminants d'espèce? Sur ce point, les embryologistes n'ont pas de réponse certaine. Rien ne permer encore de certifier que les protéines de l'adulte sont déjà présentes, virtuellement, dans le germe. Lc fait est probable cependant. Dans tous les cas où l'expérimentation a pu être faîte, il est prouvé que les protéines dé- tiennent une spécificité bien avant la différenciation histologique, à laquelle elles contribuent dans une large mesure, conjointement à d'éventuels phé- nomènes d'induction [77]. Mais cette spécificité est avant tout d'ordre somatique et fonctionnel. Elle vise à la spécialisation cellulaire et à l'inté- gration des mouvements morphogénétiques. Présentement, l'état des recherches n'autorise pas de synthèse théorique décisive. Le cas des noyaux est mieux connu et nous conduit à nuancer quelque peu les repré- sentations que nous nous faisons de ces problèmes. Au début de l'ontoge- nèse, les noyaux de segmentation de la blastula sont équivalents et pos- sèdent toutes les potentialités de l'espèce. A la gastrulation, les noyaux des cellules somatiques acquièrent la détermination en même temps que leur activité se spécialise. Pour en rendre compte, Gallien propose deux hypo- thèses: l'éveil successif des gènes, ou une activation simultanée, mais avec /22 Jean-Pierre lïargctïi Hydrol. des disparités quantitatives dans les produits dont ils règlent l'élaboration, si bien que les réalisations morphogénétiques seraient le résultat d'une diversification régionale due à ces interactions. On le voit, la manifestation progressive des caractères de l'espèce au début de l'ontogenèse est encore d'ordre conjectural et ses incidences biochimiques devront faire l'objet de nouvelles recherches. Avant de résumer nos résultats, rappelons que certains d'entre eux sont l'aboutissement de travaux qui datent déjà de quelques années [il, 12] et: que les techniques ont beaucoup évolué depuis lors. Les examens immuno- chimiques ont été exécutés entre 1954 et 1957 et certains détails méthodolo- giques concernant notamment le fractionnement des protéines plasmatiques sont aujourd'hui périmés. 8. Constantes de DNA 8.1. Le 'dosage chimique du DNA dam les noyaux wmatiques et les garnîtes (ery- throcytes et sperinato'zoîdes) Lorsqu'à été commencé ce travail, les résultats cytologiques de KUPKA sur deux populations sympatriques de corégones du lac de Zurich avaient mis en évidence une disparité manifeste, puisque Tune des formes devait posséder des chromosomes en nombre double de l'autre. Nos propres exa- mens caryologiques des palées et des bondelles ont fait ressortir, par ailleurs, une extrême variabilité de taille des chromosomes mitotiques et l'on pou- vait se demander si cette particularité dissimulait une déviation quantita- tive du DNA d'un groupe à l'autre. Ces conclusions de Kupka, autant que nos propres observations, nous ont paru nécessiter une vérification directe. Une telle expérimentation offrait encore un autre intérêt, plus fondamental et d'une portée plus générale. Quel que soit l'individu, son âge ou l'organe considéré, la teneur en DNA des noyaux cellulaires d'un animal est carac- téristique de l'espèce à laquelle il appartient. C'est en 1948 que Boivin, Vendrely et Vendrelv appelèrent pour la première fois l'attention sur la remarquable stabilité de la répartition de cette substance dans les noyaux tissulaires de nombreux organes de bovidés, foie, pancréas, rein, thymus, et sur le parallélisme constaté entre la réduction chromatique et celle du DNA nucléaire, dont la quantité absolue par noyau s'abaisse à la moitié de la valeur initiale au cours de la méiose. Grâce à l'avènement des techniques de fractionnement et d'isolement des organites cellulaires, de rapides pro- XXII, 19GO Les Corégones du lac de Neuchâtcl 723 grès ont été enregistres dans cette voie. Les méthodes cytophotométriques, conçues par LiSON et Pasteels [118] en !Belgique et par Mirsky et RiS [136] aux Etats-Unis, donnèrent à ces recherches une nouvelle impulsion. L'une et l'autre représentent une adaptation à la spectrophotométrie dans le visible du procédé imaginé par Caspersson [28, 29] pour la mesure des acides nucléiques par l'absorption ultraviolette des bases azotées compo- santes. Les deux auteurs américains, puis Davidson et ses collaborateurs [39] approuvèrent les conclusions des premiers chercheurs. C'est ainsi que peu à peu, de l'ensemble des rapports expérimentaux, s'est dégagée une idée qui finit par s'imposer comme une évidence, celle que le DNA des noyaux cellulaires apparaît, dans les limites de l'erreur expérimentale, comme une constante [237]. De tous les animaux étudiés et auxquels une telle constante d'espèce fut attribuée, les poissons sont les mieux connus sous ce rapport, et près d'une centaine d'espèces, se rattachant à tous les principaux groupes taxono- miques, figurent dans les tables déjà publiées [137, 235, 227]. Bien qu'un peu hasardeuses à partir de ces données encore trop fragmentaires, les dé- ductions qu'on peut tirer de ces listes semblent établir que les valeurs d'espèces sont plus élevées chez les Sélaciens et chez Petromyzon que dans le groupe des Téîéostéens. - Signalons, au passage, que Ia taille des noyaux des erythrocytes, comme ces cellules elles-mêmes, présente la même dis- semblance. - Dans leur grande majorité, les Téîéostéens, tant marins que dulçaquicoles, ont un titre en DNA compris entre 0,9 et 2,6 ¦ io-9 mg par noyau normal diploide (moyenne 1,6 • io-9 mg). Ces valeurs, avec celles des Oiseaux déjà examines, sont parmi les plus basses qui furent notées chez les Vertébrés. Or, Vendrely [227] a découvert que deux espèces se singu- larisaient par des teneurs bien supérieures, 3,2 pour la carpe, Cyprïnus carpio L. et 4,8 pour la truite arc-cn-ciel, Salmo ir'ukus Gibb., c'est-à-dire sensible- ment le double et le triple, respectivement, du chiffre moyen des autres Téîéostéens. Elle a supposé, à titre d'hypothèse préliminaire, l'existence de trois groupes désignés chacun par un «nombre de base», sorte de dénomi- nateur commun dont les valeurs particulières des espèces dériveraient par des variations mineures. Dans le cas de ces deux poissons, le matériel gé- nique pourrait, au contraire, avoir doublé ou triplé en bloc, ce qui évoque- rait un mécanisme évolutif par polyploïdie ou par polyténie. L'étude d'un coregone paraissait donc tout indiquée, car il était judicieux d'interpréter ces déductions à la lumière d'autres résultats et surtout de vé- rifier si ce chiffre élevé était de règle chez les salmonidés, ou même s'il pouvait être encore dépassé. Pour déterminer, avec une approximation 47 724 Jean-Pierre Bargetzi Hvdrol. raisonnable, la constante de DNA de deux corégones apparentés. Le recours aux deux techniques chimique et cytophotométrique s'imposait. Seule l'analyse microchimique autorise une définition en unités absolues, grâce à un dosage simultané de P et de N dans l'acide nucléique extrait. Un dernier point doit être discuté. Mirsky et Ris [136] ont prouvé, par des analyses cytophotométriques, que les cellules de certains organes pouvaient devenir polyploïdes, chez des individus âgés. Ils ont, en effet, constaté que les cellules du foie de rat adulte fournissaient généralement des valeurs qui s'ordonnent en séries multiples de I, 2 et 4, et cette obser- vation fut aussitôt corroborée par celles de nombreux autres analystes, non seulement pour le rat, mais aussi pour plusieurs autres vertébrés. Swift [211] notamment a reconnu la présence de noyaux tétraploïdes et octo- ploïdes dans le foie et le pancréas de la souris, de noyaux tétraploïdes dans le thymus, les lymphocytes et les cellules de Sertoli du même animal, à côte, bien entendu, de noyaux diploïdes normaux. Les exemples se sont multipliés depuis lors, mais l'existence de ces séries ne met pas en cause la notion de la fixité du titre de DNA dans les cellules, ni de la constante d'espèce. Elle indique simplement que les résultats des dosages chimiques peuvent être altérés, à moins d'être accompagnés d'une enquête cytophoto- metrique qui définisse la répartition des diverses catégories de noyaux dans Ib même organe. Si certains tissus ontunepropension à devenir polyploïdes, il en est d'autres, même somatiques, qui restent absolument invariables et diploïdes. C'est le cas certainement des erythrocytes de salmonidés, car ceux de Salmo irideus servent de matériel de référence dans la pluaprt des laboratoires qui pratiquent ces dosages, au même titre que les spermato- zoïdes de cette espèce pour la détermination de la constante haploïde, et toute anomalie de cette nature aurait été signalée depuis longtemps. Méthode: Le procédé que nous avons utilisé est celui décrit par Vendrely [227]. C'est à Schneider [183] qu'il a été emprunté pour être adapté aux suspensions de noyaux cellulaires par quelques modifications de détail. Le voici brièvement résumé: S'il s'agit de spermatozoïdes de salmonidés, la laitance est diluée sitôt après prélèvement dans de l'eau distillée, centrifugée à 40 pendant quelques minutes à 2000 t/min, puis remise en suspension. L'opération est répétée deux fois; on obtient alors une suspension très uniforme qui ne sédimente que très lentement. L'agitation brownienne maintient les noyaux en équi- libre dans la solution et retarde la floculation. Les hématies sont dispersées et lavées à une ou deux reprises dans une XXII, 1960 Les Corógoncs du lac de Ncuchâtcl 725 solution physiologique, puis hémolysécs par la saponine. Après centrifuga- tion pendant 5 minutes à 3000 t/min, elles sont remises en suspension dans la solution physiologique. Dans les deux cas, des parties aliquotes des suspensions, amenées à un volume connu, sont distribuées dans une série d'éprouvettes pour y être di- luées dans des rapports déterminés et ajustés aux conditions d'une numéra- tion à l'hématimètre. Il est d'impqrtance capitale que ces suspensions de- meurent stables durant toutes les opérations de dénombrement et qu'au- cune agglutination ne s'y développe. La suspension initiale peut alors être soumise à une série d'extractions, destinées à éliminer les substances qui pourraient interférer, puis à libérer les acides nucléiques. Dans une première phase, la suspension est addition- née d'acide trichloracétique à 40% jusqu'à concentration finale de 5% en cet acide, et conservée au frigorifique durant une nuit. Ce traitement élimine ¦ des dérivés puriques libres et probablement certains phosphatides. L'en- lèvement du P lipidique total, préconisé par Schneider [183] et par Schmidt et Thannhauser [182] est superflu. Dans une seconde phase, le culot de centrifugation est traité par une nouvelle solution d'acide tri- chloracétique à 5%, à chaud cette fois (température d'ébullition, réfrigé- rant à reflux) pendant 15 minutes. Ce traitement extractif est répété trois fois et solubilise les RNA et DNA du noyau, au prix d'une hydrolyse par- tielle de ces corps. Les quatre extraits réunis sont alors complétés à volume connu par de l'eau distillée et la solution soumise aussitôt à un dosage du DNA par la réaction colorirne trique de DlSCHE, à la diphenylamine. La grande fragilité des erythrocytes de corégoncs nous a imposé quelques ajustements. La composition de la solution physiologique a été modifiée, sa teneur en NaCl ramenée à 5 g/1, et nous avons dû renoncer à l'emploi du citrate prévu par Vendrely. Par contre, le pH du milieu a été ramené à 7 par adjonction de NaHCO3. La dose de saponine prescrite pour l'hémolyse a été considérablement amoindrie: 0,3 g/1 de saponine Merck 7695, au lieu de 6 g/1. L'action hémolytique doit être aussi ménagée que possible pour préserver l'intégrité des noyaux, dont les suspensions sont alors beaucoup plus stables. Par contre, la teneur indiquée en héparine a été maintenue. La numération des suspensions est le stade le plus critique de l'analyse et pour diminuer la marge d'erreur, nous avons préparé, à chaque analyse, 5 ou 6 dilutions différentes, et effectué sur chacunes d'elles 4 à 5 comptages indépendants, avec 3 cellules à compter. Ces précautions ne sont pas de trop, mais le temps qu'exigent ces opérations s'allonge au point qu'il de- vient très difficile de conserver la suspension initiale sans qu'il y apparaisse 726 Jean-Pierre Bargetzt Hydro). des coagulations. Après bien des essais infructueux, il nous a été possible d'améliorer sensiblement les conditions de stabilité en accélérant les lavages et centrifugations préparatoires et en ajoutant aux milieux de dilution pré- vus pour les comptages 5% de dextrane pulvérulent. Il devenait alors plus aisé de les préparer toutes au départ, quand la suspension initiale est encore uniforme, et de traiter celle-ci immédiatement par l'acide trichloracétiquc. DlSCHE [44] a proposé une modification de sa méthode antérieure et de mesures « dichromatiques» à 595 et 650 m//. Elle s'est révélée superflue, et nos dosages ont été effectués soit au colorimètre à grille à diffraction Uni- cam, soit au spectropho tome tre Beckmann DU, à la seule longueur d'onde de 595 m/*. Les lectures sont effectuées 15 minutes après l'achèvement de la réaction colorée qui révèle le 2-desoxyribose. Le grand nombre de dosages que nous avions à faire imposait l'emploi ¦ d'un étalon, que nous avons contrôlé à diverses reprises par des dosages de P (méthode de Martin et DOTY [131])- Ce premier étalon n'étant pas abso- lument stable au cours d'une conservation de plusieurs semaines, nous avons eu recours à un échantillon de DNA sec de truite, possédant d'excellentes caractéristiques en P, N et quant au rapport P/N. Ces deux étalons nous ont été aimablement fournis par les docteurs Vendrely, que nous remercions ici. Enfin, pour obvier à toute incertitude sur Ia stabilité dès étalons, nous avons introduit entre les dosages de noyaux de corégones, des dosages d'erythrocytes de truite {Salmo irideus) et de perche. Résultats: lis sont récapitulés dans le tableau ci-dessous: Désignations Dosages Indices statistiques Nombre Moyenne mx M (T S.c. V Truite (S. irideus) Spermatozoïdes Erythrocytes PaICe (C. fera) Spermatozoïdes Erythrocytes Bondellc (C. macrophthalmus) Spermatozoïdes Erythrocytes (unités: mg • IO-0 par noyau) 3 2 3 3 3 3 2.48 5.02 2.85 5,80 3,02 6.02 4,99 5,75 6,03 0.13 0,14 0.30 0,06 0,06 0,12 2,6 2.6 5,0 Discussion: La dispersion des mesures autour des valeurs moyennes, indiquée par cr, est faible dans les deux premiers cas (2,6%); elle est double, XXII, 19GO Les Corógoncs du lac de Ncuchâtel 727 par contre, pour la bondelle, et trop grande pour autoriser une conclusion statistique pertinente. Cette dispersion est due uniquement aux trois va- leurs enregistrées pour les spermatozoïdes de bondelle. Elle s'explique par l'extrême rareté du sperme qui servit aux dosages, et certainement aussi par l'état d'une partie des spermatozoïdes, en surmaturation ou partielle- ment dégradés. Il ne faut pas oublier que les pêches se font, en janvier- février, dans des conditions déplorables, et que dans la plupart des cas, les poissons et les filets sont recouverts d'une croûte de glace lorsqu'ils sont ramenés au port. Les engins sont immergés par IOO m de fond, sur les frayères, où ils séjournent pendant une dizaine d'heures. Au cours de l'ascension, la brusque décompression à laquelle sont exposés les poissons, jointe à une dilatation considérable de la vessie gazeuse, entraînent une évacuation presque totale du sperme ou des œufs. Le peu de laitance qui reste est généralement d'apparence et de consistance anormales, chargé de débris cellulaires et souvent souillé d'urine. Ces conditions défavorables rendent très problématique l'exécution d'analyses conformes aux tolé- rances expérimentales usuelles en microchimie. Lc dosage des erythrocytes fur, par contre, exécuté dans d'assez bonnes conditions, et l'écart-type n'ex- cède pas celui des autres mesures. Les conclusions générales sont reportées au chapitre suivant. 8.2 Dosage microspectrophotomêtrique des noyaux d'''erythrocytes Alors que le dosage chimique est l'expression d'une estimation moyenne pour des séries de IO à 25 poissons et plusieurs millions de noyaux à chaque opération, la technique cytophotométrique ne s'applique qu'aux détermi- nations relatives, mais avec l'avantage d'une information individuelle par noyau, et d'une grande sensibilité. Elle permet donc d'estimer, s'il en est, les déviations de la teneur en DNA d'un noyau à l'autre. L'appareil réalisé par Caspersson est certainement une brillante réus- site technique, mais il n'est pas à la mesure des petits laboratoires aux moyens restreints. C'est pourquoi plusieurs investigateurs se sont préoccu- pés d'instituer une méthode plus simple, adaptée à la photometric dans le spectre visible. Le premier instrument créé par POLUSTER et RïS [161], perfectionné par POLLISTER et MOSES [159], puis amélioré encore par POLLisTER [158] devait fournir Ia preuve de ses qualités dans ces dosages cytochimiques et rendre possible l'estimation du DNA des noyaux /// situ dans des coupes microscopiques ou des étalements sur lames. Il impose évidemment le recours à une réaction si'gnalétique qui fasse 728 Jean-Pierre Bargetzt Hydrol. apparaître un complexe coloré stable, et la formation de ce chromophore devrait satisfaire à plusieurs conditions. I0La réaction doit être spécifique de la substance à détecter. 2°Dans un large intervalle de variations quantitatives, le complexe élaboré doit être dans un rapport constant avec la substance à révéler. 30Le dosage du complexe devrait s'effectuer en conformité avec les condi- tions de la loi de Beer-Lambert. On conçoit aisément que sur ce dernier point, le désaccord soit toujours inévitable, car la contexture d'une préparation microscopique n'est jamais optiquement uniforme ni chimiquement homogène, et le constituant qu'on y dose atteint parfois des concentrations largement supérieures à celles qui sont admises pour les déterminations in vitro. Il entre une part d'empirisme dans tous les procédés de la cytochimie quantitative, qu'il convient de ne pas perdre de vue, mais qui ne doit pas non plus exclure toute prospection. On est frappé de constater que cette méthode, affligée de tares théoriques assez graves pour que d'aucuns en condamnent l'emploi, ait donné depuis une dizaine d'années tant de preuves de son efficacité et n'ait pas fait surgir jusqu'ici de plus fréquentes contradictions avec les résultats obtenus par des auteurs différents et d'autres voies analytiques. De nombreux cher- cheurs, l'école de Pollister et Vendrely notamment, conscients des imperfections du procédé, ont jugé utile de comparer leurs mesures cyto- photométriqués avec les dosages chimiques et Ia méthode spectrophoto- métrique à l'UV. Au prix de précautions très strictes, la concordance semble être toujours acceptable, parfois même excellente. Relevons à ce propos le travail de Walker et Yates, cité par le premier nommé [244], sur la mesure comparative des variations du DKA au cours de !'interphase et de la mitose dans des noyaux en culture de cœur d'embryon de poulet, et qui prouve, avec toute la clarté souhaitable, la parfaite correspondance des valeurs enregistréecs dans l'UV avant et après fixation, et dans le visible après réaction de Feulgen. La seule fixation abaisse déjà le taux apparent du DNA: la coloration par le Feulgen accentue cette diminution jusqu'à 50% des mesures initiales, mais les rapports quantitatifs demeurent in- changés. Il est en outre possible de s'assurer de la parfaite linéarité du dia- gramme en opposant une série de valeurs prévisibles par calcul, par exemple le taux de DNA d'un lot de noyaux 1, 2 et 4 - ploïdes de foie de rat, avec les chiffres expérimentaux. C'est ainsi que Swift [209, 210] a pu confirmer qu'entre les noyaux d'une même coupe, différant par leur concentration en DNA dans le rapport 1:20, la variation demeure linéaire. Il est toutefois indispensable de choisir un matériel et des procédés de XXU, I960 Les Cotégoncs du lac de Neucliâtcl 729 fixation qui s'approchent le plus possible des conditions théoriques de do- sage. Les fixateurs réputés les meilleurs en cytologie chromosomique, ceux qui tendent a conserver ou à accroître les contrastes, vont généralement à Rencontre du but recherché. Pour des noyaux interphasiques, il est préfé- rable de fixer au formol 40% suivant la recommandation de Swift [209, 210], car le substrat nucléique s'homogénéise, obviant ainsi au danger que représentent les amas de chromatine qui font office de centres secondaires de diffraction. L'élcctivité de la réaction de Feulgen pour le DNA a parfois été contestée et il est peu de sujets qui aient donné lieu à autant de recherches expérimen- tales. LlSON [115], à qui l'on doit pour une grande part l'essor de la cyto- chimic moderne, a précisé les modalités opératoires qui rendent la réaction sélective, et les études critiques ultérieures ont certifié le bien-fondé de ces prescriptions et vérifié que la réaction est pratiquement spécifique. Quant aux erreurs instrumentales, on dispose aujourd'hui de revues fort bien documentées, abordant tous les aspects physiques, théoriques et tech- niques [212, 160], et qui proposent des séries de contrôles préalables pour l'alignement optique, la linéarité des enregistrements, les pertes par diffu- sion de lumière, les réflexions parasites, la stabilité des sources lumineuses et électriques, la reproductibilité des mesures [2]. Dans son état actuel, la méthode cytophotométrique dans le visible a acquis une validité qui n'est plus guère discutable, surtout en ce qui con- cerne les dosages du DNA des noyaux dits «quiescents». Méthode utilisée: Notre appareil dérive du modèle de POLLISTER, et fut amélioré selon les indications d'ALEERT. L'émission lumineuse est fournie par un bloc monochromateur du spectrophotomètre Beckman DU, et l'éclai- rage dérive du système Köhler approché. Le condensateur normal du micros- cope a été remplacé par un objectif NA 0,25 monté sur un anneau de cen- trage. Objectif à immersion 100 x ,oculaire photographique 10 x ¦ dans le plan de projection, l'image d'une plage nucléaire est cernée par un diaphragme d'ouverture réglable graduée en /j. apparents. Le dispositif de mesure com- prend un tube photomultiplicateur Philips AVP50, alimenté à 500-2000 V stabilisés 1:10000, instrument de lecture: galvanomètre Multiflex MG 2. L'appareil a été soumis à tous les contrôles proposés par Swift et par POLLISTER (références citées), notamment avec un coin de cellophane colorée par de la fuchsine régénérée, par des préparations artificielles de spherules colorés, par des coupes de foie de rat, et les corrections effectuées en conséquence. Le tube photomultiplicateur employé à l'avantage de pos- r 730 Jean-Pierre lî.-irgetzi Hydrol. séder une très large fenêtre doublée d'un collimateur et sa sensibilité est uniforme dans une assez large zone centrale. Les noyaux soumis à l'investigation sont des noyaux d'érythrocytes des deux formes de corégones, la truite Salmo irideus servant de référence. Les préparations sont des étalements de sang frais identiques aux prépa- rations hématologiques déjà décrites, et qui furent exécutées et fixées en même temps pour les trois espèces, à bord du bateau de pêche. Toutes les lames furent traitées en bloc, par immersion simultanée dans les réac- tifs, afin de pallier toute inégalité opératoire. Les étalements sont séchés à l'air pendant 15 minutes, exposés pendant 10 minutes aux vapeurs de formol concentré pour améliorer l'uniformisation du contenu nucléaire, puis iinmergés 5 minutes dans du méthanol-formol 9:1. C'est la méthode de fixation qui nous donna les meilleurs résultats parmi toutes celles que nous avons essayées. Par la seule action du formol 40% ou de ses vapeurs satu- rantes, les cellules adhèrent mal au support de verre. Le traitement par le méthanol-formol obvie à ce défaut et délipide en même temps les prépara- tions, ce qui facilite leur conservation. Coloration de Feulgen: hydrolyse 8 minutes dans HCIn à $6" C, immersion pendant 1 heure dans le réactif, et 3 rinçages à la solution de bisulfite. Au moment de l'étalement, les erythrocytes et leurs noyaux s'aplatissent considérablement. Après dessication et fixation, la face supérieure de l'hé- matie est plane, déprimée seulement au niveau du noyau. Le fond de cette dépression, où la membrane stromatique est au contact direct du noyau, reste plat. Cettedcscription procède de l'examen de répliques au formvar etde préparations-témoin s ombrées à l'or. Les noyaux ont pu, par conséquent, être assimiliés à des cylindres à base elliptique. Nous avons mesuré les deux axes de l'ellipse et calculé la surface pour chaque noyau individuellement. Une fois les mesures photométriques terminées, il nous importait de savoir si, dans les zones utilisées des différentes préparations, les noyaux étaient de même épaisseur et de délimiter ces variations, cas échéant. Les indications fournies par le microscope înterférentiel, comme aussi la lon- gueur des ombres portées après ombrage à l'or sous un angle de 140, con- cordent pour assigner au noyau une hauteur de 0,7 f* environ et des varia- tions minimes, négligeables en regard de l'erreur relative commise sur le relevé des deux autres dimensions. L'erreur absolue de mesure est donc inférieure à 0,2 /x. Nous inspirant d'une méthode proposée par Swift et Rash [212], nous avons pu assigner une plus grande certitude encore à ces observations en mesurant directement les variations d'extinction suivant le grand axe de l'ellipse nucléaire, avec un orifice apparent de 0,1 /t à peu près. > XXII, I960 Les Corégones du lac de Neuchâtel 731 Figure 14 Erythrocytes de Salmonidés. Etalements ombrés à l'or sous une incidence de 14°. 1 et 4 palée (Coregonus fera Jur.); 2 et 5 bondelle (Coregonus macrophthalmus Xussl.); 3 truite (Salmo irideus Gibb.). WO -\ 0-3 ¦ 60 02 ¦ ùG 0-1 ¦ 7 2 /2 grand axe-----» Figure 15 Variations d'épaisseur de no- yaux d'érythrocytes de palée, suivant le demi-grand axe. Eta- lements secs, fixés, coloration de Feulgen A = 550 m\L. «Plug»: 0,6[x. 732 Jean-Pierre Bargctzi Hydro!. Résultats: Dosage cytophotométrique d'érythrocytcs, coloration Feulgen lectures à 550 m/*, «plug» de 0^6 ft. Désignations Nombre de mesures DNA Mx a S.e. Axes moyens Truite {S. irideus) Palée (C. fera) Bondellc (C. macrophthalmus) 40 62 31 5.68 6,66 7,04 0,44 0,54 0,49 0,07 0,07 0,09 7.48/3.78 7,72/4,17 7,86/4,78 Quantités de DNA en unités arbitraires, axes en fi. La conversion des unités arbitraires en valeurs absolues, sur la base de 4,95 - io-9 mg par noyau pour Salmo irideus livre les résultats suivants: Palée: 5,80 • IO-9 mg par noyau, BondeUe: 6,13 • 10-e mg par noyau. Nous avons procédé à une analyse mathématique portant sur toutes les valeurs individuelles et les moyennes (suivant Chambers, 1955; Yxjle et Kendall, 1953, et Fisher, 1947). Un premier calcul des constantes yt et y2 dérivant des 4 premiers moments des moyennes vérifie que dans les trois cas, ia distribution ne s'écarte pas de la forme normale. Puis un test de « t» de Student, appliqué aux moyennes, démontre que les différences sont toutes, et sans ambiguïté, statistiquement significatives, y compris celles qui caractérisent le système palée-bondelle qui nous intéresse au premier chef. Un calcul des rapports de variance atteste enfin que nos conclusions ne peuvent pas non plus procéder d'une disparité significative des variances. Signalons encore que l'erreur systématique, que le calcul statistique n'en- registre pas, se trouve compensée dans l'estimation de la différence des moyennes, car toutes les opérations ont eu lieu exactement dans les mêmes conditions techniques. Ces mesures s'appuient sur un nombre restreint de poissons, trois pour chaque espèce ou forme. Pour autant, aucun écart notable n'a pu être décelé. Conclusions: La convergence des résultats photométriques et des dosages chimiques, qui portent sur un très grand nombre d'individus, nous incline à admettre que les différences notées sont concluantes à l'échelon des po- pulations. De cette confrontation procèdent les valeurs suivantes: Palée: 5,8S • IO-9 mg de DNA par noyau, BondeUe: 6,I4 ¦ 10~B mg de DNA par noyau. XXII, 19CO Les Corégoncs du lac de Neucbâtei 733 La démonstration statistique de l'existence d'une différence significative entre les constantes d'espèce de la palée et de la bondclle peut-elle être mise en doute? Elle est évidemment assez faible, mais excède nettement les écarts notés par les expérimentateurs qui font usage du même type d'ins- trument que nous. Swift [209, 210], Alfert [2] ainsi que Patau et Bixïch cités par Alfert, ont mesuré des variations de 2 à 4% seulement entre les noyaux hépatiques d'une série polyploïde J, 2, 4. Il nous paraît justifié d'admettre aussi que notre matériel, où toute superposition est exclue et où les noyaux ont une forme géométriquement bien définie, re- présente la meilleure adéquation possible aux conditions théoriques. Enfin, dans l'ensemble de nos dosages chimiques et microspectrophotométriques, qui comportent, pour les seuls corégoncs étudiées, 18 opérations indépen- dantes, nous n'avons relevé aucun résultat où la valeur de DNA de bondelle soit inférieure à la plus haute valeur des palées. Ces constatations nous auto- risent, pensons-nous, à conclure à une dissemblance constitutionnelle pour ce caractère. Rapprochons ces informations des formules chromosomiques. Salmo ìrìdem a un nombre diploide de 60 chromosomes, et une constante de DNA diploïdc de 4,95 • io-9 mg. Coregomts fera, avec 78 ± 2 chromosomes et 5,83 • icrs mg de DNA s'en écarte nettement et sans tirer aucune conclu- sion, signalons que les différences entre nombres chromosomiques d'une part et teneurs en DNA d'autre part, s'expriment dans le même sens et se compensent à peu près. Il est évident qu'une telle observation n'a pas grande signification lorsqu'elle porte sur la totalité des chromosomes et ne tient aucun compte de leur conformation et de leur dimension individuelles. Pour les mêmes raisons, il serait illusoire de tirer une déduction de la simi- litude des indices de C. fera et de Salmo trutta^ pour laquelle 2 Àr= 80 et DNA des erythrocytes = 5,79 [167]. Entre palée et bondelle, par contre, on peut admettre que le désaccord des constantes de DNA devrait se traduire par une hétéromorphie effective des caryotypes. L'hypothèse est toutefois peu convaincante, car l'aptitude à l'hybridation suppose une conjugaison des génomes et un degré assez élevé d'homologie. On peut envisager encore une alternative: ou bien la différence est occasionnée par une inégale proportion des segments hété- rochromatiques des chromosomes, ou bien la déviation est due à une poly- ténïe à l'échelle macromoléculaire. Sur la base d'observations faites chez des insectes, White [246] avait émis l'idée que la distribution des segments hétérochromatiques, parfois très variable d'une espèce à l'autre, pourrait être un critère d'espèce en cytologie animale. Cette argumentation ne 734 Jean-Pierre Bargetzi Hydro!. semble toutefois pas avoir été retenue. En définitive, c'est l'explication de la polyténie qui nous paraît la plus vraisemblable. Enfin, l'hypothèse de Vendrely, suivant laquelle certains Téléostéens pourraient s'ordonner en groupes à «chiffre de base» égal à 1,6 (ou 1,65) ¦ zar* mg de DNA n'est pas confi mice dans le cas particulier; les deux corégoncs et Salmo trutta ont des titres intermèdi ai res entre les multiples de 3 et de 4:4,95 et 6,60 ' 1O-9 mg DNA. 9. Immunologie systématique 9.1 Im reactions spécifiques des protéines pïasmatiques par immuno-électrophorhe Heidelberger et Kendall [87] ont parfaitement élucidé le mécanisme des réactions immunologiqucs de précipitation spécifique et croisée et l'ont énoncé mathématiquement suivant une formulation qui s'inspire de la loi d'action de masse. La méthode est ainsi devenue quantitative et reproduc- tible, pour autant que les variables secondaires, pH, force ionique et tempé- rature demeurent constantes. L'analyse des précipités a révélé que l'anti- gène et l'anticorps participent à la formation du complexe insoluble dans des proportions qui diffèrent beaucoup d'un système à l'autre. Elle a établi d'autre part que pour un système donné, la constitution du complexe n'est pas fixe, Le rapport de l'antigène et de l'anticorps varie au contraire en fonction des proportions de ces deux substances dans le milieu. Pour expli- quer ce phénomène, ces deux auteurs ont invoqué une série de réactions bi- moléculaires compétitives entre l'antigène (Ag), l'anticorps (Ac) et leurs complexes; ils expriment la quantité de l'anticorps contenue dans le préci- pité, par rapport à l'antigène x introduit dans le système, au moyen d'une équation du deuxième degré, conforme à l'équation empirique: Ac N pu — a x-b xz Dans de très nombreux cas a= 2 R, b => —— • A où les deux paramètres désignent Ac N*w . L .,, . , J^ =----------t— au point cl equivalence, Ag Npu A = Ac Xp« au point d'équivalence. Il est d'usage d'effectuer la précipitation en ajoutant des quantités crois- santes d'antigène à une quantité constante d'anticorps. Dans ces conditions, la courbe de précipitation spécifique prend la forme d'une parabole. Elle XXII, I9G0 Les Coregone; du lac de Neuchâtel 735 délimite trois régions, successivement: une zone d'excès d'anticorps, une zone d'équivalence voisine du maximum, où le surnageant ne renferme plus ni antigène ni anticorps, et une zone d'excès d'antigène. En cas d'excès notable d'antigène, le complexe précipité, en équilibre avec la composition du milieu réactionnel, tend à se redîssoudrc, de sorte que la précipitation n'est plus maximum. Le point d'équivalence qui, théoriquement, coïncide avec le sommet de la courbe et qui se situe pratiquement dans un court intervalle du côté de l'excès d'anticorps, revêt une grande importance. Dans les réactions qui intéressent des antigènes protéiques globulaires, natifs et de poids moléculaire relativement bas, Ia zone d'équivalence est effectivement très étroite. Par contre, les déviations parfois considérables peuvent se manifester lorsque deux réactions se développent simultanément. Les deux zones d'équivalence ne concordent qu'exceptionnellement, et de l'interférence des deux précipitations résulte une large bande sans maximum ni point d'équivalence; un excès de l'un ou l'autre des réactifs persiste tou- jours dans le surnageant et la précipitation n'est jamais totale. Ces considérations, théoriques en partie, délimitent les conditions d'une précipitation spécifique idéale. Les modalités de l'expérimentation s'en éloignent souvent, par nécessité. Il est prouvé que des méthodes trop gros- sières peuvent conduire à des conclusions fautives, lorsque en particulier ni l'antigène ni l'anticorps ne sont homogènes au sens immunologique du terme. Ainsi s'expliquent probablement les défaillances des analyses dites «sérologiques» qui utilisaient, pour des précipitations quantitatives, un sérum animal non fractionné, c'est-à-dire un système à io ou 20 réactions simultanées. Notre première intention était d'appliquer la méthode de Heidelber- ger et Kendall adaptée par Kabat et Mayer [98] au problème taxono- mique des coregones. Mais les difficultés du fractionnement du sérum de palée, ou d'autres protéines censées détenir une spécificité d'espèce, se sont avérées telles que nous y avons finalement renoncé en faveur d'autres mé- thodes. La précipitation spécifique en milieu gélose, préconisée et mise au point par Ouchterlony [143, 144] en faisant appel à des ovalbumines synthé- tisées par des espèces zoologiquement alliées, est un procédé à la fois élégant et simple qui conserve les avantages de la technique in vitro: haute sensibi- lité, quantité très réduite de réactifs, spécificité égale. Si la technique quanti- tative permet de figurer comparativement le lien de parenté en «degrés de différence», celle d'OucHTERJXtNY fournit avant tout des indications qualitatives et, en termes de concentration, des estimations approchées. 736 Jcan-Picrrc Bargctzi Hydrol. Dans le cas de nos deux corégones, les renseignements qualitatifs sur l'iden- tité ou l'analogie des protéines sont sans doute plus significatifs. Notons encore que la méthode peut s'accommoder plus aisément d'insuffisances du fractionnement des antigènes sans amoindrir la validité de ses réponses. Par surcroît, elle rend possible la confrontation immédiate de plusieurs systèmes au cours d'une seule opération. L'immuno-électrophorèse, imaginée par Grabar et Williams [81-83], combine les qualités de la méthode de précipitation spécifique en gélose et celles de l'électrophorèse (voir aussi Wieme, Kaminski [249]). Cette tech- nique remarquable nous avait, à l'époque, suggéré l'idée d'une application aux recherches taxonomiques. Elle devait nous permettre d'opérer, analy- tiquement au moins, ce fractionnement des protéines sériques des coré- gones qu'aucun des moyens ordinaires de précipitation sélective connus alors ne pouvait opérer. Enfin, elle pouvait donner un reflet du degré de complexité de ce mélange. L'immuno-électrophorèse était certainement mieux apte que la simple électrophorese à différencier deux formes animales. Nos travaux prépara- toires nous imposaient un programme comprenant plus de 30 electropho- reses parallèles de sérum de palée, sur colonne de cellulose et sur papier. Or nos diagrammes électrophorétiques attestent d'une ample variabilité des rapports quantitatifs pour toutes les bandes, en relation avec l'activité des poissons, leur état de nutrition, leur cycle sexuel et la température de l'eau. Drilhon [57-59] a fait des observations semblables pour de nombreuses autres espèces. Il est donc légitime d'admettre que la méthode ne peut avoir de valeur zoologique que limitée aux grandes unités taxonomiques. Dans l'immuno-électrophorèse, par contre, le transport des charges et leur frac- tionnement n'interviennent que pour la séparation des constituants et pour éviter la superposition des stries de précipitation spécifique. En disper- sant simultanément sur deux voies parallèles du sérum de palée et du sérum de bóndelle, et en plaçant dans une rainure longitudinale aménagée entre les deux pistes un antisérum spécifique anti-paléc on obtient un en- semble de réactions homologues côté palée, tandis que du côté bondelle l'image des réactions croisées sera apparemment incomplète et modifiée, d'autant plus réduite et dissemblable que les antigènes correspondants sont plus différenciés et que les parentés zoologiques sont moins affines. Les réponses de l'immuno-électrophorèse sont donc certainement significa- tives, à condition peut-être de ne pas concéder trop d'importance à la den-. site des stries et à leur distance de la rainure médiane, qui sont fonction des concentrations. XXII, 1960 Les Corégones du lac de Neuchâtel 737 Méthode: Nous avons eu recours, pour l'immunisation, à du sérum de palée provenant de 150 individus pêches sur les frayères. Le sang, recueilli dans des tubes en nylon disposés dans un bloc de matière isolante, est immé- diatement transporté au laboratoire. Les tubes sont alors installés dans un frigorifique à 6° C, où le sang séjourne Ie temps nécessaire à Ia rétraction du caillot, soit une quinzaine d'heures environ. La température demeure ainsi constante, et sensiblement égale à celle de l'eau au moment des pêches. Le sérum est retiré à la pipette puis centrifugé à 13000 t/min du- rant 15 minutes à 50 C. Un nouveau pipetage prélève le liquide limpide, à l'exclusion de la couche supérieure lipidique. Après adjonction de mer- thiolate (1:10000), il est stérilisé par ultrafiltration, soit à travers une mem- brane nitrocellulosique normalisée (Membranfiltergesellschaft GmbH), soit à l'ultranltre de verre G 5 Jena. Les protéines sont alors dosées sur un échantillon du filtrat par micro-Kjeldahl [91], par différence entre N total et N non protéique (après défécation par l'acide trichloracétique 20%). En adoptant un facteur 6,3 pour la conversion de N en protéine, la teneur moyenne du sérum se monte à 42 mg par millilitre. La solution est distri- buée en ampoules stérilisées par quantités correspondants aux doses indi- viduelles journalières prévues au programme d'injections, et aussitôt lyo- philisées. 10 lapins, âgés de II à 14 mois, reçurent au total 75 mg suivant le plan ci-après : Solution stérile à 2,0 mg de protéines totales par millilitre: 3 ¦ 1,0 ml = 3,0 ml 3 • 1,5 ml = 4,5 ml 4 • 2,0 ml = 8,0 ml 4 ¦ 3,0 ml = 12,0 ml 2 • 5,0 ml = 10,0 ml total =» 37,5 ml = 75,0 mg Le contenu desséché de chaque ampoule est dissous au moment de l'ino- culation dans Ie volume adéquat de solution physiologique stérile. La première dose de chaque série fut injectée par voie sous-cutanée. A cet effet, la fraction protéique dissoute est adsorbée sur gel d'hydroxyde d'alu- minium Behring stérilisé, puis ramené ä pH 6,4 (point de turbidité maxi- mum [100]). Les injections eurent lieu à la cadence d'une inoculation tous les deux jours. Après la seconde injection de la dernière série et une période de repos de 8 jours, une dose de rappel de 5,0 ml fut administrée aux animaux. Les prélèvements de sang eurent Heu entre les 5e et 8e jours qui suivirent et 738 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. furent exécutés au moyen d'un appareil de notre construction qui permet, grâce à une faible dépression de 20 mm Hg, de recueillir 25 à 30 ml de sang en évitant toute coagulation prématurée ou stase vasculaire. Ils furent effectués au niveau des arterioles de l'oreille. L'antisérum prélevé le lende- main fut aussitôt additionné de merthiolate et stérilisé par filtration, puis distribué en flacons à pénicilline. Les modalités de l'immuni »-ck-ctrophorèse sont celles prescrites par Grabar et Grabar et Williams (1953). Les dimensions de la plaque de gélose sont de 8,5 • 19,0 cm et la rainure centrale a une longueur de 12 cm. Concentration de la gélose: 1,5 %, //: 0,035, pH: 8,2. Les sérums soumis à l'électrophorèse proviennent de 8 palées et de IO bondelles respectivement, appliqués à une concentration initiale de 0,2 ml pour 1 ml de gélose. L'immunsérum anti-palée a été incubé en présence de ninhydrine pour une Figure 16 Iminuno-électrophorèses de sérum total de corégones. Gélose 1,5%, pH: 8,2, tampon veronal, (^:0,035; électrophorèse: 10 heures à 100C, 220 volts aux électrodes (cuve Elphor); anode: à gauche de l'image de précipitation, rainure médiane : dans les deux cas, immunsérum anti-palée ; 1 en haut: sérum de bondelle (10 bondelles); en bas: sérum de palée (8 palées), après 12 jours de diffusion contre un antisérum non dilué, incubé à la ninhydrine; 2 en haut: sérum de palée (8 palées), en bas: sérum de bondelle (10 bondelles); après 5 jours de diffusion contre un anti- sérum dilué 1 à 1. XXII, I960 Les Corégones du lac de Neuchâtel 739 partie des expériences [215]: il fut appliqué tantôt dilue 1:1, tantôt sans dilution. Durée de diffusion: entre 5 et 12 jours. Résultats: L'examen de nos illustrations d'immuno-électrophorèse met en évidence l'extrême complexité de la fraction protéique du plasma chez les coregones. Une immuno-électrophorcse de sérum humain, pratiquée dans les mêmes conditions techniques, ne révèle pas plus de io à 18 stries de précipitation, tandis que le spectre des réactions spécifiques palée-antipalée, après 12 jours de diffusion, comporte déjà un nombre de stries beaucoup plus élevé et leur enchevêtrement rend l'image difficilement déchiffrable. Celle que donne le sérum dilué est, en revanche, bien lisible. On dénombre dans le système homologue 20 arcs distincts, dont les sommets coïncident avec'les 5 bandes des electrophoreses ordinaires sur papier ou sur gélose. Par comparaison avec la disposition des diagrammes de sérum humain et en accord avec la notation de DiULHON, nous croyons pouvoir les désigner par: sérumalbumine (3 arcs), a-globuline (4 arcs), /Sj-globuline (3 arcs), /72-globuline (5 arcs) et y-globuline ( 4 arcs). Ce rapprochement ne présume en rien de leurs destinées fonctionnelles et ne suppose qu'une simple con- formité de position. La fraction y-globuline est assez hétérogène et les arcs sont parfaitement nets et détachés. L'image, côté bondelle, formée de stries de précipitation croisée, suggère d'emblée une grande similitude: même complexité, même pluralité des réactions, concentration assez peu différente des constituants. Un examen plus étendu dénote cependant quelques diver- gences, dont l'une est indéniable et réside dans l'absence d'une strie loca- lisée dans la fraction la plus électropositive (à pH 8,2) des /72-globulines. Cet arc, relativement court et nettement tracé, assez éloigné de la rainure médiane n'a pas d'antipode symétrique côté bondelle, et la forme des stries à cet endroit permet de douter qu'il s'y trouve masqué. L'immuno-électrophorèse ne donne aucune indication sur la valeur immunologique des précipités « croisés». On peut se demander si ces deux coregones possèdent encore, en vertu de leur étroite parenté et d'une pro- bable ascendance commune, de nombreuses protéines plasmatiques iden- tiques, et quelle est leur fréquence dans le tableau de l'immuno-électro- phorèse. La méthode d'OucHTERiX)NY nous permettra d'y répondre dans le cas des y-globulines. Au demeurant, les conclusions de cette expérience ont une portée limitée chez les poissons, en raison de l'absence d'un quel- conque terme de comparaison. En particulier, il serait utile de savoir si la diversité des couples antigène-anticorps qui caractérise ce système est de règle chez les téléostéens, et si le cas des coregones n'est pas exceptionnel; il pourrait, par exemple, manifester l'intervention plus ou moins lointaine 48 740 Jean-Pierre Bargctzi Hydro). ou épisodique de phénomènes d'hybridation. C'est tout un domaine ouvert à la prospection scientifique! 9.2 Les réactions croisées des y-globultms par diffusion en gels dragar (inétbode di Oucljterlony) Par la méthode d'OucHTËUJ.ONY, les systèmes de précipitation spéci- fique peuvent être non seulement décelés, mais aussi comparés les uns aux autres, ce qui permet en général de conclure à leur identité complète ou partielle, ou à leur disparité. Ces oppositions sont interprétées comme indi- quant une égalité, une analogie ou une dissemblance de constitution chi- mique et physique des macromolécules antigéniques. Dans un gel d'agar de quelques millimètres d'épaisseur sont aménagés, suivant une disposition déterminée, des alvéoles qui servent de réservoirs aux solutions protéiques. Dans nos expériences, ces alvéoles sont de forme carrée, de 1 cm de côté. L'un des alvéoles, celui du centre dans les boîtes à 5 réservoirs, ou celui du bas dans les assemblages à 3 réservoirs, reçoit !'antiserum. Chacun des autres compartiments est rempli par Ia solution d'un antigène. La théorie de la diffusion [95] et de Ia précipitation spécifique en gels a été fort bien exposée par Oudin [148]. Sans entrer dans des détails ici inutiles, relevons seulement les renseignements indispensables à la compré- hension de nos figures. L'antigène, et l'anticorps qui lui fait face, diffusent à la rencontre l'un de l'autre. Comme dans l'immuno-électrophorèse, le front de diffusion de chaque composant du système tend à s'arrondir en forme de cercles concentriques à la source, de diamètres de plus en plus grands. Les deux nappes opposées ne vont pas tarder à se rencontrer sur l'axe virtuel qui relie les centres des deux sources d'abord, puis, de proche en proche, suivant une perpendiculaire à cet axe. Pour qu'apparaisse en ce point une précipitation spécifique, deux condi- tions doivent être réalisées: i°Les deux réactifs doivent y atteindre un niveau de concentration suffi- sant pour qu'une précipitation visible ait lieu. 20Le rapport des concentrations des deux substances doit concorder avec les conditions d'équivalence du système. Autour du réservoir, la concentration de chaque composant, à un mo- ment donné, décroît régulièrement avec Ia distance suivant une courbe qui se rapproche sensiblement d'une courbe de diffusion libre en phase liquide, à savoir, d'une courbe exponentielle. Par conséquent, les conditions énon- cées pour qu'apparaisse Ie précipité ne sont satisfaites, à partir d'un temps XXIJ, 19G0 Les Corégones du lac de Ncuchâtcl 741 détermine et suivant l'axe de migration, qu'en un seul point. Pour les deux nappes qui s'affrontent, puis se superposent, le précipité occupera donc le lieu géométrique des points critiques. Le précipité prendra l'aspect d'une strie rectiligne qui tend à devenir plus dense en son milieu et à s'allonger. SÌ les concentrations initiales s'écartent des conditions d'équivalence et que l'un des réactifs soit en net excès, la position de la strie sera différente, et ne sera plus fixe. La strie migre et ses bords peuvent s'estomper car, si l'antigène est en excès, le précipité se redissout en amont pour se reconsti- tuer en aval. Dans les réactions à plusieurs composants, il est démontré que chaque système précipite indépendamment. Comme l'emplacement des stries de précipitation dépend des conditions d'équivalence particulières à chaque système et des coefficients de diffusion de chaque composant, il est peu pro- bable que les stries viennent en superposition, encore que cette éventualité ne doive pas être omise. QxH /0\ iOENTÎTÉ 2 N0N-ÌDENTITÉ 0A0 CROl'SEE 4 MÌXTE 5 6 Tit. 5-fe : AUTRES REACTÌONS D'ÌDENTÌTÉ PARTIELLE Figure 17 Diagrammes de précipitation en gels (méthode d'OucHTERi.ONY). A : antigène; B: antigène non apparenté à A ; a immuusémm anti-A (anticorps a); b immunsérum anti-B (anticorps b); A': antigène hétérologue, partiellement apparenté; 4 concentration équivalente: A' > A; 5 concentration équivalente: A ^ A ; G concentration équivalente: A > A'. 742 Jean-Pierre Bargetsi Hydrol. Lorsque les deux antigènes sans parenté chimique ou biologique sont placés isolément dans des réservoirs adjacents, et opposés à un antisérum qui renferme à la fois les deux anticorps spécifiques, les deux stries de précipita- tion se croisent sans aucune déviation. Si ces mêmes réservoirs sont remplis d'une solution d'un seul et même antigène, on note au contraire une cour- bure de l'extrémité des deux stries qui s'affrontent, et une confluence. Cette disposition s'explique par le fait qu'au point où les deux nappes homologues se rencontrent et se recouvrent, les concentrations s'additionnent, et le lieu géométrique de précipitation dessine un arc parabolique. Que se passe-t-il lorsque l'un des antigènes est immunologiquement - ou zoologiquement - allié à l'antigène témoin? On sait qu'rn vitro la réac- tion est souvent incomplète, comme si elle n'intéressait qu'une partie des réactifs mis en présence. Dans la technique d'OucHTERLONY, les réactions croisées se traduisent par une coalescence imparfaite. Les deux stries s'in- curvent à Ia rencontre l'une de l'autre. Lorsque cette flexion commence b. se manifester, l'image du gel donne l'impression d'un défaut d'alignement des deux arcs. A un stade plus avancé, il y a généralement confluence de Ia strie « croisée» avec la strie « homologue», mais celle-ci reste bifurquée et montre un éperon aciculé. Enfin, si on oppose à l'antigène témoin une solu- tion qui contienne à la fois l'antigène homologue et un antigène analogue, on obtiendra, suivant le rapport de leurs concentrations dans cette solu- tion, l'une ou l'autre des images représentées en 4, 5 et 6; en 4, le système précipite très près du réservoir d'anticorps, l'antigène est alors en excès, tandis qu'en 6, c'est l'anticorps qui est en surplus. Travaux préliminaire!: Lorsque nous avons pris la décision d'entreprendre des essais immunologiques, la « sérologie» systématique était surtout en faveur aux Etats-Unis. Boyden [22-25] et son école [36, 37] avaient déjà accumulé une vaste littérature qui, pour n'être pas toujours très convain- cante, était cependant fondée sur des observations valables. Certaines protéines sériques doivent détenir des particularités liées à l'espèce ou à ses subdivisions: les agglutinines des groupes sanguins en sont un exemple. Ces considérations nous dictèrent le recours à de tels composants, de pré- férence à d'autres qui eussent été d'une atteinte ou d'un isolement plus difficiles. Le travail le plus délicat consistait à préparer les protéines plas- matiques en quantités süffisantes pour les immunisations. Or, il n'existe pas de méthode établie pour fractionner le sérum des poissons ; nos essais, dans cette voie, précédèrent nos analyses par ìmmuno- électrophorcse, si bien que rien ne pouvait préjuger dans le cas particulier, de l'efficacité des techniques. D'emblée, les procédés usuels de précipitation XXII, 1960 Les Corégones du lac de Neuchâtel 743 fractionnée [102] parurent insuffisants et une tentative d'obtenir une meil- leure résolution grâce à un «salting-out» lent et graduel par .du sulfate d'ammonium, introduit dans la solution par l'entremise d'un tube à dialyse, n'a pu aboutir à des résultats reproductibles, en dépit d'un con troie, précis du pH et de la température. En essayant d'ajuster d'autres méthodes par des modifications contrôlées et successives des variables, nous n'avons pu atteindre le résultat recherché. Ont été mises à l'épreuve:, la méthode 6 de Cohn (1946) et des modifications de la méthode IO du même auteur, consistant en une adaptation à de petits volumes de sérum [113,198, 175]. Le sérum de palée constituant pour nous un matériel de travail trop pré- cieux, une prolongation de ces essais n'était guère opportune et c'est finale- ment une méthode d'électróphorèse semi-quantitative qui fut adoptée. L'appareil décrit par BockemÜller et Rebling [18], Peter et Rebling [151] comprend une colonne de 25 cm, chargée de poudre de cellulose; elle permet des fractionnements, de 5 ml de sérum non dilué à chaque opération. A pH 8,6 et après 6 heures d'électróphorèse, les 5 zones sont assez disjointes pour qu'en découpant la colonne, on ne puisse les entamer. Les tronçons sont délayés dans du tampon, on retire après sédimentation le surnageant et exprime le liquide d'imbibition par succion à la trompe. Afin de pallier une trop grande dilution de la solution protéique, le traitement extractif n'est répété qu'une ou deux fois, au prix d'une perte de rendement, lequel n'excède pas 60%. Néanmoins, Ie danger de dénaturation est moindre et le gain de concentration justifie cette manière d'opérer. La solution protéique est aussitôt filtrée sur G 3, puis stérilisée sur ultrafiltre G 5 Jena, introduite ensuite dans un tube à dialyser préalablement stérilisé à la vapeur fluente. Elle séjourne ensuite durant 3 jours à z° C dans une solution de NaCl 0,8% renouvelée 3 fois par jour. Les opérations subséquentes sont iden- tiques à celles que nous avons énumérées pour le sérum total: dosage d'N protéique, distribution eh ampoules, lyophilisation. Le choix que nous avons fait de la y-globuline a peut-être de quoi sur- prendre, si l'on songe à la complexité de cette composante sérique et à la présence possible d'anticorps d'origine pathologique. Il y a lieu de rappeler ici que les informations sur la nature et le rôle des protéines plasmatiques des poissons sont encore fragmentaires et incer- taines. Nybelin [140] et PlJSZKA [153] avaient même formulé l'idée que les poissons ne produisaient pas d'anticorps à une température de io° C. Cette opinion a été contestée par Smith dans le cas de la truite et cet auteur a précisé que les anticorps, en particulier des agglutinincs, pouvaient être 744 Jean-Pierre Jîargetzi Hydrol. élaborés à condition que les quantités soient suffisamment élevées et agissent assez longtemps. Chez les deux corégones du iac de Neuchâtel, la y-globuline atteint en moyenne un taux élevé, proche de celui de la sérumalbumine. Les autres frac- tions sont, par contre, notablement inférieures et leur emploi comme agent immunisant ne pouvait être rentable. L'adoption d'un matériel antigénique était donc pratiquement limitée aux seuls composants dominants: sérum- albumine et y-globulîne. Une série d'immunisations d'essai ayant démontré la supériorité des aptitudes immunologiqucs de la y-globulme, c'est fina- lement cette fraction qui fut retenue. Avec les moyens dont nous disposions alors, nous ne pouvions présumer le degré de son hétérogénéité. Au de- meurant, l'occurrence de 4 systèmes immunologiques indépendants n'a pas beaucoup contrarié nos examens; la concordance entre les images de l'immuno-élcctrophorèse et les réponses des réactions. d'OuCHTERLONY certifie, dans une large mesure, l'authenticité des 4 systèmes. L'application à des problèmes taxonomiques des méthodes de diffusions multiple en milieux gélifiés n'a suscité que peu de travaux depuis l'étude fondamentale de celui qui en fut l'instigateur [143, 144, 147]. Signa- lons toutefois l'analyse de Leone, Leonard et Pryor [112], qui permit à ces trois auteurs de définir l'apparentement zoologiquc de diverses espèces de crabes des genres IJmulus, Calinectes, Carduus et Cancer. Notre travail s'inspire avant tout de ces contributions. Méthodes: S lapins ont été immunisés au moyen de y-globuline palée, suivant un programme analogue à celui qui vient d'être décrit pour le sérum total. Comme il était pratiquement impossible de préparer une quantité équivalente de y-globulinc de bondelle, vu la rareté du sang chez cette petite forme, nous avons renoncé à inoculer des lapins avec cet antigène et n'avons préparé que 50 mg dcy-globuline bondelle (la fraction y-globuline palée représentait 1,8 g de protéine, ce qui équivaut au sérum prélevé sur plus de 300 palées de grande taille). Le conditionnement des boîtes de gélose répond à la fois aux indications de Wilson et Pringle [250] et de Leone et coll. [112]. Notre méthode de préparation et de puri- fication de la gélose est empruntée, pour l'essentiel, aux descriptions de ces derniers auteurs. Certaines géloses ont en outre été additionnées de bleu de trypan, à raison de 30 mg/1, en vue de faciliter la reproduction photogra- phique ultérieure des stries de précipitation. Chaque analyse comprend une série de quatre boîtes identiques; d'une série à l'autre, différents fac- teurs ont été modifiés dans l'espoir de faire ressortir d'éventuels chevauche- XXII, 1960 Les Corégones du lac de Ncuchâtel 745 ments ou des artefacts. Au total, 8 séries d'expériences ont été suivies jus- qu'à l'épuisement des réserves d'antigène et d'anticorps. Les variations ont porté: I0Sur le choix des tampons; la plupart des tampons utilisés sont des tam- pons phosphates; quelques boîtes ont été préparées avec des tampons au veronal. 2° Sur les concentrations relatives des antigènes et des anticorps de chaque système. 3°Sur les dispositions des compartiments. 4° Certains anticorps furent incubés à la ninhydrine avant d'être déposés dans les réservoirs. Résultats: A. Une première série de précipitations oppose à l'anti-y-globuline palée des sérums complets, prélevés moins de quelques heures auparavant sur des palées, des bondelles et des truites de lac, Salino îacustris L., cette der- nière espèce illustrant le plus proche parent ichtyologiquc de nos corégones vivant dans le même biotope. Les conditions d'équivalence ont été préala- blement fixées par des essais in vïtro^ et en gélose. Les épreuves in vitro ont été effectuées par la méthode du ring-test décrite par Kabat et Mayer. Conformément aux indications d'OuCHTERLONY [147], les trois antigènes palée, bondellc et truite sont opposés à concentration égale au même anti- sérum. Dès l'apparition des stries, on constate une parfaite simultanéité de réaction des systèmes palée et bondellc, tandis que le système truite se dessine après 4 jours seulement. Les images des stries démontrent une hété- rogénéité des y-globulines qui présentent, dans la réaction homologue, quatre arcs distincts. Les stries du système truite donnent toutes des images de coalescence partielle avec celles de palée, d'une part, et celles de bondelle, d'autre part. Entre les deux compartiments palée, Ia coalescence des stries est parfaite, tandis qu'entre palée et bondelle, trois stries seule- ment se rejoignent. La trace côté antigène du précipité du système palée ne rencontre aucune réplique dans le système hétérologue bondelle. On peut supposer que pour ce système particulier, l'antigène hétérologue fait défaut, ou que sa concentration diffère suffisamment pour que sa trace se superpose avec d'autres stries plus éloignées, ou encore que cet antigène est trop dissemblable pour donner une réaction croisée. Quoi qu'il en soit, la différence d'aspect des jonctions du système palée-bondelle d'une part, et des systèmes corégones-truite d'autre part, .matérialise d'une manière saisissante la dissemblance des rapports de parenté entre des espèces bien 746 Jean-Pierre Bargetzi r Hydrol. XXII, 1960 Les Corégones du lac de Neuchâtei 747 différenciées, telles que la truite et la palée, et met en reliefles divergences beaucoup plus subtiles qui séparent palée et bondelle. Il n'est pas exclu que les deux traces très fines apparues tardivement à proximité immédiate du réservoir Ac central, dans les assemblages à cinq alvéoles, soient dues à des phénomènes de Liesegang [99]. B. Un second type d'expérience confronte le même antisérum, anti-y- globuline bondelle, avec les antigènes préalablement isolés, homologues et hétérologues, y-globulme palée (antigène immunisant) et y-globuline bondelle, le second préparé dans les mêmes conditions. Toutefois, par rapport aux essais mentionnés sous lettre A, la concentra- tion des antigènes, déterminée par les conditions d'équivalence du sys- tème homologue, est environ dix fois plus petite (0,5 m g/ml). Deux dis- positions différentes recommandées par Wilson et Pringle [250] ont été adoptées, et des géloses à deux valeurs de pH (7,0 et 7,6, tampon phosphate, tampon veronal) sans occasionner de modifications notables des réponses. Au cours de l'évolution des plaques, deux stries se dessinent d'abord, qui deviennent très denses et marquées sans perdre leur finesse initiale, puis une, et parfois deux traces, complètent ultérieurement l'image de précipi- tation. L'une des premières stries, la plus intense, forme en s'allongeant un éperon bien visible. Une seconde coalescence partielle intéresse la strie la plus rapprochée des réservoirs d'antigène: elle se montre assez tardivement Figure 18 Réactions de précipitation spécifique et croisée en milieux géloses (OucMcrlony). Gélose: 1,5% pH: 7,0 tampon phosphates. A: 1, 3 et 5 (disposition triangulaire): durée de diffusion solutions J: 14 jours (série 8) réservoir sup. gauche: y-globuline -PALÉE 0,5 mg/ml 3:17 jours (série 17) réservoir sup. droit: y-globuline BONDELLE 0,5 mg/ml 5:13 jours (série 15) réservoir inférieur: anti-y-globuline PALÉE à l'équivalence B: 2, 4 et ff (disposition en carré): durée de diffusion 2:22 jours (série 14) rf:22 jours (série 18) Ac incubé à la ninhydrine ¢:18 jours (série 19) bottes réservoir contenu 2,4,G central an ti-y-globulin e PALÉE, équivalence 2,4 sup. et inf. g. sérum PALÉE total (15 palées) 1:1 C sup. et inf. g. y-globuline PALÉE 0,5 mg/ml 2,4 sup. droit sérum BONDELLE total (15 individus) 1:1 6 sup. droit y-globuline BONDELLE 0,5 mg/ml 2,4 inf. droit sérum TRUITE total (3 individus) 1:1 748 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. et n'est pas toujours très distincte dans toutes les plaques, en raison sans doute de l'épuisement des réservoirs à ce stade avancé de la réaction. Les autres traces fusionnent leurs extrémités jointives, comme dans les coales- cences d'identité, mais il faut se rappeler à ce propos que dans les réactions entre systèmes homologues et hétérologues, certaines jonctions des stries de précipitation peuvent, dans certaines conditions de concentration, dissi- muler une réaction croisée authentique. En conclusion, il est avéré que les palées. et les bondelles possèdent. dans la fraction y-globuliniquc du plasma, quatre composants immunolo- giquement discernables. Deux d'entre eux, qui donnent des réactions croi- sées, doivent se singulariser par une contexture macromoléculaire quelque peu différente. ]] est probable que cette disparité soit la marque d'une inégale constitution entre palée et bondelle. Comme les figures d'identité partielle sont le fait des composants majeurs (quantitativement) desy-glo- bulincs, il est peu probable qu'on puisse les attribuer à des protéines secon- dairement acquises. Du titre élevé des p-globulines dans le plasma de ces poissons, on peut inférer vraisemblablement une origine constitutionnelle de la plupart d'entre elles. Les réponses d'identité nous inclinent à retoucher ces déductions dans ce qu'elles ont de trop absolu: il semble qu'entre palée et bondelle, les ressemblances l'emportent sur les dissemblances, en ce qui concerne cet héritage des y-globulines en particulier, et que ces réac- tions immunochimiques extériorisent de nombreux traits communs, davan- tage en tout cas que n'en font pressentir les travaux d'OuCHTERLONY sur l'ovalbumine de cane, de pintade et de poule, ou à ceux de Leone et coll. sur les crabes. 10. La notion biochimique de l'espèce Cette revue des caractères d'espèce, tels que les manifestent deux popu- lations alliées et sympatriques, multiformes à l'extrême et sujettes à s'hy- brider, nous a fait progresser insensiblement des réalités abstraites aux attributs concrets. Successivement, notre intérêt s'est porté vers les carac- tères de comportement des corégones, instinct migrateur et instinct gré- gaire, tropismes, rapports avec le milieu, puis vers le plan d'organisation architecturale des individus et ses manifestations morphologiques; il s'est tourné ensuite vers les particularités de quelques lignées cellulaires et celles des chromosomes pour atteindre finalement le niveau des macromolécules, qui sont, ou qui furent au premier stade de l'ontogenèse le substrat de XXII, 1960 Les Corégones du lac de Neuchâtcl 749 caractères reflétant une part de l'originalité de l'espèce. A la faveur d'un ordre biochimique, de rapports de concentration ou de position des macro- molécules fondamentales, et de leurs interactions échelonnées dans le temps, les potentialités individuelles se sont émancipées. Sa vie durant, l'être vivant conserve et restaure ce plan d'organisation qui lui est propre. Par quel déterminisme? Par le réveil de facultés latentes, inscrites dans des noyaux soinatiques et, indirectement sans doute, dans des protéines cyto- plasmiques. Car si la notion biochimique de l'identité de reproduction des macromolécules - acides nucléiques et protéines - se vérifie, on doit supposer qu'elles ne sont pas altérées qualitativement. A la disparité des apparences répond ainsi une hétéromorphie macromoléculaire remarquable- ment stable. C'est un domaine de prospection qui pourrait ouvrir à Ia systématique des voies nouvelles, si les réelles complications techniques qu'il a fait apparaîti-e n'étaient pas de nature à en restreindre l'usage. Pour le présent, il ne semble pas se justifier entièrement par cette unique destination. Mais la biologie systématique de demain sera amenée, de toute évidence, à intégrer des données biochimiques à sa définition de l'espèce, celles notamment qui relèvent de l'analyse des séquences des bases puriques et pyrimidiques du DNA, de l'ordonnance des acides aminés des protéines et peut être de la conformation spatiale de certaines macromolécules. L'hétéromorphie d'une protéine par exemple, dans la mesure ou l'on parvient aujourd'hui à la détecter - c'est-à-dire essentiellement au niveau de la structure primaire - désigne avant tout des disparités entre espèces. Citons celle de la molécule d'insuline; son rôle d'hormone ne lui assigne apparemment qu'un rapport très lointain avec l'émancipation des carac- tères de l'espèce. Tous les Vertébrés la synthétisent, autant qu'on sache. Son activité physiologique est strictement spécifique et cependant, cette protéine détient, ainsi que l'a montré Sanger [178], une personnalité qui est l'empreinte de l'espèce qui l'a élaborée. Cette qualité se réduit à très peu de chose, à une courte portion de la chaîne polypeptidique dite «species sensitive» qui correspond aux chaînons d'acides aminés insérés sous le pont cystine interne, c'est-à-dire à quatre acides aminés. Un ou deux d'entre eux sont souvent substitués par un autre acide aminé et l'ordre de position se modifie suivant les espèces. Plus récemment, des variations de même nature ont été décrites pour un enzyme, la ribonucléasc, et quelques autres protéines. Semblables constitutions prennent, à notre avis, une signification primordiale et légitiment notre postulat initial. Si minimes soient-elles, ces variations 750 Jean-Pierre Bargetzi Hydrol. structurales reflètent une parcelle de la diversité des êtres vivants, et si la plupart des protéines synthétisées par les représentants d'une espèce au cours de leur croissance et de leur existence individuelles en détiennent aussi, le concept biochimique de l'espèce pourrait être celui d'un bilan de l'originalité structurale des macromolécules autant que l'inventaire des grands systèmes métaboliques. Toute différence qui s'y-décèle aura l'avantage d'être claire et démonstrative. La réponse s'exprimera en termes d'identité ou de non-identité. C'est une réponse de tout ou rien, qui saufen cas d'altérations géniques non-léthales, possède l'attribut majeur de la permanence. Mais une telle formulation relève partiellement de l'anticipation et pour des raisons d'ordre technique demeure encore inaccessible. Nos recherches ont nécessairement emprunté des voies d'approche indirectes destinées à révéler, s'il en est, l'existence d'inégalités constitutives de quelques protéines plasmatiques entre espèces voisines et un possible désaccord des constantes de DNA. Dans un cas comme dans l'autre, les chercheurs qui ont décrit ces méthodes ou les ont appliquées à des pro- blèmes de systématique ont tous admis explicitement que des divergences permanentes et reproductibles, excédant l'intervalle d'erreur expérimentale devaient signifier une différence d'espèce. Par ailleurs, les auteurs qui, de longue date, ont eu recours aux méthodes moins élaborées que les nôtres, de l'analyse dite «sérologique», ont adopté la même position. En conclusion, et sur la foi de nos résultats, nous estimons qu'il est justifié de départager les palées et les bondelles en leur attribuant un statut distinct, et de les regarder comme des espèces différentes. S'agissant de ce rang d'espèce, il convient toutefois de rappeler que l'immunologie est apte à distinguer aussi bien les races que les espèces. L'égalité éventuelle des nombres chromosomiques, Ia proximité des constantes de DNA, la présence probable de protéines identiques, l'aptitude à l'hybridation, nous incitent à nuancer quelque peu notre opinion. Les particularités des deux corégones évoquent bien des espèces, car les iné- galités sont évidentes et réelles. Mais elles se subordonnent à une large uniformité, peut-être même à une part de consanguinité. Si désormais l'hybridation cesse d'opérer et si aucune intervention humaine n'en fausse l'évolution naturelle, les deux populations doivent, en vertu des lois de l'introgression, faire peu à peu retour aux types morphologiques parentaux et creuser l'écart qui les sépare, grâce à une élimination des individus intermédiaires les plus hétérozygotes. Dans les circonstances présentes, cette éventualité nous semble être la plus probable. 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