UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ÉCONOMIE BASÉE SUR LA CONNAISSANCE ET GOUVERNANCE TERRITORIALE DE LA CONNAISSANCE : UNE NOUVELLE GRILLE DE LECTURE POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ENDOGÈNE AU NIVEAU TERRITORIAL LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR DU GRAND NANCY AU CŒUR DES STRATÉGIES DE RENOUVEAU DU TISSU DE PRODUCTION TERRITORIALISÉ LORRAIN THÈSE PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR ES SCIENCES ÉCONOMIQUES PAR FRÉDÉRIC DUVINAGE IMPRIMERIE DE SAINT-LOUIS Monsieur Frédéric DUVINAGE est autorisé à imprimer sa thèse de doctorat es sciences économiques intitulée : « Economie basée sur la connaissance et gouvernance territoriale de la connaissance : une nouvelle grille de lecture pour le développement économique endogène au niveau territorial. Les établissements d'enseignement supérieur du Grand Nancy au cœur des stratégies de renouveau du tissu de production territorialisé lorrain ». Il assume seul la responsabilité des opinions énoncées. Neuchâtel, le 13 octobre 2003 Le Doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques Emest WEIBEL Sommaire CITATION 2 REMERCIEMENTS 4 LISTE DES FIGURES 6 LISTE DES ABRÉVIATIONS 10 INTRODUCTION 14 1 L'ÉCONOMIE BASÉE SUR LA CONNAISSANCE, REFLET D'UNE NOUVELLE RÉALITÉ ÉCONOMIQUE 20 1.1 Bref historique de Ia pensée économique sur la connaissance 20 1.1.1 Les théories classiques et néoclassiques 20 1.1.2 Les grands précurseurs 22 1.1.3 Vers une nouvelle théorie économique ? 23 1.2 La connaissance : un concept complexe difficile à appréhender 26 1.2.1 Le faux débat de la différence entre information et connaissance 26 1.2.2 Les différents composants de la connaissance 27 1.2.3 Les différentes classifications des processus d'apprentissage 32 13 La connaissance : un bien public particulier 38 1.3.1 Les caractéristiques économiques de la connaissance codifiable 39 1.3.2 Les implications de la composante tacite 41 1.3.3 Les caractéristiques économiques du caractère tacite de la connaissance 42 1.4 Les processus d'innovation 44 1.4.1 Définition de l'innovation 44 1.4.2 Les différents modèles du cycle de l'innovation 47 1.4.3 Une évolution des modes de production de la recherche académique S3 1.5 Sommes-nous vraiment entrés dans l'économie basée sur la connaissance ? 56 -1- 2 UN RÔLE ÉCONOMIQUE RENFORCÉ POUR LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR 58 2.1 Vers une recomposition du pouvoir entre les différentes échelles territoriales 58 2.1. 1 Le territoire n'est pas un simple espace géographique 59 2.1.2 Les systèmes de gouvernement face à l'économie basée sur la connaissance 61 2.1.3 La diminution du rôle de l'Etat : le véritable enjeu de la gouvernance 64 2.2 L'économie basée sur la connaissance renforce la polarisation de l'innovation 68 2.2.1 La proximité joue un rôle essentiel dans l'économie basée sur la connaissance 68 2.2.2 Lc rôle accru de l'innovation dans les processus économiques lenitoriaux 72 2.2.3 Deux exemples de système local d'innovation 80 2.3 Le rôle économique renforcé des établissements d'enseignement supérieur 88 2.3.1 Vers une redécouverte de la mission de valorisation 88 2.3.2 Les approches traditionnelles de l'impact économique des établissements d'enseignement supérieur 92 2.3.3 Le modèle de la triple hélice, reflet d'un changement systémique 95 2.4 Les établissements d'enseignement supérieur, un acteur central pour le renouveau des tissus de production territoriaiisés 100 2.4.1 Les technopâles, outil économique caractéristique d'une époque 100 2.4.2 Les établissements d'enseignement supérieur redécouvrent leurs liens intrinsèques avec leur territoire d'ancrage 105 2.4.3 Pas de territoire apprenant sans gouvernance territoriale de la connaissance 109 2.5 Les territoires au cœur des processus de développement au sein de l'économie basée sur la connaissance 114 1 LE GRAND NANCY, UN TERRITOIRE POTENTIELLEMENT CAPABLE DE PROFITER DE L'ÉCONOMIE FONDÉE SUR LA CONNAISSANCE 116 3.1 Un pôle de recherche d'excellence en pleine restructuration 118 3.1.1 Un pôle de formation supérieure et de recherche historiquement important 118 3.1.2 Un impact économique direct déterminant pour l'économie locale 119 3.1.3 Les activités de recherche du milieu universitaire nancéien 121 3.1.4 Vers de nouvelles collaborations pour conserver les atouts du système 130 3.2 Le milieu lorrain sert de catalyseur pour le milieu universitaire 136 3.2.1 Le développement économique, condition du soutien du Conseil régional 137 3.2.2 La Communauté urbaine du Grand Nancy veut croire aux effets de la proximité 144 3.2.3 Les multiples centres de transfert et d'innovation en Lorraine 151 3.2.4 Les autres structures administratives d'interface 164 -2- 33 Les établissements d'enseignement supérieur nancétens redécouvrent la valorisation 168 3.3.1 La valorisation devient un véritable axe stratégique des contrats d'établissement 169 3.3.2 La reprise en main des activités contractuelles par te milieu universitaire 176 3.3.3 Les relations contractuelles des chercheurs nancéiens sont vraiment importantes 192 3.3.4 Une focalisation du milieu sur la création d'entreprises innovantes 195 3.4 Une relecture au travers de la grille de l'économie basée sur Ia connaissance 198 3.4.1 La situation économique du Grand Nancy à la fin du XXe siècle 198 3.4.2 Une production de la connaissance à but économique plus consciente 206 3.4.3 Un milieu universitaire fort de ses compétences spécifiques historiquement construites 209 3.4.4 Un milieu innovateur qui s'adapte a l'économie basée sur la connaissance sans en être conscient 215 3.5 Les ébauches d'une stratégie de gouvernance territoriale de la connaissance 226 CONCLUSION GÉNÉRALE 232 BIBLIOGRAPHIE 242 -3- Citation « Une fois que nous savons quelque chose, nous ne pouvons même plus Imaginer penser différemment II nous est donc difficile de nous rendre compte que ce que nous savons peut ne pas être évident du tout pour d'autres qui sont moins Informés. C'est là la malédiction de la connaissance. » Richard Thaler (Marti 2002) -2- Remerciements Une thèse est un processus long, qui laisse le temps à la personne qui y travaille de réfléchir sur la vie, sur sa vie, sur ce qu'est véritablement une thèse. En 1997, je pensais que la rédaction de ce document ne serait n'en de plus que ta préparation d'un rapport. Je me rappelle encore le choc que j'ai ressenti en 1998, lorsque le professeur Denis Maillât m'a dit « alors vous la commencez quand cette thèse ? », alors que je venais de lui remettre un document de 150 pages, qui pour moi était ma thèse I Aujourd'hui, je sais que cette rédaction n'est que la partie visible d'un processus intellectuel bien plus important. Il m'a fallu rien moins que trois ans pour comprendre ce qu'est une thèse. J'ai été confronté à mon mur intérieur, à mes limites, â mes Incertitudes et j'ai failli abandonner au milieu du chemin. C'est pourquoi je tiens à remercier très chaleureusement l'ensemble des personnes qui m'ont permis de finir ce projet. Je remercie ici tout particulièrement les deux professeurs qui ont accepté de me suivre dans ce cheminement le professeur Jean-Louis Coujard de l'Ecole des Mines de Nancy et le professeur Denis Maillât de TIRER de Neuchâtel. Ma gratitude s'adresse également à Olivier Crevoisier et Claire Simonnet, deux personnes qui m'ont accompagné tout au long de ce cheminement intellectuel de cinq années. Je remercie aussi Hans Barth, le directeur de la société Prognos AG, qui m'a permis de travailler à temps partiel, afin que je puisse réaliser ce travail de thèse dans de bonnes conditions en parallèle à mon activité professionnelle. Bien sûr, je remercie très sincèrement ma partenaire, Véronique Arnold, qui m'a soutenu psychologiquement ces trois dernières années, tout en subissant les inconvénients journaliers que la rédaction d'une thèse entraîne obligatoirement sur le caractère du thésard I Je remercie tout autant mes parents Claude et Alfreda Duvinage, pour m'avoir donné Ia possibilité de poursuivre mes dix années d'études et pour m'avoir donné la volonté de rédiger cette thèse jusqu'à sa fin lorsque je doutais. Un merci tout particulier à Leïla Kébir et à l'ensemble des autres thésards rencontrés à TIRER ou lors de mes écoles doctorales en Suisse, à Bordeaux ou lors de l'université d'été que j'ai suivie â Manchester. Nos discussions fructueuses m'ont permis d'avancer dans ma réflexion et ma compréhension durant ces cinq années de travail, qui ne furent pas de tout repos, malgré ce que certaines personnes pourraient penser I Je pense enfin ici â la petite centaine de personnes avec qui j'ai discuté durant mes cinq ans d'analyse de la situation du Grand Nancy. Elles m'ont apporté les nombreuses et précieuses informations qui servent de base à mon étude de cas. -4- des figures Figure 1 : Economie de la connaissance Page 24 Figure 2 : Les différents types de connaissances Page 30 Figure 3 : Les différentes catégories d'apprentissage Page 33 Figure 4 : Les formes de la connaissance Page 41 Figure 5 : Exemple de taxonomie de l'innovation Page 44 Figure 6 : Le modèle linéaire Page 47 Figure 7 : Le modèle interactif Page 50 Figure 8 : Les éléments du o modèle en chaîne avec liaisons » Page 51 de Kline et Rosenberg Figure 9 : Une nouvelle compréhension de la production de connaissances Page 54 Figure 10 : Les trois composantes du territoire Page 56 Figure 11 : Un schéma linéaire de la loi Page 61 Figure 12 : La matérialisation du droit Page 62 Figure 13 : Acteurs et relations dans le système d'innovation Page 75 Figure 14 : Une typologie des systèmes d'innovation terrltorialisés Page 80 Figure 15: Les paradigmes des milieux innovateurs et le Page 85 développement économique territorialisé Figure 16 : Le processus de rupture/filiation Page 86 Figure 17 : Milieu urbain et dynamique urbaine Page 87 Figure 18: Deux conceptions polaires-technopôle et technopole Page 103 Figure 19 : Valeur ajoutée de l'interface université/région Page 107 Figure 20 : Stratégies de développement économique Page 111 et production de connaissances Figure 21 : La gouvernance territoriale de la connaissance assure page -\ ^ 3 le renouveau d'un tissu de production territorialisé Figure 22 : Evolution des emplois d'enseignants des universités nancéiennes Page 120 Figure 23 : La répartition des investissements du Plan Etat-Région 1994-1998 Page 138 Figure 24 : Les douze pâles technologiques régionaux Page 138 -6- Figure 25 : Dépenses de la CUGN pour l'université et la recherche en francs Page 144 Figure 26 : Répartition des dépenses de la CUGN pour l'enseignement Page 145 supérieur durant les années 1997-1998 Figure 27: Les activités « Lorraine Technologie » du réseau ATTELOR de 1994 Page 152 à 1998 Figure 28 : Activités des membres nancéiens du réseau ATTELOR Page 153 de 1994 à 1998 Figure 29 : Activités d'APOLLOR dans le cadre du programme Lorraine Page 158 Technologie de 1994 à 1998 Figure 30 : Activités de METALL 2T dans le cadre du programme Lorraine Page 159 Technologie de 1994 à 1998 Figure 31 : Activités du CRITT GBM dans le cadre du programme Lorraine Page 169 Technologie de 1994 â 1998 Figure 32 : Activités du CRITT Eau-Environnement dans le cadre du Page 162 programme Lorraine Technologie de 1994 à 1998 Figure 33 : Projets de transfert validés, gérés par PROMOTECH, 1991-1997 Page 178 Figure 34: Contrats des laboratoires de l'UHP en 1998, par secteur de Page 180 recherche Figure 35 : Nombre de contrats de recherche des laboratoires de l'UHP en Page 181 1998, par codes postaux Figure 36 : Bilan détaillé par branche des contrats gérés par l'UHP en 2001 Page 182 Figure 37 : Montant en KF des contrats des laboratoires de Nancy 2 Page 183 par type de partenariat Figure 38 : Nombre de contrats des laboratoires de Nancy 2 par type de Page 184 partenariat Figure 39 : Nombre de contrats des laboratoires de Nancy 2 par type de contrat Page 184 Figure 40 : Contrats signés en 1998, gérés par l'INPL, par axe de recherche Page 186 Figure 41 : Evolution de l'activité contractuelle des laboratoires avec les PME- Page 187 PMI, gérée par l'INPL Figure 42: Contrats signés par les laboratoires de l'INPL en 1998 selon Page 187 l'organisme de gestion Figure 43 : Contrats de recherche à objectifs partagés signés ou cosignés entre Page 189 le tissu socio-économique et les unités du CNRS du Grand Nancy en 1998 Figure 44 : Contrats de recherche du CNRS, par département scientifique Page 190 -7- Figure 45 : Contratsgérés par I'INRIA de 1995 à 2001 Page 191 Figure 46 : Agrégation des relations partenariales des établissements Page 193 d'enseignement supérieur nancéiens, des EPST et de leurs satellites directs en 1998 Figure 47 : Evolution du chiffre d'affaires des relations contractuelles du milieu Page 194 universitaire nancéien entre 1998 et 2001 Figure 48 : Evolution de l'emploi industriel sur la zone d'emplois de Nancy de Page 201 1990 à 2000 Figure 49 : Evolution comparée du dynamisme des services entre 1993 et 1998 Page 204 en % par branche d'activité Figure 50 : Compétences mobilisables dans les laboratoires nancéiens Page 206 Figure 51 : une exploitation minière et aléatoire de la connaissance Page 207 Figure 52 : Une exploitation systématique et consciente de la connaissance Page 208 Figure 53 : Le maintien des compétences spécifiques du milieu universitaire Page 212 nancéien Figure 54 : Les acteurs du transfert de technologie et leurs actions Page 217 Figure 55 : Universités / entreprises : un système diffus Page 219 Figure 56 ; Universités / entreprises : un système clarifié Page 221 Figure 57 : Les plates-formes technologiques au cœur de la production de Page 223 connaissances au sein de l'économie basée sur la connaissance Figure 58 : |_g çuGN et le Conseil régional au cœur des processus de Page 228 gouvernance territoriale de la connaissance Figure 59 : Un modèle théorique adapté qui éclaire les évolutions nancéiennes Page 231 -8- Liste des abréviations ADUAN : Agence de Développement et d'Urbanisme de l'Agglomération nancéienne ANVAR : Agence nationale de Valorisation de ta Recherche ARIST : Agence régionale d'Informations scientifiques et techniques ATTELOR : Association pour le Transfert de technologie en Lorraine CCI : Chambre de Commerce et d'Industrie CEA : Commissariat à l'Energie atomique CFAI : Centre de Formation d'apprentissage industriel de Maxéville CGPME : Confédération générale des petites et moyennes Entreprises CHU : Centre hospitalier universitaire CIRIL : Centre interuniversitaire de Ressources informatiques de Lorraine CNES : Centre national d'Etudes spatiales CNRS : Centre national de Recherche scientifique CNU : Conseil national des Universités CRAI : Centre de Recherche en Architecture et Ingénierie CRAN : Centre de Recherche en Automatique de Nancy CRCI : Chambre régionale de Commerce et d'Industrie CREGU : Centre de Recherche sur la Géologie des Matières premières minérales et énergétiques CRI : Centre Relais Innovation CRITT : Centre d'Innovation et de Transfert technologique CRPG : Centre de Recherches pétrographiques et géochimiques CROUS : Centre régional des Oeuvres universitaires et scolaires CRT : Centre de Ressources technologiques CUGN : Communauté urbaine du Grand Nancy CURI : Coopération des Services universitaires de Relations industrielles et économiques DCPR : Département de Chimie-Physique des Réactions DG : Direction générale DRRT : Direction régionale de la Recherche et de la Technologie EEIGM : Ecole européenne d'Ingénieurs en Génie des Matériaux EES : Etablissement d'Enseignement supérieur EMN : Ecole nationale supérieure des Mines de Nancy ENGREF : Ecole nationale du Génie rural des Eaux et des Forêts ENSAIA : Ecole nationale supérieure d'Agronomie et des Industries alimentaires ENSAM : Ecole nationale supérieure des Arts et Métiers ENSEM : Ecole nationale supérieure d'Electricité et de Mécanique ENSG : Ecole nationale supérieure de Géologie ENSGSI : Ecole nationale supérieure en Génie des Systèmes industriels -10- ENSIC : Ecole nationale supérieure des Industries chimiques ENSMN : Ecole nationale supérieure des Mines de Nancy ENSTIB : Ecole nationale supérieure des Technologies et Industries du Bois EPEE : Energie, Procédés, Electriques, Environnement EPST : Etablissement public scientifique et technique ESIAL : Ecole supérieure d'Informatique et d'Application de Lorraine ESSTIN : Ecole supérieure des Sciences et techniques de l'Ingénieur de Nancy FF: FR: Francs français Fédération de Recherche GBM : Génie biologique et médical GEMCEA : Groupement pour l'Evaluation des Mesures et des Composants en Eau et Assainissement GEMICO : Génie chimique des Milieux rhéologiquement complexes GIE : Groupement d'Intérêt économique GIP : Groupement d'Intérêt public GREMÌ : Groupe de Recherche européen sur les Milieux innovateurs GRENN : Groupe de Recherche en Electrotechnique et Electronique de Nancy GSl : Ecole nationale supérieure en Génie des Systèmes industriels G2R : Laboratoire de Géologie et de Gestion des Ressources minérales et énergétiques IAE : Institut d'Administration des Entreprises ICN : Institut commercial de Nancy IECN : Institut Elie Cartan IFR: Institut fédératif de Recherche INCM : Institut nancéien de Chimie moléculaire INERIS : Institut national de l'Environnement industriel et des Risques INIST : Institut de l'Information scientifique et technique INPL : Institut national polytechnique de Lorraine INRIA : Institut national de Recherche en Informatique et en Automatismes INRA : Institut national de Recherche agricole INRS : Institut national de Recherche et de Sécurité pour la Prévention des Accidents du Travail et des Maladies professionnelles INSEE : Institut national de la Statistique et des Etudes INSERM : Institut national de la Santé et de la Recherche médicale ISO : International Standard Organisation IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres IUT : Institut universitaire de Technologie KF: LABIAL : Kilo francs Laboratoire Bioprocédés Agro-alimentaires -11- LAE : Laboratoire Agronomie et Environnement LAEGO : Laboratoire Environnement Géomécanique et Ouvrages LCM3B : Laboratoire de Cristallographie et de Modélisation des Matériaux minéraux et biologiques LCPM : Laboratoire de Chimie Physique Macromoléculaire LCSM : Laboratoire de Chimie du Solide minéral LEM : Laboratoire Environnement et Minéralurgie LEMTA : Laboratoire d'Energie et de Mécanique théorique et appliquée LERMAB : Laboratoire d'Etudes et de Recherche sur le Matériau Bois LES : Laboratoire Environnement et Soi LHAC : Laboratoire d'Histoire de l'Architecture contemporaine LHRSP : Laboratoire d'Hygiène et de Recherche en Santé publique LIMOS : Laboratoire d'Interactions Microorganismes - Minéraux - Matière des Sols LORIA : Laboratoire lorrain de Recherche en Informatique et ses Applications LPGA : Laboratoire de Physiocochimie et Génie alimentaire LPM : Laboratoire de Physique des Matériaux LPMIA : Laboratoire de Physique des Milieux ionisés et Applications LRGSI : Laboratoire de Recherche en Génie des Systèmes industriels LSA : Laboratoire Sciences animées LSGS : Laboratoire des Sciences du Génie chimique LSG2M : Laboratoire de Science et Génie des Matériaux métalliques LTMP : Laboratoire de Thermodynamique des Milieux polyphasés M€: MF: MIT: Million d'Euros Million de francs français Massachusetts Institut of Technology NANCIE : Centre international de l'Eau de Nancy N.C. : Non connu NTIC : Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication OCDE : Organisation de Coopération et de Développement économique OIE : Office international de l'Eau PCRS : Programme communautaire de Recherche scientifique PME : Petite et moyenne Entreprise PMI : Petite et moyenne Industrie PRABIL : Plateforme de Développement de Produits et Procédés agro-bio- industriels PROMOTECH : Centre européen d'Entreprise et d'Innovation PRST : Pôle de Recherche scientifique et technologique régional PTR : Prestation de transfert technologique R&D: Recherche et Développement •12- SAIC : Service d'Activités industrielles et commerciales SHS : Sciences humaines et sociales SLt : Système local d'Innovation SNl : Système national d'Innovation SNVB : Société nancéienne Varin Bemier SPL : Système productif local TGV : Train à grande Vitesse UHP : Université Henri Poincaré UMR : Unité mixte de Recherche U3M : Université troisième Millénaire ZE : Zone d'Emplois ZKM : Zentrum für Kunst und Medientechnologie ZUP : Zone à urbaniser en priorité -13- Introduction Ce travail de recherche a débuté par un questionnement : quels sont les impacts économiques locaux de l'activité des établissements d'enseignement supérieur et des laboratoires de recherche nancéiens ? Bien qu'ils n'aient pas les compétences ou une obligation juridique pour s'occuper d'enseignement supérieur, des responsables politiques locaux et régionaux français ont pris ces dernières années la décision de réaliser des investissements importants, dans le cadre des plans « Université 2000 » et plus récemment « Université Troisième Millénaire » (U3M), pour créer ou renforcer les activités de recherche et d'enseignement supérieur sur leur territoire. Souvent, cette décision a été prise sur la base de l'idée, non vérifiée, que le développement de ces activités était bon pour le développement de l'économie locale et régionale. Après avoir investi lourdement pendant de nombreuses années, certains responsables politiques ont voulu quantifier les effets économiques localisés des universités et des centres de recherche qui avaient profité de l'implication financière des collectivités territoriales. C'est dans ce contexte que nous avons effectué, pour la Communauté urbaine du Grand Nancy, deux études sur le thème de « l'université et le développement économique local: comment mettre en valeur les potentiels de développement inexploités ? ». Ce travail, réalisé entre 1997 et 2000, nous a permis de constater que la plupart des recherches menées en Europe et en France sur les impacts économiques des établissements d'enseignement supérieur et des laboratoires de recherche se limitaient à l'analyse des effets quantitatifs directs, indirects et induits sur l'économie locate et régionale. Bien rares sont les auteurs qui essaient de situer leur analyse dans le contexte plus général de la recherche en économie régionale sur les systèmes de production locaux, les milieux innovateurs, la proximité, les systèmes d'innovation, etc. Le plus souvent, l'impact économique de ces institutions est analysé en dehors de la problématique générale du développement endogène et du role du milieu d'acteurs régional pour la valorisation des connaissances produites. Pourtant tes établissements d'enseignement supérieur et les centres de recherche, analysés en tant que producteurs de connaissances, représentent un maillon essentiel de la chaîne d'acteurs impliqués dans le système d'innovation qui permet de transformer la connaissance en ressource économique, surtout à une époque caractérisée par l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. A notre connaissance, il n'existe toujours pas d'analyse de l'impact économique de l'activité des établissements d'enseignement supérieur et des laboratoires de recherche sur la restructuration à long terme du tissu de production terrftorialise de leur région d'ancrage. Pourtant cette question nous semble essentielle pour bien comprendre leur impact économique régional. C'est ce que ce travail cherche à montrer par une réflexion théorique et sa vérification â partir de l'étude de cas du système d'innovation nancéien. -14- Les hypothèses de travail Pour ce travail de thèse, nous avons décidé d'aller plus loin que l'analyse de l'impact économique des seuls établissements d'enseignement supérieur et des laboratoires de recherche. Pour nous, les évolutions que connaissent ces institutions en tant qu'acteurs du développement économique territorial sont liées à l'apparition d'une économie basée sur la connaissance1. Notre conviction est que l'apparition de cette économie entraînera des effets aussi importants que ceux des autres révolutions industrielles. Ce travail se structure par rapport aux hypothèses suivantes : 1. L'économie contemporaine est une économie basée sur la connaissance où la connaissance produite est utilisée de manière systématique et consciente pour assurer la croissance et le développement économique. 2. Les territoires représentent des catalyseurs essentiels à la transformation des connaissances tacites en ressources exploitables économiquement. 3. Les territoires ont ta capacité, grâce aux processus liés à la proximité géographique. de recréer un nouveau tissu de production territorialisé, suite â la création de nouvelles routines institutionnelles lorsque les anciennes routines sont caduques. 4. Les territoires restent inégaux face à l'économie basée sur la connaissance, car l'exploitation économique de la connaissance par le milieu nécessite la mise en place de processus de « gouvernance territoriale de la connaissance » qui n'existent pas dans toutes tes régions. 5. La mise en place d'une gouvernance territoriale de la connaissance dans une région permettrait aux acteurs politiques et économiques chargés du développement économique de faire profiter leur région pleinement des avantages apportés par l'apparition de l'économie basée sur la connaissance. 6. Une ancienne région industrielle, comme la Lorraine, peut faciliter la création d'un nouveau tissu de production territorialisé par la valorisation des compétences spécifiques stockées, entre autres, dans ses établissements d'enseignement supérieur. Pour vérifier ces hypothèses, nous avons mené une recherche sur les thèmes de l'économie basée sur la connaissance, de la proximité, des milieux d'acteurs, de la gouvernance et des 1 Pour ce travail, nous avons retenu comme traduction du concept de < learning economy >, le terme « economie basée sur la connaissance », employé par Dominique Foray dans son livre L'économie de tt oonnaissance, 2001. Comme nous pensons que la langue française est assez riche pour ne pas devoir utiliser l'anglais, nous avons traduit rensembte des concepts anglais en français, •15- interactions entre les établissements d'enseignement supérieur et leur territoire d'ancrage. L'étude de cas permettant de vérifier ces hypothèses a été réalisée en Lorraine, plus particulièrement sur l'agglomération nancéienne, entre 1996 et 2001. Les objectifs de la thèse Au niveau théorique, ce travail cherche à montrer l'importance des marges de manœuvre d'un territoire pour assurer le renouveau d'un tissu de production localisé, même dans une ancienne région industrielle. Ce travail fait une utilisation croisée des études des économistes travaillant sur l'économie basée sur la connaissance et de ceux travaillant sur l'économie régionale. Les premiers restent bien souvent généraux dans leur analyse, alors que les seconds ont toujours des difficultés à sortir du territoire. Cette double perspective est riche d'enseignements, elle nous a permis de montrer comment un territoire donné réagit sous teffet de ['émergence de l'économie basée sur la connaissance. Elle nous montre également que les conclusions des économistes de la connaissance comme Lundvall ou Foray se vérifient au niveau local. Elle permet également de relire les travaux sur les milieux innovateurs, la proximité, les tissus de production tenftorialisés, l'innovation, etc. à l'aune des changements entraînés par l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. Nous avons choisi de réaliser cette recherche en nous concentrant sur l'évolution du role économique des établissements d'enseignement supérieur. D'aucuns pourront se demander pourquoi nous nous penchons sur ces institutions publiques, alors que les activités de recherche à but économique se font bien souvent dans les laboratoires de RSO des entreprises ou des institutions de recherche privées. Nous répondrons ici que le choix est motivé par l'absence de travaux pertinents sur ce thème en 1997, date où nous avons commencé notre travail, alors qu'il existait alors de nombreux travaux analysant l'importance des firmes pour le transfert de technologies et l'existence de tissus de production territorialisés. La structure du document Cette thèse comprend trois chapitres et une conclusion. Dans le premier chapitre, nous posons l'hypothèse que les économies des pays occidentaux fonctionnent selon un nouveau paradigme économique où une partie grandissante de ta croissance est basée sur la capacité des économies à utiliser la connaissance à des fins économiques. Nous partageons donc les idées des économistes êvolutionnistes comme Dominique Foray, Dominique Guellec. Bengt- Ake Lundvall, Denis Maillât ou Pascal Petit, qui travaillent sur les problématiques de l'économie de la connaissance et des ressources immatérielles. Nous avons utilisé le travail de ces chercheurs comme base théorique pour ce chapitre. En simplifiant, nous considérons que ta première révolution industrielle a été caractérisée par « la production de machines par des machines » ; l'économie basée sur ta connaissance se caractérise quant à elle par « l'exploitation systématique et consciente de la connaissance -16- pour produire de nouvelles connaissances à but économique » et par son utilisation intensive pour le développement économique. Dans un premier temps, nous commençons par un survol rapide de ta manière dont les économistes ont intégré le concept de technologie et de connaissance pour expliquer la croissance, puis nous donnons notre avis sur les caractéristiques de l'économie basée sur la connaissance. Dans une deuxième section, nous définissons le terme de connaissance et nous abordons les spécificités économiques de la connaissance. Les deux points essentiels abordés ici seront le caractère tacite de la connaissance et sa dimension de bien public, qui l'empêche d'être assimilée â une simple marchandise. Nous montrons également pourquoi les agents économiques ne sont pas en mesure d'exploiter cette connaissance sans compétences cognitives d'apprentissage. Nous abordons enfin le thème de l'innovation, perçue comme le résultat de l'exploitation économique de la connaissance par les agents économiques. En conclusion de ce premier chapitre, nous défendons l'idée, partagée par Le Moigne, que l'enjeu de l'économie de la connaissance n'est pas t'accès à l'information et aux connaissances présumées rares, mais bien la capacité des économies â développer des « modalités de navigation cognitive inventives dans un univers informationnel riche, mémorisé et se mémorisant » (Le Moigne 1998). Nous proposons un modèle théorique qui explique les caractéristiques de l'économie de la connaissance dans l'exploitation des connaissances â but économique. Dans le deuxième chapitre, nous montrons que l'émergence de l'économie fondée sur la connaissance entraîne une nouvelle répartition des rôles entre les différents acteurs institutionnels qui participent au développement économique d'un territoire donné. Nous pensons même que les évolutions économiques actuelles entraînent l'apparition de nouvelles disparités entre les agglomérations et les régions. Nous défendons l'hypothèse que l'émergence de l'économie fondée sur la connaissance redéfinit l'articulation entre les différentes échelles territoriales et redonne toute leur importance aux territoires locaux. Elle permet ainsi aux responsables politiques, institutionnels et économiques d'un territoire d'agir efficacement pour le développement économique local, lorsqu'ils sont à même de mettre en place des politiques de coopération permettant d'utiliser positivement les processus de polarisation de l'innovation. Nous défendons également l'hypothèse que les territoires qui possèdent des établissements d'enseignement supérieur et des centres de recherche ont plus d'atouts que les autres pour assurer le renouveau ou le renforcement de leur tissu de production territorialisé. En effet, les établissements d'enseignement supérieur peuvent jouer un rôle économique central au sein de l'économie basée sur ta connaissance, lorsqu'ils sont partie prenante d'une stratégie de gouvernance territoriale de la connaissance. -17- Ce travail cherche également à montrer que l'utilisation de la connaissance par les agents économiques et institutionnels d'un territoire nécessite la présence de compétences spécifiques attachées au territoire. Nous considérons que la connaissance produite et disponible sur les différentes bases de données et sur Internet n'est pas utilisable sans certaines compétences, car elle possède des composantes tacites. Cette hypothèse remet en question l'idée généralement répandue dans les cercles des responsables politiques sur l'ubiquité de la connaissance et la possibilité de profiter des connaissances produites « ailleurs » grâce, entre autres, aux stratégies de veille technologique et d'intelligence économique ; elle redonne de l'importance à la proximité géographique. Le troisième chapitre se concentre sur l'étude du cas du Grand Nancy, qui après avoir subi fe choc de la crise de ses industries traditionnelles, a beaucoup investi dans le développement de son potentiel de production de connaissance. Il décrit l'évolution des établissements d'enseignement supérieur nancéiens dans le domaine de la valorisation de leurs compétences et dans leurs relations avec les autres acteurs du territoire. Ce chapitre montre que les analyses économiques classiques ne permettent pas de comprendre par quels processus : le milieu universitaire nancéien génère des vagues de création d'entreprises innovantes ; le milieu économique s'adapte à l'économie basée sur la connaissance ; un nouveau tissu de production territorialisé pourrait se reconstituer. Par contre, l'utilisation d'une perspective prenant en compte les enseignements de la recherche économique sur l'économie basée sur la connaissance, l'économie régionale et la proximité, permet de comprendre les évolutions récentes de ce territoire. Elle permet également de donner du sens aux efforts menés par le milieu depuis vingt ans pour développer l'économie locale. Elle permet enfin de montrer que ces efforts ont permis au Grand Nancy de se préparer pour profiter des potentiels créés par l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. Dans ce chapitre, nous avons confronté les hypothèses de Foray et de Lundvall sur l'accroissement des ressources affectées à la production de connaissance et sur les changements de modes de production de connaissance. Nous avons également analysé révolution des interactions entre les acteurs du système innovateur nancéien et lorrain. Ces analyses nous ont permis de montrer les processus qui pourraient permettre à cette agglomération de recréer un tissu de production territorialisé. Ce travail nous a également permis de situer les évolutions économiques contemporaines de l'agglomération nancéienne dans leur contexte historique. En effet, nous avons montré comment le devenir économique du Grand Nancy dépend de l'exploitation consciente et -18- systématique des actifs spécifiques rares créés lors de l'âge d'or de l'agglomération au début du XX* siècle, qui ont pu être conservés par le milieu tout au long des vingt dernières années, malgré la destruction de la plus grande partie du tissu d'entreprises territorialisé d'alors. En conclusion, nous donnons notre avis sur le devenir économique du Grand Nancy et sur le rôle futur que pourraient, devraient jouer les établissements d'enseignement supérieur au sein de l'économie basée sur la connaissance, qui symbolise l'émergence d'une société mettant le bien-être de ses citoyens et de Ia biosphère avant la production de biens matériels. -19- I L'économie basée sur la connaissance, reflet d'une nouvelle réalité économique Durant la deuxième moitié du XX* siècle, les économies occidentales ont connu trois grandes périodes bien différenciées. La première, appelée les trente glorieuses, était caractérisée par une croyance au modernisme, une explosion démographique sans précédent et des taux de croissance importants, liés, entre autres, aux travaux de reconstruction après la seconde guerre mondiale et au rattrapage économique des pays européens et du Japon par rapport aux Etats-Unis. Cette période se termine en 1973, date du premier choc pétrolier. La période qui suit est caractérisée par une crise économique qui s'est traduite par un ralentissement de la croissance et des taux de chômage très importants dans les pays industrialisés. Cette deuxième période s'est terminée à la fin des années quatre-vingt, date du début de la plus longue phase de croissance économique qu'aient connue les Etats-Unis. La longueur inhabituelle de cette phase de croissance et le retour à une augmentation élevée des taux de croissance de la productivité ont fait dire aux experts que les sociétés occidentales entraient dans une nouvelle période caractérisée par la nouvelle économie. Si ce terme journalistique, symbole du fantasme de croissance perpétuelle, est passé de mode aujourd'hui, la réalité des changements économiques et technologiques qui l'ont soutenu reste d'actualité. 1.1 Bref historique de la pensée économique sur la connaissance Cette section traite de la prise en compte de la connaissance par les différentes écoles économiques. Elle montre comment les économistes portent une attention de plus en plus soutenue à la connaissance en tant que facteur endogène de la croissance. 1.1.1 Les théories classiques et néoclassiques La connaissance a toujours été au cœur du développement économique. « Des abbayes cisterciennes, dont Fensemble constitue un puissant réseau de transmission des savoirs techniques, aux grandes entreprises du début du XIXs siècle qui reconnaissent et valorisent les apprentissages technologiques, chaque époque possède ses organisations et institutions basées sur la connaissance » {Foray 2000}. II est justifié de se demander pourquoi les économistes classiques n'ont pas vraiment donné une juste place à la connaissance ou au progrès technique lors de la construction de leurs théories économiques. Kline et Rosenberg se posent clairement cette question lorsqu'ils affirment : « // est surprenant que l'économie classique n'ait jamais véritablement porté son attention sur le changement technologique » (Kline et Rosenberg 1986) Dans les premiers chapitres de son livre La richesse des nations, Adam Smith aborde bien le progrès technique en parlant des « philosophes qui consacrent leurs efforts à améliorer tes -20- techniques de l'industrie », mats celui-ci reste cantonné dans une position périphérique. Ricardo, quant à lui, ne s'intéresse au machinisme que par rapport â ses effets sur l'emploi. Il perçoit ce « progrès technique » comme destructeur d'emploi et non comme source de gains de productivité. Il examine donc les effets de court terme du progrès technique et non les effets de long terme. Pour comprendre cette situation, nous devons revenir à l'une des hypothèses les plus fondamentales de la microéconomie classique. Celle-ci affirme que (e système économique s'appuie sur des choix rationnels faits par des agents économiques pleinement informés lors de leur choix. Selon cette hypothèse, les agents économiques possèdent bien la connaissance nécessaire à la réalisation de leurs buts. La connaissance nécessaire au progrès technique est donc donnée comme existante, elle ne peut pas être considérée comme un thème de recherche important pour les auteurs classiques. Cela explique également pourquoi les auteurs classiques considéraient la technologie et l'accumulation du capital immatériel comme un facteur exogène de la croissance. Avec une telle approche, les questions concernant les processus d'acquisition, de production, de reproduction et d'adaptation de la connaissance peuvent être considérées comme périphériques ou exogènes aux processus de croissance. Les auteurs classiques considéraient que la création de richesses est obtenue à partir de trois facteurs de production communément appelés te travail, le capital et le sol. Le premier pouvait être considéré comme un capital « humain » et le second comme un capital « matériel » ou encore physique constitué du stock de richesses accumulées. A ces deux premiers facteurs s'ajoutait le sol, considéré comme un facteur fixe. Seuls ces trois facteurs avaient une importance économique ; la connaissance ou « le progrès technique », son équivalent sémantique alors, n'était pas considéré comme un facteur de production. L'analyse de Karl Marx est quant à elle plus riche sur ce thème, car il identifie et analyse le progrès technique comme un facteur de productivité. Karl Marx est l'un des rares économistes classiques à avoir traité la « technologie en tant que facteur endogène » {Kline et Rosenberg 1986). La théorie néoclassique de la production et de la croissance économique a un peu évolué dans son approche en prenant l'information en compte dans ses modèles. Toutefois, ceux-ci s'appuient largement sur l'hypothèse simplificatrice selon laquelle « il existerait une banque globale de pians dont chacun pourrait se procurer une copie pour lancer sa propre production » {OCDE 2000). Ils ignorent ainsi que, la plupart du temps, la connaissance accessible ne peut être utilisée que par des personnes compétentes et qu'elle « n'est pas toujours facile à transcrire sur un plan » (OCDE 2000). Dans le modèle de Sotow, le progrès technique peut être aisément intégré, â la condition qu'il soit neutre au sens de Harrod. c'est- à-dire qu'à taux d'intérêt donné il laisse inchangé le coefficient de capital. La neutralité du progrès technique au sens de Harrod implique que le travail et le progrès technique ont des rôles similaires. Ce qui importe est l'efficacité du travail, « qui peut être accrue en augmentant le nombre d'unités de travail ou l'efficacité par unité de travail * (Guellec et Ralle 2001 ). -21- 1.1.2 Les grands précurseurs Foray voit en Hayek, Simon et Machlup, trois grands précurseurs de l'economie de la connaissance ; dans son livre, elle affirme : « s/ on reconnaît traditionnellement à Nelson (Nelson 1959) et à Arrow (Arrow 1962) le role de précurseurs de la pensée économique moderne en matière d'économie des connaissances scientifiques et technologiques, les premiers grands auteurs modernes d'une économie générale des connaissances (c'est-à-dire non confinée au domaine de la science et de la technologie) sont sans aucun doute Hayek, Simon et Machlup » (Foray 2000). Pour cette raison, nous allons rapidement aborder les travaux de ces trois économistes. Von Hayek aborde la problématique de la connaissance dans deux articles qui constituent aujourd'hui des textes de référence : « Economies and Knowledge », publié en 1937 et « The Use of Knowledge in Society », publié en 1945. Dans le premier article, Hayek met raccent sur « l'opposition entre une problématique statique de l'allocation (au sens d'un état donné des besoins et de la technologie) et une problématique processuelle de la coordination ». Le second article traite plus précisément du problème de l'émergence d'un ordre économique rationnel dans une situation où les individus ne disposent que de « connaissances et de savoirs fragmentés, incomplets, et fréquemment contradictoires ». Dans cet article Hayek défend l'idée que « le problème économique de la société n'est plus l'allocation de ressources données, mais celui de Padaptation rapide aux changements dans les circonstances particulières de temps et lieux » (Quéré et Ravix 1997). Cette approche le pousse à distinguer clairement entre la connaissance scientifique, qui se préoccupe des « lois générales », et la connaissance économique qui traite « des circonstances de temps et de lieux » (Quéré et Ravix 1997). Simon peut être considéré comme le véritable précurseur de l'économie des technologies et de l'information. Ses travaux de recherche Pont amené à développer de nombreux thèmes de l'économie de la connaissance, par exemple te rôle de la mémorisation dans les processus d'apprentissage. Machlup, quant à lui, a développé une conception extrêmement étendue de l'économie de la connaissance en englobant notamment l'économie de l'information (Machlup 1984). Cette conception large l'a conduit à intégrer dans le champ de l'économie de la connaissance, non seulement l'analyse des secteurs et des industries de l'information, mais également l'examen des activités de production de nouvelles connaissances et l'étude des mécanismes d'acquisition et de transfert du savoir pour l'ensemble des secteurs économiques. Pour ces auteurs, la décision humaine est au cœur de la science économique et la présence (ou l'absence) de connaissance et d'information détermine les conditions dans lesquelles sont prises les décisions. Leur approche est donc bien différente de celle des auteurs classiques qui considéraient le niveau de connaissance comme optimal. Ils conçoivent le champ de réconomie de la connaissance de manière étendue. -22- 1.1.3 Vers une nouvelle théorie économique ? Les travaux fondateurs de la mouvance évotutionniste (R. Nelson, S Winter, Dosi) opèrent un changement de perspective qui consiste à introduire une référence institutionnaliste pour tenter de rendre « plus réalistes » les mécanismes d'ajustement des agents dans des contextes d'incertitude, de rationalité limitée et d'information asymétrique, quelles que soient les définitions attachées à ces contextes. Certains travaux menés dans les années quatre-vingt-dix par Eliasson, Lundvall et Foray, qui ont été repris par les nombreux chercheurs en économie régionale travaillant dans Ie cadre du GREMÌ2 (Maillât et Kébir 1999), sont également significatifs d'une nouvelle étape de la prise en compte de la connaissance par les économistes. Eliasson considère que les tâches de production de la connaissance et de traitement de l'information sont localisées dans toutes les activités économiques, y compris les secteurs à faible intensité technologique. Cette approche est différente de la tradition de Machlup qui avait défini un secteur spécialisé, en charge des activités de production et de traitement de la connaissance. Elle représente une étape cruciale dans la prise de conscience croissante que revêt la production de connaissances pour l'ensemble de l'économie, car l'analyse de la seule R&D ne permet de saisir qu'une faible part des activités d'innovation et de production de connaissances. Cette approche conforte un peu plus ridée que l'économie connaît un changement de paradigme qui touche l'ensemble des secteurs économiques. Les travaux de Lundvall vont encore plus loin. Après avoir abordé le thème des systèmes d'innovation (Lundvall 1992), il développe une réflexion sur l'importance économique de la connaissance. Dans ce cadre, Lundvall propose une nouvelle classification de la connaissance que nous présenterons dans la partie suivante et qui intègre la dimension interactive des processus d'apprentissage. Lundvall conceptualise le « learning », terme difficilement traduislble, comme un processus qui entraîne « la création de nouvelles connaissances ou la combinaison de connaissances anciennes, ainsi que les processus qui mettent de la connaissance ancienne dans de nouvelles tètes » (Lundvall 1992). Dès 1994, Lundvall défend l'idée de l'existence d'une économie de la connaissance et il affirme que « la connaissance est la ressource fondamentale au sein de notre économie contemporaine et l'apprentissage le processus le plus important » (Lundvall et Johnson 1994). Groupe de recherche européen sur les milieux innova leurs. -23- Pour Lundvall, les caractéristiques de réconomie basée sur la connaissance sont les suivantes : * L'économfe basée sur la connaissance n'est ni une économie de marché pure, ni une économie planifiée ; c'est une économie qui est et qui doit être, une économie mixte au sens fondamental. Dans une telle économie, le secteur public et ses politiques jouent un rôle important. Toutefois ses institutions de base, les entreprises et les marchés, sont mixtes. Ses marchés sont constitués d'habitudes, de régies et de nomtes et ils sont organisés pour la communication et l'échange d'information qualitative auquel il n'est pas possible de donner un prix. Ses entreprises montrent une diversité de formes organisationnetles qui influencent la communication entre les différentes personnes et services. Ses institutions en perpétuelle évolution créent un environnement pour des processus d'apprentissage interactif en produisant (interactive leaming-by-producing) et d'apprentissage interactif en cherchant {interactive leaming-by-searching), qui sont les principaux mécanismes de recombinaison et d'introduction de la connaissance au sein de !économie » {Lundvall et Johnson 1994). Plus récemment encore, Foray donne une définition des économies basées sur la connaissance. Pour elle, nos économies contemporaines peuvent être considérées comme des économies dans lesquelles « la part des emplois intensifs en connaissance s'est considérablement accrue, le poids économique des secteurs d'information est devenu déterminant et la part du capital intangible a dépassé celle du capital tangible dans te stock réel de capital » (Foray 2000). Pour Foray, l'économie actuelle est le résultat de deux « tendances longues » qui sont l'augmentation des ressources consacrées à la production et à la transmission des connaissances et l'avènement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Figure 1 : Economie de la connaissance Economie du savoir (conception étroite) recherche, éducation liens avec la croissance apprentissage et compétence Economie de l'information (conception étendue) chance, ignorance, incertitude, risque, rôle des anticipations, rôle des prix, théorie de la décision Source : Foray 2000. Pour définir les limites de l'économie basée sur la connaissance, Foray utilise les travaux effectués par Maunoury sur l'économie des savoirs (Maunoury 1972). Cette approche -24- correspond à une idée large de l'économie basée sur la connaissance qui inclut l'information et les savoirs. En défendant la notion d'économie basée sur la connaissance, ces économistes suggèrent t*idée d'une rupture entre les processus de croissance et les modes d'organisation de l'économie aujourd'hui et pendant les périodes antérieures. Hs défendent la thèse que les changements actuels ne peuvent être expliqués par les théories économiques classiques ; c'est pourquoi ils affirment la nécessité de développer une théorie qui prenne en compte la connaissance comme facteur de production. Cette idée rencontre un certain scepticisme chez les économistes néoclassiques ; ceux-ci affirment que l'administration du savoir n'a rien de nouveau et qu'une adaptation de la théorie générale suffirait à expliquer les évolutions actuelles. Depuis quelques années, les travaux de Lundvall et Foray ont été pris en compte par les grandes institutions internationales comme l'OCDE, qui les utilisent pour proposer à leurs membres de nouvelles stratégies de développement économique basées sur la prise en compte de la connaissance et de l'innovation comme une ressource économique. Pour les experts de l'OCDE, la nouveauté tiendrait au fait que « nous nous rendons compte que la connaissance doit être gérée comme une ressource à la fois individuellement et collectivement par et pour les acteurs qui font et qui sont l'économie » et que « la connaissance est produite consciemment, ce dont les utilisateurs ont parfaitement conscience et ce dont ils jouent » (OCDE 2000). Suite à ces travaux, les responsables politiques nationaux et régionaux se sont également emparés de ces concepts pour expliquer les évolutions actuelles. Très souvent, ils ont utilisé pour ce faire le terme de « nouvelle économie». Ce terme, générique très peu précis a entraîné une confusion sur la réalité des changements actuels et sur les stratégies de développement à mettre en œuvre pour permettre aux économies nationales et régionales de profiter de cette nouvelle « révolution économique ». La confusion s'explique également par le fait qu'aujourd'hui personne n'est en mesure de comprendre réellement et de décrire précisément l'ensemble des mutations économiques contemporaines. Veltz résume bien cette situation : « le sentiment général de basculement vers un monde différent n'est perçu que de manière éclatée, fragmentaire, sans issue clairement perceptible » {Veltz 2000). Pour nous faire une idée plus précise de ce que peut être l'économie basée sur la connaissance, nous allons maintenant analyser plus en détail les concepts de connaissance et d'apprentissage. -25- 1.2 La connaissance : un concept complexe difficile à appréhender En 1987, Sidney Winter concluait un article sur la stratégie de la connaissance et de la gestion en attirant l'attention sur « la pauvreté du langage » et « le manque préoccupant de terminologies appropriées et de schémas conceptuels » en ce qui concerne l'analyse de la connaissance dans l'économie (OCDE 2000). Il n'existe aucun consensus sur des questions comme : Quelles sont par rapport aux différents types de connaissances, les distinctions les plus utiles pour comprendre l'interaction entre l'apprentissage, la connaissance et le développement économique ? Cette section apporte un éclairage sur les termes « information », o connaissances >, « savoirs », « compétences », autant de mots sémantiquement proches que les économistes utilisent parfois pour dire la même chose et parfois pour aborder des réalités et des processus différents. Elle montre également que la connaissance a une double composante : elle représente un stock tout en étant un processus. 1.2.1 Le faux débat de la différence entre information et connaissance Pour des raisons de simplification, l'analyse économique a longtemps assimilé l'information et la connaissance à la seule forme physique de l'information : te signe. Cet artifice permet aux économistes de ne pas prendre en compte toute la complexité du concept d'information, ce qui rend plus facile leur travail de modélisation. Selon cette conception, l'information est une « donnée brute » ou urte marchandise, objet que les agents économiques sont en mesure d'échanger sur un marché plus ou moins parfait en tentant de déterminer des procédures raisonnables d'allocation. Dans cette approche, l'information est inerte ou Inactive ; elle ne peut par elle-même engendrer de nouvelles informations. Une simple photocopieuse permet de reproduire de l'information. Cette approche simplificatrice, basée sur une idée incorrecte de la nature de l'information, a permis à une idée * fausse i de se répandre parmi les acteurs du développement économique: il serait possible d'utiliser facilement à des fins économiques toutes les informations et connaissances qui sont disponibles sur Internet et dans les bases de données, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). L'information serait accessible par tous partout dans le monde I Notre expérience montre que cette idée est fortement dommageable pour certains territoires, lorsque leurs responsables l'utilisent comme fondement pour leur stratégie de développement économique. Ces dernières années, nous avons assisté à plusieurs rencontres de responsables politiques et économiques qui avaient comme thème principal « l'utilisation de l'information disponible sur Internet ou dans les bases de données pour le développement économique régional ». Lors de ces débats, la complexité du concept d'information n'a jamais -26- été abordée ; seuls les aspects du transfert et de l'accès aux données baltes étaient au centre des préoccupations. Le résultat de telles stratégies risque tort de se limiter à la mise en place des infrastructures physiques nécessaires au transfert de données et peut-être â la veille technologique. Se posera alors la question de l'exploitation des informations disponibles, phénomène complexe auquel peu de personnes pensent au premier abord I Nous considérons qu'il n'est pas raisonnable de traiter l'information comme une simple marchandise, sans prendre acte de ses multiples dimensions spécifiques. La complexité essentielle du concept d'information a pourtant été mise en évidence dès l'apparition des « nouvelles sciences » de l'information et de la communication. « Les textes fondateurs de W. Weaver (1949) et de C. Morris (1946) définissent l'information comme un concept complexe réunissant inséparablement trois composantes : la forme physique, ou le signe (la composante syntaxique), n'est separable ni des significations dont ce signe peut être porteur (la composante sémantique), ni des actions contextuelles suscitées par la réception de ce signe susceptible de prendre das significations différentes - et parfois imprévues par l'émetteur - selon les contextes de réception » (Le Moigne 1998). On peut distinguer ces trois composantes pour tes présenter, mais l'on ne peut ni les séparer, ni les ordonner. Ce schéma ternaire ou triadique - dont l'origine remonte au moins au premier théoricien de la sémiotique, le logicien CS. Peirce (1839-1914) - décourage souvent l'économiste classique, qui propose parfois d'échapper à cette complexité en disjoignant la donnée brute, la connaissance élaborée et le savoir source de pouvoir. Mais « ces jeux de mots ne font pas longtemps illusion, car c'est bien le môme objet dont nous parlons dès que nous le considérons dans sa généralité : pour tel récepteur, ce qui était donnée brute ou primaire pour son émetteur deviendra peut-être pendant quelques instants savoir, source d'un pouvoir décisif» (Le Moigne 1998). Selon Le Moigne, la différence faite par de nombreux économistes entre information et connaissance ne serait donc qu'un habillage sémantique I Nous allons maintenant définir plus précisément le concept de connaissance pour voir si cette affirmation est justifiée. 1.2.2 Les différents composants de la connaissance La définition générale actuelle du mot « connaissance » est : « l'action de comprendre, de connaître les propriétés, les caractéristiques, tes traits spécifiques de quelque chose ou ropération pariaquelle l'esprit humain procède à ranalyse d'un objet, d'une réalité et en définit la nature » (Larousse 1997). Nous voyons bien, avec cette définition, que nous sommes loin de la simple idée de l'information perçue comme une marchandise qui peut être échangée sans aucun problème. On ne peut comprendre la connaissance sans prendre l'homme pour référence, car la connaissance humaine n'existe pas par elle-même, mais est codée au sein du système nerveux central des êtres humains. La définition de la connaissance dans son essence -27- comprend un processus cognitif, « l'action de comprendre », qui dépasse de loin la simple utilisation d'informations brutes. Ce processus existe également dans la définition complexe de l'information, lorsque celle-ci n'est pas considérée simplement comme une donnée brute. Toutefois, cette définition ne nous permet pas de nous rapprocher de la perception de la connaissance qu'ont les chercheurs travaillant sur la théorie de l'économie de la connaissance. Pour cela, nous devons prendre comme point de départ la définition fournie par Aristote. Celui-ci décomposait la connaissance en trois savoirs : le savolrfactuel équivalent au savoir universel et théorique (episteme) ; la sagesse pratique ou savoir normatif fondé sur l'expérience et lié au contexte et au sens commun (phronesis) ; le savoir-faire ou savoir instrumental lié au contexte et à la pratique (tedine). Cette définition montre que connaissance et savoir sont très proches. Ie savoir étant perçu par Aristote comme une composante du terme plus général de connaissance. Aujourd'hui, dans le langage courant, le mot « savoir » se réfère essentiellement au savoir universel et théorique que l'on peut apprendre en suivant les enseignements prodigués par les institutions d'enseignement et de recherche. Foray définit les savoirs comme les connaissances « dont l'activité essentielle est de pouvoir par elles-mêmes engendrer de nouvelles connaissances » (Foray 2000). L'approche d'Aristote correspond au point de vue ontologique de la philosophie de la connaissance, qui se concentre sur la nature ou l'essence même de la connaissance. Elle est importante, car elle permet de voir les bases des nouvelles approches suivies par les économistes travaillant sur le thème de l'économie de la connaissance. Dans un chapitre ultérieur, nous aborderons la connaissance du point de vue épistémologique, qui pose la question de l'accès à la connaissance. Nous utiliserons comme clés de lecture le cycle de l'innovation et l'importance de la proximité. Souvent, les économistes ne font pas la différence entre innovation, progrès technique et technologie, connaissance et savoir. Nous avons décidé de suivre l'approche qu'a développée Lundvall dans les années quatre-vingt-dix. Celui-ci a intégré le concept de connaissance à la théorie économique en prenant comme base la division triadique proposée par Aristote. Il a toutefois enrichi le concept d'Aristote d'une dimension sociale, car il considère la connaissance comme un processus social qui, le plus souvent, implique des interactions entre des individus, des organisations ou des institutions (Lundvall 1992). -28- Pour Lundvall, Il existe quatre types de savoirs, qu'il définit selon le niveau d'interaction humaine et l'usage que déclarent en faire les agents économiques. Les trois premiers correspondent aux savoirs d'Aristote : le savoir factuel, connaissance relative aux faits ; ce que l'on appelle habituellement l'information et que l'on peut décomposer en bits ; le savoir intellectuel, connaissance scientifique sur les principes qui gouvernent la nature, la société et l'esprit humain, connaissances que produisent et reproduisent des organisations telles que les universités ; le savoir-faire, connaissances relatives aux compétences, qui sont mises en œuvre dans toutes les sphères de l'activité économique et qui sont souvent tacites. A ces trois savoirs « classiques », Lundvall ajoute un quatrième savoir qu'il propose d'appeler savoir interactif ou savoir relationnel. Le Moigne trouve l'approche de Lundvall intéressante car « le nouveau schéma ternaire de Lundvall enrichit le classique modèle signe, signifiant, signifié de Weaver et Morris ». Il considère de plus que cette catégorisation montre bien que « ce n'est pas l'information, mais la capacité d'attention qui intéresse l'économiste et qui se révèle être l'invisible ressource rare» (Le Moigne 1998). Ce point sera essentiel lors de notre réflexion sur les moyens d'utiliser les changements paradigmatiques de l'économie de la connaissance pour assurer une croissance endogène dans un territoire donné. Mais revenons aux caractéristiques de ces différents savoirs. Le savoir factuel correspond à la connaissance des faits. Il est possible de le fragmenter et de le communiquer sous la forme de données. Il peut donc être codifié et transmis sans aucun problème. Il prend la forme d'informations que l'on trouve dans les bases de données et que recherchent surtout les spécialistes et les experts travaillant pour les entreprises de conseil spécialisé. Cette information est d'une certaine façon inerte ou inactive et elle ne peut pas engendrer par elle- même de nouvelles informations. Le savoir intellectuel est extrêmement important pour le développement technologique dans certains secteurs scientifiques. Les centres de production principaux de ce savoir intellectuel sont les établissements d'enseignement, les laboratoires publics de recherche et les départements de R&D des entreprises. Il est possible de distinguer différents savoirs intellectuels : les connaissances générales, qui comprennent les connaissances de base et méthodologiques, ainsi que les compétences personnelles et sociales ; les connaissances spécialisées, par exemple en gestion, informatique, langues, etc. -29- Figure 2 : Les différents types de connaissances Linguistique i Connaissances générales Connaissances* Compétences] de base personnelles • Connaissances méthodologiques ^\\£ \. • Compétences sociales Informatique^ Source : Prognos, Stock et WoIf 1998 Connaissances spécialisées dans toutes les directions La figure 2 ci-dessus, proposée par les consultants de Prognos AG lors d'un travail sur la société de la connaissance (Wissensgesellschaft) réalisé pour le compte du ministère fédéral allemand de l'enseignement et de la recherche, modélise ce type de connaissance sous la forme d'une étoile (Stock et Heimfnd 1998). Le cœur de l'étoile contient les connaissances de base, qui devraient être acquises par l'ensemble de la population ; les branches symbolisent les connaissances spécialisées Comme dans la définition de Lundvall, les connaissances générales comprennent, en plus des connaissances de base et méthodologiques, une dimension sociale et donc interactive. La présentation des connaissances spécialisées sous la forme des branches de l'étoile veut montrer que plus le chercheur est spécialisé dans un champ restreint, plus il se situe à proximité d'une des pointes de l'étoile Cela veut également dire que les personnes en mesure de comprendre les résultats de son travail sont peu nombreuses. Dans le domaine de la physique et de l'astronomie, par exemple, il n'est pas rare d'avoir des spécialistes dont les travaux de recherche ne peuvent être compris que par quelques contemporains. Dans son livre sur l'histoire du XXe siècle, l'histohen anglais Eric J. Hobsbawm donne plusieurs exemples, qui montrent combien des spécialistes pointus dans leur domaine ne sont le plus souvent compris que par quelques autres chercheurs. -30- Nous citerons deux exemples révélateurs (Hobsbawm 1994) : « Lorsque le physicien allemand Otto Hahn découvrit ta fission nucléaire en 1937, il se trouva même quelques-uns des scientifiques les plus actifs dans ce domaine, comme le grand Niets Bohr (1885-1962) pour douter qu'elle puisse avoir des applications pratiques dans la paix ou dans la guerre, tout au moins dans un avenir prévisible. De même, le célèbre article, dans lequel, en 1935, Alan Turing exposa les fondements de la théorie informatique moderne, était à l'origine une spéculation destinée aux spécialistes de logique mathématique. Lors de sa parution, personne ne t'avait lu, encore moins remarqué, hormis une poignée de mathématiciens, » Le savoir-faire désigne les compétences, c'est-à-dire la capacité de faire quelque chose. La notion de compétence économique peut également se définir comme la capacité d'identifier, de développer et d'exploiter l'ensemble des opportunités productives d'un système économique. Lorsque t'on considère la connaissance comme un actif, les compétences peuvent apparaître comme un input du processus de production de connaissance. Le savoir-faire est généralement le type de savoir qui se construit dans le cadre d'une entreprise ou d'une équipe de recherche. A mesure que la complexité de la base de connaissances augmente, la coopération entre organisations tend à se développer afin de partager et de combiner les éléments de savoir-faire. Ce type de savoir se caractérise par l'accès public le plus limité et par la transmission la plus complexe. Le problème fondamental est qu'il est difficile d'isoler la compétence en action de la personne ou de l'organisation qui agit. « L'expert de haut niveau peut parfaitement écrire un livre expliquant comment faire les choses, mais ce que fait l'amateur à partir de ces explications est évidemment moins parfait que ce que produirait l'expert » (OCDE 2000). Le savoir-faire comprend une dimension tacite sur laquelle nous reviendrons plus amplement, car il est très important d'en comprendre les implications économiques pour réussir à créer du développement économique grâce à l'utilisation de la connaissance. Ici, nous tenons à préciser que la constitution de compétences laisse un potentiel dormant au niveau local du point de vue économique alors que la connaissance vieillit rapidement. Cette caractéristique est importante, car la conservation de champs de compétences va avoir des effets positifs : c'est à partir de ces compétences que sera possible urte émergence économique nouvelle. Le savoir relationnel recouvre à la fois un savoir et des rapports sociaux. La multiplication des centres de production de connaissances et le besoin de coopération entre les entreprises ou les laboratoires de recherche pour partager leurs savoir-faire font partie des raisons qui expliquent que « le savoir relationnel prend de plus en plus d'importance » (Lundvall et Johnson 1994). Le savoir relationnel est une des conditions du développement du savoir- faire, qui dépend de plus en plus de la combinaison de plusieurs technologies provenant de -31 - diverses disciplines scientifiques. Le savoir-faire passe donc par une information sur les personnes qui savent et sur celles qui savent faire. Il passe également par la capacité sociale à coopérer et à communiquer avec différentes personnalités ou avec différents experts (OCDE 2000). Il est donc Important d'aborder maintenant la question de l'apprentissage qui permet la transmission sur le long terme des connaissances et des savoir-faire. 1.2.3 Les différentes classifications des processus d'apprentissage La théorie économique classique assimile l'apprentissage à de « l'acquisition d'informations » ou la traite comme « un phénomène de boîte noire n dont on suppose qu'il se traduit par la progression de la productivité (OCDE 2000). Nous ne considérons pas que cette approche suffit pour expliquer l'importance de l'apprentissage dans les processus économiques. Nous préférons retenir la définition proposée par l'OCDE : « l'apprentissage se définit comme un processus au cœur duquel nous trouvons l'acquisition de compétences et de qualifications permettant à l'individu apprenant de mieux atteindre ses objectifs individuels ou bien ceux de son organisation » (OCDE 2000). Cette définition implique un impact de l'apprentissage sur le stock de savoirs et de connaissances existant. Sans apprentissage, il ne serait pas possible de reconstituer ce stock. Cette définition est proche de la vision classique qu'ont les experts de l'apprentissage. hors du champ de l'économie. Elle est toutefois insuffisante, seule, pour nous permettre de comprendre la complexité et la diversité des processus d'apprentissage. Une première classification peut se faire par rapport aux interactions sociales que les processus d'apprentissage impliquent II existe une forme simple d'apprentissage que l'individu peut accomplir seul et qui se base sur l'effet direct des expériences de l'individu sur sa mémoire. L'apprentissage se fait également lorsque les individus apprennent par répétition ; cet apprentissage de nature routinière ne demande pas obligatoirement la compréhension de ce qui est appris. Cette activité suppose une observation et un apprentissage par rapport à d'autres personnes et donc un certain niveau d'interaction. Un autre type d'apprentissage se fait par rétroaction ; l'individu essaye ou dit quelque chose à une autre personne pour obtenir une réaction. Nous pouvons également citer la recherche systématique de nouvelles connaissances. Cette forme d'apprentissage est une des caractéristiques de la société industrielle moderne, avec ses universités et ses centres de recherche, elle rend nécessaire un niveau d'interaction important entre les structures productrices de connaissances. L'analyse du niveau d'interaction peut également produire une classification qui différencie entre apprentissages individuels et apprentissages collectifs. -32- L'apprentissage individuel se réfère à l'acquisition d'informations, de connaissances ou de compétences par des individus grâce à une forme d'éducation et de formation, soit formelle soit informelle. Le résultat de l'apprentissage individuel est le stock de capital humain, lequel constitue, à son tour, une forme de «capital de savoir». Les différentes formes d'apprentissage individuel se soucient principalement de diffuser un savoir existant. L'apprentissage individuel qui aboutit â la création d'un nouveau savoir est tourné vers les savoirs factuels et Intellectuels définis par Lundvall et Johnson (Lundvall et Johnson 1994). Figure 3 : Les différentes catégories d'apprentissage Diffusion d'un savoir existant Création d'un nouveau savoir Apprentissage individuel (générant un capital humain) Par exemple : éducation ; formation professionnelle ; apprentissage par l'action sur le lieu de travail B Par exemple : recherche universitaire effectuée par des étudiants en doctorat ; apprentissage par l'action sur le lieu de travail D Apprentissage collectif (générant un capital structurel) Source: OCDE 2001. Par exemple : constitution de bases de données ; création de programmes et de manuels ; appropriation de licences technologiques appartenant à d'autres entreprises ; recrutement par les entreprises des entreprises et instituts de recherche de personnel hautement qualifié Parcxemple:R&D dans les universités par des groupes de recherche ; R&D dans les entreprises ; R&D en collaboration Arrow et Rosenberg ont également analysé les processus d'apprentissage individuel dans l'activité de production de biens et de services. Leurs études permettent de distinguer : l'apprentissage par la pratique ou l'action (learning by doing) défini par Arrow (Arrow 1962). Ce type d'apprentissage explique l'augmentation de l'efficacité de la production. Il engendre des gains internes au processus de production, qui se traduisent par la croissance de la productivité du travail. Ce type d'apprentissage génère les savoir- faire; l'apprentissage par l'usage (learning by using) de Rosenberg (Rosenberg 1962). Ce type d'apprentissage explique pourquoi l'utilisation des systèmes complexes gagne en efficacité au fil du temps. Il est lié à l'idée que l'usager possède des connaissances spécifiques lui permettant de maîtriser les situations définies par l'implantation locale d'une nouvelle technologie. Les deux types d'apprentissage individuel et les savoirs auxquels ils se rattachent constituent des conditions préalables nécessaires mais nullement suffisantes de l'innovation. En résumé, -33- nous pouvons affirmer que « l'apprentissage individuel à travers les différents niveaux d'enseignement officiel et de formation fournit une base essentielle pour les processus d'innovation mais il ne garantit en aucune façon que des innovations se produiront réellement »(OCDE 2001a). Cela a des implications importantes pour les politiques de développement destinées à encourager la capacité à innover et plus généralement la croissance économique. L'apprentissage collectif se traduit par l'apprentissage interactif défini par Lundvall (Lundvall 1992). Cet apprentissage permet de communiquer les savoir-faire et met en perspective les utilisateurs et les producteurs dans un réseau d'interaction qui aboutit à l'innovation. Il introduit l'idée que l'interaction entre les producteurs et les utilisateurs au cours du processus d'innovation améliore les compétences des uns et des autres. La multiplication des centres de production de connaissances dans nos économies basées sur la connaissance donne une importance croissance à ce processus. En effet « tes organisations doivent coopérer pour mettre en commun les fònmes spécifiques de savoir dont elles disposent individuellement » (OCDE 2001a). L'analyse empirique montre que l'apprentissage collectif par l'interaction est essentiel au développement de la capacité à innover des organisations mais également des territoires. Maillât et Kébir proposent une autre classification qui donne une place plus importante aux apprentissages collectifs, qu'ils divisent en apprentissages interactif, organlsatronnel et institutionnel (Maillât et Kébir 1999) : l'apprentissage Interactif correspond « à la manière dont s'établissent les interactions entre les acteurs lors de la coordination des activités productives ou lors de la mise en œuvre du processus d'innovation. Par apprentissage interactif, nous entendons plus précisément le processus d'interaction par lequel les connaissances, nécessaires à la bonne marche du système productif et détenues individuellement par l'ensemble des acteurs (individus, finmes, institutions), sont intégrées et mises en commun. Ces interactions s'établissent entre les acteurs lors de la coordination des activités productives ou lors de la mise en œuvre du processus d'innovation (à travers le partage d'expérience, la transmission d'informations, etc.) » (Maillât et Kébir 1999) ; l'apprentissage organlsatlonnel peut être défini comme « la capacité d'une organisation à apprendre à faire ce qu'elle fait, lorsque ce qu'elle apprend n'est pas en possession des différents individus faisant partie de ^organisation mais la somme de ces connaissances. Cela est le cas lorsque le groupe acquiert un savoir-faire associé à sa capacité à mener ses activités collectives, qui représente l'apprentissage organisationnel. Cette forme d'apprentissage intervient lorsque les individus détectent des écarts ou, eu contraire, des continuations entre les observations et tes théories en vigueur dans l'organisation, c'est-à-dire les différentes manières de concevoir, penser ou agir, enseignées ou produites dans Fentreprise. Il faut pour cela que l'expérience, les découvertes de chacun soit encodées dans le langage commun de rorganisation sans quoi, seul Pindividu apprend et non rorganisation toute entière. Ce qui est enjeu -34- dans Fapprentissage organisationnel, ce ne sont pas tes connaissances privées des individus, mais tes connaissances coilectMsées qu'ils mobilisent dans leur action dans l'organisation » (Maillât et Kébir 1999) ; l'apprentissage institutionnel correspond à « la capacité des institutions à se mettre en cause, à adapter leurs structures et leurs objectifs, à se renouveler en fonction des changements de l'environnement» (Maillât et Kébir 1999). Cette capacité test importante pour le développement de la compétitivité des économies nationales » (Lundvall 1992). A ces trois types d'apprentissage, Maillât et Kébir ajoutent l'apprentissage par apprentissage, qu'ils considèrent être le « moteur du système » économique : l'apprentissage par apprentissage correspond « au processus d'amélioration des compétences liées à l'apprentissage. Il y a en quelque sorte un apprentissage dans l'apprentissage. En effet, plus on apprend, plus on développe ses propres capacités d'assimilation ainsi que des techniques facilitant l'apprentissage. Plus ce dernier devient aisé, plus les acteurs désirent apprendre. Ce type d'apprentissage agit en fait comme moteur du système » (Maillât et Kébir 1999). Ils ajoutent également un autre processus : l'oubli. En effet, ils considèrent que ce demier représente la contrepartie de l'apprentissage par apprentissage et constitue en quelque sorte une partie intégrante de l'apprentissage dans le sens où il provoque un changement dans le stock de connaissances, ils proposent de séparer l'oubli en deux groupes : - « l'oubli simple qui suppose une destruction complète de connaissances et de savoir- faire, sans que ceux-ci ne réapparaissant d'une manièra ou d'une autre dans une autre activité, l'oubli créatif qui est nécessaire avant que l'innovation ne soit diffusée dans l'économie. L'oubli créatif représente simplement l'oubli momentané de connaissances, de savoir- faire, de règles, de routines, afin de pouvoir être recanalisés sous de nouvelles formes, dans un nouveau champ d'activité » (Maillât et Kébir 1999). L'analyse des processus d'apprentissage est importante pour comprendre les mécanismes de l'économie basée sur la connaissance. Foray considère, par exemple, que « les processus d'apprentissage sont rune des bases du dynamisme de l'économie moderne car ils sont au cœur du processus de reproduction de la connaissance et ce sont eux qui permettent une augmentation et le renouvellement du stock de connaissances » (Foray 2000). Elle va même plus loin en affirmant que le développement des processus d'apprentissage expérimentaux « qui pemiettent de collecter des données et de sélectionner la meilleure stratégie pour les activités futures dans d'autres activités que les métiers artisanaux représente une transition importante dans l'émergence historique de l'économie basée sur la -35- connaissance » (Foray 2000). En effet, elle considère que « tant qu'une activité reste fondamentalement basée sur des processus d'apprentissage qui sont des procédures d'adaptation routinière et qui ne laissent pas de place à la programmation délibérée d'expériences pendant l'activité économique, la dichotomie reste grande entre ceux qui produisent délibérément de la connaissance et ceux qui l'utilisent et l'exploitent. Lorsqu'une activité passe à des formes d'apprentissage supérieures, où l'individu peut programmer des expériences et en retirer les résultats, la production de connaissance devient beaucoup plus collectivement distribuée » (Foray 2000). Ces différentes classifications seront très importantes lors de notre analyse, aux chapitres suivants, des processus d'innovation qui se déroulent au niveau d'une région. La différenciation entre les différents processus nous permettra de faire des propositions de stratégies qui permettent aux agents économiques d'une région d'utiliser les différents types de connaissance à des fins économiques. -36- 1.3 La connaissance : un bien public particulier L'analyse détaillée des caractéristiques de la connaissance montre que c'est un bien économique étrange, possédant des propriétés différentes de celles qui caractérisent les biens conventionnels et notamment les biens tangibles. Pour cette raison, lorsque nous parlons de l'échange et de ta vente de connaissances, les erreurs de marché sont la règle plutôt que l'exception. Cette situation est liée aux caractéristiques de « bien public » de la connaissance, qui font qu'elle ne peut pas être considérée comme une marchandise comme les autres. Les théories de la croissance endogène défendent l'hypothèse que a la nature partiellement publique de la connaissance en fait un moteur de la croissance » (Guellec et Ralle 2001). Ce role économique est lié à l'importance et à la multiplicité des vecteurs d'extemalité de la connaissance (achat de brevets et licences, publications scientifiques, échanges directs d'informations entre firmes poursuivant des programmes de recherche similaires, etc.) ainsi qu'au rendement social très élevé indiqué par Foray : * les activités de production de connaissances ont en générai un rendement social très élevé » (Foray 2000). Cette affirmation est confirmée par la plupart des études abordant le rendement social de la recherche ; celles-ci aboutissent à la conclusion que ce rendement est « de 50% à 100% plus élevé que le rendement privé » (Guetlec et Ralle 2001 ). Le niveau d'extemalité et la nature de bien public de la connaissance sont différents selon le type de connaissance, codifiable ou non, le lieu de production et le but poursuivi. « La recherche conduite dans les universités, donc plutôt fondamentale, semble engendrer plus d'externalités que celle conduite par les firmes, ce qui conforte l'idée d'une diffusion plus aisée et d'une moindre rétention du savoir universitaire, qui est plus proche d'un bien public » (Guellec et Ralle 2001). La théorie évotutionnlste, dans un souci de plus grand réalisme et pour s'affranchir de la notion de bien-information, se penche sur la nature économique de la connaissance, en distinguant « ses aspects codifiables de ses aspects tacites et spécifiques » (Quéré et Ravix 1997). Nous allons reprendre cette catégorisation pour étudier les spécificités économiques de la connaissance. Dans un premier temps, nous analyserons les caractéristiques d'une connaissance réduite à un ensemble d'instructions codifiées, dont l'accès permet l'exploitation immédiate. Nous sommes conscient que cette première approche ne correspond pas à la complexité de la réalité, elle nous permettra toutefois de bien comprendre les spécificités économiques de la connaissance perçue en tant que bien public pur. Dans un deuxième temps, nous aborderons les conséquences de « la dimension tacite de la connaissance, qui réduit fortement la dimension des extematités » (Foray 2000), ce qui diminue son caractère de bien public. -38- 1.3.1 Les caractéristiques économiques de la connaissance codiflable La connaissance codiflable n'est pas facilement appropriable car c'est un bien non excluable, c'est-à-dire qu'il est difficile de rendre ce bien exclusif, de le contrôler de manière privée. La connaissance s'échappe en permanence des entités qui l'ont produite ; les concurrents peuvent l'utiliser gratuitement. La littérature économique utilise le terme générique d'extemalités positives pour désigner cet impact positif sur des tiers, desquels il est techniquement difficile d'obtenir une compensation. Dans son livre, Foray (Foray 2000) cite le travail de Mansfield, qui a montré que les informations concernant les décisions de recherche et développement d'une entreprise sont connues de ses rivaux dans les six mois, tandis que les détails techniques sont connus avant un an. La connaissance codifiable est un bien non rival. Elle n'est pas « rare au sens des autres ressources naturelles » (Lundvall 1992). Elle peut être caractérisée par son Inépuisabilité, car elle ne se détruit pas par l'usage. Bien au contraire, c'est te non-usage d'une connaissance qui menace son existence, ta faisant sombrer dans l'oubli. En effet, les agents économiques ne sont pas rivaux pour sa consommation. En d'autres termes, l'usage d'une connaissance existante par un agent additionnel ne suppose pas la production d'un exemplaire supplémentaire, au contraire son utilisation accroît sa valeur. La propriété de non-rivalité possède deux dimensions : premièrement un agent peut recourir une infinité de fols à la même connaissance, sans qu'il lui en coûte, pour reproduire une action ; deuxièmement, une infinité d'agents peuvent utiliser la même connaissance sans que personne n'en soit privé. La non-rivalité permet la diffusion large et à bas coût de la connaissance. Il convient toutefois de noter que « ce que chacun reçoit en matière de connaissance codifiée n'est pas une copie du bien original » (Foray 2000). L'implication de la propriété de non-rivalité sur les coûts et les prix est importante. Puisque « te coût marginal d'usage est nul, réconomie ne peut se conformer aux règles de fixation des prix sur la base des coûts marginaux, car l'usage de la connaissance serait alors gratuit et il deviendrait impossible de compenser financièrement le fait qu'une connaissance soit utilisée un grand nombre de fois » (Foray 2000). Dans le domaine de la science et de la technologie, la connaissance est cumulative et progressive. En effet, non seulement un innovateur peut utiliser les découvertes passées, ce qui entraîne « une extemalité intertemporelle » (Guellec et Ralle 2001), mais il peut les utiliser en totalité et cela simultanément à tous les autres chercheurs : les découvertes de chacun -39- sont disponibles pour ses collègues et successeurs, car elles vont à leur tour s'ajouter au stock des connaissances. D'après Foray, « te cumul de ces trois propriétés d'incontrôtabitité, non-rivalité et cumulativité est à l'origine de l'importance du rendement social (ou des extemalités) de l'activité de recherche et d'innovation et elle inscrit celle-ci comme un fondement essentiel de la croissance » (Foray 2000). Cette idée est partagée par Guellec. qui considère que « les extemalités induites par l'utilisation de la connaissance sont au cœur du processus de croissance » (Guellec et Ralle 2001). Les effets économiques positifs de ce caractère cumulatif ont toutefois été remis en question, car ils sont peu visibles au niveau des statistiques. Solow a résumé la situation par une phrase devenue célèbre : « fes ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de PIB ». Comment expliquer cette situation alors que le stock de connaissances a fortement augmenté et que les outils de transfert d'informations se sont fortement améliorés ? Caballero et Jaffe, cités par Guellec (Guellec et Ralle 2001), proposent une explication. Leur idée de départ a été d'utiliser les brevets cités en référence par chaque brevet pour établir une relation entre le stock de connaissances et sa variation, évaluer ce stock, puis mesurer l'évolution de la productivité de la recherche et les effets de la technologie sur la croissance économique. Selon cette étude, la capacité des connaissances établies à engendrer de nouvelles connaissances a fortement chuté depuis le début du siècle. Autrement dit, chaque découverte entre pour une part décroissante dans le stock des connaissances publiques. Pour eux, ce résultat permettrait d'expliquer la baisse, constatée par d'autres études, de la productivité du travail dans la recherche (ratio du nombre de découvertes sur celui des chercheurs). En conséquence, le taux de croissance de la technologie aurait lui aussi diminué, notamment depuis les années soixante. Cela validerait l'explication technologique du ralentissement de la productivité observé aux Etats-Unis et dans les autres pays industrialisés depuis cette période. Cette situation peut certainement être expliquée par le fait que la cumulativité de la connaissance rencontre des obstacles. En effet, si ta connaissance est tenue secrète ou si les coûts de mise en forme, de transmission et d'acquisition sont élevés, la cumulativité sera réduite, voire nulle. Il existe de plus des obstacles spécifiques qui entravent les processus cognitifs à la base de la progressivité de la connaissance. Premièrement, ta cumulativité de la connaissance suppose l'adoption de codes et de formes d'expression systématiques, ainsi que de procédures de vérification et d'évaluation de la connaissance qui soient admises par tous. Deuxièmement on ne peut négliger l'aspect temporel qui rend souvent insaisissable (au moins à Péchelle de la vie humaine) l'aspect cumulatif des processus. De plus, le coût d'accès à une connaissance est en général loin d'être nul. Il faut en connaître l'existence, acquérir les connaissances qui permettent de la maîtriser et l'étudier directement. Enfin, la dynamique de la connaissance est marquée par des phénomènes d'obsolescence. Conséquence de l'apparition d'une connaissance nouvelle, « le savoir plus ancien est déprécié et le processus cumulatif perd de sa force » (Foray 2000). -40- 1.3.2 Les Implications de la composante tacite Les difficultés à utiliser les connaissances existantes s'expliquent également par la composante tacite de la connaissance. Polanyi est certainement l'un des premiers chercheurs à avoir porté son attention sur la différence entre la connaissance explicite {déclarative et pratique) et la connaissance tacite (action). Pour Polanyi, « la connaissance explicite est codiïiable, transmissible grSce au langage et à l'écriture alors que la connaissance tacite doit être perçue comme un art, pour lequel nous ne sommes que peu conscients de l'ensemble des connaissances que nous possédons pour accomplir une tâche » (Polanyi 1967). Plus récemment, l'OCDE définit la connaissance tacite comme « un savoir qui n'est pas explicité per ceux qui l'utilisent ou le détiennent » (OCDE 2000). Cette institution reste, avec cette définition, dans la ligne de Polanyi. Figure 4 : Les formes de la connaissance Individuelle Sociale Explicite Consciente : possédée, articulée et manipulée par des individus, mais pas encore publique Objectivisée : explicite, capturée et communiquée par le langage et des symboles Implicite / tacite Automatique : connue par des individus sans qu'ils soient en mesure de la rendre explicite Collective : faits sociaux, comme la culture, les cultures professionnelles se construisent à l'intérieur de s communautés d'activités » Sources : Thierstein et Wilhelm 2000. Actuellement, la question du caractère tacite du savoir suscite un débat animé parmi les économistes. Cela s'explique par le fait que le caractère tacite limite la transférabilité de la connaissance, car plus celle-ci est tacite, plus il est difficile de « la partager entre les peuples, tes entreprises et tes régions » (OCDE 2000). En général, le fait de posséder de la connaissance tacite est même ignoré ou négligé par le détenteur. Pour cette raison, la connaissance tacite est un bien qui se prête difficilement à de nombreuses opérations : l'échange, la diffusion et l'apprentissage de connaissances tacites supposent la mobilité et la démonstration volontaire des personnes qui les détiennent. Ils sont donc coûteux et difficiles à mettre en œuvre ; -41- Ie stockage et la mémorisation des connaissances tacites sont conditionnés par le renouvellement - de génération en génération - des personnes qui détiennent ces connaissances ; la recherche d'éléments de connaissance, complémentaires et appropriés à un projet particulier, est grandement limitée. Les connaissances tacites ne peuvent être ni classées, ni répertoriées systématiquement. Le fait que certaines parties du savoir sont tacites n'exclut pas la possibilité que ce savoir devienne explicite dès l'instant où il est confronté à des incitations suffisantes. Pour bien comprendre ce point, il faut faire la distinction entre « les savoirs tacites susceptibles d'être explicités (tacites en raison de rabsence d'incitation) et le savoir qui ne peut pas s'expliciter (tacite par nature) » (OCDE 2000). 1.3.3 Les caractéristiques économiques du caractère tacite de la connaissance En tenant compte du caractère tacite de la connaissance, nous sommes loin de la vision de bien public pur. Nous pensons qu'il n'est pas possible d'appréhender clairement les composantes économiques de la connaissance sans prendre en compte sa dimension tacite, l'existence des savoir-faire et des expériences pratiques. La connaissance tacite est un bien excluable. Ainsi, le caractère d*incontrôlabilité est remis en question lorsque nous parlons des connaissances produites par la recherche ou les nouvelles pratiques technologiques. Très peu de ces connaissances sont d'emblée formalisées jusqu'au point d'être un « simple » ensemble d'instructions codifiées qui permettent une reproduction immédiate. If existe dans la réalité une sorte d'excluabîllté naturelle liée â cette dimension tacite. Les nouvelles connaissances se présentent comme une combinaison d'instructions formalisées et de connaissances tacites, basées sur des expériences pratiques que l'on ne peut acquérir que dans le laboratoire où a été réalisée la découverte. Comme nous l'avons vu précédemment, les résultats de la recherche de pointe ne peuvent souvent être compris que par une poignée de spécialistes. Les scientifiques qui détiennent le savoir-faire disposent donc d'une rente temporaire, jusqu'à ce que la connaissance nouvelle soit suffisamment codifiée, articulée et explicitée. Une autre nuance à l'argument d'incontrôlabllrté fient au rôle des actifs complémentaires. Très souvent, l'exploitation de la nouvelle connaissance exige des capacités que seul l'inventeur possède. Il s'agit de capacités spécifiques, qui conditionnent la mise en œuvre de l'innovation. La composante tacite de la connaissance et des savoir-faire, qui ne peuvent être codifiés et traduits en mots et en formules, rend obligatoire la mise en place de processus d'apprentissage pour que les agents économiques soient en mesure d'utiliser cette connaissance â des buts économiques. La connaissance se rapproche plus d'un bien public local soumis à un coût que d'un bien public pur. -42- Sur le caractère de bien non rival, nous devons préciser que même si le coût d'usage d'une connaissance existante est nul, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de coût de transmission et de mise en forme. La non-rivalité n'élimine pas non plus les coûts d'acquisition et d'accès. Nous appelons coûts d'acquisition les coûts des investissements intellectuels nécessaires pour former une communauté capable de comprendre et d'exploiter la connaissance. Plus la communauté des agents possédant I'« équipement intellectuel » adéquat est grande, plus la valeur économique attachée à la propriété de non-rivalité est importante et donc le rendement social de la connaissance puissant. Toutefois, même si la connaissance possède une composante tacite et des savoir-faire qui ne sont pas codifiés, les derniers progrès technologiques ont entraîné une évolution qui renforce son caractère de bien public. La révolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication a fait tomber les coûts de mise en forme et de transmission de la connaissance, ce qui a entraîné une baisse du coût marginal de mise en forme et de transmission. Les coûts marginaux d'acquisition se sont également fortement réduits avec l'accroissement des dépenses de formation et d'éducation. « Ces évolutions permettent une exploitation plus effective des propriétés de non-rivalité et de cumulativité de la connaissance. En ce sens, elles donnent à l'économie basée sur la connaissance une base physique cohérente » (Foray 2000). -43- 1.4 Les processus d'innovation Dans les trois premières sections de ce chapitre, nous avons abordé ta problématique de l'économie basée sur la connaissance et de la connaissance perçus dans sa double dimension de stock et de processus d'apprentissage sous son aspect de bien économique. Nous abordons maintenant le thème de l'innovation, qui est pour nous le principal produit économique de la connaissance. 1.4.1 Définition de l'Innovation Les innovations sont des créations nouvelles qui ont une importance économique du fait de leur adoption au sein d'organisations : en ce sens, elles incorporent un savoir pour lequel il existe une demande. Mais elles ne constituent pas une catégorie homogène. Depuis les travaux pionniers de Joseph Schumpeter, on distingue trois stades dans le processus du changement technique. « L'invention est la production de connaissances nouvelles, l'innovation est un dispositif nouveau, produit ou procédé ; la diffusion consiste en l'adoption de ce dispositif technique à grande échelle, ou par une large population d'agents » (Le Bas 1995). Pour que l'invention devienne une Innovation, il faut que quelqu'un réalise sa valeur économique potentielle en cherchant à l'utiliser dans des conditions économiques. Une invention devient donc une innovation dès lors qu'elle est introduite dans l'économie. Il existe diverses taxonomies de l'innovation. On oppose tes innovations radicales (de grande ampleur : le micro-ordinateur) aux innovations incrémentales (de petite taille). On oppose aussi les innovations de produit aux innovations de procédé. Figure 5 : Exemple de taxonomle de l'innovation Source: OCDE2001. -44- L'innovation de procédé a trait à la manière dont les choses sont produites alors que l'innovation de produit a trait à ce qui est produit. Les innovations de procédé technologique et les innovations de produit sous la forme de biens génèrent des résultats matériels (et, à cet égard, elles se conforment au stéréotype largement admis selon lequel l'innovation est par nature technique). Les innovations de processus organisationnel et les innovations de produit dans les services sont des éléments incorporels. Elles n'en sont toutefois pas moins importantes. Les relations entre les différents types d'innovation sont complexes. Premièrement, il existe une relation entre l'innovation de- produit et l'innovation de procédé. Parfois, ta création d'un nouveau produit exige de nouveaux procédés. Mais, dans d'autres cas, un nouveau produit peut être obtenu avec la même technologie que l'ancien. En outre, le même produit œuvré peut être initialement une innovation de produit et se transformer ensuite en innovation de procédé. Deuxièmement, il existe une étroite relation entre les innovations de procédé technologique et les innovations de processus organisationnel. Lorsque l'on introduit une innovation liée à un procédé technologique nouveau, il faut bien souvent changer l'organisation du travail pour en récolter les bénéfices. Enfin, il existe manifestement une étroite relation entre nouveaux produits et nouveaux services. Comme nous le verrons ci-dessous, il est important de maintenir ces distinctions analytiques, non seulement pour faciliter la compréhension des processus hautement complexes qui entrent en jeu, mais également pour aider à l'élaboration de politiques efficaces. Le rôle économique de l'innovation a été différemment apprécié par les économistes. Dans l'approche dominante, dite néoclassique, les agents sont rationnels en ce sens qu'ils maximisent une certaine fonction (utilité, revenu). Ils innovent dans la mesure où ils espèrent en retirer un certain bénéfice. Ces agents, innovateurs en concurrence d'un côté, consommateurs de l'autre, se rencontrent sur des marchés. Il en résulte un équilibre, basé sur un système de prix, de revenus et l'allocation des ressources correspondantes (notamment la quantité de ressources investies dans l'innovation, qui détermine le rythme du changement technique). Le changement technique est représenté comme un déplacement de la fonction de production. « L'innovation technologique est donc vue comme une action optimale des agents dans un certain contexte de contraintes et d'incitations » (Guellec 1999). Une autre approche a été développée entre autres par Nelson et Winter, depuis la fin des années soixante-dix, autour de la « théorie evolutionniste ». Inspirée des travaux de Joseph Schumpeter, cette approche distingue trois types d'innovation, s'ajoutant à celles de produit et de procédé : les innovations organisationnelles, les nouvelles sources de matières premières et les nouveaux marchés. -45- Selon cette optique, les agents ne sont plus parfaitement rationnels, les prix ne coordonnent pas totalement les actions. Le risque, probabilisaWe dans la théorie néoclassique, laisse place à l'incertitude (non probabilisable) et le calcul devient ainsi pan. Les innovateurs se présentent sur le marché avec leurs propositions et la concurrence engendre un processus de sélection qui ne laisse survivre que les plus adaptées â la demande. Cette approche se révèle utile dans les études de cas et les études historiques, car « e//e permet de mieux prendre en compte les processus de destruction créatrice, dont ta théorie néoclassique rend mat compte » (Guellec 1999). Selon cette approche évolutionniste, l'innovation est un processus (Le Bas 1995) : « qui transmet des impulsions, en reçoit, raccorde les idées, les techniques nouvelles et les marchés. Dosi définit Finnovation comme une activité de résolution de problèmes » ; « qui a son point fixe dans une organisation (la fimie) depuis la fin du XI)C siècle, alors que lors de la première révolution industrielle les innovations étaient le fait d'artisans ». Nous discuterons cet argument, car pour nous l'émergence de l'économie basée sur la connaissance a fait évoluer la situation ; « social qui se rattache aux marchés et aux systèmes techniques, deux ensembles de faits sociaux » ; * interactif complexe qui peut être vu comme interne à la fi/me ou entre la firme et son environnement » ; «; qui est le produit d'un processus antérieur car l'innovation est un processus systémique et dynamique ». Des innovations peuvent favoriser l'apparition d'autres innovations, on a là des « complémentarités technologiques » (Rosenberg 1982). Les progrès techniques d'un secteur permettent les progrès techniques d'autres secteurs ; « d'epprentissage, perçu en tant que processus cognitif. Il peut s'analyser selon les formes que nous avons présentées lors de la partie précédente. Ces formes sont à restituer par rapport à l'organisation ; apprentissage interne ou externe, demier type d'apprentissage qui renvoie à la capacité d'absorption de la firme » ; « qui met en feu des connaissances et des savoirs. Ceci renvoie à la conception de la technologie comme connaissance à la fois générale, publique, mais aussi privée et spécifique, connaissance fomiaiisèe ou non, tacite ou non » ; « caractérisé par l'hétérogénéité des firmes innovantes, plus généralement, elle est une propriété typique des environnements évolutionnistes ». -46- 1.4.2 Les différents modèles du cycle de l'innovation D'après l'OCDE, nous ne disposons pas encore des compétences pour bien analyser les différentes étapes du cycle de l'innovation. « Notre percepitoti des modes de création, de transmission et d'utilisation du savoir reste partielle, superficielle et compartimentée en fonction des disciplines scientifiques » (OCDE 2000). Nous connaissons toutefois les grandes étapes nécessaires entre la production de la connaissance et sa mise sur le marché comme bien marchand. Elles ont été décrites dans différents modèles qui deviennent de plus en plus complexes avec le temps. La microéconomie standard de l'innovation postule que la création de connaissances technologiques est le résultat d'une chaîne deductive amont-aval qui débute avec les découvertes scientifiques et les procédures méthodologiques générales, développées principalement en recherche pure, l'introduction d'innovations sous la forme de nouveaux produits et procédés constituant la phase finale. Ce schéma est présenté sous une forme linéaire dans la figure 6. Figure 6 : Le modèle linéaire Production de Ia connaissance Médiation de la connaissance Application de la connaissance Source : OCDE 2000. Ce schéma distingue une chaîne centrale, qui part d'une invention ou d'une conception analytique et suit les stades de conception, de fabrication et de commercialisation. C'est le seul cheminement des connaissances qu'admet le modèle linéaire. II existe quelques exemples remarquables de création et d'application de connaissances qui respectent ce modèle, notamment lorsque la connaissance est produite dans une université puis appliquée dans de bonnes conditions dans l'industrie. Mats le modèle linéaire a également connu des échecs : la production ne débouche pas sur une application qui réussit Ce modèle pose deux problèmes majeurs. Premièrement pour aboutir à une innovation sur la base d'une invention, il faut une séquence englobant au moins sept processus complexes au sein desquels plusieurs facteurs sont susceptibles de provoquer des échecs. Deuxièmement dans la mesure où ces processus tendent à être considérés comme des étapes, la diffusion et l'application ne tes font pas tous intervenir obligatoirement et ils ne se succèdent pas forcément dans un ordre bien réglé. Dans le modèle linéaire, les processus obéissent à un ordre logique ; dans la pratique, les boucles de rétroaction et tes chevauchements aboutissent parfois â une séquence différente. Ces sept processus sont les suivants : -47- 1 ¦ La production de connaissances Aujourd'hui, les processus qui aboutissent à la création de connaissances sont encore peu compris et les conditions dans lesquelles des individus, des groupes ou des organisations créent un savoir nouveau et des pratiques nouvelles ne sont que partiellement analysées. Tout ce que Ton peut dire est que la production de connaissances est « un processus mixte au sein duquel nous aboutissons d'un côté à un apprentissage et de Feutre à une amélioration de la compétence qui se produit en cours de processus » (OCDE 2000). Selon la conception classique, la production de connaissances doit être située à une certaine distance des lieux de production et de consommation. D'après Smith, cette distance, qui peut être spatiale, temporelle et institutionnelle, est nécessaire pour que s'épanouisse « l'habileté de ceux que fon nomme savants ou théoriciens, dont la profess/on est de ne rien faire, mais de tout observer, et qui pour cette raison, se trouvent en état de combiner les forces des choses les plus éloignées et les plus dissemblables ». Cette conception est toujours en partie valable et les savants et théoriciens modernes travaillent dans les centres de recherche des entreprises et les laboratoires de recherche des universités. Toutefois, aujourd'hui, il est généralement admis que la production de connaissances ne se limite pas aux laboratoires de recherche. Pour Foray, « une des caractéristiques fondamentales de la production de connaissances est d'être présente partout, en tant que produit-joint des activités de production et de consommation » {Foray 2000). En produisant de la connaissance, les différentes structures socio-économiques locales et nationales construisent des combinaisons bien spécifiques de spécialisation technologique et d'organisation institutionnelle. L'analyse de la production des connaissances renvoie par conséquent aux pratiques el mécanismes par lesquels les différents acteurs, dans leurs rôles complémentaires et leurs interactions, appliquent systématiquement des connaissances à la production de connaissances, ce qui a pour effet « de configurer des sentiers d'accumulation technologique bien spécifiques » (Catln, Bernard et al. 2001) qui ne peuvent plus être décrits par le schéma linéaire. 2. La validation Une fois créé, le savoir doit prouver qu'il répond à un certain nombre de critères. Les nouvelles connaissances peuvent être validées par la science ou par une approche pragmatique montrant qu'une technologie nouvelle fonctionne même si on ne sait pas l'expliquer scientifiquement. Dans le secteur industriel, la validation est commerciale : si un produit se vend, il est d'une certaine manière validé. -48- 3. La constitution d'un corpus Sur certains points (développement d'un nouveau produit, nouvelles stratégies, etc), il existe un ensemble de connaissances accumulées qu'il convient de constituer en corpus et de présenter sous forme codifiée. La codification est un processus de conversion d'une connaissance en un message. Codifier la connaissance permet de la rendre accessible à ceux qui ont accès au code. La codification suppose la création d'un modèle de la connaissance tacite, objet de la codification. Il faut analyser la connaissance, la décomposer en micro-éléments, voire la recomposer pour l'expliciter. Le travail de codification n'est donc pas simplement un travail de transfert mais également un travail de création, qui suppose de nouveaux découpages et recompositions des savoirs. La codification représente un processus important qui permet de placer la connaissance sur un support et ainsi de la libérer de son attachement à une personne. Toutefois, la dimension tacite de la connaissance rend les opérations de transport, d'échange et de diffusion difficiles, voire impossibles. En effet, Polanyi considère qu'« // est difficile, sinon impossible de codifier la connaissance tacite » (Polanyi 1967). Foray affirme également que « la dimension tacite des connaissances est irréductible » (Foray 2000). Pour elle, le transfert d'une connaissance d'un site à un autre, de même que sa capitalisation poseront toujours des difficultés. Cette irréductibilité de la connaissance tacite signifie que la codification ne peut jamais fournir toute la connaissance nécessaire pour entreprendre une action. Elle ne peut fournir que des solutions incomplètes au problème de l'expression de la connaissance. 4. La diffusion Si nous acceptons l'idée que la connaissance ne peut pas être complètement codifiée, la diffusion est susceptible d'apporter des distorsions au nouveau savoir. Pour le transfert, la connaissance tacite ne peut pas être distinguée de fa personne ou de l'organisation qui la détient ; cela s'oppose à la communication du nouveau savoir. Dans ce cas, il existe trois moyens de se procurer la connaissance. « La diffusion se traduit par une acquisition réalisée par le consommateur, qui se procure les services d'une personne ou d'une entreprise plutôt que la compétence elle-même. La diffusion de ce type de savoir peut également passer par un processus d'apprentissage interactif avec le détenteur du savoir. La troisième méthode pour se procurer ce type de savoir est de recruter des experts ou de prendre le contrôle des organisations qui ont droit de regard sur ce savoir » (OCDE 2000). La connaissance peut également être transférée par le biais de produits. Les instruments scientifiques et les ordinateurs, par exemple, ont une forte composante de savoir. -49- 5. L'adoption Il faut que Ia profession ou l'organisation concernée ait une bonne raison ou une incitation à adopter la connaissance et les pratiques diffusées, car dans la plupart des cas cela se traduit par l'abandon d'une pratique existante qui cède la place à une nouvelle pratique. 6. La mise en œuvre L'adoption est la condition nécessaire, mais certainement pas la condition suffisante pour l'application d'une connaissance ou d'une pratique de type nouveau. 7. L'institutionnalisation Il s'agit peut-être là du processus le plus complexe, car II implique que la connaissance ou la pratique passe du statut d'innovation à celui de pratique habituelle considérée comme « normale ». L'innovation n'est pas institutionnalisée tant qu'elle ne perdure pas au-delà de la présence de ceux qui l'ont adoptée au départ. Aujourd'hui, un ensemble très important de recherches ont montré que le processus linéaire d'innovation est l'exception plutôt que la règle. Au contraire, les processus d'où émerge l'innovation sont extrêmement complexes. Ils se caractérisent par des mécanismes de feedback et des relations interactives entre les sept processus décrits ci-dessus, qui impliquent la science, la technologie, la production, la politique et la demande. Oe plus, la multiplication des centres de production de connaissances et la nouvelle répartition des rôles sociaux entre les différents acteurs, plus complexe qu'auparavant, ont encore renforcé la complexité {Catin, Bernard et al. 2001 ). Figure 7 : Le modèle Interactif Production de la connaissance ZTS Médiation de la connaissance Application de la connaissance Source : OCDE 2000. La remise en cause du schéma linéaire date des années quatre-vingt. A cette époque, Von Hippel montrait déjà que les utilisateurs jouent parfois un rôle clé, voire décisif, dans la conception de l'innovation (Hippel 1988). Il proposait donc un modèle non linéaire interactif ou itératif, dont l'une des caractéristiques les plus importantes est l'interdépendance et -50- l'interaction entre les éléments du système. Dans ce modèle, présenté figure 7, les trois processus fondamentaux peuvent influer les uns sur les autres et les différents acteurs peuvent contribuer à cette interaction en divers instants du temps. A cette époque, Kline et Rosenberg proposaient leur « modèle en chaîne avec liaisons » (chain-linked model) qui met l'accent sur les rétroactions (Kline et Rosenberg 1986), sur les remontées des stades aval vers les stades amont, sur l'interactivité entre la recherche (y compris parfois la recherche scientifique) et les différents stades du processus d'innovation géré par la firme. Figure 8 : Les éléments du « modèle en chaîne avec liaisons » de Kline et Rosenberg Marché potentiel * ' 2 Invention et/ou conception analytique du produit 2 Conception détaillée et essais 2 Conception finale et production Distribution et mise sur le marché C B chaîne centrale d'innovation, f = boucle de retour d'information courte, F = boucle de retour d'information longue, K-R = liaison connaissance-recherche et retour, D = liaison directe entre la recherche et les problèmes d'invention et de conception, I ¦= soutien de la recherche scientifique par des instruments, des machines et des procédures technologiques. 51- Ce modèle (figure 8) prend en compte le rôle de la science pour l'innovation, mais pas seulement. Il intègre le fait qu'il existe cinq chemins possibles pour l'innovation. Le premier chemin, indiqué dans le schéma par la lettre « C », est caractérisé par une innovation qui débute avec l'étape de conception d'un produit et qui continue lors des étapes de développement, de production et de marketing. Le deuxième chemin, par les lettres « f » et «F », représente les rétroactions entre les besoins du marché et des utilisateurs, et la conception et production des produits ; il permet l'amélioration des processus de production. Les rétroactions symbolisent alors la coopération entre les acteurs responsables de la production, du développement du produit et du marketing. Ces deux chemins ne nécessitent pas l'intervention directe d'activités de recherche académique. Pourtant Kline et Rosenberg considèrent que « les innovations modernes sont impossibles sans l'accumulation de connaissances scientifiques » (Kline et Rosenberg 1986). Pour eux, la liaison entre la science et l'innovation n'est pas seulement prépondérante au début de l'innovation, mais durant tout le processus ; elle est utilisable lorsque les acteurs en ont besoin. Ils considèrent l'utilisation de la science comme le troisième chemin de l'innovation ; la figure 8 le représente par la flèche « D » et les liaisons « K-R ». Ils considèrent que l'utilisation de la science se produit lors de deux étapes correspondant au deux composantes de celle-ci : la connaissance stockée et la recherche de nouvelles connaissances qui n'existent pas encore. Ils résument ainsi : « l'utilisation de la connaissance accumulée appelée science moderne est essentielle pour l'innovation moderne ; c'est une nécessité et souvent une partie cruciale de l'innovation technique, mais ce n'est pas en régie générale la première étape. Elle est plutôt employée tout au long de la chaîne centrale de l'innovation, lorsqu'elle est nécessaire. Ce n'est que lorsque cette connaissance manque, au sein de toutes les bases de connaissances existantes, qu'il est nécessaire de faire appel au processus bien plus coûteux de recherche sur mission, afin de résoudre les problèmes de développement. Il est également important de remarquer que le type dB sciences nécessaire est différent aux différents stades de la chaîne centrale d'innovation. La science nécessaire au premier stade (conception ou invention) est souvent pure, proche des sciences académiques. La recherche nécessaire lors du stade de développement est plus souvent de nature systémique et concerne l'analyse des différentes composantes du système » (Kline et Rosenberg 1986). Le quatrième chemin, schéma tisè par la lettre a D », est celui des innovations radicales créées par de nouvelles recherches fondamentales. Le dernier chemin de l'innovation, indiqué par la lettre « I », représente la rétroaction qui part des résultats de l'innovation (microscope, télescope, etc.) pour aller vers la science : « sans le microscope, il n'y aurait pas eu le travail de Pasteur, et sans ce travail il n'y aurait pas de médecine moderne » (Kline et Rosenberg 1986). Ce modèle permet d'apporter une meilleure compréhension des processus d'innovation, surtout par rapport au modèle linéaire. H redonne une place à l'ensemble des acteurs d'un milieu, qui peuvent intervenir à des moments différents du processus. Cependant, peut-il -52- nous aider à comprendre les relations entre les laboratoires universitaires et les entreprises au sein de l'économie basée sur ta connaissance ? C'est ce que nous allons voir maintenant 1.4.3 Une évolution des modes de production de la recherche académique L'économie basée sur la connaissance repose « sur une approche systémique de la production de connaissances » (Catin, Bernard et al. 2001). Au sein de cette économie : La connaissance est utilisée de manière consciente et systématique pour la production de connaissances et pour le développement économique. Les responsables de l'OCDE considèrent que cette caractéristique constitue l'une des propriétés de l'économie basée sur la connaissance, même s'ils jugent que nous n'avons pas encore atteint ce niveau de développement : « on peut légitimement affirmer que nous n'avons pas encore atteint le stade qui nous permettrait d'appliquer systématiquement notre savoir à la production du savoir. Avant d'en arriver à une économie apprenante pleinement développée, il nous faudra appliquer systématiquement le savoir à la production du savoir » (OCDE 2000). Ici nous pouvons faire un parallèle avec ta première révolution industrielle qui était caractérisée par le passage de l'artisanat à l'industrie où les machines permettaient de produire des machines ; - Les agents économiques sont devenus coproducteurs de connaissances et non plus simples utilisateurs. La production de connaissances se fait par un apprentissage mutuel régulier, sorte de « pollinisation croisée » entre les chercheurs et les utilisateurs de connaissances. Cette nouvelle situation est devenue possible parce que les chercheurs et les agents économiques se sont rapprochés. La distance nécessaire aux hommes de sciences pour prendre de ta hauteur, décrite par Adam Smith, n'est plus d'actualité. Veltz observe également que « la proximité croissante des technologies les plus actives avec des connaissances amont, génériques, va au-delà des classiques restructurations des arts et des métiers, en tissant horizontalement d'innombrables connexions entre des champs dont le contour devient imprécis et radicalement instable » {Veltz 2000). Les chercheurs et les agents économiques sont plus proches, leur capacité d'apprentissage a augmenté et les conditions de marché font que la production de connaissances sert plus qu'avant â la création de richesses. Le modèle de Kline et Rosenberg répond-il à ces nouvelles caractéristiques ? Nous avons vu que dans leur article de référence « An Overview of Innovation », ils mettaient en avant une vision systémique de l'innovation faisant intervenir « le rôle de la science et de la recherche académique tout au long du processus d'innovation » (Kline et Rosenberg 19B6). Pour ces auteurs, les relations entre utilisateurs et producteurs de connaissances sont donc régulières tout au long du processus d'innovation. Toutefois, ils ne précisent pas si les -53- utilisateurs de connaissance sont devenus (»producteurs. Leur modèle ne développe pas non plus l'idée d'une production de plus en plus consciente de la connaissance à but économique. Il ne dit pas non plus que l'utilisation de connaissances se fait en interface entre le producteur et l'utilisateur. En fait, il s'attache surtout aux modes d'utilisation de la connaissance et de la recherche scientifique pour le développement de l'innovation. Figure 9 : Une nouvelle compréhension de la production de connaissances Exploitation aléatoire de la connaissance pour la production de richesses Production de connaissances Exploitation systcmatiuut et consciente de la connaissance pour la production de richesses ^ Résolution des conflits Soura : De Munck « Lenoble 2001. -61 - Le schéma précédent résume cette conception très linéaire de la loi. « Elle est dégagée des préférences individuelles par ta médiation de représentants, elle est discutée au parlement qui décide de son énoncé général et abstrait. Puis, cet énoncé redescend dans la société par voie d'application » (De Munck et Lenoble 2001). Avec ce modèle, c'est du simple jeu de la volonté des individus que l'ordre social est censé émerger. Cette conception du droit et l'organisation de l'Etat qui l'accompagne s'organisent autour de deux concepts fondamentaux : le contrat et la nature, essentiellement développés par Rousseau et par Kant. A partir de la révolution de 1840, l'apparition de la société industrielle remet en question cette conception libérale de la loi, du gouvernement et de la représentation légitime. Le discours philosophique posthégélien et la sociologie vont mettre en évidence le fait qu'une société ne se fonde pas sur des préférences individuelles, mais sur des rapports sociaux concrets. Dj même coup, un autre système de représentation apparaît à l'horizon des démocraties occidentales. Ce nouveau système entrarne une transformation de la conception de la loi, car « la loi générale ne fixe plus de régies du jeu, mais fixe des objectifs concrets qui assurent une dynamisation de la société et le progrès » (De Munck et Lenoble 2001). Figure 12 : La matérialisation du droit Représentants organiques Négociation Application des lois Totalités objectives de rapports sociaux Loi générale et abstraite (programme) Source : De Munck « Lenoble 2001. Les transformations ainsi apportées à l'ordonnancement de l'Etat libéral ont eu un impact au niveau de l'organisation de l'Etat et elles ont modifié l'équilibre des pouvoirs. On assiste à l'émergence des partis de masse ; les rapports sociaux prennent la place des préférences Individuelles et les appareils de mobilisation celle des mandataires formels. Ce changement de modèle découle du passage d'une économie pré-industrielle à une économie fordiste. Le livre de Karl Polanyi (Polanyi 1983) sur la « grande transformation » décrit bien ce passage du marché séparé et autorégulé du XIX" siècle au marché réencastré dans la société du XX* siècle. Avec le fordisme, la relation économique n'est plus pensée comme une rencontre d'individus, mais sur la base de conventions institutionnelles qui sont des conventions de coordination des agents économiques. La régulation fordiste et la transformation du mode de formation de la volonté générale sont en symbiose l'une avec l'autre. -62- Ce système, qui a connu ses heures de gloire durant les trente glorieuses, a cessé de fonctionner correctement après le premier choc pétrolier de 1973. Depuis, « les piliers de ce modèle de régulation politico-économique sont tous en train de s'effriter car trois dysfonctionnements sont apparus dans le champ du politique. Le premier est ta crise des appareils de mobilisation politique et syndicale. Le deuxième se situe au niveau de l'application de nonnes universelles car nous assistons è un accroissement de la capacité interprétative du fonctionnaire qui doit non pas appliquer la loi, mais rencontrer des objectifs (réussir un programme). Uy a donc une reformulation de la loi au niveau local. Le troisième dysfonctionnement est caractérisé par la crise de légitimité des responsables politiques » (De Munck et Lenoble 2001). Ce changement politique est de nouveau lié à un changement de modèle économique qui peut être caractérisé par le passage du fordisms a l'économie basée sur la connaissance. Cette transformation du système économique nécessite la mise en place « de mécanismes de procéduralisatìon cognitive qui permettent de générer sur le plan collectif des processus d'apprentissage pour gérer l'indétenvination liée è des contextes de rationalité limitée » {De Munck et Lenoble 2001). La caractéristique dominante du nouveau modèle est la mise à l'épreuve permanente des règles formelles de la loi. Nous sommes loin du schéma linéaire de la lot du modèle libéral, nous sommes plutôt dans un modèle caractérisé par les interactions et les boucles de rétroaction. Cette évolution de l'ani de gouverner est très proche des tendances perceptibles dans le domaine de l'innovation (Kline et Rosenberg 1986) et des relations que les acteurs doivent mettre en place pour être compétitifs au sein de l'économie basée sur la connaissance (Lundvall et Johnson 1994). Godard synthétise bien cette évolution des modes de gouvernement et ses conséquences au niveau des territoires lorsqu'il écrit : « /e gouvernement ne peut plus être conçu sur le simple modèle de l'organisation hiérarchique de différents niveaux de pouvoir, mais comme un processus complexe de coordination et d'ajustement mutuel entre acteurs » (Godard 1997). Nous voyons donc que le passage d'une économie industrielle à une économie basée sur la connaissance a des effets sur le fonctionnement politique aussi importants que te passage à l'ère industrielle. Il suscite un changement de système de représentation qui prend en compie la nouvelle complexité de la relation de coopération et de concurrence entre les acteurs institutionnels et économiques. Aujourd'hui, « gouvernance » semble être le mot qui symbolise le nouveau type de représentativité et l'évolution du mode de fonctionnement des acteurs et des institutions politiques. Nous allons maintenant analyser plus précisément en quoi l'apparition de ce mot représente un changement important qui doit être pris en compte lors de la définition de stratégies de développement économique adaptées a l'économie basée sur la connaissance. -63- 2.1.3 La diminution du role de l'Etat : le véritable enjeu de la gouvernance Le mot de gouvernance est apparu dans la langue française au XIIIs siècle. < A cette époque sa signification était synonyme de gouvernement, puis it fut considéré comme un terme de droit (1478). Au siècle suivant, il passe en anglais (governance) avec la même signification. Puis il tombe en désuétude » {Campbell 2000). Les origines françaises de gouvernance ne laissent donc aucun doute. Ie terme ne pariait que de l'art et de la manière de gouverner. Aujourd'hui, ce mot est étroitement lié à la gouvernance d'entreprise et aux politiques poursuivies par les organisations internationales de Bretton Woods comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et le Programme des Nations Unies pour le développement. Dans cette section, nous nous pencherons essentiellement sur cette deuxième influence car elle engendre des effets non négligeables sur le fonctionnement des territoires. Pour comprendre ce qu'implique l'utilisation du terme de gouvernance pour les territoires, il nous semble nécessaire de revenir au début des années 1980. A cette époque, la Banque mondiale < assuma le rôle de « généraliser » le concept de gouvernance lors de ses propositions de réformes institutionnelles des pays en voie de développement qui sétaient fortement endettés durant les années 1970 s (Campbell 2000). La mise en place de cette gouvernance « nouvelle formule » avait pour but affiché d'adapter les structures institutionnelles de ces pays pour leur permettre de rembourser leur dette. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer que l'enjeu était bien plus large qu'un simple ajustement économique. Il s'agissait d'utiliser un mot au service du projet libéral sans remettre en cause frontalement une certaine conception de l'Etat et de la démocratie. Campbell définit bien cet enjeu lorsqu'il écrit : « bien que formulée sous un angle essentiellement technique en ternies de bonne gestion administrative, la notion de gouvernance, telle que préconisée par les institutions de Bretton Woods, véhicule effectivement une notion très précise de l'Etat, du champ du politique et des rapports Etat-marché. Il s'agit donc d'une notion, non seulement éminemment politique, mais surtout idéologique » (Campbell 2000). Aujourd'hui, l'utilisation de * gouvernance » comme synonyme de bonne gestion n'est plus limitée aux seuls pays du Sud. En Europe, cela se traduit par la mise en œuvre, avec la construction de l'Union européenne, de l'une des expériences de changement d'échelle de gouvernance les plus radicales. En 2001, la Commission de Bruxelles a publié le « livre blanc de la gouvernance européenne » qui propose de revoir « l'ensemble des règles, des procédures et des pratiques qui affectent la façon dont les pouvoirs sont exercés à l'échelle européenne » (EU 2001). La définition de la bonne gouvernance européenne repose sur cinq principes : ouverture, participation, responsabilité, efficacité et cohérence. -64- A notre avis cette volonté de renforcer la démocratie participative dans l'Union européenne par le biais de la gouvernance implique un non-dit important qui consiste à diminuer les formes de contrôle démocratique au niveau des Etats-nations. Cassen affirme par exemple que « ces travaux correspondent à une remise en question radicale des formes actuelles - et constitutionnelles - de la démocratie représentative et une véritable privatisation de la décision publique » {Cassen 2001). Nous pensons qu'il est essentiel de réfléchir à une conception de ta gouvernance qui va plus loin que celle des experts des institutions de Bretton Woods et de l'Union européenne. Pour nous, leurs visions sont tronquées, car elles ne prennent les sociétés en compte que du seul point de vue de l'économie alors que ces dernières sont « des systèmes complexes bio- socio-techniques » ; c'est-à-dire qu'il est nécessaire de les considérer simultanément « comme des systèmes bio-écologiques, comme des systèmes sociaux, culturels, économiques et politiques, et comme des systèmes techniques » (Calarne et Talmant 1997). Cette prise en compte de la complexité de la société contemporaine implique de remettre en cause les modes de fonctionnement de l'ensemble des institutions des différents niveaux territoriaux - Etat, régions ou niveau local. Aujourd'hui, la plupart des institutions admettent certes une certaine dose d'interaction, suite à leur prise de conscience du besoin d'ouverture sur la société civile, mais elles espèrent maîtriser les changements sans toucher pour ressentie) à leur mode de fonctionnement. Elles font tout pour maintenir un système hiérarchique pyramidal simple qui a fait ses preuves dans sa capacité à fournir des services sectoriels et normalisés. Nous jugeons ces évolutions à la marge insuffisantes car, avec l'émergence d'une économie basée sur la connaissance, nous vivons une révolution copemictenne caractérisée par un retournement de perspective où l'accessoire (cohérence, approche systémique, interrelations) devient l'essentiel et où l'essentiel (disciplines scientifiques, services sectoriels) devient l'accessoire, c'est-à-dire un ensemble d'instruments où puiser en fonction des besoins. D'aucuns pourraient penser que ni la construction de représentations communes à différents acteurs, ni le dialogue, ni le partenariat entre acteurs ne constituent des principes nouveaux. C'est vrai ; ce qui est nouveau, c'est de concevoir l'action publique et le développement économique à partir de ces principes. La manière de gouverner de demain ne sera donc pas celle d'hier, et nous devons nous préparer à une révolution radicale dans nos comportements. Dans un système complexe, il faut également renoncer â l'emboîtement des temporalités qui a trop longtemps servi de guide et selon lequel on concevait un schéma â long terme dont la réalisation était prévue par étapes successives. La réalité est bien différente. « Dans un système bio-socio-technique tout n'évolue pas à la même vitesse et il faut donc mener simultanément des actions qui s'inscrivent dans des échelles de temps différentes » (Calarne et Talmant 1997). -65- Ces évolutions ne sont pas anodines pour les démocraties européennes. D'après Swyngedouw, la gouvernance correspond souvent â « la mise en place de procédures non démocratiques par un appareil d'Etat de plus en plus autoritaire » (Swyngedouw 2000). Sans aller jusque-là, nous pensons que tes citoyens doivent rester vigilants face aux évolutions politiques liées à la mise en place des processus de gouvernance, car elles créent un vide Institutionnel et politique dangereux. En effet, sans que cela soit clairement affiché, elles représentent également « une remise en question de l'ordre mondial basé sur le traité de Westphatie de 1648 qui assurait l'inviolabilité de la souveraineté nationale et donnait un rûte central aux Etats nationaux » (Valaskakis 2001 ). Conséquence de ce recul du pouvoir réglementaire de !'Etat-nation, les entités qui règlent l'activité économique se régionalisent La politique régionale et locale doit innover et se montrer entreprenante. Pour entreprendre et réussir, la collectivité locale, qui n'était jusqu'alors que le prolongement de l'Etat-providence, doit jouer le rôle de catalyseur de la coopération et de l'innovation politique. Ce travail répond à la nouvelle situation institutionnelle qui est caractérisée par l'apparition d'une pléthore d'organisations, ce qui crée une forte « densité institutionnelle » au niveau des collectivités locales, â laquelle participent généralement les entreprises, les chambres de commerce, les agences gouvernementales, les laboratoires de R&D et les établissements d'enseignement et de formation, universités comprises. Ce regroupement est « le fondement d'une fonvule de gestion locale axée sur la coopération ou l'association, ce qui signale le passage d'une réglementation étatique à une autorégulation locale » (OCDE 2001b). Les effets de la gouvernance sur les territoires sont donc importants. Elle entraîne un processus de « glocalisation » qui correspond à une double réarticulation des échelles politiques (vers l'échelle locale et régionale et vers l'échelle de l'Union européenne, etc.). Godard décrit bien la situation lorsqu'il écrit : « l'apparition et l'usage en France du concept anglo-saxon de gouvernance urbaine ou de gouvernance territoriale permet de dépasser les conceptions monocentrées des scènes politiques locales et les approches strictement institutionnelles du gouvernement politique et de se pencher sur les mécanismes de négociation entre différents groupes dont les rapports se définissent à la fois par la compétition et la coopération » (Godard 1997). Les travaux des économistes régionaux sur les territoires et sur la gouvernance territoriale décrivent donc les effets d'un processus politique majeur : la diminution du poids politique et des moyens d'action des Etats centraux et le renforcement du poids politique et économique des régions. Nous ne chercherons pas ici à savoir si cette évolution est positive ou négative pour nos pays européens. Nous partirons simplement de ce constat : la marge d'action des acteurs locaux augmente dans le domaine du développement économique. Cette situation correspond à l'économie basée sur la connaissance, système où les territoires retrouvent une certaine autonomie, et elle doit être comprise et interprétée correctement par les acteurs locaux, si ces derniers veulent proposer une stratégie de développement adaptée à l'économie basée sur la connaissance. -66- 2.2 L'économie basée sur la connaissance renforce Ia polarisation de l'innovation Dans la première section du deuxième chapitre, nous avons analysé les processus qui redonnent de l'importance aux territoires. Nous expliquerons maintenant quelles sont les caractéristiques territoriales qui permettent de comprendre la polarisation des processus d'innovation sur quelques territoires bien particuliers. 2.2.1 La proximité Joue un râle essentiel dans l'économie basée sur la connaissance L'apparition en économie de la notion de proximité correspond è une volonté claire de démarcation des économistes du courant evolutionniste et de l'économie industrielle par rapport au courant néoclassique standard. Ce dernier ne s'occupe ni du temps ni de l'espace dans sa théorie de l'équilibre général. Nous défendons ici le point de vue des économistes évolutionnistes car nous partageons l'idée qu'il est essentiel d'aborder les notions de proximité et de temps pour bien comprendre les processus de développement économique des territoires au sein de l'économie basée sur la connaissance. Le concept de proximité renvoie à l'hypothèse de base d'une séparation, économique ou géographique, entre agents (individuels ou collectifs), et donc â leur éloignement plus ou moins fort. Il s'inscrit dans une conception de la réalité économique et socioculturelle essentiellement rationnelle, le lien social rapprochant (ou éloignant) les agents détenteurs de ressources différentes dans la résolution d'un problême économique. Dans la filiation intellectuelle du clivage de François Perroux entre espace géonomique et espace économique, il nous semble important d'insister « sur les deux principales dimensions de la proximité : la proximité géographique et la proximité organisationnelle » (Bellet Coltetis et al. 1993). GiIIy reprend cette double composante, mais il ajoute à la proximité organisationnelle une dimension institutionnelle. Selon lui, « l'intersection ou la coTnctdence de la proximité organisationnelle-instìtutlonnelle et de la proximité géographique définit le territoire ; la proximité territoriale étant l'intersection de ces deux formes de proximité » (GiIIy et Torre 2000). La proximité organlsatlonnelle-lnstltutlonnelle traduit la séparation économique entre les agents, les individus, les différentes organisations ou institutions. Elle dépend principalement des représentations en fonction desquelles les agents inscrivent leurs pratiques (stratégies, décisions, choix, etc.). La dimension organisationnelle concerne les relations interindividuelles, mais surtout la dimension collective, à l'intérieur des organisations ou entre les organisations. Elle définit « le cadre dans lequel les acteurs mènent à bien un projet » (GiIIy et Tone 2000). La dimension institutionnelle fait référence à « l'ensemble des conventions, des représentations, des règles -68- d'action que partagent les acteurs dans un espace commun » (GiIIy et Torre 2000). Elle repose « sur les logiques d'appartenance ou de similitude » (GiIIy et Torre 2000). Selon la logique d'appartenance, sont proches en termes organisationnels les acteurs qui appartiennent au même espace de rapports {firmes, réseau, etc.), c'est-à-dire entre lesquels se nouent des interactions de différentes natures. Selon la logique de similitude, sont proches en termes organisationnels les acteurs qui se ressemblent, c'est-à-dire qui ont le même espace de référence et partagent les mêmes savoirs, si bien que la dimension institutionnelle est alors importante. La proximité géographique constitue le pendant de la précédente du point de vue des relations entre agents : alors que « la proximité organisationnelle traite de la séparation économique et des liens en ternies d'organisation de la production», la proximité géographique traite de « la séparation dans l'espace et des liens en termes de distance » (GiIIy et Torre 2000). Elle fait référence à la notion d'espace géonomique, au sens de Perroux ; renvoyant largement à la localisation des entreprises, elle intègre la dimension sociale des mécanismes économiques. Il ne s'agit pas uniquement d'une proximité physique dans la mesure où elle n'est pas donnée par les contraintes naturelles mais est construite socialement. C'est la proximité géographique qui peut permettre aux acteurs, lorsque les routines butent sur la réalité et ne conduisent plus à l'efficacité, « d'explorer collectivement de nouvelles combinaisons productives et de nouvelles modalités de coopération, c'est-à-dire de nouvelles formes de proximité institutionnelle, aussi bien locales que locales-globales » (GiIIy et Pecqueur 2000). A coté de ces deux composantes de base, le concept de proximité peut se décliner en fonction d'un certain nombre de dimensions : physique, technologique, temporelle, etc. Bramanti propose, par exemple, une classification comprenant les proximités culturelles et temporelles en plus des proximités géographiques et organisationnelles (Bramanti et Ratti 1997). La définition des proximités fait également appel à l'existence d'interactions - spatiales et organisationnelles - entre acteurs, entre objets techniques ou entre acteurs et objets. Ces interactions, qui peuvent être de différentes formes - formelles ou informelles, marchandes ou non marchandes, intentionnelles ou non intentionnelles - concernent les relations agents- agents (adoption et diffusion des innovations par exemple), agents-innovations (activités collectives d'innovation) et innovations-innovations (complémentarités technologiques). L'importance et ta fréquence de ces interactions constituent un facteur dynamique venant contraster avec l'aspect statique des déterminants de la localisation des firmes. En effet, c'est à partir de la densité plus ou moins forte et prolongée des interactions que peuvent se concevoir les évolutions et les modifications des systèmes, c'est-à-dire les processus de séparation/liaison et de rapprochement/éloignement des agents, des organisations et des activités. Par densité des interactions on entend ici le nombre des interactions mais également leur reproductibilité ou possibilité de pérennisation, ainsi que leur degré de -69- transltivité. La densité évolue dans le temps, constituant l'indicateur d'une proximité plus ou moins forte, qu'elle sott organisationnelle, géographique, ou les deux. Il existe ici une analogie avec certaines analyses évolutìonnistes du processus d'innovation technologique (on pense aux travaux de Rosenberg présentés à la fin du premier chapitre), qui considèrent la présence d'interactions fortes comme un facteur d'identification de liens de proximité puissants entre les acteurs. La compréhension de ces interactions est de plus en plus importante au sein de l'économie basée sur la connaissance. En effet comme nous l'avons vu au premier chapitre, cette dernière est caractérisée, entre autres, par l'existence d'interactions continuelles entre les producteurs et les utilisateurs de la connaissance. C'est la nécessité de favoriser ces interactions qui redonne un rôle économique important à la proximité géographique et organisationnelle, malgré le développement des technologies de transport et de télécommunication. Cette approche par les interactions amène à concevoir des espaces socio-économiques intermédiaires où s'articulent et se régulent formes structurelles (héritées du passé) et action collective (anticipant sur le futur) dans la résolution d'un problème de production. Tel est le territoire, « résultat des interactions entre acteurs locaux ainsi qu'avec des acteurs extralocaux (firmes, Etat, banques, syndicats...), au sein duquel certains organismes, comme les établissements d'enseignement supérieur, jouent un rôle de médiation hybridation entre local et global et participent ainsi au processus d'articulation entre proximité géographique et proximité organisationnelle » (GiIIy et Torre 2000). Nous allons maintenant voir quels sont les fondements théoriques qui permettent d'analyser l'importance de l'innovation pour le développement économique des territoires. Innovation et proximité L'idée d'une relation importante entre innovation et proximité géographique est forte mais pas nouvelle. Myrdal l'avait déjà développée au travers de la notion de « causalité circulaire et cumulative ». Elle est aujourd'hui reprise par les défenseurs des théories de la croissance endogène. Ceux-ci se basent sur la définition de Kline et Rosenberg, qui considèrent (¦innovation comme un processus mettant en jeu des connaissances partiellement tacites (incodlfiables) et appropriates par les agents. Le caractère interactif de l'innovation mis en avant par Kline et Rosenberg (Kline et Rosenberg 1986) explique pourquoi la proximité géographique est importante pour les processus d'innovation, car on peut considérer Implicitement ou explicitement que plus les interactions entre les agents sont denses, plus la proximité géographique s'impose. Selon cette approche, plus la composante tacite de la connaissance nécessaire à l'innovation est importante et plus la proximité entre les agents vecteurs de cette connaissance sera nécessaire. -70- Nous voyons donc que deux caractéristiques de l'innovation favorisent le rôle économique de ta proximité géographique: l'importance des connaissances tacites et rintensité des interactions entre les agents. Toutefois, ces facteurs n'impliquent pas nécessairement une relation de proximité. C'est pourquoi nous devons préciser les conditions dans lesquelles la proximité géographique joue un rote dans les processus d'innovation. Pallet suggère que « ces conditions touchent aux spécificités sectorielles, à la nature des Innovations et à l'étape de leur trajectoire » {Rallet 1993). il considère que les proximités géographiques et organisationnelles-instituttonnelles n'expliquent pas à elles seules les processus d'innovation territorialisés. C'est pourquoi il définit trois configurations technologiques où la proximité géographique joue un rote : proximité ascendante, proximité descendante et proximité systémique {Rallet 1993). «.La proximité ascendante est le produit d'un agent fortement localisé qui est à l'origine de l'innovation et qui la construit par extension locale » {Rallet 1993). C'est le cas des innovations basées sur la science, où ragent moteur est l'université, fortement enracinée par ses traditions et ses spécialisations, qui développe l'innovation autour d'elle par effets d'essaimage pour la conduire à son stade industriel et commercial. Toutes choses égales par ailleurs, plus le processus d'innovation technologique est basé sur la science, plus la relation de proximité est forte en raison de l'enracinement technologique local élevé des agents (les chercheurs). a La proximité descendante est le résultat des stratégies de globalisation des firmes visant a mobiliser les ressources spécifiques locales en R&D ou en savoir-faire » (Rallet 1993). La mobilisation de ces ressources n'implique pas nécessairement une relation de proximité géographique. «La proximité systémique qui est te produit d'une organisation territoriale du type milieu innovateur ou district technologique » (Rallet 1993). Dans ce cas, pour Rallet, le processus d'innovation déborde assez vite des frontières du lieu d'origine de l'Innovation. Pour Rallet, il ne faut pas surestimer le rôle de la proximité ascendante dans les activités technologiques, car celles-ci sont limitées à certains domaines et aux premières étapes du processus d'innovation. Notre position est différente, car nous pensons que Rallet n'est en mesure de faire cette affirmation que parce qu'il ne prend pas en compte le temps long. En effet, sur des périodes longues, les institutions d'enseignement supérieur et de recherche ancrées dans un territoire sont les seules capables de stocker les compétences acquises lors d'un cycle de développement ; cela est particulièrement vrai lorsque le système de production territorialisé a été détruit par les mutations économiques. Nous pensons que cet aspect a été insuffisamment pris en compte jusqu'à présent Pour nous, la proximité ascendante est essentielle pour permettre la pérennité et le renouvellement constant des systèmes de -71- production tenitorialisés. De plus, elle donne aux territoires la possibilité de se singulariser, capacité qui n'a pas de prix â l'heure de la globalisation. La prise en compte de ta nature de l'innovation est également essentielle pour comprendre l'Importance de la proximité géographique. En effet, selon que l'innovation est radicale ou incrémentale, ses composantes tacites sont différentes. Lundvall s'accorde à penser que « la contrainte de proximité est plus forte pour les innovations radicales que pour les innovathns mineures dans la mesure où les connaissances tacites et les interactions croissent avec l'importance de l'innovation » (Lundvall 1992). Nous ne partageons pas totalement cet avis car dans certaines circonstances, une innovation mineure, comme l'adaptation d'une technologie à un marché local, requiert une plus forte proximité géographique qu'une innovation radicale. De plus, certaines innovations, même mineures, possèdent une composante Interactive significative qui renforce l'importance de la proximité géographique. La dimension temporelle est également essentielle pour comprendre le poids de la proximité géographique. Selon Rallet, « la contrainte de proximité est plus ou moins grande selon rétape de la trajectoire technologique, car les interactions et les échanges de connaissances tacites sont d'autant plus importants que l'innovation émerge » (Rallet 1993). Rallet considère également que « la stabilisation ultérieure de la technologie entraîne une formalisation croissante des connaissances et autorise la mise en place de routines organisationnelles supportant l'éloignement des agents» (Rallet 1993). Nous défendons également la thèse que l'analyse de la dynamique historique et du temps long est essentielle pour appréhender la dimension territoriale de l'innovation technologique. Pour nous, la croissance Inégale des lieux résulte largement de leur histoire respective. Torre parle, pour cette raison, de « trajectoire technologique territoriale », car pour lui < les lieux sont Vobjet d'importants effets d'inertie, ainsi que le support d'anticipations collectives » (Torre 1993). 2.2.2 Le rôle accru de l'Innovation dans les processus économiques territoriaux Les avancées théoriques récentes sur la voie de la compréhension des processus d'innovation et de leur contribution â la croissance économique ont montré qu'« il était nécessaire de définir de nouveaux fondements pour les politiques de la science, de la technologie et de l'innovation » (OCDE 1999a) : La nouvelle théorie de la croissance remet en cause certaines des principales hypothèses qui sous-tendent ridée néoclassique de la contribution du changement technologique au développement économique ; L'économie évolutlonnlste et Industrielle démontre que le processus d'accumulation technologique dépend du chemin suivi. Les « trajectoires technologiques » parcourues font preuve d'une certaine inertie. Ce processus non linéaire, suppose des interactions entre les différentes étapes de la recherche et de l'innovation ; il est façonné par -72- l'interaction d'organisations marchandes et non marchandes et par diverses institutions ; L'économie institutionnelle aborde les questions relatives à la mise en place et â la coordination d'institutions et de procédures permettant de faire face â des Interdépendances plus complexes. Conjugués, ces différents courants de pensée économique constituent les fondements théoriques de l'analyse systêmique du développement technologique et de l'innovation. Toutefois, ils ne prennent pas l'aspect territorial en compte. Il faut se référer aux travaux de l'économie régionale pour que le territoire soit véritablement considéré. « L'économie régionale s'éloigne d'une analyse formulée en ternies de facteurs de localisation sur des espaces-plans. Elle se rapproche des préoccupations des économistes industriels qui travaillent sur iïnnovation en s'interrogeant sur les articulations qui relient dynamique des territoires et dynamique du développement de la technologie » (Abdelmalki, Dufourt et al. 1996). Les systèmes nationaux d'Innovation Ces travaux ont conduit certains chercheurs â travailler sur la notion de système national d'innovation, en relation avec le développement économique des différentes nations. « Le concept de système national d'innovation a été présenté pour la première fois par C. Freeman dans un travail qui avait pour objectif d'identifier les raisons des performances de l'économie japonaise» (Detaplace 2000). L'auteur avance ainsi que l'innovation technologique ne peut se comprendre indépendamment du contexte socio-institutionnel dans lequel elle s'insère et qui la favorise. Ce concept a ensuite été repris et utilisé par différents auteurs comme M. Porter, R. Nelson et B. Lundvall. Lundvall utilise les travaux de Boulding pour définir les systèmes d'innovation (Lundvall 1992). Pour lui, les systèmes d'innovation comprennent « des éléments et des mises en relation qui interagissent dans la production, la diffusion et l'utilisation de nouvelles connaissances, économiquement utilisables ». Lundvall définit le système national d'innovation (SNI) comme « un système social dynamique dont l'activité centrale est l'apprentissage et la reproduction de connaissances au niveau du territoire d'un Etat-nation ». Pour lui, un SNI, appréhendé au sens large, comprend Pensemble de la structure économique et des institutions d'un pays qui ont un rôle sur les processus d'apprentissage. Pour Lundvall, « le phénomène central dans la constitution et le fonctionnement des SNI est celui des interactions nouées entre producteurs et utilisateurs et de leur stabilité dans le temps » (Bes 1993). Plus récemment, les chercheurs de l'OCDE ont défini les SNI comme « un ensemble d'institutions distinctes qui contribuent conjointement et individuellement au développement et à la diffusion des nouvelles technologies et qui forment le cadre à rintêrieur duquel les gouvernements formulent et mettent en œuvre les mesures destinées à influer sur le -73- processus de l'innovation. Ainsi, c'est un système d'institutions interconnectées, qui crée, stocke et transfère le savoir, les compétences et tes ouvrages définissant les nouvelles technologies » (OCDE 1999a). Cette formulation essaye de résoudre les difficultés de définition dues à la grande diversité des formes que prennent les SNl seton les pays. Cette diversité est « liée à la taille du pays et à son degré de développement et au rôle respectif des principaux protagonistes des processus d'innovation (entreprises, organismes de recherche publics et privés, administrations et autres institutions publiques) et les formes, la qualité et l'intensité de leurs interactions » (OCDE 1999a). De manière intuitive, l'expression de SNI évoque l'idée que les activités d'innovation sont trop complexes, car multidimensionnelles et collectives, pour être imputées ou bien à des agents individuels, ou bien à des groupes d'agents coordonnés par de pures relations de marché. C'est pourquoi les chercheurs travaillant sur les SNI affirment qu'a aujourd'hui les performances d'une économie en matière d'innovation dépendent non seulement de la façon dont les différentes institutions (par exemple, entreprises, instituts de recherche, universités) fonctionnent isolément mais aussi de leur interaction mutuelle, en tant qu'éléments d'un système collectif de création et d'utilisation du savoir et de leur rapport avec les institutions sociales (valeurs, normes, cadres juridiques) » (OCDE 1999a). Cette affirmation est essentielle pour les décideurs politiques qui désirent renforcer le développement économique de leur pays. En effet, le développement de l'innovation au niveau national ne peut plus se faire sur la base d'un soutien désordonné aux différents acteurs, que ce soient les entreprises ou les institutions productrices de connaissance. Les approches sectorielles seules sont devenues insuffisantes. Aujourd'hui, refficacitê d'une politique de soutien à l'innovation est liée à la création d'un système qui intègre l'ensemble des acteurs du SNI. Seule la mise en place de stratégies ayant une dimension systémique peut avoir un effet d'entraînement et permettre la création de valeur ajoutée. Nous retrouvons ici les même conclusions que dans la section précédente. La figure 13 montre bien la complexité des systèmes nationaux d'innovation. Elle montre également que les SNl ne fonctionnent pas en autarcie car ils sont constamment en relation avec d'autres réseaux nationaux et locaux. Chaque SNI constitue une interface entre le système d'innovation globalisé et les différents systèmes d'innovation régionaux et locaux qui le constituent. Pour Lundvall, « les relations sont encore plus importantes, car s'il considère que la nation constitue te cadre prédominant des relations entre les agents et notamment entre utilisateurs et producteur, il pense que te point de départ de l'innovation d'un SNi est la firme ou plus exactement tes firmes dans leurs Interactions » (Delaplace 2000). L'analyse de l'échelle locale est donc essentielle à la compréhension des processus à l'origine d'un SNI. -74- Figure 13 : Acteurs et relations dans le système d'Innovation PERFORMANCE NATIONALE Croissance, création d'emplois, compétitivité Source : OCDE 1999. Après cette présentation rapide des SNI, nous allons nous pencher sur les systèmes d'innovation locaux. Ce sont eux qui nous intéressent le plus dans le cadre de nos réflexions sur les territoires et le développement économique local à l'époque de l'économie basée sur la connaissance. -75- Les systèmes productifs locaux Jusqu'ici nous avons évoqué l'importance économique de la proximité, en général. Nous allons maintenant aborder plus précisément le thème des tissus d'entreprises territorialisés ou locaux appelés également « système productif local » (SPL) ou « système productif territorial ». Nous défendons l'idée que le concept de tissu productif territorialisé ou localisé est essentiel au setn de l'économie basée sur la connaissance pour comprendre les processus de développement endogène des territoires, qui donnent de !Importance au « géme des lieux » {Gigon 1999). Les SPL sont caractérisés, tout d'abord, par la concentration et la spécialisation d'activités (production et service) en un lieu donné, fréquemment dans des entreprises de petite et moyenne taille. Les SPL renvoient à « des relations de collaboration à moyen et long terme entre ces entreprises qui réalisent des productions conjointes selon des procédures spécifiques de concertation* (Courlet 2001). Il s'établit, au sein d'un SPL, une division du travail et un réseau d'interdépendance entre les unités. Les motifs pour lesquels celles-ci se partagent les activités sont variés : Ns vont de la recherche d'une production spécialisée qu'une seule entreprise n'est pas capable de réaliser au développement d'importantes économies d'échelle. Le SPL entraîne donc des avantages réciproques pour les entreprises lui appartenant. Deux types d'éléments peuvent jouer pour créer ces avantages : l'articulation de ta production (division du travail entre les entreprises) et une solidarité forte autour d'un métier. GiIIy et Pecqueur définissent le système productif territorial comme un « complexe organisé, historiquement constitué, de relations durables de proximité entre acteurs productifs, doté d'une dynamique productive d'ensemble » (GiIIy et Pecqueur 2000). Ils considèrent que la raison d'être d'un système productif territorial réside fondamentalement dans « sa capacité à résoudre par l'action collective localisée, dans une situation d'incertitude variable, un problème productif et à dégager simultanément un surplus économique (la quasi-rente relationnelle) ainsi qu'un surplus cognitif (accumulation de savoirs collectifs) qui reposent sur une capacité d'apprentissage à la fois technico-productive et d'interaction sociale » (GiIIy et Pecqueur 2000). La proximité joue donc un rôle important pour te fonctionnement du SPL En effet, « sans préjuger de la taille respective des systèmes de production localisés, ces derniers présentent la caractéristique de combiner les relations de proximité organisationnelle et géographique, les unités se voyant non seulement liées en ternies de rapports de production ou d'échange mais se trouvant à une distance faible les unes des autres » (Torre 1993). Les définitions des SPL parient de « relations durables », de « moyen et long terme ». Cela implique que la dimension temporelle est essentielle pour comprendre les processus de création et d'évolution des SPL II est généralement admis que les SPL ne sont pas de nature instantanée, car il faut du temps pour qu'une activité établie en un lieu finisse par devenir typique et unique. Tone défend cette idée lorsqu'il affirme : « les évidences relevées par les nombreuses études et monographies consacrées aux modalités de mise en place des -76- dynamiques industrielles localisées incitent à développer la thèse de la dépendance par rapport au passé et à mettre en évidence les interactions dynamiques dans les facteurs de constitution et de pérennisation des systèmes locaux » (Torre 1993). Les SPL sont donc l'aboutissement d'un construit historique et dépendent fortement de leur territoire d'ancrage. Toutefois, après recherche, nous pouvons affirmer que peu de travaux analysent les processus qui permettent à un SPL de perdurer plus rares encore sont ceux qui abordent les processus qui permettent â un territoire dont le SPL a été détruit de trouver la base d'un nouveau développement grâce à la constitution d'un nouveau SPL adapté â la nouvelle situation macro et microéconomique. A notre connaissance, une telle étude n'a été faite que pour le système productif local de Leipzig (Batheît et Boggs 2001 ) et de léna (OCDE 1999b). Cette question est pourtant importante, car si des systèmes productifs peuvent naître et se développer en l'absence d'acquis historiques, d'autres, forts d'une tradition ancienne, peuvent s'effondrer pour cause d'évolution du contexte général. Les systèmes locaux d'Innovation D'après Hippel, « la caractéristique essentielle des systèmes locaux d'innovation est d'articuler une dynamique industrielle et une dynamique territoriale* {Hippel 1988). La première renvoie aux stratégies spécifiques des organisations qui le constituent, ta seconde aux stratégies d'intégration de ces organisations au sein d'un espace socio-économique local. Ainsi, la logique économique dans laquelle s'inscrit un système local d'innovation (SLi) ne concerne pas seulement l'allocation de ressources préexistantes réparties dans l'espace géographique (théorie de ta localisation), elle touche principalement la création de nouvelles ressources spécifiques par des formes organisationnelles dynamisées par des relations de coopération localisées. On a alors création de ressources et création de territoires. Nous ne pouvons pas nous contenter de cette définition de Hippel, car elle ne précise pas quels sont les acteurs et les institutions Importants et nécessaires â l'existence d'un SLI et elle ne prend pas en compte la proximité organisationneue. La définition donnée par Grassetti et Colletis permet de mieux préciser ce qu'est un système local d'innovation. Ils définissent le SU comme « un ensemble géographiquement circonscrit d'établissements économiques, d'institutions scientifiques (centres de recherche et/ou de formation), d'institutions locales et d'acteurs individuels impliqués dans le fonctionnement de ces organisations tel que d'une part les différents éléments entretiennent des relations d'interdépendance ou d'échanges suffisants pour que l'on puisse parler de système, et d'autre part, le système produise de l'innovation technologique basée sur des activités organisées de Recherche et Développement (R&D), et du développement économique » (Grossem et Colletis 1998). Bien que plus précise, cette définition reste insuffisante à nos yeux, car elle ne prend pas suffisamment en compte les processus récents entraînés par ta politique de globalisation, au sens de Bourdieu (Bourdieu 2002). En effet, ces deux auteurs parlent d'< ensemble géographiquement circonscrit* alors que les territoires et les échelles territoriales n'ont -77- jamais été autant imbriqués, suite à l'amélioration des moyens de télécommunication et de transport. Grossetti et Colletis sont toutefois conscients que la politique de globalisation menée par les différents acteurs des systèmes d'innovation fait perdre de l'importance aux territoires perçus dans leur simple dimension géographique. Ils affirment, en effet, que < la globalisation limite ^importance des espaces géographiques carette entraine une propension croissante des firmes comme des laboratoires à considérer le monde comme leur espace pertinent. Ainsi, les firmes sont supposées rechercher les compétences et les partenaires dont elles ont besoin dans une logique d'optimisation qui ignore a priori la dimension spatiale. De môme, les laboratoires ont pour objectif l'excellence scientifique qui implique une démarche ignorant les frontières nationales et a fortiori locales » (Grossetti et Colletis 1998). Nous pensons toutefois que la politique de globalisation n'implique en rien l'homogénéisation des territoires. Tout au contraire, nous défendons le point de vue selon lequel ce phénomène Implique la reconnaissance de la diversité territoriale et l'exploitation de cette diversité par les différentes personnes et institutions. Ici GiIIy et Tome nous aident à expliquer pourquoi le concept de SLI est encore porteur de sens malgré l'imbrication des échelles territoriales lorsqu'ils affirment (GiIIy et Torre 2000) : « un système local d'innovation correspond à un moment de la dynamique économique, lorsque coexistent et s'articulent les proximités organisatìonnelle et géographique ; ranalyse des processus d'innovation résulte du jeu des relations évolutives entre proximité organisationnelle et proximité géographique. » Ce sens sauvegardé s'explique par l'utilisation de ta clé de lecture de la « proximité organisationnelle ». Celle-ci permet de ne pas s'attarder sur les frontières géographiques d'un SLI, impossibles a définir clairement, tout en gardant la dimension territoriale. La mise en avant des « relations évolutives » permet quant à elle de différencier le rôle du territoire selon les phases de développement du SLI. Pour GiIIy et Torre, l'importance du territoire est essentielle lors de la naissance d'un SLI : « la proximité géographique est surtout nécessaire dans les phases initiales du mécanisme de transfert et d'appropriation des savoirs et technologies, alors que l'interaction è distance peut plus facilement fonctionner en dehors de ces moments critiques » (GiIIy et Torre 2000). Nous partageons cet avis, toutefois nous pensons que le role essentiel du territoire ne se limite pas à la seule naissance d'un SLI tout au long de sa vie, mais se maintient et augmente après sa disparition, car il lui permet d'évoluer et de se régénérer. Cela a été démontré lors de l'analyse des évolutions de la Silicon Valley (Saxenian 1S96). Le territoire correspond également à l'échelle d'action des acteurs publics. En effet, si certains SLI peuvent naître spontanément d'autres sont la conséquence d'une politique organisée par tes acteurs du territoire : « un SU peut naître de façon tout à fait spontanée par le simple jeu des logiques organisationnelles ou individuelles ou bénéficier d'actions publiques » (Grossetti -78- el Colletis 1998). Une de ces actions peut être l'intégration de la dimension R&D dans le système. Celle-ci peut prendre des formes variables. Dans certains systèmes, l'intégration de la recherche â l'activité économique s'effectue uniquement par la recherche industrielle, sous la forme de laboratoires de grands groupes ou de petites entreprises spécialisées dans la recherche et développement sur un créneau spécifique. Dans d'autres systèmes, elle peut aussi avoir pour base les collaborations entre recherche publique et industrie. L'intégration de la dimension R&D dans le système n'est cependant pas la seule action publique possible. Une voie susceptible d'être explorée pour définir ces différentes actions est le repérage des ancrages territoriaux des systèmes d'innovation, en prenant soin de ne pas prendre les relations éphémères pour des relations institutionnalisées. Ces ancrages peuvent se manifester de différentes manières : l'engagement des acteurs dans des projets coopératifs stables et durables, â portée institutionnelle plus profonde que la conclusion ponctuelle de contrats de recherche entre telle entreprise et tel laboratoire universitaire ; l'engagement dans les processus territorialisés de ressources : formation de la main- d'œuvre, participation aux projets collectifs, essaimage, etc. ; l'engagement dans des relations marchandes durables avec des entreprises locales, dès lors qu'elles sont le support d'une diffusion technologique ; des comportements collectifs homogènes, autorisant l'établissement de rapports de confiance et de loyauté entre acteurs. Dans une économie basée sur la connaissance, la vie d'un SLI dépend également de la capacité des acteurs à utiliser leurs compétences pour générer du développement économique grâce à une production constante d'innovation qui renforce la compétitivité des entreprises. Dans une section précédente, nous avons vu qu'en période d'interface (lorsqu'un système productif territorialisé disparu alors que le nouveau n'est pas encore développé), ce stockage et cette transformation de compétences nécessaires à la production d'innovation se font dans des institutions ancrées au territoire. En effet, ces dernières sont, sur le long terme, les seules en mesure de résister aux effets négatifs de la disparition d'un système productif territorialisé. Nous pensons que la résistance des SLI sur le long terme ne s'explique que par la capacité d'un territoire à stocker et â transformer, lors des périodes de transition, les compétences â la source de l'innovation. Ces compétences peuvent être stockées dans les établissements d'enseignement supérieur, les PME, ou diverses institutions publiques ou privées. Pour nous, seule cette résistance sur un temps long peut expliquer la constitution de systèmes différents et spécifiques selon les différents territoires. -79- 2.2.3 Deux exemples de système local d'Innovation Plusieurs chercheurs ont proposé des typologies de systèmes d'innovation territoriaîisés. Nous avons retenu celle de Kirat, car dès 1993, il faisait déjà la différence entre proximité territoriale et proximité à-territoriale (Kirat 1993), ce que GiIIy et Torre appellent aujourd'hui proximité géographique et proximité organisationnelle. Figure 14 : Une typologie des systèmes d'innovation territoriaîisés Proximité territoriale Diffusion de technologie Districts, milieux Technopôles, parcs innovateurs scientifiques, centres de recherc collective Institutions informelles (règles, normes, conventions) Institutions informelles (dispositifs cognitifs collectifs) Ensembles d'entreprises Grandes firmes et groupes Tissus de PME industriels Institutions formelles / Institutions formelles / pragmatiques pragmatiques (aides à l'innovation) (aménagement du territoire) Création de technologie Proximité »-territoriale Source: Kiral 1993. Nous allons maintenant nous pencher plus en détail sur deux systèmes locaux d'innovation qui demandent une proximité territoriale et qui permettent de diffuser la technologie et l'innovation : les districts industriels et les milieux innovateurs. Nous verrons que ces deux approches représentent un changement important par rapport aux discours économiques des années cinquante et soixante qui prônaient un développement « par Ie haut ». Les districts Industriels La recherche en économie régionale se caractérise à partir des années soixante-dix par une conception territoriale axée sur le développement : les travaux sur les processus de développement terrttorialisé endogène se renforcent et gagnent en cohérence. Ces efforts de recherche ont permis de développer une fondation théorique différente du paradigme -BO- néoclassique de la firme, perçue comme un agent actif dans un contexte de parfaite rationalité et d'informations complètes. Cette nouvelle base théorique s'est construite sur la redécouverte du concept de « districi industriel» inventé en 1879 par le Britannique Alfred Marshall. Dans Principles {livre IV, chapitre X, Marshall, 1920), celui-ci théorise le district industriel en décrivant certaines caractéristiques de la dynamique industrielle et de la compétitivité des firmes à un niveau territorial. Il aborde également les thèmes alors novateurs d'« atmosphère industrielle » et d'« économies externes ». Après une centaine d'années d'oubli, les chercheurs de l'école florentine Arnaldo Bagnasco, Carlo Trigilia et Sebastiano Brusco, qui travaillaient sur la problématique du succès économique de la troisième Italie, ont redécouvert les systèmes productifs locaux. Leurs premières études insistaient surtout sur les caractéristiques sociales des régions de Milan- Turin-Gènes, qui connaissaient alors un développement endogène typique. Toutefois, c'est Giaccomo Becatini (1979, 1987) qui souligna que le type d'organisation industrielle de ces régions, mélange de concurrence-émulation-coopération à l'intérieur d'un système de petites et moyennes entreprises, rappelait le district industriel de Marshall. Dans un district industriel, les entreprises et la communauté locale sont étroitement imbriquées et ont développé une activité industrielle spécifique. D'après Becatini (1992), a Ie district industriel est une entité sodo-territoriate caractérisée par la présence active d'une communauté de personnes et d'une population d'entreprises dans un espace géographique et historique donné* (Gigon 1999). Au sein d'un district, il tend donc à y avoir osmose (Becatini parte d'une « parfaite osmose ») entre communauté locale et entreprises. Couriet affirme même dans un ouvrage récent que « le district industriel articule les traits relevant de la configuration proprement économique de l'ensemble d'entreprises et des traits se rapportant au fonctionnement social de la collectivité locale » (Couriet 2001). Les districts ont des caractéristiques communes. Ils couvrent l'ensemble du cycle productif (création, production, commercialisation nationale et Internationale) et incluent un secteur de conception et de production de machines liées à leur activité. Ils comportent ainsi toute une gamme de services aux entreprises : comptabilité, design, ingénierie, veille scientifique et technique, marketing, formation, conseil juridique, certification de la qualité, etc. Les dernières études empiriques montrent que les mécanismes endogènes de construction des capacités d'innovation dans les districts industriels correspondent au modèle de Rosenberg (Rosenberg 1994), car ils sont basés sur un modèle non linéaire d'innovation sans R&D. Elles montrent également que l'organisation des districts industriels a permis, sur le long terme, de renforcer les capacités d'apprentissage et de diffusion de l'innovation et d'assurer « l'auto-organisation et te renforcement des processus d'apprentissage » (Belussi 2001). Ce renforcement découle de la capacité des firmes du district industriel â réutiliser des connaissances lors des opérations de routine, qui demandent une grande part d'apprentissage collectif. -81 - Aujourd'hui, il est possible de mieux comprendre le succès des districts industriels sur la base des recherches sur l'économie basée sur la connaissance (cf. chapitre 1). Ces travaux montrent que « les districts sont particulièrement bien équipés pour absorber les connaissances générales et les connaissances spécifiques codifiées produites dans le monda par les sociétés ou les institutions publiques, car tes agents économiques appartenant aux districts sont en masure, malgré leurs capacités cognitives limitées d'avoir un meilleur accès à ta connaissance dispersée » (Belussi 2001). Les territoires sur lesquels ils sont implantés sont donc très bien placés pour profiter des avantages créés par l'économie basée sur la connaissance. Trois éléments majeurs ressortent de la réflexion sur les districts industriels développée par l'école italienne (Bramanti et Ratti 1997) : « le district, quelle que soit sa définition, est une unité élémentaire d'investigation qui assume une entité mésoéconomique. Sa nature systémique se situe quelque part entre l'agent atomisé de la micro-économie et le système national d'innovation et de production ; Le district comprend simultanément des éléments sociaux et économiques, ce qui ouvre la porte sur la question importante de la reproduction du système de production dans son entier ; Il existe dans un district un mélange de coopération et de compétition qu'il n'est pas possible d'analyser séparément et qui constitue ta base de la robustesse économique locale. » Le mot qui résume le mieux le district est « identité ». Ourant les années quatre-vingt, les chercheurs ont porté leur attention sur la question du changement, de l'ouverture des districts et de leurs relations avec l'extérieur. Dans les années quatre-vingt-dix, tes chercheurs travaillant sur le thème des districts ont réfléchi à la nécessité absolue de la présence de deux dimensions : gtobal/local, ouverture/identité, milieu/réseau, nœud/toile. C'est alors qu'est apparue la forte convergence entre les recherches limitées aux districts et les recherches portant sur les systèmes de production territorialises (Bramanti et Ratti 1Ô97). -82- Les milieux Innovateurs Comme Kirat fa bien montré dans sa typologie des systèmes d'innovation territorialisés, on ne peut aborder te thème de l'innovation territorialisée en économie régionale sans présenter la théorie des milieux innovateurs, a l'un des deux grands courants européens de l'analyse du fait local avec les districts industriels et technologiques » (Dupuy et Torre 2000). La démarche du GREMÌ (Groupe de recherche européen sur les milieux innovateurs) a d'emblée souligné le role essentiel de la composante territoriale dans l'innovation, plus généralement dans la création de nouvelles ressources. Au cours de leurs recherches, les membres du GREMÌ se sont attelés « à préciser les aspects spatiaux des transformations économiques et surtout la relation inverse, à savoir la manière dont le territoire donne sa torme aux structures économiques et en codétermine l'évolution » (Crevoisier 2001b). Cette approche est réellement novatrice car elle considère le territoire non pas comme un « espace de localisation indifférencié » de facteurs à la fois matériels et immatériels orientés vers la production de biens et de services, mais bien comme « un lieu d'organisation et de regroupement territorial d'acteurs économiques, sociaux, culturels et politiques qui par leurs interactions dynamiques développent des compétences, des savoir-faire et des activités productives porteuses d'une croissance durable » (Quévit et Van Doren 2000). La réflexion sur les milieux a commencé dans les années soixante-dix, époque où les territoires ont connu une modification des hiérarchies spatiales, qui s'est traduite par l'émergence de nouvelles régions industrielles sans que les théories économiques classiques puissent expliquer ces nouvelles évolutions. Pour cette raison, certains chercheurs se sont interrogés sur « les modalités du développement de ces nouveaux espaces et sur le rôle joué par le territoire dans la dynamique de la recomposition des activités » {Maillât 1994). L'analyse de l'évolution des disparités spatiales a montré que la convergence des niveaux de revenus entre les régions ne relevait plus d'un processus d'extension à tout le territoire d'effets positifs issus des régions riches, mais d'une dynamique autonome propre à certaines régions moins favorisées. On pouvait en conclure que certains systèmes territoriaux étaient capables de se développer sans qu'une redistribution de la croissance n'intervienne à partir des régions les plus fortes. C'est Aydalot qui a posé l'hypothèse du rôle déterminant joué par les milieux locaux comme Incubateurs de l'innovation, comme prisme à travers lequel passent les incitations à l'innovation et qui donne, sur le terrain, son visage à celle-ci. Dans cette optique, l'entreprise n'est pas un agent innovateur isolé ; elle est une partie du milieu qui la fait agir. Le passé des territoires, leur organisation, leurs comportements collectifs, le consensus qui les structure sont des composantes majeures de l'innovation. Il s'ensuit que les comportements Innovateurs ne sont pas nationaux, mais qu'ils dépendent de variables définies au niveau local ou régional. -83- Maillât définit dès 1994 le concept de milieu. Pour lui, « le concept de milieu est fondé sur le rôle joué par te contexte territorial et la capacité de celui-ci é valoriser la proximité des acteurs de manière spécifique par rapport à l'environnement externe » (Mailtat 1994). Ensemble spatial ayant une dimension territoriale, le milieu recouvre un espace géographique qui n'a pas de frontière a priori, qui ne correspond pas â une région donnée au sens commun du terme, mais qui présente une unité et une cohérence se traduisant par des comportements identifiables et spécifiques ainsi qu'une culture technique, entendue comme l'élaboration, la transmission et l'accumulation de pratiques, savoirs et savoir-faire, nonnes et valeurs liés â une activité économique. Ces multiples éléments génèrent des attitudes et des comportements « codifiés » qui sont â la base de l'organisation et de la régulation du milieu. Les propriétés principales de cet ensemble spatial, outre la dimension territoriale, sont les suivantes : un collectif d'acteurs : ces acteurs (entreprises, institutions de recherche et de formation, pouvoirs publics locaux, etc.) doivent avoir une relative indépendance décisionnelle et une autonomie dans la formulation des choix stratégiques ; des éléments matériels (entreprises, infrastructures), mais aussi immatériels (savoir- faire) et Institutionnels (diverses formes de pouvoirs publics locaux ou d'organisations dotées de compétences décisionnelles) ; une logique d'interaction qui relève de la coopération : les acteurs doivent être en relation d'interdépendance afin de mieux valoriser les ressources existantes : une dynamique d'apprentissage qui se manifeste par la capacité des acteurs, constituée au cours du temps, â modifier leur comportement et à mettre en œuvre de nouvelles solutions en fonction des transformations de leur environnement. Par rapport au concept de milieu, celui de milieu Innovateur porte l'attention sur l'Innovation et non plus simplement sur l'organisation et la gestion efficace des ressources productives. Le milieu innovateur est l'organisation territoriale où prennent naissance les processus d'innovation. On peut définir le milieu innovateur comme « un ensemble territorialisé dans lequel les interactions entre agents économiques se développent par l'apprentissage qu'ils font de transactions multilatérales génératrices d'extemalités spécifiques à l'innovation et par la convergence des apprentissages vers des tonnes de plus en plus performantes de gestion en commun des ressources » (Maillât 1994). Le milieu innovateur est par ailleurs inséparable de la notion de réseau d'innovation, qui rend compte de l'interaction de la dynamique interne du milieu innovateur avec son environnement extérieur. Le milieu est innovateur (Quévit et Van Doren 2000) : « lorsqu'il est capable de s'ouvrir à l'extérieur et d'y recueillir les Informations, voire les ressources spécifiques dont il a besoin ; -84- lorsque ses ressources sont organisées, coordonnées et mises en relation par des structures économiques, culturelles et techniques qui rendent les ressources exploitables pour de nouvelles combinaisons productives. » L'innovation est donc, selon cette conception, considérée comme un processus d'intégration d'éléments qui déterminent et favorisent la dynamique et la transformation du système techno-productif territorial. De ce fait le milieu innovateur se caractérise par l'intégration de dynamiques internes et de changements survenus à l'extérieur. Figure 15 : Les paradigmes des milieux Innovateurs et le développement économique territorial isé Réseaux et systèmes de production Innovation N Règles de concurrence/coopération >v Paradigme organisational Savoir-faire Paradigme / technologique / / Milieu innovateur (collectif d'acteurs) T l Paradigme territorial Proximité/distance Concurrence des territoires Source : Crevoisier 2000. Sur le plan théorique, le concept de milieu innovateur a été fortement critiqué par les économistes néoclassiques. Les nombreux travaux du GREMÌ ces dernières années ont cherché à répondre à ces critiques, ils ont par là même permis de faire passer ce concept d'une botte noire à un « corpus conceptuel stabilisé ». Aujourd'hui, il est généralement admis que « les milieux innovateurs s'articulent autour de trois axes particulièrement importants du -85- point de vue des transformations actuelles : la dynamique technologique, la transformation des territoires et les changements organisationnels » (Crevoisier 2001 b). Le paradigme technologique met l'accent sur le role des techniques et plus largement de l'innovation dans la transformation du système économique. Quévrt préfère utiliser le terme de « paradigme cognitif » pour décrire les logiques de création, d'apprentissage et d'acquisition de savoir-faire orientés vers l'innovation technologique (Quévit et Van Doren 2000). Le paradigme organlsatiormel rend compte des mécanismes qui, au sein d'un milieu, permettent ou empêchent la coordination entre acteurs. Les mécanismes de coordination sont au cœur des milieux innovateurs, car ils articulent les aspects fonctionnels et territoriaux. Ces réseaux locaux contribuent également au maintien et à la reproduction de la frontière entre te milieu et l'extérieur dans le sens où ils définissent quels acteurs font partie du système de coordination local et lesquels n'en font pas partie. Le paradigme territorial rend compte du fait que l'innovation n'apparaît pas de manière uniforme dans l'espace. Il montre que le territoire, en tant qu'organisation, peut générer les ressources (savoir-faire, compétences, capital, etc.) et les acteurs (entreprises, innovateurs, institutions de soutien, etc.) nécessaires à l'innovation. Les savoir-faire apparaissent comme des ressources spécifiques propres à certains territoires qui sont régulièrement régénérées par l'activité économique et par les différentes institutions de formation et de recherche. Figure 16 : Le processus de rupture/filiation Réseau d'innovation Interaction Interaction (concurrence/cooperation); A (concurrence/coopération) ; apprentissage; {innovation) f apprentissage; (innovation) Rupture/filiation Territoire ei """' / Territoire empreinte 2 1 Milieu Territo - / re matrice 1 Territo . / re matrice 2 innovateur Savoir-faire spécifiques ; Savoir-faire spécifiques ; capital relationnel ; capital relationnel ; collectif d'acteurs collectif d'acteurs Source : Crevoisier 1999. Au cours du temps, un milieu demeure innovateur en mobilisant les ressources constituées par le passé, adaptées aux nouvelles techniques et aux nouveaux marchés et incorporées dans de nouveaux produits : c'est ta rupture/filiation. Ce processus se caractérise par un jeu entre le milieu, qui recèle les ressources (savoir-faire, capital relationnel, etc.) et les réseaux -86- d'innovation, qui en réalisent la mobilisation et l'actualisation â travers un processus d'innovation. Au cours de ce processus, le territoire est alternativement la matrice â partir de laquelle se développent tes réseaux d'innovation et l'empreinte laissée par ces réseaux sur les ressources du milieu. Nous allons maintenant analyser l'approche du GREMi au niveau du territoire qui nous intéresse le plus pour ce travail sur l'économie de la connaissance, c'est-à-dire le niveau urbain supérieur représenté par le réseau des pôles qui concentrent la recherche de pointe. Pour Quévit (Quévit et Van Doren 2000), « le milieu urbain peut se définir en tant que lieu où s'articulent plusieurs composantes systémiques ». Par composante systémique, les auteurs entendent l'existence d'un système d'acteurs possédant chacun leur logique d'action propre (rationalité) qui gèrent les ressources spécifiques du système et produisent par leur interaction ou leurs échanges « un effet de milieu ». Dans ce cadre théorique, le milieu urbain se définit comme la résultante de l'interaction de trois systèmes d'action, chaque système représentant une forme d'organisation et de gestion des ressources disponibles émanant de la confrontation des logiques des acteurs: le système techno-industriel, le système de représentation collective, le système de gouvernance. Figure 17: Milieu urbain et dynamique urbaine acteurs du système de gouvernance Externalites urbaines Source : Quévit et van Doren 2000. -87- 2.3 Le rôle économique renforcé des établissements d'enseignement supérieur Dans la théorie des districts industriels, c'étaient surtout les entreprises qui produisaient de la connaissance. La théorie des milieux innovateurs laisse une place aux établissements d'enseignement supérieur comme l'un des membres du collectif d'acteurs qui participe au développement du paradigme technologique (Crevoisier 2001a) et du système techno- industriel (Quévit et Van Doren 2000), toutefois cette place n'est pas centrale. Les établissements d'enseignement supérieur représentent l'un des acteurs du milieu innovateur, sans plus. Dans cette troisième section, nous défendrons l'idée que l'émergence de l'économie basée sur la connaissance renforce Ie rôle économique des établissements d'enseignement supérieur et de recherche publique. Nous pensons même qu'elle peut leur donner une place centrale au sein du territoire où elles sont ancrées. Dans ce chapitre, nous utilisons les termes d'université et d'établissement d'enseignement supérieur (EES). De nombreux auteurs emploient ces deux ternies de manière indifférenciée. Pour nous, l'expression générique établissement d'enseignement supérieur est plus riche de sens que le mot université, car elle tient compte de la diversité des institutions de recherche et de formation supérieure en termes de passé, de taille, de position sur le marché et de sources de financement. Et surtout l'appellation EES reflète la disparition progressive de la distinction entre les établissements qui ont une activité de recherche et qui décernent des diplômes supérieurs (universités) et ceux qui dispensent seulement une formation continue ou professionnelle à un niveau supérieur. Pour ce travail, nous décrirons le système français, que nous connaissons le mieux ; toutefois le fond de la réflexion ne se limite pas à la France, car de nombreux travaux de l'OCDE montrent que l'évolution des systèmes d'enseignement supérieur est semblable dans la plupart des grands pays de l'OCDE, même si ceux-ci possèdent chacun une structure institutionnelle différente (OCDE 2000). 2.3.1 Vers une redécouverte de la mission de valorisation En France, certaines villes peuvent s'enorgueillir de la présence d'une université depuis le Moyen Age. Pourtant, l'université moderne telle que nous la connaissons, qui combine l'enseignement supérieur et la recherche, est bien plus récente, elle date de la fin du XIX* siècle, époque où l'université connut un changement révolutionnaire. En effet, pour répondre aux évolutions économiques liées à la révolution industrielle, les universités, qui étaient essentiellement des instituts de formation supérieure, développèrent fortement leur activité de recherche. Elles bénéficièrent alors d'importants financements privés provenant des grandes entreprises industrielles. Les universités profitèrent alors fortement de la présence d'une industrie en développement pour accroître leur potentiel de recherche et leur expertise. -88- Au XX* siècle, plusieurs périodes ont été décisives pour la mise en place des structures scientifiques et technologiques et pour leur répartition sur le territoire français. Durant !'après guerre, après 1945, la France s'est dotée du premier noyau du système de recherche actuel. Après la guerre, l'Etat élargit les champs disciplinaires du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). La mission fixée au CNRS était de « faire effectuer toutes recherches présentant un intérêt pour l'avancement de la science ou pour le progrés économique, social et culturel » (Aubert 1996). Le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) a été créé en 1945 ; il sera suivi en 1946 de l'Institut de recherche agronomique (INRA). Les années 1960-1970 ont représenté une nouvelle période de dynamisme, caractérisée par l'accélération notable des soutiens publics à la recherche. La création de certains des plus grands organismes de recherche contemporains date de cette époque : le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) en 1964 et l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) en 1967. Les mécanismes actuels d'association entre le CNRS et les universités ont également été mis en place durant cette période. Les années 1980-1998 représentent une troisième période clé, marquée par la confirmation du système français de sciences et technologies. Les responsables nationaux ont une nouvelle préoccupation : ouvrir les milieux de la science le plus largement possible en confrontant les chercheurs au développement des technologies. Durant cette période, le système d'enseignement supérieur français se caractérise par la coexistence d'une multitude d'établissements aux finalités et aux modes de fonctionnement variés ainsi que par une démocratisation du système universitaire qui se traduit par une augmentation très importante du nombre d'étudiants. Pour répondre a ces changements, l'Etat a mis en place avec les collectivités territoriales le plan Université 2000. Nous considérons que ce programme a joué un role essentiel, car il a permis aux collectivités de développer d'importantes collaborations avec les établissements d'enseignement supérieur. Sur le plan territorial, l'Ile-de-France accueille toujours plus d'un quart des effectifs étudiants français et reste donc la première région universitaire française, toutes filières confondues. Toutefois, son poids a diminué depuis 30 ans. L'Ile-de-France est suivie par les régions Rhône-Alpes et Nord-Pas-de-Calais, deux autres grandes régions universitaires. Cette apparente concentration des effectifs n'empêche pas l'éparpillement des centres de formation supérieure sur l'ensemble du territoire national. A la rentrée 1996, les étudiants de l'enseignement supérieur se répartissaient sur près de 700 implantations géographiques ; ce chiffre n'a pas beaucoup changé depuis. Cet ancrage local est une force, il représente cependant également une faiblesse. En effet, le nouveau contexte démographique, désormais moins porteur, entraînera à moyen terme une fragilisation, si ce n'est la fermeture, de nombreux sites aux effectifs faibles. Les établissements d'enseignement supérieur comprennent également les centres de recherche. En 1998, la France consacrait 2,3% de son PIB à la recherche et elle occupait le cinquième rang mondial dans ce domaine. L'excellente qualité de la recherche fondamentale française est reconnue au niveau international. Elle est aujourd'hui caractérisée par un -89- système dual comprenant des universités et des établissements publics scientifiques et techniques (EPST), ainsi que par des déséquilibres régionaux marqués et une certaine faiblesse de la recherche technologique. Sur le plan territorial, la recherche publique française est caractérisée par une concentration de ses activités en Ile-de-France, suivie par la région Midi-Pyrénées, dont la deuxième position s'explique par la présence du CNES. La région RhÔne-Afpes arrive en troisième place, avec des activités de recherche diversifiées, et profite d'une forte présence du CNRS et du CEA. Pour nous, 1998 marque une rupture qui est liée à la prise de conscience de l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. Le rapport Guillaume - Rapport de mission sur la technologie et l'innovation (Guillaume 1998) - est emblématique d'un changement d'attitude et du besoin de réforme. Il a montré que les relations entre la recherche publique et le monde économique étaient loin d'être optimales en France : « la France n'utilise pas avec l'efficacité souhaitable son potentiel de recherche, pour dynamiser l'ensemble de son tissu économique et pour créer de nouvelles entreprises dans les secteurs où sa spécialité est la plus faible » (Guillaume 1998). Nous ne pouvons que confirmer ce constat. Lors d'une première recherche en 1998, nous n'avons trouvé qu'un seul rapport qui apportait une vision nationale des activités de valorisation des universités françaises. Il avait été rédigé en 1991 par des chercheurs de l'université de Lille-Flandres pour la Datar (USTL 1991). Jusqu'en 1998, la plupart des responsables universitaires français considéraient que la valorisation était synonyme des relations industrielles que leurs laboratoires entretenaient avec les entreprises, tl existait une volonté affichée, en particulier au niveau des stratégies d'établissement de développer leurs relations industrielles, mats après une recherche plus précise, il est devenu clair que les dispositifs mis en place par ces établissements, très modestes, ne permettaient pas d'atteindre les buts fixés. Seules quelques universités, comme l'université technologique de Compiègne ou l'université de Lyon, avaient mis en place des structures de valorisation qui fonctionnaient efficacement depuis des années. Aucune étude n'avait été réalisée sur les relations entre les universités et les entreprises de services ; cette situation était liée au manque de réflexion sur l'exploitation des connaissances en sciences humaines et sociales. Les établissements d'enseignement supérieur français étaient donc très en retard par rapport à leurs homologues anglais et américains, qui avaient mis en place de véritables stratégies d'exploitation économique des activités de valorisation. Les exemples les plus célèbres alors du MIT, de Berkeley (Etats-Unis) et de Cambridge (Grande-Bretagne) mettaient en exergue combien la valorisation pouvait être créatrice de croissance et d'emplois. La période actuelle se distingue par l'importance primordiale qui est désormais attachée en France à la valorisation des résultats de la recherche, mission qui n'était pas jugée comme prioritaire auparavant bien qu'elle fasse partie des missions officielles des établissements d'enseignement supérieur définies par l'article 4 de la loi d'orientation 84-52 du 26 janvier -90- 1984 : les missions du service public de l'enseignement supérieur sont « la formation initiale et continue ; la recherche scientifique et technologique ainsi que la valorisation de ses résultats » (Claverie 1999). Ce changement est important, car il correspond à une évolution profonde des relations entre le milieu universitaire et le monde économique, qui se traduit par un renforcement des interactions entre ces deux mondes. Nous reprendrons pour ce travail la définition de la valorisation donnée par le réseau C.U.R.I. : * valoriser les résultats de la recherche, c'est donner aux produits matériels ou immatériels, que constituent ces résultats une valeur ajoutée, qui contribue au développement économique soft en termes financiers, soit en termes d'emploi, soit les deux à la fois. L'ampleur de la valeur ajoutée va résulter d'une négociation entre l'Etablissement et le milieu receveur la maîtrise de la négociation et donc la valeur ajoutée qu'elle induit, constituent le cœur du processus de valorisation » (Claverie 1999). Cette mission de valorisation des résultats de la recherche regroupe quatre fonctions principales. Les deux premières, la recherche partenarlale et la prestation (technique ou Intellectuelle), ont en commun de se développer avec un partenaire identifié. La troisième, la valorisation des résultats de la recherche propre, correspond au passage du résultat au stade du développement en entreprise et nécessite, pour être pertinente, soit de trouver le partenaire-développeur, soit de créer l'entreprise qui développera le produit La quatrième, la création d'entreprises, apparaît donc parfois comme le corollaire d'une valorisation endogène de résultats particulièrement innovants. Le rapport Guillaume a eu un impact important et le ministre de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie de l'époque, Claude Allègre, a décidé de mettre en place une nouvelle approche de la recherche française qui s'est traduite par le vote en juillet 1999 d'une « loi sur l'innovation et la recherche ». Cette loi comporte quatre grands volets (CDC 2002) : des mesures d'incitation à la mobilité et à la création d'entreprises par les personnels de recherche ; des mesures qui visent a développer les collaborations entre les organismes de recherche et d'enseignement supérieur et les entreprises ; un cadre fiscal favorable aux entreprises innovantes et un cadre juridique adapté aux entreprises innovantes. Cette loi a été préparée en parallèle à l'appel à projet o incubation et capital - amorçage des entreprises technologiques » lancé conjointement en mars 1999 par le Ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et par le Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. En 2002, trente incubateurs sont en activité. Ils couvrent la totalité du territoire métropolitain. Ils bénéficient de 24,6 millions d'euros et ont pour objectif d'accueillir 865 projets de création d'entreprises innovantes. Les incubateurs sont des lieux d'accueil et d'accompagnement pour des porteurs de projets de création d'entreprises ou pour de très jeunes entreprises. Ils ont pour objet de les héberger et de leur offrir un soutien logistique. Ils doivent accompagner les créateurs dans l'élaboration de leur projet, notamment dans les domaines organisationneis, juridiques, industriels, commerciaux et pour le recrutement de l'équipe de direction, lis doivent également mettre en relation les partenaires industriels, les gestionnaires, les financiers et les scientifiques pour la création et le -91- financement d'entreprises. Aujourd'hui, « le dispositif des incubateurs publics français est jeune et il est difficile de rendre des conclusions à ce stade de leur développement. Cependant au 31 octobre 2001, les incubateurs ont incubé ou incubent 440 projets, ils ont permis la création de 164 entreprises et de 650 emplois » (CDC 2002). Dans le cadre de la loi sur l'innovation3, les universités peuvent également créer de nouveaux services communs appelés SAIC {Service d'activités industrielles et commerciales) et consacrés à l'exploitation des activités Industrielles et commerciales issues de la recherche et de la formation universitaire. Ces services seront chargés de gérer toutes les activités industrielles et commerciales des universités ; ils auront un impact important sur les activités de valorisation. 2.3.2 Les approches traditionnelles de l'Impact économique des établissements d'enseignement supérieur Nous avons vu que les activités de valorisation prennent de plus en plus d'importance, mais comment analyser leurs effets? Un examen des travaux scientifiques qui cherchent à mesurer les impacts économiques des relations entre les structures d'enseignement supérieur et l'économie locale, montre que jusqu'à très récemment, la majorité des travaux sur ce thème se limitaient à définir le nombre d'emplois - directs, indirects et induits - liés aux activités de l'enseignement supérieur. Ces travaux décrivaient également les flux financiers locaux, associés aux dépenses du personnel, des étudiants et des services généraux des universités. Ces études se basaient sur le fait que « les EES peuvent revendiquer un impact économique direct sur la région au titre de la création d'emploi, directe et indirecte, des dépenses pour les étudiants et le personnel et des achats ordonnancés à l'échelon national. Les étudiants et le personnel recrutés à l'extérieur représentent un apport net pour l'économie régionale » {OCDE 1999c). Ces analyses keynésiennes sont nombreuses aussi bien en Suisse {Zarin-Nejadan et Schneiter 1994), (Thîerstein et Wilhelm 2000), qu'en France {Zerr 1995) ou en Allemagne (Bauer 1997). Les exemples cités donnent une bonne idée des travaux réalisés ces dernières années dans ce domaine. L'impact économique direct est mesuré à l'aide du multiplicateur keynéslen. Cette formule part de l'hypothèse que les EES ayant bénéficié d'une injection Initiale de crédits dépensent ces crédits dans ta région, ce qui déclenche une vague de dépenses de la part de ceux qui ont bénéficié de ces dépenses, et ainsi de suite. L'effet multiplicateur se calcule à partir de ces vagues de dépenses. Un calcul précis des effets financiers de l'activité universitaire nécessite d'obtenir de nombreuses données et informations, par exemple le montant global des salaires, les dépenses de fonctionnement hors salaires, les dépenses d'équipement et 3 Décret n* 2002-549 du IS avril 2002. -92- d'investissement les dépenses des étudiants en dehors de l'université. Il faut également définir un coefficient qui fixe la répartition des impacts entre le milieu local et les territoires extérieurs (régionaux, nationaux). Ce coefficient dépend de nombreux facteurs comme le domicile des salariés et des étudiants, l'importance de la région et du poids de la fiscalité. M varie également selon la capacité des entreprises locales à répondre aux besoins des universités. La valeur du multiplicateur est variable, « mais dans la plupart des études sur rimpact des EES on la situe aux alentours de 1,5* (OCDE 1999c). Ces études constituent un bon point de départ pour estimer l'impact économique des EES sur leur région. Toutefois, dans ce travail, nous ne décrirons pas plus précisément cette méthode, car si elle est intéressante, nous considérons qu'elle ne suffit plus pour expliquer le véritable rôle des EES dans l'économie locale de leur territoire d'ancrage. Une autre approche classique pour évaluer l'impact économique des EES est l'analyse des transferts de technologies et de l'innovation qui en découlent II existe sept catégories de transfert de technologie : La formation technologique vise à former les étudiants pour répondre aux besoins de l'industrie. Les universités assurent une formation technologique qui est adaptée, avant tout, aux besoins nationaux. « Deux vecteurs de diffusion sont particulièrement importants et méritent d'être mis en exergue : les stages des étudiants et ta formation continue » (Claverie 1999). La recherche technologique permet de développer l'application et la transférabilité des résultats scientifiques ; elle n'a que peu de liens avec son territoire. La recherche partenartale est réalisée avec et pour le compte d'industriels dans un cadre contractuel. C'est l'une des formes principales du transfert de technologies. Elle a pour objectif la mise au point de procédés originaux et de produits nouveaux. La formalisation du partenariat prend la forme juridique du contrat. L'exemple américain montre que la propriété intellectuelle et les brevets constituent des enjeux importants de la recherche partenariale. Le conseil et l'expertise offrent la possibilité aux universitaires de répondre aux attentes spécifiques du milieu local et régional. Ces activités se déroulent sur des périodes courtes, avec des budgets supportables pour les PMI locales. Elles apportent une plus-value à la compétence et au développement des sociétés qui en bénéficient La diffusion d'informations technologiques est menée au travers de publications scientifiques ou sous forme de plaquettes et d'encarts d'informations destinés à un large public. Les prestations de services à l'Industrie consistent en la réalisation de travaux qui nécessitent l'utilisation d'équipements et de matériels rares disponibles dans les -93- laboratoires. Les équipements utilisés ne sont pas répandus sur le territoire national ; la demande des entreprises est donc de niveau national. Le transfert de connaissances, lié à la cession de droits intellectuels, se Fait sous forme de transactions commerciales ; il n'a que rarement des liens avec le milieu local. L'impact économique des EES ne se limite pas au seul transfert technologique stricto sensu. Toutes les entreprises n'ont pas des activités technologiques et les chercheurs non scientifiques, en droit, en gestion, en langues, ont également des rapports avec les entreprises industrielles et de services. La création d'entreprises constitue aussi une voie originale pour développer de la valeur ajoutée, que ce soit à partir d'un transfert dans le domaine de la technologie ou dans celui des sciences humaines. Cette création peut être réalisée par les étudiants ou par les professeurs. Souvent, elle nécessite une phase d'incubation au sein d'un laboratoire ou à l'extérieur de l'université. Aujourd'hui, la création d'entreprises à partir de la recherche universitaire est considérée par d'aucuns comme essentielle pour le devenir des universités. Nous pensons qu'au sein de l'économie basée sur la connaissance, les EES de réputation internationale seront ceux qui auront réussi à générer autour d'eux une grappe d'entreprises innovantes, soit qu'ils les aient attirées suite à leurs compétences, soit qu'ils les aient générées par le biais des activités entrepreneuriales de leurs enseignants et de leur étudiants. Autre source d'innovation pour les entreprises, la valorisation du capital humain peut prendre trois tonnes : formation Initiale professionnalisée, formation continue, échange de personnels entre les laboratoires et les entreprises. Les EES constituent également des partenaires à part entière des stratégies de développement économique. Leurs actions entraînent des effets économiques locaux. Ils interviennent essentiellement dans trois domaines principaux : Les investissements extérieurs. La décision d'une entreprise d'investir ou de venir s'installer dans une région dépend en partie de la capacité de l'université à offrir des formations adaptées aux besoins de ces nouveaux employeurs et des relations de recherche qui pourraient se développer entre les universités et l'entreprise. Certains responsables du développement économique utilisent ce facteur d'implantation et coopèrent avec les universités lors de projets d'implantation ; L'image est également importante. La présence de l'université est très positive pour l'image d'une ville, qu'elle permet aux acteurs du développement économique de mieux mettre en valeur. La présence de l'université et de centres de recherche est mise en avant dans les documents présentant une ville ou une région et dans tes documents de prospection économique ; -94- Les EES jouent également un rôle de soutien dans le développement des relations internationales. Ils se situent à l'interface entre l'International et le local. Les chercheurs ont de nombreuses relations avec les universités étrangères de par leur travail de recherche ou leur participation â des congrès Internationaux. Ces relations sont accrues par le biais des professeurs visiteurs de l'étranger et par le nombre d'étudiants étrangers. N est difficile d'établir l'impact local de ces relations internationales, mats il est communément admis que les universités apportent une ouverture sur le monde et donc un enrichissement culturel et intellectuel. Les EES ont également un impact sur te marché de l'immobilier car ils possèdent de nombreux bâtiments, répartis dans les villes. La présence de plusieurs milliers d'étudiants dans une agglomération a également d'importants impacts locaux sur le marché de l'immobilier de la location. L'université contribue fortement au développement de la vie sociale au niveau local, que ce soit par des cours ouverts aux habitants, par des actions de vulgarisation des connaissances universitaires ou par la tenue de séminaires. La présence d'un nombre important d'enseignants et d'étudiants permet également de renforcer la vitalité culturelle d'une agglomération. Cette population représente une part importante de la clientèle de biens et services culturels, sans laquelle, par exemple, de nombreuses librairies spécialisées ne pourraient pas survivre. Ces approches traditionnelles permettent de montrer un aspect de l'impact économique des EES. Nous pensons toutefois que pour bien appréhender l'impact économique de ces établissements sur leur territoire, il est essentiel de redéfinir leur rôle systémique en tant que l'un des acteurs du développement économique. 2.3.3 Le modèle de la triple hélice, reflet d'un changement systémique A notre avis, le modèle de la « triple hélice » présenté en 1995 par Etzkowitz (Etzkowitz 1995) apporte à l'analyse du rôle économique des établissements d'enseignement supérieur une dimension qui correspond mieux â l'économie basée sur la connaissance. Du point de vue analytique, ce modèle est différent du modèle des systèmes nationaux d'innovation qui considère que l'entreprise joue le premier rôle en innovation (Lundvall 1992). Il défend l'idée que « la relation entre l'université, l'industrie et le gouvernement est Ia clé du développement de l'économie basée sur la connaissance » (Leydesdorff et Etzkowitz 2001 ). Selon le principe de la triple hélice, l'université est en mesure de jouer un rôle élargi en matière d'innovation dans une économie basée sur ta connaissance. Nous partageons cet avis, s Ce modèle améliore également le modèle des systèmes d'innovation nationaux en faisant une variable de la fonction gouvernementale. De cette façon, il est possible d'étudier dans un cadre cohérent les différents niveaux de gouvernement (européen, national, régional et local) » (Leydesdorff et Etzkowitz 1998). -95- Pour Etzkowitz et Leydesdorff, l'université comprend les universités, mais également les autres institutions productrices de connaissances, l'industrie comprend les start-up, tes technostructures mais également les multinationales et le gouvernement comprend les systèmes de gouvernement aux échelles locale, régionale, nationale et transnationale. D'après ces auteurs, on peut définir trois formes principales de triple hélice (Leydesdorff et Etzkowitz 2001). Dans une première configuration (triple hélice I), fEtat-nation encercle les entités universitaires et industrielles et dirige les relations entre elles. Un deuxième modèle (triple hélice II) est formé de sphères institutionnelles distinctes ayant entre elles des frontières très nettes et des relations très circonscrites. Finalement, le modèle le plus poussé (triple hélice III) prend la forme d'« une infrastructure de la connaissance dans laquelle les sphères institutionnelles se chevauchent, chacune assumant le rôle de l'autre, ce qui donne naissance à des organismes hybrides aux interfaces » (Leydesdorff et Etzkowitz 2000) : Etablissements d'enseignement supérieur nancéiens Territoire et tissu de production territorialisé Le stock de compétences spécifiques I1 présent dans les établissements d'enseignement supérieur nancéiens, s'est constitué dès la création des facultés des Lettres et des Sciences en 1854, essentiellement grâce aux coopérations soutenues avec les collectivités locales et les grandes entrepnses régionales, qui avaient accès au réseau économique de l'économie monde. Ces entreprises étaient à la pointe de leur métier au niveau international et avaient besoin de connaissances spécialisées (cf. Figure 2) de pointe, pour renforcer leur compétitivité, connaissances qu'elles ont aidé à se constituer sur leur territoire d'ancrage. Nous avons choisi de terminer cette phase en 1977, sur la base des évolutions de l'emploi dans la zone d'emplois de Nancy Pour nous, la création du technopôle marque le début d'une nouvelle époque. Après, entre 1978 et 1997, les interactions avec les entrepnses locales ont fortement diminué par manque de partenaires industriels. Les entrepnses restantes sur le territoire ne possédaient plus en interne les compétences nécessaires à l'utilisation du stock de compétences spécifiques I des EES. Les relations entre ces derniers et leur territoire se sont -212- étiolées pour ne plus représenter qu'une faible partie de leurs liens avec des entreprises. Pour garder leur niveau d'excellence internationale, les chercheurs nancéiens ont été obligés, durant cette période, de développer leurs relations à l'échelle internationale avec les grands groupes industriels de l'époque. La transformation de l'héritage s'est faite grâce aux relations que les chercheurs ont développées avec les grandes entreprises, dont le siège était situé en dehors de la Lorraine. Ces coopérations ont permis aux chercheurs nancéiens de faire évoluer leurs connaissances spécialisées et de constituer un nouveau stock de compétences spécifiques II, par exemple dans le domaine des matériaux, de Ia santé, etc. Jusqu'à très récemment, ce travail cognitif lent s'est déroulé de manière quasi a-territoriale. Les responsables universitaires rencontrés en 1996 jugeaient alors que 15% de leurs relations partenariales avec les entreprises locales, c'était déjà beaucoup 1 Ces compétences spécifiques ne sont pas toujours liées à un domaine de recherche, comme les matériaux, l'agroalimentaire (sous la forme nouvelle de la production de molécules) ou la santé. Elles peuvent également prendre la forme de capacités dans l'innovation, l'ingénierie de projet, mais également de la capacité à se voir comme les meilleurs au monde et dans la prise de risque. Pour nous, le projet Artem-Nancy montre bien les effets positifs pour le territoire du stockage et de la transformation de compétences par le milieu universitaire. Il prouve clairement, par exemple, que certains universitaires nancéiens n'ont pas oublié l'ancienne grandeur de Nancy. Les dirigeants de l'Ecole des Mines, en particulier, sont conscients de la supériorité de leur école et n'ont aucun complexe à afficher le désir de devenir les égaux des grandes universités internationales que sont Stamford, le MIT ou le ZKM de Karlsruhe : « L'objectif n'est n'en moins que de créer à Nancy le premier lieu national de formation et de recherche au carrefour de la création artistique et de la création technologique en l'installant dans un réseau d'excellence internationale comprenant des universités et établissements aussi prestigieux que le MIT et le ZKM de Karlsruhe » {Hardy et Cremet 2002). Cette capacité n'est vraiment pas anodine et elle n'est pas due au hasard, surtout lorsque l'on connaît l'état actuel des locaux de l'EMN I Elle montre le maintien sur le territoire du Grand Nancy, dans certaines institutions universitaires, de capacités cognitives en mesure de concevoir, de programmer et de mettre en place des grands projets de dimension internationale, au sens du tenne anglais de « flagship project », qui visent tout simplement à l'excellence au niveau mondial. Dans le domaine de la santé, par contre, l'héritage culturel semble constituer un inhibiteur de développement qui a un effet négatif pour le territoire. La réputation de la faculté de Médecine, que nous avons pu vérifier tout au long de notre travail de consultant, est que ses chercheurs ne s'intéressent nullement au développement économique de l'agglomération. Ce milieu semble fonctionner selon des principes dignes de la première partie du XX* siècle, où seuls comptaient la gloire et les honneurs académiques. Cela explique certainement pourquoi, alors que la recherche est de qualité et de réputation internationale, nous ne pouvons qu'observer la montée en puissance d'agglomérations comme Strasbourg ou Lille, -213- au détriment de Nancy, ou la quasi-disparition du pôle GBM et le non-développement de la vague de création d'entreprises du secteur de la santé au milieu des années quatre-vingt-dix. Bien sûr. ce milieu universitaire conserve ses capacités à créer de nouvelles entreprises, comme le montrent les projets incubés dans l'incubateur lorrain. Il garde également la capacité de se restructurer et de développer des projets structurants, comme le montre la mise en place du biopôle. Cependant, personne ne peut dire aujourd'hui si le futur responsable du biopôle sera accepté par le milieu nancéien des facultés de Médecine et de Pharmacie et s'il arrivera à générer, enfin, sur la base de ses recherches et de celles de ses collègues chercheurs, un véritable impact sur le développement économique du territoire. Des potentiels existent pour des interactions entre les recherches en médecine et en informatique, entre la santé et les biotechnologies, etc. Seront-elles valorisées ? Il est trop tôt pour le savoir. Pour nous, la seule certitude est que cette valorisation ne sera possible que si le milieu académique des facultés de Médecine et de Pharmacie comprend que demain, les universités de réputation mondiale seront celles qui auront réussi à générer un tissu d'entreprises innovantes à leur périphérie. La nouvelle stratégie des grands groupes pharmaceutiques, qui préfèrent aujourd'hui travailler avec les start-up innovantes issues de l'université plutôt qu'avec les laboratoires eux-mêmes, est l'un des premiers signes qui confirment cette affirmation. Nous venons de voir que le milieu universitaire nancéien n'est pas monolithique et qu'il ne s'adapte pas à l'économie basée sur la connaissance â une seule et même vitesse. Mais cela est-il vraiment surprenant ? Comme Calarne t'a bien montré. « dans un système bio-socio- technique comme nos sociétés développées, tout n'évolue pas à la même vitesse et il faut donc mener simultanément des actions qui s'inscrivent dans des échelles de temps différentes » {Calarne et Talmant 1997). Nous pensons que les collectivités territoriales et les autres acteurs du milieu innovateur jouent un rôle essentiel dans le renforcement des liens entre les laboratoires et le tissu d'entreprises locales. En effet, leurs financements dans le cadre du Plan Etat-Région sont assez importants pour faire émerger des projets qui facilitent la prise de conscience par certains responsables de laboratoires qu'ils ont tout intérêt â développer la valorisation économique de leurs travaux ; ces moyens peuvent également faciliter l'émergence de points d'interaction entre le milieu de la recherche et le milieu économique local et régional. C'est ce que nous allons maintenant analyser. -214- 3.4.4 Un milieu innovateur qui s'adapte à l'économie basée sur la connaissance sans en être conscient Aborder le thème du milieu innovateur nancéien ne peut se faire sans commenter la décision, prise en 1978, de créer l'un des premiers parcs d'innovation français : Nancy-Brabols. Sa création a été possible grâce à la décision de la commune de Vandoeuvre, au début des années soixante, «de parier sur l'enseignement et la recherche en prélevant de vastes terrains prévus initialement pour la ZUP pour les céder à la faculté des sciences. Vandoeuvre aurait pu, comme la plupart des communes alors, établir une zone industrielle ou construire des logements, ce qui aurait assuré des revenus immédiats ; elle préfère les réserver pour ^université » (Choné, Fray et al. 1993). Ce choix constitue le début de l'aventure de Nancy- Brabois. II permettra la création de relations suivies entre la ville et les milieux de renseignement supérieur et engendrera, à terme, l'installation de l'hôpital central et du technopôle. Le technopôle de Nancy-Brabois représente, depuis 1978, le véritable symbole de la volonté de renouveau économique des élus de l'agglomération. Il exprime leur volonté de favoriser les relations entre les laboratoires de recherche et les entreprises. Pendant longtemps, le parc technologique de Nancy-Brabois, géré par l'ADUAN, et sa pépinière d'entreprises PROMOTECH étaient, avec quelques chercheurs pionniers et les services de l'Etat (DRRT et l'ANVAR), les seules institutions nancéiennes â s'occuper des activités de transfert de technologie. Créé au plus profond de la crise industrielle, il reste la fierté de nombreux élus et responsables du développement économique de l'agglomération. L'affichage officiel veut que Nancy-Brabois représente le lieu idéal pour toute entreprise qui cherche à développer des interactions avec le milieu de la recherche nancéien, interactions rendues possibles par a la présence de deux mille cinq cents chercheurs et de deux cents entreprises, qui emploient deux mille quatre cents salariés » (Delon 1997). Toutefois, à notre connaissance, rares sont les entreprises qui profitent réellement de ces possibilités, en dehors des start-up hébergées par la pépinière PROMOTECH ou la plate-forme technologique PRABIL. Nous pensons que bien que ses concepteurs n'aient pas voulu, initialement que Nancy- Brabois devienne une simple zone industrielle de qualité, ce parc technologique est devenu, de fait, un lieu où les entreprises s'installent plus pour envoyer une image de modernité et d'innovation que pour entretenir des relations avec la recherche nancéienne. Nous donnons partiellement raison aux responsables rencontrés, qui considèrent Nancy-Brabois comme une opération immobilière réussie. Toutefois, pour nous, là n'est pas le point essentiel. Nancy-Brabois a bien sûr permis à de nombreuses entreprises, du territoire et d'ailleurs, de se délocaliser sur un site offrant un environnement urbain de grande qualité et une image d'innovation forte. Mais cela n'a -215- représenté qu'un aspect de son impact sur l'économie locale. Nous pensons que la création et le développement de Nancy-Brabois représentent une innovation en soi, un modèle pour l'ensemble des acteurs du milieu nancéïen, qui a entraîné un processus d'apprentissage au travers duquel les responsables locaux ont appris à discuter et à collaborer. Ii ne faut pas oublier que jusqu'en 1989, date de la création par le Conseil régional de Lorraine d'ATTELOR, le réseau de diffusion technologique lorrain, le technopôle était la seule institution qui manifestait sur le territoire nancéien la volonté de développer les échanges locaux entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise, à une époque où ces deux milieux étaient particulièrement cloisonnés. L'innovation que représente le technopôle de Brabois a certainement été la première pierre facilitant la reconversion du tissu industriel. Nancy-Brabois a permis aux responsables des milieux universitaires et industriels de se rapprocher lentement. Nous pensons que ce processus cognitif lent, peu visible, fut pourtant essentiel pour le devenir de l'agglomération. Il est révélateur que la première vague d'entreprises innovantes dans le domaine médical, créées par le milieu universitaire, se soient implantées près de la pépinière d'entreprises PROMOTECH. C'est encore sur le technopôle, aujourd'hui, que se crée le nouveau cluster autour de PRABIL Est-il anodin que le responsable de PRABlL, universitaire mais travaillant à proximité des nombreuses entreprises innovantes implantées sur le technopôle, ait décidé de baser la stratégie de développement de la plate-forme sur l'hébergement de start-up innovantes, alors que ce travail ne faisait pas partie du cahier des charges que lui avait fixé la collectivité territoriale ? L'ambiance du technopôle y est certainement pour quelque chose. A contrario, le responsable du NANClE n'a pensé à une telle stratégie de développement que très tardivement, la structure du Pôle de l'eau ne laissant que peu de place au développement de nombreuses nouvelles entreprises, qui auraient pu être, qui plus est, des concurrents de l'IRH. Nos travaux d'expertise des dernières années sur le pôle de l'eau (Duvinage 1999a), (Duvinage 1999b). (Duvinage 2001a) montrent que même les responsables de l'IRH, entreprise privée, basent leur développement sur une optique de demande de subventions (projet Label), est-ce un hasard ou le résultat d'une ambiance ? Nous pouvons également observer que les responsables des autres CRITT et CRT de l'agglomération, comme APOLLOR et METALL 2T, longtemps restés dans le giron de leur université d'origine, responsables dont personne ne peut remettre en cause les compétences, n'ont pas non plus montré l'envie de développer un milieu favorable à la création d'entreprises innovantes. Peut-être que leur activité ne leur permettait pas de le faire, peut-être cela est-il lié â un manque d'ambiance entrepreneuriale sur leur lieu d'implantation, ou peut-être le secteur des matériaux, symbole de l'ancien tissu de production territorialisé, n'est-il plus à même aujourd'hui de générer la création de nouvelles entreprises innovantes. -216- Nous voyons donc que le technopôle n'est pas seulement une opération immobilière réussie, il semble agir comme une véritable turbine qui favorise la culture d'entrepreneuriat pour les acteurs qui veulent bien s'ouvrir sur les atouts spécifiques que peut apporter une implantation sur ce parc technopolitain. Figure 54 : Les acteurs du transfert de technologie et leurs actions Universités Services de l'Etat Etablissements consulaires Structures d'interface ANVAR CO DRIRI-: CRCI (CRI) DRRT MTIIOR NANCIi: BR-MM)IS CRITT/CRT PRABIl. (£\ THCI INOPOIi PROMOTKCH(CEi) PÒI J-SANTÉ ^" ADUAN KAIX DÈS MATÉRIAUX ^N Entreprises ^ • Personnes intéressées par Ic transfert de technologie et la valorisation. Personnes laissées indifférentes par le transfert de technologie et la valorisation. ©. Personnes t)ue le transfert de technologie et la valorisation n 'intéressent pas. OEcoRegio, 1998. En 1998, nous avions schématisé un graphique avec le système d'acteurs qui assurait le transfert de technologie et la valorisation sur l'agglomération nancéienne. Aujourd'hui, les -217- acteurs sont toujours les mêmes et le milieu ne semble avoir que peu changé ; une analyse précise montre toutefois une forte évolution des interactions entre les membres du milieu. La figure 54 permet de voir que les sociétés anonymes de valorisation que voulaient mettre en place les universités nancéiennes n'ont pas vu le jour. Cette fonction a été assumée par les services de la valorisation qui se sont renforcés et par l'incubateur lorrain. En 1998, nous avions également représenté les relations entre les universités et les entreprises par le graphique de la figure 55 ci-après. Ce graphique montrait clairement que les relations entre les laboratoires, les structures d'interface et les entreprises étaient alors très complexes et peu structurées. Pour nous, la nature de ces relations correspond très clairement à la phase intermédiaire, située entre la rupture du milieu innovateur fonctionnant autour de la sidérurgie et l'apparition d'un nouveau tissu de production territorialisé. Elles sont caractérisées par l'existence d'une multitude de relations entre les acteurs responsables du transfert de technologie et par la méconnaissance du rôle des différents acteurs du milieu d'innovation. Le travail de terrain (Duvinage 2000) a clairement montré que les différentes institutions du milieu d'innovation nancéien ne savaient pas vraiment ce que faisaient les autres institutions du milieu. Il a également montré une forte redondance de l'action des différentes institutions, car de nombreuses structures d'interface réalisaient les mêmes tâches, comme le montre l'exemple des visites directes de laboratoires effectuées par PROMOTECH, les CRITT, la CRCI et l'ANVAR ! A cette époque, le système d'innovation nancéien n'étant pas clairement constitué, les collectivités territoriales comme le Conseil régional et la CUGN saupoudraient leur soutien financier. Cette situation a entraîné une forte déperdition d'énergie et bien des investissements malheureux. Il nous suffit de nous rappeler les difficultés rencontrées en 1998 pour obtenir des informations sur le programme Lorraine Technologie, géré par ATTELOR, pour comprendre que derrière un certain effet d'annonce, certains acteurs au niveau régional ne voulaient pas que l'on voit le peu de résultats concrets de ce programme. Toutefois, nous pensons que cette période était nécessaire, car la connaissance institutionnelle des potentiels du milieu d'innovation lorrain dans ce domaine était trop faible pour qu'il en soit autrement. L'ancien système d'innovation avait disparu avec la crise et le nouveau n'existait pas encore. Comme l'un des principaux responsables politiques de la communauté urtaine ayant connu la rupture économique nous l'expliquait lors d'un entretien, « cette politique de soutien généralisé était une réponse un peu désespérée au choc tenible causé par la fin de la sidérurgie en Lonaine ». -218- Figure 55 : Universités I entreprises : un système diffus Universités el EPST Présidences W Structures' d'interface NANCIE PRABII. POUSSANTE HALLDES MMl Kl U'N ATTELOR CCI CRlIT CRCI PROMOTECII A Y TTTTTT 0 - Personnes intéressées par le transfert de technologie et b valorisation O. Personnes laissées indifférentes par le transfert de technologie et b valorisation. Qy, Personnes que le transfert de technologie et b valorisation n'intéressent pas. Pépinière d'entre i ©EcoRegio, 1998. Les recherches de GiIIy et Pecqueur sur la proximité nous aident, ici, à comprendre ce qui s'est vraiment passé entre 1978 et 1997. Le milieu cherchait alors à recréer de nouvelles liaisons entre les entrepnses et les universités. Cette phase d'essai institutionnel, où les liaisons se faisaient de manière informelle, correspond à la période durant laquelle le milieu nancéien, confronté à la non-efficacité des anciennes routines, a dû « explorer collectivement -219- de nouvelles combinaisons productives et de nouvelles modalités de coopération, c'est-à-dire de nouvelles formes de proximité institutionnelle, aussi bien locales que locales-globales » (GiIIy et Pecqueur 2000). Cette étape souligne l'importance du territoire et de la proximité géographique lorsque la proximité organisationnelle-institutionnelle a disparu suite à la destruction d'un réseau d'acteurs. En effet, les dernières recherches théoriques sur la proximité montrent clairement que « la modification d'un système ne peut se faire que par une densité forte et prolongée des interactions entre les acteurs d'un milieu. Celles-ci gênèrent des processus de séparation/liaison et de rapprochement/éloignement des agents, des organisations et des activités » (GiIIy et Pecqueur 2000). Durant cette phase transitoire, les acteurs du territoire travaillaient â la résolution du problème de production engendré par la crise sidérurgique, au moyen d'une régulation des formes structurelles (héritées du passé) et de l'action collective (anticipant le futur). Pour nous, cette phase, qui a quand même duré plus de vingt ans, s'est terminée avec le XXe siècle. Elle est caractéristique des deux contrats de plan Etat-Région précédant le Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006. Aujourd'hui, la répartition des tâches entre les acteurs du milieu est clairement définie et il ne reste que très peu de superpositions de compétences, observées en 1998. Le système est clarifié, comme le montre la figure 56, et chacun connaît son rôle et celui des autres structures et institutions du milieu innovateur. Il y a donc ici aussi une meilleure connaissance du fonctionnement global du milieu par ses différents acteurs. Cette clarification est apparue lentement, elle a été favorisée par : la volonté des collectivités locales, en particulier le Conseil régional et la Communauté urbaine du Grand Nancy, de comprendre les effets sur l'économie locale et régionale de l'activité des universités, qu'ils finançaient en partie dans le cadre de leur compétence « développement économique » ; la prise de conscience au niveau national et européen de l'importance de la valorisation et de la création d'entreprises innovantes pour le devenir de l'économie française et européenne. Les pressions extérieures sur les établissements d'enseignement supérieur ont entraîné une réappropriation progressive des activités de valorisation par ces institutions, qui a entraîné une prise de conscience de la structure du système d'innovation par l'ensemble des acteurs du milieu innovateur nancéien et lorrain. Aujourd'hui, comme le montre la figure 56, le système s'est structuré selon deux cheminements bien déterminés : la valorisation universitaire par des contrats partenariaux, en vert ; et la création d'entreprises, en jaune. -220- Figure 56 : Universités I entreprises : un système clarifié Universités et EPST Présidences . Personnes intéressées par Ic transfert de technologie et la valorisation. Ky • Personnes laissées indifférentes par le transfert de technologie et la valorisation. \Qt Personnes cjuc Ic transfert de technologie et la valorisation n'intéressent pas. -221- Le travail de terrain que nous avons effectué depuis 1996 nous permet de dire que le (acteur qui a véritablement permis de clarifier le système nancéien est le changement d'attitude des établissements d'enseignement supérieur envers la valorisation. Prenons l'exemple des visites directes de laboratoires, jusqu'à très récemment menées par PROMOTECH, les CRITT, la CRCI et l'ANVAR, parfois sans que ces institutions n'informent les présidences universitaires. Aujourd'hui, elles sont réservées aux services de valorisation des universités, qui sont devenus un trait d'union obligatoire entre le milieu d'acteurs local et les chercheurs des laboratoires, même si ceux-ci entretiennent encore des liaisons directes avec les départements de recherche des grands groupes industriels et avec leurs partenaires traditionnels. Au niveau de la création d'entreprises, nous observons que les responsables politiques de la CUGN poussent les structures d'interface à développer une chaîne d'acteurs qui se complètent pour aider les créateurs d'entreprises. La période où toutes les structures d'interface faisaient un peu de tout est finie, maintenant leur action est clairement définie et cadrée, ainsi que les soutiens financiers publics mis à disposition pour rendre possibles ces actions. Cette évolution s'est traduite en 2001 par la création par douze institutions de l'agglomération (PROMOTECH, ALEXIS, les incubateurs, PFIL, les Chambres de commerce, etc.) d'un réseau pour suivre l'ensemble du processus de création d'entreprises. Trois objectifs se dégagent pour ce réseau : Assurer une meilleure connaissance du réseau ; Assurer le suivi du porteur de projet ; Assurer la pertinence du dispositif. La clarification du système est également liée à la meilleure connaissance par le milieu des connaissances présentes dans les laboratoires qui peuvent être transformées en compétences mobilisables. Cette évolution se traduit par une focalisation lente mais certaine de l'aide des collectivités lorraines sur certains laboratoires travaillant dans des secteurs de recherche, définis par les collectivités territoriales comme prioritaires pour le développement de l'économie régionale et locale. Nous observons que le soutien des collectivités se porte sur les secteurs qui ont généré la création et le développement de structures d'interface dynamiques : METALL 2T, APOLLOR, PRABIL et le CRT Eau-Environnement ; les autres CRITT (Epee, Anlest, GBM, Microlor) n'ont plus beaucoup de consistance institutionnelle et économique. Ces plates-formes travaillent de manière régulière avec les chercheurs des laboratoires de leur domaine et avec les entrepreneurs et les créateurs d'entreprises. Pour nous, elles représentent les lieux où les producteurs de connaissances scientifiques peuvent entretenir avec leurs partenaires industriels ces interactions constantes qui génèrent une pollinisation -222- croisée entraînant la (»production de connaissances entre les chercheurs et les entrepreneurs Elles sont donc à même de fournir au milieu ce type d'interactions dynamiques caractéristiques de l'économie basée sur la connaissance, où les échanges entraînent eux- mêmes la création de nouvelles connaissances. Nous pensons que bien gérées, ces structures pourraient permettre au Grand Nancy de profiter pleinement de l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. Nous comprenons mieux maintenant pourquoi le milieu universitaire a eu tant de difficulté à accepter et à intégrer ces structures hybrides. En effet elles symbolisaient une externalisation partielle de la production de connaissances hors de l'institution. Cette externalisation ne pouvait être que difficilement acceptée par le milieu universitaire qui se voyait en partie dépossédé d'une composante de son métier. Figure 57 : Les plates-formes technologiques au cœur de la production de connaissances au sein de l'économie basée sur la connaissance Production de connaissances Exploitation aléatoire de la connaissance pour la production de nchess.es Exploitation systématique et consciente de la connaissance pour la production de richesses ILJLJ '_ll Firme Ancien type d'interactions au sein ile !"économie Firmes ^N Nouveau type d'interactions au sein de l'économie basée sur la connaissance Il est révélateur que la plate-forme technologique qui a le plus de difficulté actuellement à trouver sa place dans le système d'innovation de l'agglomération nancéienne, le NANCIE, est celle qui a tenté de créer en son sein un service de la recherche, sorte de doublon du travail fait dans les laboratoires. Nous remarquons également qu'elle n'a pu survivre qu'en générant -223- en son sein un CRT qui assure l'interface avec les PME-PMI lorraines. Nous pensons qu'à terme, ce CRT représentera l'activité principale de cet organisme, qui aujourd'hui n'a plus vraiment sa raison d'être dans le milieu d'innovation nancéien. Aujourd'hui, ta place des plates-formes technologiques semble claire pour tous : Elles représentent les génératrices de valeur ajoutée à l'interface de plusieurs domaines de recherche, que ne peuvent pas être les laboratoires ; Elles permettent au milieu universitaire et aux entreprises innovantes d'entretenir des relations régulières ; Elles soutiennent la création d'entreprises par les jeunes chercheurs en aval de l'université et de l'incubateur ; Elles offrent à leurs clients industriels des prestations de services à haute valeur ajoutée, liées à l'expertise de leurs salariés et à la qualité de leur matériel. -224- 3.5 Les ébauches d'une stratégie de gouvernance territoriale de la connaissance Nous avons vu que la restructuration qu'a connue le milieu innovateur nancéien a fait apparaître une nouvelle proximité organisationnelle et institutionnelle entre : le milieu universitaire, dont la restructuration est en cours ; les acteurs d'interface, qui trouvent lentement leur nouvelle place dans le système ; et quelques entreprises innovantes, qui pourraient constituer, à terme, le futur tissu de production territorialisé. Nous avons également vu que les collectivités territoriales lorraines, assistées de chercheurs pionniers et des responsables des structures d'interface, chargés de développer les transferts technologiques et le développement économique, ont mis en place un système qui correspond exactement au modèle de la triple hélice et prend la forme « d'une infrastructure de la connaissance dans laquelle les sphères institutionnelles se chevauchent, chacune assurant le rôle de l'autre, ce qui donne naissance à des organismes hybrides aux interfaces » (Leydesdorff et Etzkowitz 2000). Toutefois, le territoire peine encore à faire émerger un nouveau tissu de production territorialisé. Nous pensons que cette situation est largement due aux difficultés de certains dirigeants d'institutions locales (politiques, universitaires, administratives, etc.) à remettre en cause leur manière de gouverner. La création d'une communauté urbaine, la conclusion de contrats quadriennaux entre les responsables de laboratoires et les établissements ou les concertations lors de la fixation de la stratégie du plan Etat-Région représentent des innovations organisationnelles qui vont dans le sens d'une meilleure gouvernance entre les acteurs régionaux et locaux. Toutefois, notre travail sur le terrain nous a permis de voir que la mentalité du milieu est encore largement marquée par l'organisation hiérarchique des différents niveaux de pouvoir, ce qui a entraîné quelques exemples typiques d'une mauvaise gouvernance entraînant des effets négatifs sur le développement économique local. Cette mauvaise gouvernance crée des blocages et souvent empêche certains projets de voir le jour, alors qu'ils auraient été positifs pour le développement économique de l'ensemble du territoire. Elle se traduit par la difficulté de l'agglomération de Nancy à générer, attirer et conserver des femmes et des hommes d'exception, capables de faire évoluer les grandes institutions nancéiennes pour les adapter à l'économie basée sur la connaissance. Il semblerait qu'une partie du milieu d'acteurs ne supporte plus les fortes personnalités charismatiques. L'idée que Nancy ne possède plus de leaders capables de transformer la ville et de lui donner un avenir à l'égal de son passé, que ce soit dans le domaine universitaire, politique ou économique, est souvent revenue lors de nos discussions avec les -226- responsables locaux. Est-ce la nostalgie de l'époque des grands hommes ou une réalité, nous laisserons la question ouverte ! Nous oonsidérons que, même si elle est essentielle au développement d'un territoire, la présence de personnalités hors du commun ne fait pas tout. Nous sommes convaincu que maintenant que le milieu innovateur a clarifié son propre fonctionnement et pris conscience des connaissances et des compétences mobilisables pour le développement économique, les efforts futurs devraient se concentrer sur la mise en place d'une gouvernance territoriale de Ia connaissance qui se traduirait par un « système de gouvernement conçu comme un processus complexe de coordination et d'ajustement mutuel entre acteurs » (Godard 1997) et par l'oubli du modèle d'organisation hiérarchique. Pour décrire la gouvernance territoriale de la connaissance, nous utiliserons l'exemple d'un projet en cours : la maison de la finance. Ce projet fait suite à la prise de conscience par le milieu de la présence dans l'agglomération de compétences spécifiques à forte valeur ajoutée dans le domaine de la banque et de la finance. Cette constatation s'est faite dans le cadre des réunions de travail de l'association APROFIN, qui réunit des experts comptables, des commissaires aux comptes, des directeurs de banques de la place financière nancéienne et des responsables de formation dans les domaines bancaire et financier. Lors de ces réunions, l'élu en charge du développement économique de la CUGN a pris conscience de la taille, de l'expertise et du dynamisme de la place financière nancéienne et de la formation dans ce domaine : Nancy est le deuxième pole national de formation bancaire, après Paris. Cette place financière existait, mais personne au niveau politique n'avait compris l'importance économique de sa présence. L'élu a également constaté que cet atout est en danger, car il correspond â un acquis issu de l'ancien tissu de production territorialisé et non de l'activité économique actuelle. En effet, certaines évolutions dans le domaine de la finance et de la banque indiquent une force d'attraction grandissante de l'agglomération messine et le risque pour Nancy de perdre le siège régional de certaines banques, suite aux nombreuses restructurations de ce secteur au niveau régional. Une réaction rapide était nécessaire pour permettre à Nancy de garder ses actifs spécifiques historiques qui seraient très difficiles à regagner en cas d'évolution négative. Ue choix stratégique s'est porté sur la création d'une maison de la finance qui réunira, â terme, l'ensemble des formations professionnelles et universitaires dans ce domaine. Ce bâtiment doit symboliser, l'excellence nancéienne au niveau national et international et par là même la renforcer. Ce projet montre l'importance de la mise en place de processus de gouvernance territoriale de la connaissance. En effet, sans conscience de cet atout et sans coopération entre les milieux politique, bancaire et universitaire, l'agglomération aurait lentement perdu l'un de ses derniers grands atouts spécifiques liés à l'ancien tissu de production territorialisé du début du XXe siècle. -227- Figure 58 : La CUGN et le Conseil régional au cœur des processus de gouvernance territoriale de la connaissance /T Etablissements d'enseignement supérieur nancéiens Production de connaissances 1854-1977 Stock de compétences spécifiques I I issu de production tcrritorialisé (phase de développement 1) Durée d'un cycle de développement économique 1978-1998 Evolution des compétences spécifiques acquises 1998 - oac ( iini\crnar territoriale de la connaissance action I CR. etc I Période inter-cycle Tissu de production territorialisé (phase de développement 2) Nouveau type d'interactions :iu sein de l'économie naissance Durée d'un nouveau cycle de développement Aujourd'hui. il existe de nouveau des perspectives pour le développement de ce secteur d'activités grâce à des réflexions pour créer de nouveaux atouts spécifiques, comme une offre immobilière adaptée qui permettrait au Grand Nancy de valoriser pleinement sa localisation géographique à proximité de la place financière luxembourgeoise (Duvinage 2001b). A l'avenir, la capacité des élus nancéiens à initier, fédérer, accompagner et valoriser des projets complexes comme ceux du Biopôle, d'Artem-Nancy, de la maison de la finance, de -228- DECILOR, etc. représentera un facteur essentiel pour le développement économique de l'agglomération et de la région Lorraine. Ils doivent donc prendre conscience que nos sociétés développées représentent un monde où la prise en compte de la complexité et sa a mise en musique » par un processus de gouvernance territoriale de la connaissance représentent l'une des principales clés de la réussite future d'un territoire. Toutefois, nous pensons que cela ne sera pas entièrement suffisant pour permettre à ce territoire de connaître un développement fort. Le deuxième aspect essentiel pour l'avenir du territoire est la création d'un nouveau tissu de production temtorialisé, lié à l'activité des établissements d'enseignement supérieur. Aujourd'hui, l'idée largement répandue parmi les décideurs politiques est que ce tissu proviendra de la création d'un réseau de start-up innovantes en aval des EES. Nous sommes convaincu que ce n'est qu'un des aspects des changements liés à l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. En effet, nous pensons que si la libéralisation de l'économie n'est pas remise en cause, l'économie basée sur la connaissance entraînera une nouvelle répartition des activités de recherche entre le secteur public et le secteur privé. Le premier ne conservera que la recherche fondamentale ; la recherche appliquée sera faite dans le cadre de laboratoires privés. Cette évolution sera renforcée par les transformations de la relation entre les producteurs et les consommateurs de connaissances. Les universités nancéiennes étant très engagées dans des activités contractuelles, nous pensons qu'à moyen terme, nous assisterons à l'émergence d'un nouveau tissu de laboratoires privés en aval de l'université, dont l'activité principale sera la production de connaissances à but économique. Les exemples des plates-formes, des CRT et des petites start-up innovantes ne sont pour nous que les précurseurs de ce qui pourrait être la norme à l'avenir pour de nombreux chercheurs. La création des SAIC nous semble un indicateur de cette évolution. Nous pensons que les élus locaux et régionaux doivent tout faire pour privilégier cette évolution, car elle pourrait recréer la potion entrepreneuriale qui a permis à la Lorraine d'être au cœur de l'économie monde du XIX* siècle et du début du XXe siècle : les interactions stimulantes entre des entreprises privées et des laboratoires de recherche publics qui dépendaient mutuellement les uns des autres pour maintenir leur niveau d'excellence international ; celles-ci prenant naturellement une forme différente. Il est intéressant de remarquer qu'actuellement, le seul développement significatif d'un pôle d'entreprises innovantes se fait dans un secteur qui dispose d'une plate-forme technologique, conçue pour répondre aux besoins des entreprises, et un d'un laboratoire privé, leader mondial dans son domaine d'activité : les Laboratoires Sérobiologiques. Aujourd'hui, le Grand Nancy n'accueille que très peu de laboratoires privés qui stimuleraient l'émergence de start-up et l'activité de recherche fondamentale des laboratoires publics : c'est peut-être la pièce manquante au puzzle nancéien ; bizarrement cette question n'a -229- jamais été abordée jusqu'à présent par les responsables du développement économique de l'agglomération I Il semblerait qu'à Grenoble, la présence de laboratoires publics possédant un niveau d'excellence mondial dans la recherche fondamentale ait entraîné l'implantation de laboratoires de recherche privés et ensuite d'entreprises de production industrielle. La question ici est de savoir dans quels secteurs de recherche fondamentale le niveau d'excellence des établissements d'enseignement supérieur nancéiens est suffisamment bon au niveau international pour attirer des laboratoires privés. Si notre intuition se révèle exacte, le nouveau type d'interactions au sein de l'économie basée sur la connaissance que nous avons décrit dans notre modèle théorique se fera dans ces laboratoires privés. Ils répondront aux besoins des entreprises et feront de la recherche appliquée dans ce but. Ils seront en relation avec les établissements d'enseignement supérieur pour garder un lien avec la recherche fondamentale. Ce seront les acteurs du renouveau économique de l'agglomération. Aujourd'hui, nous pensons que les laboratoires nancéiens possèdent des compétences reconnues internationalement dans le génie des procédés et les matériaux. Ces secteurs pourraient générer de l'activité au niveau international, mars bien souvent les efforts commerciaux pour une telle valorisation ne sont pas faits de manière systématique. La création d'Artem-Nancy pourrait peut-être générer un nouveau domaine de recherche aux interfaces entre recherche scientifique, artistique et en sciences humaines, où les EES nancéiens seraient à la pointe de la recherche ; il pourrait en aller de même pour le biopôle. Si le niveau d'excellence des laboratoires nancéiens ne se révèle pas en adéquation avec les besoins des acteurs économiques, alors cette activité pourrait connaître un avenir difficile. Serait alors détruit le dernier pan de l'ancien système de production territorialisê qui avait réussi jusqu'à présent, de par sa résistance institutionnelle et l'importance des investissements publics, à maintenir partiellement un niveau d'excellence équivalent à l'âge d'or de la première révolution industrielle. La philosophie du projet de système d'intelligence économique DECILOR, mis en place par le Conseil régional de Lorraine, montre clairement que les progrès des nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent provoquer l'éviction rapide des producteurs de connaissances régionaux, avant même qu'ils puissent réagir. Les impacts de la recherche de l'excellence et la capacité à générer de la proximité institutionnelle deviennent alors bien plus puissants que la proximité géographique. Nous pensons que l'un des grands enjeux pour l'avenir économique de l'agglomération se trouve bien être la capacité de ses établissements d'enseignement supérieur à maintenir leur niveau d'excellence international dans la recherche fondamentale et leur volonté, enfin, de valoriser de manière économique au niveau international les compétences spécifiques acquises au cours des cent dernières années. -230- Figure 59 : Un modèle théorique adapté qui éclaire les évolutions nancéiennes Etablissements d'enseignement supérieur nancéiens Production de connaissances fondamentales et appliquées Production de connaissances fondamentales 1854-1977 Stock de compétences spécifiques I 1978-1998 Evolution des compétences spécifiques acquises 1998- DGC O Stock de compi-' spécifiques II I issu de prod lutidii terrilorialisé (phase de développement I) 1 mance territoriale (fa la connaissance (action ' CR. etc) Tissu de production territorialisé (phase de développement 2) I Nouveau type de production de connaissances appliquées au sein de l'économie de la coonaianaM DECILOR : Système non territorial d'intelligence économique -231 - Conclusion générale Au début de ce travail de recherche, je considérais qu'il ne me faudrait que peu de temps pour rédiger cette thèse, ayant l'habitude d'écrire six pages par jour en tant que consuttant. Je ne savais pas alors que je me lançais dans une aventure intellectuelle qui allait bousculer mes idées reçues et changer ma manière de percevoir l'économie régionale et la société dans laquelle je vis. En effet, je me suis vite aperçu que rédiger une thèse sur l'économie basée sur la connaissance n'avait rien à voir avec fa rédaction d'un simple rapport de consultant I Comment prendre position sur un tel changement systémique de l'économie et de la société sans réfléchir aux questions de pouvoir, d'autorité, de répartition des richesses créées, du vivre ensemble au sein de nos sociétés développées et des relations entre l'économie et le vivant (Passet 1996) ? Ce travail de réflexion a entraîné une véritable remise en question de ma manière de voir le développement territorial et les rapports sociaux. Je suis aujourd'hui convaincu que nous entrons dans une ère nouvelle, ce qui entraînera pour mes contemporains et moi-même des changements aussi importants que pour les personnes qui ont connu la transition entre le monde rural d'avant 1850 et l'ère industrielle. La révolution de l'économie basée sur la connaissance Le premier chapitre m'a permis de montrer pourquoi le concept de l'économie basée sur la connaissance est bien plus riche que les concepts antérieurs de post-fordisme, d'économie de l'information ou de nouvelle économie, car c'est un concept global qui explique les changements systémiques de nos sociétés contemporaines, au niveau économique ou politique. Bien sûr, la connaissance a toujours été au cœur du développement économique mais les économistes classiques n'ont jamais véritablement porté leur attention sur le changement technologique ou sur la connaissance. Ils considéraient que la création de richesses était obtenue a partir de trois facteurs de production communément appelés le capital, le sol et le travail, le progrès technologique restant une boite noire. Aujourd'hui, les économistes convaincus de l'émergence d'une économie basée sur la connaissance suggèrent l'idée d'une rupture entre les processus de croissance et les modes d'organisation de l'économie contemporaine et les périodes antérieures. Ils considèrent que la théorie économique doit évoluer pour prendre en compte le fait que la connaissance est devenue un quatrième facteur de production â part entière. Hayek, Simon et Machlup ont été trois grands précurseurs de l'économie basée sur la connaissance, car dans leur travaux, ils n'ont pas limité la connaissance au simple domaine de la science et de la technologie. Toutefois, il a fallu attendre les travaux menés dans les années quatre-vingt-dix par Lundvall (Lundvall et Johnson 1994) et Foray (Foray et Lundvall 1997), (Foray 2000), par l'OCDE (OCDE 2000), (OCDE 2001a) et par le Commissariat au -232- Plan (Paillard 2001) pour atteindre une nouvelle étape dans la prise en compte de la connaissance par les économistes et les responsables politiques. Dès 1994, Lundvall défend l'idée de l'existence d'une économie de la connaissance et il affirme que « la connaissance est la ressource fondamentale au sein de notre économie contemporaine et l'apprentissage le processus le plus important* (Lundvall et Johnson 1994). Plus récemment Foray affirme que « nos économies contemporaines peuvent être considérées comme des économies dans lesquelles la part des emplois intensifs en connaissance s'est considérablement accrue, le poids économique des secteurs d'information est devenu déterminant et la part du capital intangible a dépassé celle du capital tangible dans le stock réel de capital [...] la principale caractéristique de cette économie est l'augmentation des ressources consacrées à la production et à la transmission des connaissances (éducation, R&D, coordination économique) » (Foray 2000). Pour moi, Veltz ajoute deux dimensions essentielles à l'analyse des changements entraînés par l'émergence de cette économie : * celle des modes de déploiement et d'incorporation des connaissances dans l'économie," celle de la transformation des régimes de production de la science elle-même, qui se développe de plus en plus en liaison directe avec les problèmes industriels » (Veltz WOO). A ce point de la réflexion, il m'a semblé important de définir le terme de connaissance. Je suis parti de la définition fournie par Aristote, qui décomposait la connaissance en trois savoirs : le savoir factuel, la sagesse pratique et le savoir-faire. J'ai ensuite utilisé les travaux de Lundvall, qui a enrichi le concept d'Aristote en ajoutant une dimension sociale à la connaissance, car il considère que la connaissance « implique des interactions entre des individus, des organisations ou des institutions» (Lundvall 1992). Pour Lundvall, la connaissance peut se décomposer en savoir factuel, en savoir intellectuel, en savoir-faire et en savoir relationnel. Le Moigne trouve cette approche intéressante car « elle enrichit le modèle classique signe, signifiant, signifié de Weaver et Monis » (Le Moigne 1998). Pour comprendre la position particulière que peut occuper la connaissance en tant que facteur de production, j'ai ensuite entrepris une analyse détaillée de sa dimension tacite et de sa caractéristique de bien public particulier, ainsi que de l'importance des processus d'apprentissage. Foray considère, par exemple, que « les processus d'apprentissage sont l'une des bases du dynamisme de l'économie moderne car ils sont au cœur du processus de reproduction de la connaissance et ce sont eux qui permettent une augmentation et le renouvellement du stock de connaissances » (Foray 2000). J'ai abordé ensuite le thème de l'innovation, que je considère comme le principal produit économique de la connaissance. Ce travail m'a permis de montrer que tes différentes conceptualisations des cycles de l'innovation, dont celle de Kline et Rosenberg (Kline et -233- Rosenberg 1986), ne prenaient pas en compte les caractéristiques de l'économie basée sur la connaissance. J'ai donc proposé un nouveau modèle d'innovation qui en tient compte. Dans ce modèle, je défends l'hypothèse que la connaissance n'est plus produite pour être produite mais qu'elle est utilisée de manière consciente et systématique pour la production de connaissances et le développement économique. Je défends également l'hypothèse que les agents économiques sont devenus coproducteurs de connaissances et non plus simples utilisateurs. Nous sommes passés d'un mode d'utilisation où les utilisateurs puisaient d'une manière minière dans un stock de connaissances disponibles, selon leurs besoins du moment, à une production de connaissances faite en commun entre les producteurs et les consommateurs, dans un processus d'interactions constantes. Pour moi, ces changements entraînent une évolution du role économique et des relations qu'entretiennent l'ensemble des acteurs institutionnels d'un milieu innovateur. Ils posent en particulier des questions sur la nature des relations entre tes laboratoires publics et les entreprises, et sur les modes de gouvernance qui doivent être mis en place pour favoriser la création de valeur ajoutée au sein de l'économie basée sur la connaissance. Le rôle économique croissant des territoires et des établissements d'enseignement supérieur Dans le deuxième chapitre, j'ai cherché à montrer l'impact de l'économie basée sur la connaissance sur tes territoires et le role économique que peuvent jouer les établissements d'enseignement supérieur dans leur territoire d'ancrage. Ce chapitre m'a également permis de montrer l'importance des changements que connaissent les systèmes de gouvernement suite à cette évolution économique. J'ai défendu l'idée que te véritable enjeu de la gouvernance était la diminution du rôle de l'Etat. Pour moi, la gouvernance entraîne un processus de « glocalisation » qui correspond à une double réarticulation des échelles politiques (vers l'échelle locale et régionale et vers l'échelle de l'Union européenne) et à une redéfinition des relations entre les différents acteurs et institutions d'un territoire. Godard décrit bien cette situation lorsqu'il écrit : « l'apparition du concept de gouvernance urbaine ou de gouvernance territoriale permet de dépasser les conceptions monocentrées des scènes politiques locales et les approches strictement institutionnelles du gouvernement politique et de se pencher sur les mécanismes de négociation entre différents groupes dont les rapports se définissent à la fois par fa compétition et la coopération » (Godard 1997). Je pense que les travaux des économistes régionaux sur les territoires et sur la gouvernance territoriale sont le reflet d'un processus politique majeur : la remise en question de la notion de l'Etat, comme elle avait été définie lors du traité de Westphalie de 1648, qui entraîne la diminution du poids politique et des moyens d'action des Etats centraux ainsi que le renforcement du poids politique et économique des régions. Cette évolution permet aux territoires de retrouver une certaine autonomie et elle donne aux acteurs locaux et régionaux -234- la possibilité de développer une stratégie de développement adaptée à l'économie basée sur ta connaissance. A ce stade de la réflexion, j'ai trouvé important d'expliquer pourquoi l'économie basée sur la connaissance renforce la polarisation de l'innovation et redonne de l'importance à ta proximité géographique, malgré te développement rapide des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Cette évolution a été analysée dans le cadre des travaux sur la proximité, les systèmes d'innovation nationaux et les systèmes productifs et d'innovation locaux. J'ai trouvé opportun de décrire ensuite les travaux réalisés sur les districts industriels et les milieux innovateurs, deux approches qui mettent en avant l'importance de la proximité territoriale et de la diffusion de technologies pour le développement économique territorial. Cette description m'a permis de montrer que ces deux approches ne prennent que très peu en compte le role économique des établissements d'enseignement supérieur. A mon avis, elles ne donnent pas une Image juste du role économique que ces institutions peuvent avoir en cette époque d'émergence de l'économie basée sur la connaissance. J'ai ensuite expliqué que les approches keynésiennes traditionnelles analysant l'impact économique des établissements d'enseignement supérieur ne sont pas suffisantes pour prendre en compte l'ensemble des effets économiques territorialisés que génère l'activité de ces institutions. Après avoir décrit le modèle de la triple hélice élaboré par Etzkowitz (Etzkowitz 1995), qui représente un progrès par rapport aux analyses keynésiennes, j'ai défendu l'hypothèse que tes établissements d'enseignement supérieur sont devenus des acteurs centraux pour le renouveau des tissus de production territorialisés. En effet, pour moi, ces producteurs de connaissances ont, de par leur résistance institutionnelle sur le long terme, la capacité de stocker certaines connaissances et compétences spécifiques. Je soutiens que cette particularité est essentielle lors des périodes de rupture de filiation entre deux milieux innovateurs ou deux tissus de production territorialisés. Lors de mes recherches, je n'ai trouvé aucun texte donnant une explication des processus qui permettent le renouveau d'un tissu de production territorialisé après sa destruction. Pour corroborer cette hypothèse, j'ai ensuite montré comment les établissements d'enseignement supérieur français redécouvrent lentement ce role. D'abord par leur participation à la création de technopôles à partir des années soixante-dix. Ces derniers sont véritablement le symbole des premiers essais de créer des interactions entre le monde de la recherche et les entreprises, même si cette dynamique se basait sur un mythe fondateur qui s'est révélé inexact : « la proximité spatiale d'unités de recherche, d'enseignement supérieur, d'entreprises devait suffire à créer tes conditions d'une fertilisation croisée et par conséquent d'un développement endogène» (Bruhat 1993). Ensuite en redécouvrant la valorisation à partir du milieu des années quatre-vingt-dix et la création d'entreprises innovantes en aval de leurs activités de recherche. -235- Je considère qu'à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, certains économistes et responsables politiques comprennent ie rôle économique que peuvent avoir les établissements d'enseignement supérieur pour leur territoire d'ancrage, même si à l'époque la conceptualisation de l'économie basée sur la connaissance n'en est qu'à ses débuts. Dès 1995, Florida affirme que tes EES sont au centre de son concept de territoire apprenant {Florida 1995). C'est également à cette époque que féquipe de Goddard, de l'université de Manchester, développe une nouvelle méthodologie pour analyser le role économique des EES pour leur territoire (Goddard, Charles et al. 1994). Toutefois, je considère que ces analyses ne vont pas assez loin, car elles n'étudient pas le rôle que ces institutions peuvent jouer dans le processus de renouveau d'un tissu de production territorialisé. Comme Grossetti, je pense que a l'analyse des relations locales entre les institutions scientifiques et les entreprises peut permettre d'éclairer la question des conditions locales de l'innovation et du renouvellement du tissu de production territorialisé d'une région au sein de l'économie basée sur la connaissance » (Grossetti 1995). Je vais même plus loin en affirmant que le fait de placer l'exploitation de la production de connaissances au cœur de la stratégie de développement économique permet de profiter pleinement des avantages économiques liés aux processus de l'économie basée sur la connaissance. Pour cette raison, je pense que les responsables du développement économique des territoires industriels possédant des établissements d'enseignement supérieur doivent mettre en place une stratégie de « gouvernance territoriale de la connaissance » s'ils veulent favoriser l'apparition d'un nouveau tissu de production territorialisé adapté â l'économie basée sur la connaissance. Ce concept prend en compte l'ensemble des enseignements apportés par les deux premiers chapitres. La gouvernance territoriale de la connaissance est guidée par la volonté de développer le maximum de lieux d'interaction entre les enseignants- chercheurs des différents domaines de recherche d'un même établissement et entre les chercheurs et les acteurs du monde économique et politique d'un même territoire. Elle se traduit par la mise en place de lieux de coopération à l'interface des trois mondes décrits par le concept de triple hélice (Etzkowitz 1995) et qui assurent la création de valeur ajoutée. Par les échanges qu'elle crée, l'économie basée sur la connaissance permet le développement d'un nouveau langage entre les différents acteurs et facilite la mise en place d'un nouveau tissu de production territorialisé, basé sur l'innovation et sur l'exploitation des compétences spécifiques rares liées à la production de connaissances des institutions d'enseignement supérieur du territoire. Le Grand Nancy se prépare à l'économie basée sur la connaissance Le troisième chapitre m'a permis de vérifier les hypothèses que j'avais développées dans les deux premiers chapitres théoriques. La confrontation entre le réel vécu sur un territoire et mes hypothèses théoriques me permet de dire que nous assistons véritablement à la mise en place d'un nouveau système économique et politique, qui se traduit par des changements Importants des modes de fonctionnement et de coopération des différents acteurs -236- institutionnels responsables du renforcement de l'innovation et du développement économique d'un territoire. Ce chapitre m'a permis de relever quels sont les atouts de l'agglomération nancéienne pour profiter de l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. Il souligne en particulier le rôle économique croissant des établissements d'enseignement supérieur nancéiens. L'analyse des activités de valorisation a montré que le milieu universitaire et ses satellites généraient, en 1Ô98, une vingtaine de millions d'euros de chiffre d'affaires en prestations de services réalisées pour des tiers. La tendance pour les années 2000 et 2001 révèle une forte augmentation, à deux chiffres, de ces activités. Les laboratoires nancéiens sont donc de véritables producteurs de richesses pour leur territoire. Je pense que trop peu de personnes comprennent que les EES représentent un secteur d'activité économique en tant que tel, qu'il faut valoriser afin que l'agglomération nancéienne garde et renforce comme actif spécifique ces centres de recherche de dimension internationale. L'analyse a également montré que les acteurs du milieu d'innovation nancéien et lorrain se focalisent actuellement sur la création de start-up innovantes en aval des EES et sur la création de plates-formes technologiques, ou tout au moins de CRT, en position d'interface entre les EES et les entreprises. L'analyse classique des activités de valorisation et des évolutions économiques et institutionnelles récentes m'a permis de signaler qu'un changement important avait eu lieu en 1998, mais elle ne m'a pas permis de comprendre par quels processus : Le milieu universitaire nancéien génère les vagues de création d'entreprises Innovantes ; Le milieu économique s'adapte à l'économie basée sur la connaissance ; Un nouveau tissu de production territorialisée pourrait se reconstituer. J'en suis arrivé à la conclusion qu'une analyse classique ne permet pas de comprendre les processus en cours. J'ai donc décidé d'utiliser une grille de lecture basée sur l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. L'analyse faite avec cette grille de lecture montre que le milieu universitaire nancéien s'adapte lentement, mais sûrement, au changement de système que représente l'économie basée sur la connaissance. Les enquêtes sur le terrain montrent clairement qu'un processus de prise de conscience des compétences mobilisables pour le développement économique a eu lieu entre 1996 et 2002. Jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix, les chercheurs nancéiens produisaient de la connaissance dans le simple but de produire de la connaissance. Dans leur globalité, ils ne s'intéressaient pas à la valorisation économique de leur travail. -237- Depuis 1996, un sérieux travail d'inventaire des connaissances et compétences a eu lieu. Ce travail s'est fait partiellement sous la pression des collectivités territoriales lorraines. Il correspond à une augmentation des ressources consacrées à la production et à la transmission des connaissances, comme le proposait Foray (Foray 2000). Cet inventaire a entraîné une prise de conscience des potentiels existants, ce qui a provoqué une augmentation de plus de 25%, entre 1998 et 2001, du chiffre d'affaires généré par les relations contractuelles des établissements d'enseignement supérieur nancéiens. J'ai donc pu vérifier que la conscience de la valorisation de la connaissance a clairement entraîné une systématisation de l'exploitation de cette même connaissance, comme le proposait notre modèle théorique. L'enquête montre également que le milieu universitaire nancéien connaît depuis quelques années une réorganisation de ses propres structures de production de connaissances. Cette évolution est caractérisée par une clarification des structures de recherche qui se fait par le biais de processus de gouvernance interne aux différents établissements et par une amélioration de la coopération entre les établissements d'enseignement supérieur et les EPST. En cinq ans, j'ai également assisté à l'émergence de projets de gouvernance interuniversitaire de niveau régional et international, qui représentent un changement de perception de l'échelle territoriale d'action de ces institutions. L'analyse a également montré une augmentation des activités systêmiques ou intersectorielles de la recherche nancéienne ; lentement apparaît une diminution des cloisonnements historiques entre les disciplines et les institutions de recherche. Le projet Artem-Nancy est le symbole visible de cette évolution, il est également le révélateur de la capacité du milieu universitaire nancéien à mener des grands projets d'ambition internationale. Je pense que cette capacité est liée au maintien de compétences issues de la position centrale de Nancy dans l'économie monde du début du XXe siècle, eile s'explique par la forte résistance institutionnelle de certaines institutions universitaires qui ont réussi à garder leur niveau d'excellence d'antan, alors que les milieux économique, politique, culturel et artistique n'y sont que partiellement arrivés. J'ai ensuite relu les évolutions économiques qu'a connues l'agglomération nancéienne entre 1854 et 2002, en me penchant surtout sur la période d'intercycle récente, qui a commencé selon mol en 1978. Cette relecture, sur la base des travaux théoriques des deux premiers chapitres, donne du sens à l'ensemble des efforts entrepris par les acteurs du milieu nancéien entre 1978, date de la création du technopôle Nancy-Brabois, et 1998, date de la fin de la période de dégradation économique. En effet, au premier abord cette phase est peu compréhensible. Elle montre pourtant comment la proximité géographique, de par l'augmentation du nombre de liaisons entre les différents acteurs du milieu, a permis aux responsables nancéiens de recréer une proximité organtsationnelle qui avait été détruite par le choc économique des années soixante-dix. Je pense que 1998 représente une charnière entre la période 1978-1998 et la période actuelle. Ces vingt années représentent le temps qui a été nécessaire au territoire pour -238- digérer la destruction de l'ancien tissu de production territorïalisé et régénérer sa capacité à recréer un milieu innovateur sur de nouvelles bases adaptées â l'économie basée sur la connaissance. En 2002, certains signes, tels la création de nouvelles infrastructures comme le quartier Meurthe-Moselle, le tramway, le futur quartier TGV, le réseau métropolitain de fibres optiques, la création d'entreprises autour de la plate-forme PRABiL, les projets de Biopole et d'Artem- Nancy, de maison de la finance, la restructuration du NANCIE, etc. laisseraient présager une capacité du territoire et de ses acteurs â innover pour s'adapter à l'économie basée sur la connaissance. Un système d'acteurs se met également en place pour préparer l'avenir et développer les infrastructures de transport physique et de communication numérique. Reste à savoir si les hommes et les femmes de l'agglomération seront à même de travailler ensemble dans le cadre d'une bonne gouvernance territoriale de la connaissance et de faire émerger ainsi un nouveau tissu de production territorialisé. Nous revenons toujours à l'Importance de l'atmosphère, chère à Marshall I Aujourd'hui, d'aucuns sont convaincus que le nouveau tissu de production territorïalisé s'articulera autour de la santé (biopôle et pôle de recherche fondamentale en imagerie médicale et biochimie), de la chimie fine (PRABIL), de l'environnement (pôle de l'eau) et de l'Informatique (INRIA)1 et dans une moindre mesure sur l'adaptation des compétences traditionnelles de l'agglomération dans les matériaux (APOLLOR, plate-forme matériaux), le vene et la finance (maison de la finance). Je pense que la renaissance économique dépendra également de la capacité des laboratoires publics nancéiens à générer la création de bureaux d'études et de centres de recherche privés, capables de réaliser au niveau mondial des expertises valorisant les connaissances produites au sein des établissements d'enseignement supérieur, et ainsi de profiter de l'augmentation globale des budgets que les Etats et les entreprises dépensent en R&D. Pour cela, les acteurs nancéiens doivent afficher et commercialiser leurs compétences spécifiques au niveau international, bien plus qu'aujourd'hui. Le besoin d'un humanisme adapté aux caractéristiques économiques et politiques du XXIe siècle En conclusion, je suis convaincu que le Grand Nancy dispose de nombreux atouts, dont ses établissements d'enseignement supérieur, pour être à même de profiter pleinement de l'émergence de l'économie basée sur la connaissance. Cela ne dépendra que de la capacité des responsables nancéiens à valoriser leurs potentiels. Actif professionnellement depuis 1997 sur ce territoire, en tant que consultant en économie régionale, j'ai été fasciné par les actifs spécifiques de cette agglomération et par l'intelligence de certains décideurs du milieu. Oe par son histoire et le travail des générations précédentes, le Grand Nancy est, en tant que territoire, bien plus favorisé que d'autres régions où j'ai également exercé une activité -239- professionnelle. Parfois, durant ces six années de recherche, je me suis dis que la profusion d'actifs spécifiques nuisait à l'efficacité, car je trouvais que le Grand Nancy gâchait une partie importante de ses potentiels. Il me semblait que le milieu d'acteurs de cette agglomération était tétanisé par l'ampleur de la tâche et par le poids de son histoire. L'utilisation d'une grille de lecture adaptée aux spécificités de l'économie basée sur la connaissance et la prise en compte du temps long m'ont montré qu'il ne faut pas se limiter aux apparences et que l'impression de « bougisme », d'actions redondantes, lentes, inadaptées, est fausse, car le milieu se restructure de manière souterraine et, sans le savoir consciemment, s'adapte lentement pour répondre aux caractéristiques de l'économie basée sur la connaissance. Aujourd'hui, je suis optimiste pour l'avenir économique à moyen et long terme de ce territoire, même si la capacité des institutions et des entreprises locales et régionales à réaliser le saut technologique nécessaire à la création d'un nouveau tissu de production territorialisé, adapté à l'économie basée sur la connaissance, n'est pas encore visible. Plus généralement, je pense que l'économie basée sur la connaissance représente une chance pour nos sociétés. En effet je considère qu'elle peut permettre la création d'une société plus ouverte et plus démocratique, grâce à la recomposition des pouvoirs et au passage d'un système d'autorité hiérarchique et vertical a un système d'autorité plus horizontal basé sur les compétences. Nous pouvons espérer que les processus économiques et technologiques qui caractérisent cette économie faciliteront le passage d'une démocratie de représentation à une démocratie participative où les citoyens, dépositaires de connaissances plus étendues, auront la possibilité de participer activement à la vie de la cité et aux décisions politiques (Genro et Souza 1998). Au niveau des travaux en science économique, j'espère que les connaissances nouvelles acquises permettront aux défenseurs de la dimension humaine et sociale de l'économie de montrer la pertinence de ridée qu'il est essentiel pour le devenir de nos sociétés « de faire la distinction entre le développement (avec sa nature compiexifiante et sa multidimensionnalité) et la croissance quantitative » (Passet 1996). Les économistes peuvent aider à mettre en place un système économique qui favorise le développement humain, ils ne sont pas tous des défenseurs de la pensée néolibérale l Si nous le voulons, nous pouvons créer ensemble une économie productrice de richesses et respectueuse de la biosphère. Cela nécessite de trouver la volonté d'utiliser les connaissances produites pour que notre planète reste un écosystème où il fait bon vivre pour l'espèce humaine, mais également pour l'ensemble des espèces animales et végétales qui nous entourent. Je pense que les établissements d'enseignement supérieur ont un role central à jouer dans la réflexion nécessaire pour assurer la survie de la biosphère et de l'espèce humaine. Nous sommes les contemporains de la sixième période d'extinction massive des espèces animales et végétales : « 50% de la flore et de la faune pourrait suivre le chemin de rextinction durant les cent prochaines années. Toutes les espèces sont -240- affectées : les poissons, les insectes, les plantes et les mammifères » (Morali 1999). Qui peut nous montrer le chemin à suivre si ce n'est les chercheurs ? Aujourd'hui, je suis convaincu que nos sociétés et nos économies devront quitter le chemin du développement techno-économique commencé au XV* siècle avec la Renaissance pour explorer un autre chemin, que ce soit la mise en place d'une « politique de l'humanité » (Morin 2002), une s décroissance conviviale » (Latouche 2001) ou « un retour aux rythmes naturels pour recouvrer une certaine harmonie avec le monde » (Rabhi 2001 ). Au cours des six millénaires de l'histoire universelle, l'espèce humaine a réussi à évoluer « en se libérant progressivement de la barbarie première, et en se développant jusqu'à concevoir rinfini, la divinité, découvrant les lois qui régissent les mondes de la matière, et en arrivant, sans qu'aucune nécessité l'y pousse, à exprimer dans d'immortelles œuvres d'art, ce besoin d'idéal qui gonfie instinctivement le cœur humain, et qui est ta véritable, sinon la seule source de la civilisation » (Pirenne 1948). Les philosophes des Lumières ont développé au XVIH* siècle les bases d'un humanisme adapté à leur époque. Au XIX* siècle, les peuples occidentaux ont cru à ta pérennité du progrès (Zweig 1944) ; les atrocités du XX* siècle ont montré que le retour à la barbarie était possible a chaque génération (Hobsbawm 1994) ; elles ont prouvé que le progrès n'est pas continu et que la civilisation est bien fragile. En ce début du XXI*. je sens la nécessité pour l'espèce humaine de redéfinir tes bases d'un nouvel humanisme adapté à nos sociétés contemporaines, qui réponde entre autres aux déséquilibres économiques entre les pays du Nord et ceux du Sud (Ritimo et Solagral 1998) et a la crise écologique planétaire actuelle. Cette thèse m'a montré que seules la réflexion et la remise en question de soi-même permettent à chacun d'apporter sa pierre â l'édifice de l'histoire humaine et que seule la perpétuation d'une chaîne qui unit les hommes de bonne volonté, génération après génération, peut permettre le maintien de la civilisation. Il est révélateur que ce travail m'ait fait découvrir et apprécier, entre autres, le travail de René Passet, professeur emerite de Sciences économiques à l'université Paris I, qui fut te maître de thèse du professeur Jean- Louis Coujard, mon maître de thèse à l'Ecole des Mines de Nancy. Est-ce le fait du hasard, j'en doute 1 241- Bibliographie Abdelmalki, L., D. Dufourt et al. (1996). Technologie, institutions et territoires : le territoire comme création collective et ressource institutionnelle. P. Bernard, pyjiamiques territoriales et mutations, économiques. Paris, L'Harmattan. Aduan (1994). Atlas de fagalomération nancéienne. Nancy, ADUAN. Aduan (199S). 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Ce changement systémique a un impact sur les territoires et leur économie locale. Il redonne une marge de manœuvre accrue aux acteurs locaux lorsque ceux-ci mettent en place une stratégie de gouvernance territoriale de la connaissance, qui permet le développement d'un nombre maximum d'interactions entre les différents partenaires du territoire. Le Grand Nancy dispose avec, entre autres, ses établissements d'enseignement supérieur, de cartes majeures pour profiter de cette évolution économique et sociétale. La grille de lecture de l'économie basée sur la connaissance donne du sens au travail effectué par les acteurs locaux depuis la création du pôle technologique de Brabois en 1978. Elle montre que des potentiels existent pour l'émergence à Nancy d'un nouveau tissu de production localisé.